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Dossier : 2010-1802(IT)G

ENTRE :

DAVID WAYNE LEGGE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 18 juillet 2011,

à Cornerbrook (Terre-Neuve).

 

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Avocate de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          L’appel de la cotisation établie au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2007 est accueilli, avec dépens, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 6e jour de septembre 2011.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 413

Date : 20110906

Dossier : 2010-1802(IT)G

ENTRE :

DAVID WAYNE LEGGE,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Campbell

 

Les faits

 

[1]              L’appelant, David Wayne Legge, a demandé un crédit d’impôt pour emploi à l’étranger (le « CIEE »), au titre de l’article 122.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), à l’égard de son emploi au Qatar. Il s’agit ici de savoir si M. Legge a droit au CIEE pour son année d’imposition 2007.

 

[2]              L’appelant travaillait au College of the North Atlantic (le « CNA ») à titre de chargé de cours, au sein du département de technologie du génie, campus auxiliaire (le « CNA‑Q »), à Doha, Qatar. L’appelant a témoigné être chargé de cours, Technologie électronique et Techniques de télécommunication.

 

[3]              Le CNA est un établissement d’enseignement postsecondaire situé à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Il exploite un certain nombre de campus un peu partout à Terre‑Neuve‑et‑Labrador ainsi qu’un campus au Qatar. Le campus situé à l’étranger a été établi conformément à une entente globale d’une durée de dix ans (l’« entente ») conclue au mois de septembre 2001 entre le CNA et le Qatar. Aux termes de l’entente, le CNA devait établir un collège postsecondaire public de technologie offrant aux étudiants, au Qatar, un programme d’agrément canadien et international pour divers programmes technologiques, notamment : sciences de la santé, technologie de l’information, technologie du génie, études commerciales, opérations bancaires et sécurité. Le CNA‑Q est un campus pleinement opérationnel dont les programmes sont conçus en consultation avec des représentants de l’industrie et de l’État du Qatar. Les programmes sont fondés sur les possibilités d’emploi existantes et prévues.

 

[4]              Le programme de technologie du génie au CNA‑Q, où l’appelant était membre du corps enseignant, visait à préparer les étudiants à occuper des postes de techniciens et de technologues se rattachant à l’entretien et à l’exploitation. Selon l’entente, les obligations primordiales de l’État du Qatar consistaient à faire en sorte que le campus soit exploité conformément aux lois du Qatar, à fournir le financement et les installations et à rémunérer le CNA à l’égard de l’établissement et de l’exploitation du campus. Les renseignements se rattachant à la rémunération figurent à l’article 4 d’un plan d’entreprise complet qui est joint à l’entente et en fait partie. Il ressort clairement de l’entente et du plan d’entreprise que le CNA voulait tirer un profit de l’exploitation de ce campus, au Qatar. La preuve orale et la preuve documentaire montrent qu’il s’agissait d’un contrat lucratif pour le collège.

 

[5]              L’un des objectifs de l’entente était que le CNA assure la formation de diplômés de grande compétence qui travailleraient dans l’industrie du pétrole et du gaz, au Qatar, étant donné qu’un grand nombre des postes à combler étaient antérieurement dotés par des non‑Qatariens. Par conséquent, le CNA‑Q a été créé pour répondre aux exigences économiques et sociales de l’industrie et aux intérêts communautaires, au Qatar. De fait, selon l’un des principes directeurs mentionnés dans le plan d’entreprise : [traduction] « [La] tâche primordiale [...] du CNA consiste à assurer la souplesse et l’expérience nécessaires à la conception de systèmes qui fonctionnent dans l’environnement social et culturel unique en son genre du Qatar » (plan d’entreprise, page 1).

 

[6]              Trois témoins, qui étaient des cadres supérieurs du CNA et qui avaient passé du temps aux campus, au Qatar et à Terre-Neuve, ont fourni une preuve corroborante des liens étroits que le CNA‑Q entretient avec les industries, au Qatar, en particulier dans le secteur du pétrole et du gaz.

