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Référence : 2011 CCI 353

Date : 20110802

Dossier : 2009-3264(GST)I

ENTRE :

CANPAR DEVELOPMENTS INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 2 mars 2010.)

Le juge Paris

 

[1]              Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’une cotisation de TPS découlant du transfert, par l’appelante à ses deux actionnaires, d’une maison qu’elle construisait. L’appelante n’a pas perçu ni remis la TPS relative au transfert. Elle affirme qu’elle a uniquement transféré le titre en common law du bien à ses actionnaires, qu’elle a conservé l’intérêt bénéficiaire dans celui‑ci et qu’il n’y a donc pas eu de fourniture donnant naissance à une obligation de percevoir la TPS.

 

[2]              La cotisation établie par le ministre à l’égard de l’appelante se fonde sur le transfert, par l’appelante à ses deux actionnaires, tant du titre en common law du bien que de l’intérêt bénéficiaire dans celui‑ci, ce qui aurait donné lieu à une fourniture d’un bien assujettie à l’obligation de percevoir la TPS suivant les articles 165 et 221 de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[3]              Les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est appuyé pour établir la cotisation sont énoncées au paragraphe 9 de la réponse à l’avis d’appel et feront partie intégrante des présents motifs :

 

[TRADUCTION]

a) l’appelante est un petit constructeur de maisons neuves;

 

b) l’appelante était, à tous les moments pertinents, un inscrit aux fins de la TPS;

 

c) les ventes de maisons neuves réalisées par l’appelante étaient taxables au taux de 7 pour 100;

 

d) à tous les moments pertinents, Terry Canning (« M. Canning ») et Subhash Parmar (« M. Parmar ») détenaient chacun 50 pour 100 des actions ordinaires de l’appelante;

 

e) M. Canning et M. Parmar contrôlaient l’appelante;

 

f) M. Canning et M. Parmar avaient un lien de dépendance avec l’appelante;

 

g) le 9 septembre 2005 ou vers cette date, l’appelante a transféré le bien Oakridge à M. Canning et à M. Parmar en contrepartie de sa juste valeur marchande (le « transfert »);

 

h) le 9 septembre 2005 ou vers cette date, le bien Oakridge faisait partie des stocks détenus par l’appelante;

 

i) vers le 9 septembre 2005, M. Canning et M. Parmar ont obtenu de La Banque Toronto‑Dominion un prêt hypothécaire de 401 250 $ relativement au bien Oakridge;

 

j) la juste valeur marchande du bien Oakridge au moment du transfert s’élevait à 495 000 $;

 

k) aucune fiducie nue n’a été établie relativement au bien Oakridge;

 

l) M. Canning et M. Parmar ne détenaient pas le bien Oakridge en fiducie pour le compte de l’appelante après le transfert;

 

m) M. Canning et M. Parmar ont pris toutes les décisions touchant le bien Oakridge après le transfert;

 

n) l’appelante ne détenait aucun intérêt en common law ni intérêt bénéficiaire dans le bien Oakridge après le transfert;

 

o) le montant de la TPS perceptible au titre du transfert du bien Oakridge s’élevait à 34 650 $;

 

p) l’appelante n’a déclaré aucun revenu ni aucune TPS perceptible au titre du transfert du bien Oakridge dans ses déclarations de TPS;

 

q) l’appelante n’a demandé aucun crédit de taxe sur les intrants (« CTI ») au titre du bien Oakridge après la date du transfert;

 

r) l’appelante a omis de remettre au receveur général la TPS perceptible, quelle qu’elle soit, au titre du transfert du bien Oakridge.

 

[4]              Dans son témoignage, M. Subhash Parmar, administrateur et détenteur de 50 pour 100 des actions de l’appelante, a affirmé que cette dernière avait emprunté des fonds pour financer l’acquisition du terrain situé sur Oakridge Trail, à Oshawa, en 2004 et qu’elle avait emprunté une somme supplémentaire pour financer la construction d’une maison sur ce terrain. À l’été 2005, les prêteurs ont exigé d’être remboursés et l’appelante a dû trouver une autre source de financement.

 

[5]              Monsieur Parmar s’est adressé à La Banque de Nouvelle‑Écosse et à TD Canada Trust, mais ces deux institutions financières ont refusé de prêter des fonds à l’appelante. Elles étaient uniquement disposées à consentir un prêt hypothécaire à l’égard du bien si l’acte de prêt était établi aux noms de M. Parmar et de M. Canning, l’autre actionnaire. M. Parmar a dit que, pour obtenir un financement de TD Canada Trust, l’appelante a transféré le bien à M. Canning et à lui‑même. Les documents produits en preuve montrent que, le 9 septembre 2005, le bien était enregistré à leurs noms à titre de tenants communs.

