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Dossier : 2010-3668(IT)I

ENTRE :

JERRY KUHLMANN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 16 août 2011 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge E.A. Bowie

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui‑même

Avocate de l’intimée :

MErin Strashin

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          Les appels interjetés à l’encontre de nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2011.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 410

Date : 20110901

Dossier : 2010-3668(IT)I

ENTRE :

JERRY KUHLMANN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie

 

[1]     L’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la « Loi ») exige que, dans le calcul de leurs revenus pour chaque année, les contribuables fassent le total de leurs revenus de toutes sources, y compris les gains en capital nets imposables, et déduisent de ce total leurs pertes éventuelles découlant de toute charge, emploi, entreprise ou bien. Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, M. Kuhlmann a inclus le total de son revenu provenant d’un certain nombre de sources, principalement des prestations de retraite, et il a déduit de ce total ce qu’il a déclaré être, pour chaque année, sa part sur les pertes d’entreprise subies par une société de personnes appelée JHK & BK Enterprises (« Enterprises »). Les résultats peuvent être résumés de la manière suivante :

 

 

2005

           2006

2007

 

Revenus provenant de diverses sources

52 643 $

51 213 $

51 513 $

Moins la part sur les pertes de la société de personnes

16 508 $

15 059 $

10 848 $

 

Revenu total

36 135 $

36 154 $

40 665 $

 

[2]     Au départ, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation à l’égard de M. Kuhlmann en tenant compte des renseignements contenus dans les déclarations de revenus de l’appelant, mais, après mûre réflexion, le ministre a estimé qu’Enterprises n’était pas une source de revenus, et il a alors établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Kuhlmann pour les années en question, dans lesquelles il a refusé la déduction des pertes de la société de personnes du revenu total de M. Kuhlmann. Ce dernier s’est opposé aux nouvelles cotisations, le ministre les a ratifiées, et M. Kuhlmann interjette maintenant appel de ces nouvelles cotisations.

 

[3]     L’appelant était le seul témoin à l’audience. Son témoignage était, essentiellement, franc et crédible. Toutefois, j’ai de la difficulté à retenir son témoignage selon lequel il avait simplement donné tous ses reçus à sa comptable[2], et qu’il avait signé les déclarations de revenus qu’elle avait préparées pour lui, sans examiner leur contenu. Il semble improbable qu’une personne ayant un diplôme en administration des affaires ne soit pas encline à remettre en question certaines demandes de déduction manifestement très exagérées concernant des dépenses faites, telles que des dépenses relatives à des vacances et des billets de théâtre pour l’appelant et son épouse.

 

[4]     M. Kuhlmann est ingénieur et détient aussi un diplôme en administration des affaires. Il a été employé par la Dow Chemical Company (la « Dow ») pendant près de 30 ans. En 1995, il a pris sa retraite après avoir conclu un accord avec la Dow aux termes duquel il recevrait une prestation de pension différée à partir de 60 ans. À ce moment‑là, ayant en vue la création d’une entreprise de consultation, l’appelant a inscrit, avec son épouse, une société de personnes sous le nom de JHK & BK Enterprises. Au cours des quelques années qui ont suivi, M. Kuhlmann a travaillé comme consultant au nom de cette société de personnes. Sa principale cliente était la Vulsay Industries Ltd. (la « Vulsay ») à laquelle il fournissait des travaux de consultation qu’il facturait mensuellement pendant plusieurs années. À un certain moment, la Vulsay avait offert à l’appelant un emploi rémunéré à temps plein en tant que directeur des ventes, et M. Kuhlmann avait occupé ce poste jusqu’en 2005. En 2005, par suite d’un changement de contrôle intervenu dans la société Vulsay, M. Kuhlmann a encore pris sa retraite, et il a commencé à toucher des prestations de retraite de la Vulsay.

 

[5]     À ce moment‑là, M. Kuhlmann, pour reprendre ses propres termes, a commencé à chercher un travail à temps plein ou à temps partiel. Bien qu’Enterprises était restée inactive depuis que M. Kuhlmann était devenu un employé de la Vulsay, elle existait toujours en tant que société de personnes inscrite. Si l’appelant avait trouvé un travail qu’il pouvait accomplir en tant qu’entrepreneur indépendant plutôt qu’employé, il l’aurait alors sans nul doute effectué au nom d’Enterprises, comme il l’avait fait avant de devenir un employé de la Vulsay. Selon lui, ses efforts n’avaient pas porté fruit– aucune occasion ne s’était présentée – et en 2008 ou en 2009, il avait renoncé à chercher du travail et avait pris sa retraite. L’appelant a déclaré qu’il avait toutefois supporté des dépenses pour chercher du travail et que, encouragé par sa « comptable », il avait déduit ces dépenses, et de nombreuses autres qui n’avaient pas de lien avec sa recherche d’emploi, au titre des dépenses d’Enterprises. Étant donné qu’Enterprises n’avait aucun revenu que ce soit au cours des années visées par l’appel, les états des résultats des activités d’une entreprise concernant la société de personnes que l’appelant avait joints à sa déclaration de revenus faisaient état de pertes égales au montant des dépenses déduites pour chaque année. Pour une raison inexpliquée, l’appelant avait déduit 100 % de ces pertes au titre de sa part sur les pertes pour 2005 et 80 % pour 2006 et pour 2007.