 

[7]              À l’article 5.2 du plan d’entreprise, Plan du programme principal, il est expressément mentionné que le CNA doit répondre aux besoins précis de l’industrie, au Qatar. De plus, l’article 5.3 souligne l’importance de l’entente de [traduction] « partenariat » entre le CNA et le secteur de l’industrie du pétrole et du gaz du Qatar ainsi que de l’interaction et de la collaboration considérables qui étaient envisagées : [traduction] « [...] l’industrie jouera un rôle essentiel lorsqu’il s’agira d’élaborer le programme, de définir les normes d’agrément requises et d’assurer la formation. » Il ressort clairement du plan d’entreprise que l’industrie, au Qatar, doit apporter une contribution directe au contenu des cours et aux modalités de prestation offerts au CNA‑Q. Les étudiants inscrits n’avaient pas à être des ressortissants du Qatar, mais l’objectif de cet État était de maximiser l’inscription de ressortissants du Qatar à ces programmes (article 10.4) en vue de leur emploi éventuel dans le secteur des affaires et de l’industrie du Qatar.

 

[8]              Avant la création du CNA‑Q, la formation en génie technique avait été assurée sur une base restreinte par Qatar Petroleum Co. (« QP »), une société étatique à cent pour cent exploitée par le Qatar dans le secteur du pétrole et du gaz. Un protocole d’entente (le « PE ») daté du 1er juillet 2005, conclu entre le Bureau des gouverneurs du CNA et QP, prévoyait le transfert par QP au collège, au Qatar, d’un programme de formation d’entreprise, qui comprenait le Programme technique préparatoire (le « PTP »). Toutefois, l’appelant n’exerçait pas ses fonctions conformément à ce PE. Les certificats accordés dans le cadre du PTP sont différents de ceux qui sont conférés dans le cadre du Programme de technologie du génie. Le PTP visait à préparer les étudiants à s’intégrer aux opérations de traitement. Le PE établissait également une relation de travail étroite entre le CNA‑Q et QP dans le cadre du PTP. Ainsi, le PE prévoyait que QP paierait les frais de scolarité, les manuels et les fournitures d’au moins 240 étudiants inscrits au PTP pour chaque année solaire. La société QP parraine tous les étudiants inscrits au PTP, mais d’autres employeurs du Qatar et de l’étranger recrutent également leur personnel du PTP.

 

[9]              Le campus était dirigé d’une façon générale par le Bureau des gouverneurs du CNA, mais l’entente établissait un conseil mixte de surveillance (le « CMS ») chargé d’exercer des fonctions de gouvernance précises sur le campus. Les membres du CMS étaient nommés par l’État du Qatar, par le CNA et par l’industrie locale; toutefois, l’État du Qatar conservait le pouvoir de nommer le président de ce conseil.

 

[10]         Un grand nombre des étudiants inscrits au programme de technologie du génie ainsi qu’aux autres programmes du CNA‑Q sont parrainés par des sociétés du Qatar. De fait, QP agit à titre de société parapluie étatique pour de nombreuses sociétés pétrolières et gazières du Qatar, ainsi qu’en tant qu’instrument de liaison lorsqu’il s’agit de traiter avec des sociétés non qatariennes de l’industrie du pétrole et du gaz. La société QP a un bureau permanent sur le campus du CNA‑Q, lequel s’occupe des étudiants parrainés. D’autres personnes morales telles que Qatar Gas et RasGas, Exxon Mobil, Dolphin Energy, Occidental Petroleum, Shell ainsi que Petrotec ont également une présence importante sur le campus et assurent un soutien considérable au collège, notamment : fourniture d’installations pour la formation en cours d’emploi, parrainage d’étudiants, octroi de bourses d’études et conclusion de contrats avec le collège en vue de la prestation d’une formation individualisée précise à l’intention d’étudiants ou d’employés parrainés (observations écrites de l’intimée, paragraphes 24 et 25). Toutefois, la preuve donne à entendre que QP, en sa qualité de société parapluie et d’intermédiaire entre le CNA‑Q et le secteur du pétrole et du gaz, est celle dont la présence sur le campus est la plus importante.

 

[11]         Plus de la moitié des étudiants, au CNA‑Q, sont parrainés par des entreprises locales qui paient leurs frais, y compris les frais de scolarité. Les étudiants parrainés travaillent déjà pour ces sociétés ou seront embauchés par celles‑ci après avoir obtenu leur diplôme. Le CNA‑Q offre à chaque étudiant parrainé un programme qui est expressément conçu pour ses besoins individuels. Ce type de parrainage est particulier au collège, au Qatar, et il est fort différent du type de programme de parrainage offert sur les campus, à Terre-Neuve, où les fonds de parrainage proviennent des deniers publics, la participation de l’industrie privée étant minime. Gregory Chaytor, vice-président du projet au Qatar, a décrit le programme de parrainage comme étant assimilable à la relation qu’un étudiant entretient avec son père et sa mère. Si un étudiant parrainé faisait face à certains problèmes, l’appelant communiquait avec le parrain de celui‑ci.