 

[6]              Monsieur Parmar a déclaré que le transfert n’avait eu lieu que pour obtenir le financement et que l’appelante avait continué d’être traitée comme le propriétaire du bien. C’est elle qui a payé tous les autres coûts de construction ainsi que les factures de services publics. Lorsque le bien a finalement été vendu en janvier 2008, le produit net de la disposition a été déposé dans le compte bancaire de l’appelante.

 

[7]              Il ressort toutefois de la preuve présentée par l’intimée qu’au moment du transfert l’appelante a consigné l’opération comme une vente à M. Parmar et à M. Canning. En effet, dans les documents comptables de l’appelante, on a supprimé le bien des stocks et une somme égale au coût du bien supporté par l’appelante a été inscrite au débit des comptes de prêt dû à un actionnaire de M. Parmar et de M. Canning. M. Parmar a affirmé que la vente et le transfert ont été présentés de cette façon par suite d’une erreur de l’aide‑comptable de l’appelante et que cette erreur avait ultérieurement été corrigée par l’appelante.

 

[8]              La première question qu’il me faut examiner est celle de savoir si M. Parmar et M. Canning détenaient le bien en fiducie pour le compte de l’appelante après le transfert de titre effectué le 9 septembre 2005. Trois critères s’appliquent pour établir l’existence d’une fiducie valide, soit la présence de certitudes quant à l’intention, à la matière et à l’objet. Il doit être manifeste que le constituant de la fiducie avait l’intention que le bien transféré au fiduciaire soit obligatoirement détenu en fiducie. Il doit être possible d’identifier le bien faisant l’objet de la fiducie ainsi que les bénéficiaires de celle‑ci, et l’intérêt des bénéficiaires dans le bien fiduciaire doit être défini.

 

[9]              L’appelante a le fardeau de prouver que les exigences en matière de constitution d’une fiducie sont remplies. Dans la présente affaire, la certitude requise quant à l’intention n’a pas été établie. Premièrement, l’existence de la fiducie n’a pas été consignée dans les documents relatifs au transfert. Deuxièmement, il ressort de la preuve que TD Canada Trust exigeait que le bien soit détenu par les deux actionnaires pour consentir le financement nécessaire. À mon sens, il aurait été illogique pour TD d’accepter que l’appelante soit toujours le propriétaire bénéficiaire du bien après le transfert de celui‑ci alors même qu’elle avançait les fonds à la condition que le bien soit enregistré aux noms des actionnaires. Je ne puis voir aucune autre raison pour laquelle TD Canada Trust aurait exigé que le bien soit mis au nom des actionnaires si ce n’est qu’elle exigeait que ces derniers en soient les propriétaires bénéficiaires.

 

[10]         Troisièmement, comme l’a signalé l’avocate de l’intimée, rien dans la preuve ne permet de croire que M. Parmar ou M. Canning ait jamais informé TD Canada Trust de l’existence d’une fiducie relative au bien. J’en déduis qu’aucune assertion en ce sens n’a été formulée. J’estime que cette situation est incompatible avec l’existence d’une intention de créer une fiducie. À mon avis, les observations faites à ce sujet par le M. le juge Bowman dans la décision Erb c. La Reine, no 97‑3216(IT)G, 26 novembre 1999, 2000 D.T.C. 1401 (CCI), au paragraphe 26, sont pertinentes en l’espèce :

 

Il me semble que lorsqu’une personne transfère un bien de manière absolue en apparence au moyen d’un acte translatif ou d’un acte de transfert, et qu’elle procède de cette manière afin d’atteindre un but qui est conditionnel à un transfert de la propriété effective, il faudrait des éléments de preuve très convaincants pour établir que l’auteur du transfert n’avait pas l’intention de faire ce que les documents montrent de façon non équivoque qu’il a fait et qu’il n’avait pas l’intention d’accorder au bénéficiaire le titre bénéficiaire sur le bien.

 

[11]         J’ai l’impression que M. Parmar et M. Canning étaient très anxieux de trouver une autre source de financement pour le bien à l’été 2005 et que le transfert de celui‑ci a eu lieu sans que l’on tienne compte des conséquences fiscales qui en découleraient. J’en déduis que ni M. Parmar ni M. Canning n’avaient envisagé la création d’une fiducie au moment du transfert.

 

[12]         En outre, je ne suis pas convaincu que la façon dont l’appelante a d’abord consigné l’opération dans ses documents comptables procédait d’une erreur. Les documents n’ont été modifiés que postérieurement à la vérification qu’a effectuée l’ARC et qui est à l’origine de la cotisation en cause. De plus, je tire une inférence défavorable du fait que l’appelante a omis d’appeler l’aide‑comptable, Mme Cunningham, à témoigner pour corroborer le témoignage de M. Parmar sur ce point.