 

[6]     Enterprises était certainement une source de revenus pour une certaine période avant que l’appelant ne commence à travailler pour la Vulsay. Est‑ce que c’était de 2005 à 2007? Les observations suivantes du juge Bowman, tel était alors son titre, dans l’affaire Kaye v. The Queen[3], sont utiles pour répondre à cette question :

4     Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l’utilisation de l’expression rituelle [« aucune attente raisonnable de profit »], et je préfère formuler ainsi la question : « Y a-t-il une entreprise véritable? » C’est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu’elle englobe la question du caractère raisonnable de l’attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu’un entrepreneur faisant le forage de puits d’exploration a une attente raisonnable de profit et qu’il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d’entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C’est le caractère commercial de l’entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L’intention subjective de faire de l’argent entre certes en ligne de compte, mais ce n’est pas le facteur déterminant, bien que l’absence d’une telle intention puisse nuire à l’assertion qu’une activité est une entreprise.

5     On ne peut considérer le caractère raisonnable de l’attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est-ce qu’une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d’entreprise affirmerait qu’il s’agit bien d’une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l’activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

6     Cela mène à une autre considération — , soit la question du caractère raisonnable. L’article 67 de la Loi de l’impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n’est pas coulée dans le béton. L’article 67 s’applique dans le contexte d’une entreprise et suppose l’existence d’une entreprise. C’est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l’absence de raisons contraignantes, qu’une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s’attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

7     En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l’ensemble des facteurs, en accordant à chacun l’importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l’imagination de l’entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d’autres termes, si vous voulez qu’on vous traite comme un homme d’affaires, agissez en homme d’affaires[4].

 

[7]     Lorsque la question est examinée à la lumière de la décision précitée, il est évident qu’il n’y avait pas là d’entreprise exploitée au cours des années visées par l’appel. Il n’y avait pas d’activité exercée d’une manière commerciale ni de comportement d’homme d’affaires. Il y avait simplement une personne qui cherchait du travail, soit comme entrepreneur indépendant, soit comme employé à temps plein ou à temps partiel. Il n’est pas raisonnable de nourrir des attentes à l’égard du Trésor pour qu’il subventionne la recherche d’emploi, autrement qu’au moyen du régime d’assurance‑emploi créé à cet effet.

 

[8]     La décision Kaye, bien entendu, avait été rendue avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Stewart c. La Reine[5]. Le critère appliqué par le juge Bowman, toutefois, est parfaitement compatible avec la reformulation de la démarche à adopter faite par la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Voici le passage pertinent de cette décision :

 

Nous tenons également à souligner que, même si l’expectative raisonnable de profit constitue un facteur à prendre en considération à ce stade, elle n’est ni le seul facteur, ni un facteur déterminant. Il faut déterminer globalement si le contribuable exerce l’activité d’une manière commerciale. Cette détermination ne devrait toutefois pas servir à évaluer après coup le sens des affaires du contribuable. C’est la nature commerciale de son activité qui doit être évaluée, et non son sens des affaires[6].

 

[9]     Il n’est, non plus, d’aucun secours pour l’appelant le fait qu’Enterprises exploitait une entreprise à un moment donné, et était donc une source de revenus. Dans l’arrêt Moufarrège c. Québec (Sous‑ministre du Revenu)[7], la Cour suprême du Canada a fait les observations suivantes, aux paragraphes 4 et 5 :

 

4     L’arrêt Stewart c. Canada, [2002] 2 R.C.S. 645, 2002 CSC 46, n’a pas modifié le principe voulant que, lorsque disparaît l’expectative raisonnable de gagner un revenu, disparaît aussi le droit à la déduction. Dans cet arrêt, la Cour précise d’ailleurs que « la déductibilité des dépenses présuppose l’existence d’une source de revenu » (par. 57).

5     Ici, une fois les immeubles vendus, la source de revenu n’existait plus et l’emprunt, selon les art. 128 et 160, n’était plus utilisé pour gagner un revenu provenant d’un bien. Pour ce qui est des actions, la compagnie en question a fait faillite et le dossier ne laisse voir aucune possibilité de reprise des activités. Par conséquent, dans ce cas-là également, la source de revenu a disparu, même si la compagnie n’est pas dissoute.

Lorsqu’Enterprises a cessé d’être une source de revenus, comme ce fut le cas lorsque M. Kuhlmann est devenu un employé de Vulsay, le droit de M. Kuhlmann à la déduction pour des pertes qu’elle aurait subies a disparu.

[10]    Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner, parmi les nombreux articles qui représentent les pertes qu’Enterprises aurait subies, ceux qui constituent des dépenses personnelles. Étant donné qu’il n’y a pas d’entreprise exploitée, toutes les dépenses sont personnelles, et ne sont donc pas déductibles.

[11]    Les appels sont rejetés.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de septembre 2011.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour d’octobre 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 410

 

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-3668(IT)I

 

 

INTITULÉ :                                       JERRY KUHLMANN

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 16 août 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge E.A. Bowie

 

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 1er septembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Erin Strashin

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      s/o

 

                          Cabinet :                  s/o

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           L.R.C. 1985 ch.1 (5e suppl.), dans sa version modifiée.

 

[2]           Dans son témoignage, l’appelant a mentionné sa comptable à de nombreuses reprises, et lui reprochait les nombreuses dépenses gonflées incluses dans le calcul des pertes subies par la société de personnes chaque année. La comptable n’a pas été appelée à témoigner, et je n’ai aucune idée de ses compétences, pour autant qu’elle en ait. À en juger par les déclarations de revenus qu’elle a préparées pour l’appelant, je pense que le titre de « comptable » qu’elle dit avoir est au mieux fallacieux.

 

[3]           [1998] 3 C.T.C. 2248.

 

[4]           Ibid., aux paragraphes 4 à 7.

 

[5]           [2002] 2 R.C.S. 645.

 

[6]           Ibid., au paragraphe 55.

 

[7]           2005 CSC 53.

 

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