 

La position de l’appelant

 

[12]         L’appelant affirme avoir droit au CIEE, étant donné que les conditions énoncées à l’article 122.3 sont remplies; il invoque à cet égard deux arguments :

 

(1)              L’importance du lien nécessaire entre le contrat que le CNA a conclu avec le Qatar (l’employeur déterminé) d’une part et « l’exploration pour la découverte ou l’exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d’autres ressources semblables » (l’activité admissible) d’autre part est établie au moyen de la participation significative de l’industrie du pétrole et du gaz, au Qatar, à la gestion et à l’administration quotidienne du campus, au Qatar. Ce lien entre le contrat et l’activité admissible est conforme à l’interprétation la plus large possible qu’il faut donner, selon l’appelant, à l’expression « se rapportant à » figurant au sous-alinéa 122.3(1)b)(i);

 

(2)              L’enseignement du génie constitue un « projet d’ingénierie » [division 122.3(1)b)(i)(B)]. L’appelant fonde cet argument sur les lois en matière d’ingénierie de quatre ressorts canadiens, dans lesquelles l’enseignement est inclus en tant qu’aspect de la pratique du génie, sur la mention de l’enseignement, dans le bulletin IT‑497R4 [14 mai 2004], à titre d’activité admissible ainsi que sur la décision rendue dans l’affaire Gabie v. The Queen, 98 D.T.C. 2207, où l’expression « projet d’ingénierie » a reçu une interprétation large permettant à un non-ingénieur de demander un CIEE.

 

La position de l’intimée

 

[13]         L’intimée fait valoir que le CNA n’exploitait pas une entreprise se rapportant à une activité admissible au sens du sous-alinéa 122.3(1)b)(i). Elle invoque la décision Humber c. La Reine, 2010 CCI 253, [2010] A.C.I. no 176, à l’appui de sa position, à savoir que l’exploitation du campus du CNA‑Q et la prestation de programmes de technologie du génie et de programmes menant à l’obtention d’un certificat technique dans le cadre d’un partenariat étroit avec QP ne constituent pas des « projets d’ingénierie ». Le sens clair de l’expression « projet d’ingénierie » ne devrait pas inclure la prestation de programmes éducatifs tels que ceux que le CNA offre. Le collège ne fait pas concurrence à d’autres sociétés étrangères lorsqu’il s’agit de soumettre des offres pour des projets d’ingénierie ou pour des projets pétroliers et gaziers et il ne réduit pas ses coûts salariaux afin de faire concurrence à d’autres sociétés d’ingénierie, puisque la rémunération de l’appelant était supérieure à celle de ses collègues qui enseignaient à Terre-Neuve. Le CNA n’agit pas non plus à titre de sous-traitant de l’État du Qatar à l’égard d’une activité admissible exercée par l’État simplement parce que le Qatar veut mettre en œuvre des programmes éducatifs en vue d’assurer le soutien de ses industries locales. Enfin, l’intimée fait valoir qu’étant donné que l’emploi de l’appelant au CNA se rattachait à l’entente et qu’étant donné que cette entente ne se rapporte pas à un projet d’ingénierie de l’État, les fonctions de l’appelant n’étaient pas exercées dans le cadre d’un contrat en vertu duquel le CNA exploitait à l’étranger une entreprise se rapportant à un « projet d’ingénierie ».