 

[13]         J’admets que l’appelante a continué de payer les dépenses liées au bien après l’avoir transféré aux actionnaires, mais ce fait ne peut à lui seul suffire à l’emporter sur les facteurs qui tendent à établir l’absence d’une intention de constituer une fiducie.

 

[14]         Le représentant de l’appelante a également laissé entendre que le transfert du bien à M. Parmar et à M. Canning tombait sous le coup de l’article 134 de la Loi sur la taxe d’accise à titre de transfert d’une garantie et qu’il devait donc être réputé ne pas constituer une fourniture. L’article 134 est libellé comme suit :

 

Pour l’application de la présente partie, le transfert d’un bien, ou d’un droit y afférent, aux termes d’une convention concernant une dette ou une obligation et visant à garantir le paiement de la dette ou l’exécution de l’obligation est réputé ne pas constituer une fourniture. Il en est de même pour le retour du bien ou du droit, une fois la dette payée ou remise ou l’obligation exécutée ou remise.

 

[15]         Cependant, la preuve n’établit nullement que l’appelante a transféré le bien à M. Parmar et à M. Canning afin de garantir le paiement d’une dette ou l’exécution d’une obligation envers eux. La dette ou l’obligation visée à l’article 134 est celle que l’auteur du transfert du bien a envers le bénéficiaire du transfert.

 

[16]         Selon l’analyse de David Sherman :

 

[TRADUCTION]

L’objet de l’article 134 est clair. Un gage, une hypothèque ou un semblable transfert qui vise à garantir une dette ne constitue pas réellement un transfert de bien. En effet, aucun transfert n’a lieu tant et aussi longtemps que la garantie n’est pas réalisée afin de payer la dette.

 

[17]         Pour ces raisons, je conclus que l’appelante avait l’obligation de percevoir et de remettre la TPS sur le transfert du bien à M. Parmar et à M. Canning le 9 septembre 2005.

 

[18]         Je dois en second lieu trancher la question de savoir si les pénalités pour faute lourde ont été régulièrement imposées suivant l’article 285 de la Loi sur la taxe d’accise. Cette disposition est ainsi rédigée :

 

Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse — appelés « déclaration » au présent article — établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d’une pénalité de […]

 

La disposition décrit ensuite la méthode de calcul du montant de la pénalité.

 

[19]         Dans la décision Venne c. La Reine, no T‑815‑82, 9 avril 1984, 84 D.T.C. 6247 (C.F. 1re inst.), M. le juge Strayer tient les propos suivants :

 

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

 

[20]         En outre, comme l’a signalé le juge Bowman dans la décision Farm Business Consultants Incv. The Queen, 95 D.T.C. 200, le tribunal doit faire preuve d’une prudence extrême lorsqu’il sanctionne l’imposition d’une pénalité pour faute lourde.

 

[21]         Dans les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas convaincu que la conduite de l’appelante en ce qui touche l’omission de percevoir et de remettre la TPS sur le transfert du bien en cause équivalait à une faute lourde de sa part. J’admets que M. Parmar et M. Canning aient cru que la TPS ne deviendrait exigible qu’au moment où il y aurait une disposition du bien en faveur d’une partie sans lien de dépendance. J’admets également qu’ils aient cru que l’appelante détenait toujours un certain intérêt dans le bien compte tenu du fait qu’elle a continué de payer les dépenses qui y étaient liées. Même si cette croyance n’était pas fondée en droit, il me semble que M. Parmar a conservé cette croyance subjective et j’en déduis que c’était aussi le cas pour M. Canning. J’estime qu’ils ont fait preuve de négligence en omettant d’obtenir un avis juridique sur les conséquences fiscales du transfert, mais cela ne revient pas, en soi, à intentionnellement faire fi des obligations qui leur incombaient sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise.

 

[22]         À mon avis, il arrive souvent que les conséquences fiscales d’un transfert entre des parties ayant un lien de dépendance soient complexes et puissent être mal comprises même par des gens d’affaires expérimentés. Je le répète, ce fait à lui seul, même s’il constitue de la négligence, n’équivaut pas à une faute lourde au sens où cette expression est définie par la jurisprudence.

 

[23]         Pour les raisons qui précèdent, l’appel est accueilli en partie et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il établisse une nouvelle cotisation compte tenu du fait que la pénalité pour faute lourde fondée sur l’article 285 doit être supprimée.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 2e jour d’août 2011.

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de septembre 2011

 

Christiane Bélanger, LL.L.


 

 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 353

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-3264(GST)I

 

INTITULÉ :                                       Canpar Developments Inc. et

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 2 mars 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 août 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

Harold Golfman

Avocate de l’intimée :

Me Diana Aird

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                      S/O

 

                          Cabinet :                  S/O

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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