 

Analyse

 

[14]         Le passage pertinent de l’article 122.3 de la Loi prévoit ce qui suit :

 

122.3 (1) Déduction de l’impôt payable en cas d’emploi à l’étranger. Lorsqu’un particulier réside au Canada au cours d’une année d’imposition et que, tout au long d’une période de plus de 6 mois consécutifs ayant commencé avant la fin de l’année et comprenant une fraction de l’année (appelée la « période admissible » au présent paragraphe) :

 

a) d’une part, il a été employé par une personne qui était un employeur déterminé, dans un but autre que celui de fournir des services en vertu d’un programme, visé par règlement, d’aide au développement international du gouvernement du Canada;

 

b) d’autre part, il a exercé la totalité, ou presque, des fonctions de son emploi à l’étranger :

 

(i) dans le cadre d’un contrat en vertu duquel l’employeur déterminé exploitait une entreprise à l’étranger se rapportant à, selon le cas :

(A) l’exploration pour la découverte ou l’exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d’autres ressources semblables,

(B) un projet de construction ou d’installation, ou un projet agricole ou d’ingénierie,

(C) toute activité visée par règlement,

 

(ii) dans le but d’obtenir, pour le compte de l’employeur déterminé, un contrat pour la réalisation des activités visées à la division (i)(A), (B) ou (C),

 

peut être déduite du montant qui serait, sans le présent article, l’impôt à payer par le contribuable pour l’année en vertu de la présente partie une somme égale à la fraction de l’impôt qu’il est par ailleurs tenu de payer pour l’année en vertu de la présente partie que représente le moindre des éléments suivants :

 

c) la fraction de 80 000 $ que représente par rapport à 365 le nombre de jours :

(i) d’une part, compris dans la partie de la période admissible qui est au cours de l’année,

(ii) d’autre part, au cours desquels le particulier résidait au Canada;

 

d) 80 % de son revenu pour l’année tiré de cet emploi et pouvant raisonnablement se rapporter aux fonctions exercées au cours des jours mentionnés à l’alinéa c),

 

par rapport à :

 

e) l’excédent éventuel du montant applicable suivant :

(i) si le particulier réside au Canada tout au long de l’année, son revenu pour l’année,

(ii) s’il est un non-résident à un moment de l’année, le montant déterminé selon l’alinéa 114a) à son égard pour l’année,

sur :

(iii) le total des montants représentant chacun une somme déduite en application de l’article 110.6 ou de l’alinéa 111(1)b) ou déductible en application des alinéas 110(1)d.2), d.3), f), g) ou j) dans le calcul de son revenu imposable pour l’année.

 

[…]

 

(2) Définitions – Les définitions qui suivent s’appliquent au paragraphe (1).

 

« employeur déterminé »

a) Personne résidant au Canada;

b) société de personnes dont la valeur totale des participations appartenant à des personnes résidant au Canada ou à des sociétés contrôlées par des personnes résidant au Canada est supérieure à 10 % de la juste valeur marchande totale de toutes les participations dans la société de personnes;

c) société qui est une société étrangère affiliée d’une personne résidant au Canada.

 

« impôt qu’il est par ailleurs tenu de payer pour l’année en vertu de la présente partie » ou « impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie pour l’année » Le montant qui, sans le présent article, les articles 120 et 120.2, le paragraphe 120.4(2) et les articles 121, 126, 127 et 127.4, correspondrait à l’impôt payable en vertu de la présente partie pour l’année.

 

[15]         Cette disposition prévoit que les particuliers qui résident au Canada, mais qui travaillent pour un employeur canadien à l’étranger, ont droit à un crédit d’impôt. Le crédit vise à encourager les employeurs canadiens qui emploient des Canadiens à l’étranger à être concurrentiels aux fins de l’obtention de contrats à l’étranger en leur permettant de réduire leurs frais généraux à l’égard des coûts salariaux.

 

[16]         Au paragraphe 14 de l’arrêt Rooke c. La Reine, 2002 CAF 393, 2002 D.T.C. 7442, la Cour d’appel fédérale a résumé les conditions à remplir pour avoir droit au CIEE au cours d’une année donnée :

 

14.  […]

 

(1)  Le particulier résidait au Canada.

 

(2)  Il était employé par une personne qui était un « employeur déterminé » selon la définition donnée au paragraphe 122.3(2).

 

(3)  Les fonctions exercées pour le compte de l’ « employeur déterminé » avaient un autre but que la prestation de services en vertu d’un programme, visé par règlement, d’aide au développement international du gouvernement du Canada.

 

(4)  Le particulier a exercé la totalité, ou presque, des fonctions de son emploi (a) à l’étranger et (b) dans le cadre d’une ou de plusieurs activités décrites au sous-alinéa 122.3(1)b)(i) ou (ii).

 

(5)  Les conditions (2), (3) et (4) ont subsisté pendant une période de plus de six mois consécutifs s’étendant au cours de l’année ou commençant ou se terminant dans l’année. Cette période est désignée comme étant la « période admissible » pour l’année.

 

[17]         En ce qui concerne les conditions à remplir pour avoir droit à un CIEE, il n’est pas contesté que le CNA est un employeur déterminé, que l’appelant a exercé la totalité de ses fonctions à titre d’employé du CNA à l’étranger tout au long d’une période de plus de six mois consécutifs et que le CNA, même s’il s’agissait d’un établissement d’enseignement postsecondaire public, exploitait une entreprise au Qatar. Par conséquent, la question en litige porte sur le genre d’entreprise que le CNA exploitait au Qatar, et il s’agit plus précisément de savoir si le CNA exploitait une entreprise se rapportant à une « activité admissible » au sens des divisions 122.3(1)b)(i)(A) et (B).

 

[18]         Les deux arguments que l’appelant a présentés en l’espèce ont également été soumis à la juge Woods dans l’affaire Humber c. La Reine, 2010 CCI 253, 2010 D.T.C. 1170. Dans cette affaire‑là, le contribuable était également employé au CNA‑Q pour enseigner le génie. Les points en litige et les faits étaient semblables à ceux qui sont ici en cause. La juge Woods a rejeté l’appel, parce qu’en premier lieu, le lien entre la formation fournie par un collège tel que le CNA‑Q et les activités d’ingénierie était trop « ténu » et, en second lieu, parce que le contribuable n’avait pas établi que le CNA exploitait une entreprise se rapportant à un « projet d’ingénierie ». La Cour a conclu qu’en interprétant l’expression « projet d’ingénierie » comme comprenant l’activité qui consiste à enseigner le génie, on donne à l’expression en question un sens plus étendu que son sens ordinaire normal, étant donné qu’il y a une différence entre « enseigner » et « faire ». Au paragraphe 16 de la décision Humber, la juge Woods a fait remarquer qu’il pouvait exister « [...] un lien plus important entre l’entreprise du CNA et les entreprises pétrolières de l’État. Toutefois, les éléments de preuve produits étaient insuffisants pour le démontrer ». Cette remarque donne à entendre qu’un tel lien aurait pu être établi si la preuve en avait été faite. Bien que cela ne soit pas clair, il semble que seul le contribuable ait présenté une preuve dans l’affaire Humber, puisque la juge a fait remarquer, au paragraphe 16 également, qu’« [...] aucun administrateur du CNA n’a[vait] témoigné à l’audience ».

 

[19]         L’appelant a affirmé qu’en l’espèce, une preuve suffisante avait été soumise en vue d’établir le lien nécessaire, et ce, même sans avoir recours à l’argument fondé sur une analyse de l’expression « se rapportant à », telle qu’elle figure à l’article 222.3 (observations écrites de l’appelant, paragraphe 25).

 

[20]         Contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Humber, où la juge Woods a fait remarquer que le lien n’avait pas été expliqué aussi clairement qu’elle l’aurait souhaité, l’appelant a présenté le témoignage de trois cadres supérieurs du CNA : Norris Eaton, doyen, Métiers industriels, Gregory Chaytor, vice-président du projet, au Qatar, et Gary Tulk, doyen, Techniques du génie et Métiers industriels, au campus du Qatar. Ces témoins ont décrit en détail les liens et rapports étroits qui existaient entre ce campus et le secteur de l’industrie, au Qatar, en particulier le secteur du pétrole et du gaz. La preuve qui m’a été soumise indique clairement l’association étroite qui existe entre les activités d’enseignement, sur le campus, au Qatar, d’une part, et l’industrie du pétrole et du gaz, d’autre part. Les dispositions de l’entente, ainsi que le plan d’entreprise qui y est joint, montrent que le secteur de l’industrie du pétrole et du gaz, au Qatar, s’intéressait de près aux activités du campus. C’est ce qu’indiquent également l’étroite relation de travail existant entre QP et le CNA‑Q dans le cadre de la mise en œuvre du PTP prévu par le PE, le programme de parrainage des étudiants, le « parentage » des étudiants par les entreprises, la présence d’un bureau permanent de QP sur le campus ainsi que d’autres bureaux d’entreprise, la participation de l’industrie aux activités du Bureau des gouverneurs sur le campus, le droit de QP de nommer le président du Bureau, les programmes modifiés visant à répondre aux besoins des étudiants parrainés ainsi que la consultation régulière des industries, au Qatar, et l’interaction avec ces industries lorsqu’il s’agissait de déterminer leurs besoins et de les soutenir.

 

[21]         Un moteur principal du programme du CNA‑Q consistait à répondre aux besoins des industries et des entreprises du Qatar à l’égard des possibilités prévues d’emploi, en particulier dans le secteur du pétrole et du gaz. Dans le plan d’entreprise, il est fait mention du rôle essentiel que l’industrie allait jouer dans l’élaboration des programmes d’études et autres, et de la formation sur le campus. L’une des possibilités expressément mentionnées dans le programme de technologie du génie consiste à assurer une contribution considérable sur le campus de la part des entreprises et de l’industrie dans le secteur du pétrole et du gaz. L’entente et le plan d’entreprise sont étroitement liés à « l’exploration pour la découverte ou à l’exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d’autres ressources semblables » (comme il en est fait mention à la division 122.3(1)b)(i)(A)). Il ressort clairement des dépositions des témoins et de la preuve documentaire que le CNA‑Q, l’État et les sociétés pétrolières et gazières du Qatar convenaient mutuellement que le succès final de l’industrie dépendait des compétences, des talents et des connaissances de sa main-d’œuvre existante et future. La dynamique de cette relation mutuelle était reconnue et se manifestait au moyen de la participation des entreprises à la gestion, à l’administration et à la gouvernance du campus, au Qatar. De plus, QP entretient une étroite relation de travail avec le CNA‑Q à l’égard de la mise en œuvre du PTP, conformément au PE.

 

[22]         L’appelant affirme que l’important lien qui existe entre le campus et l’industrie du pétrole et du gaz au Qatar est étayé par les dispositions de l’entente, puisqu’elle « se rapporte à » l’exploration pour la découverte ou à l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Même si, comme le soutient l’intimée, il faut attribuer un sens restreint à l’expression « se rapportant à » figurant au sous‑alinéa 122.3(1)b)(i) pour ce qui est du CIEE, je conclus que les parties à l’entente envisageaient néanmoins une activité « se rapportant à » l’exploitation pour la découverte ou à l’exploitation de pétrole, de gaz naturel, de minéraux ou d’autres ressources semblables. Toutefois, l’interprétation qu’il convient de donner à l’expression « with respect to » (soit l’équivalent anglais de l’expression « se rapportant à ») est suffisamment large pour inclure les employeurs canadiens, comme le CNA, qui peuvent établir l’existence d’un lien étroit avec une activité admissible, comme c’est ici le cas. L’intimée fait valoir que dans les arrêts faisant autorité, Markevich c. La Reine, [2003] 1 R.C.S. 94, et Nowegijick v. The Queen, 83 D.T.C. 5041, c’est l’expression « in respect of », plutôt que l’expression « with respect to » figurant à l’article 122.3, qui a reçu une interprétation large, mais que cette interprétation était donnée uniquement parce que l’affaire portait sur la Loi sur les Indiens, à laquelle il faut donner l’interprétation la plus large possible. Je ne souscris pas à ce point de vue restrictif. Dans ces deux arrêts, ainsi que dans une longue série de décisions subséquentes, les tribunaux ont clairement exprimé l’avis selon lequel l’expression en question doit généralement se voir attribuer une interprétation large qui n’est pas limitée à la Loi sur les Indiens. Cette expression vise à établir un lien entre deux objets connexes et à inclure d’autres expressions similaires telles que « with reference to » et « in connection with ». De même, il faut également donner une interprétation large à l’expression « with respect to » (et son équivalent français « se rapportant à ») .

 

[23]         Le législateur aurait pu employer des termes différents en rédigeant l’article 122.3 en vue d’établir un lien plus étroit avec les activités admissibles. Toutefois, il ne l’a pas fait. L’objet sous-tendant le CIEE est d’encourager les sociétés canadiennes et de les inciter à exercer des activités admissibles dans un ressort étranger. Il est clairement contraire à la politique concernant l’octroi du CIEE d’interpréter l’expression « se rapportant à » de façon à limiter la portée de la disposition et à exclure les employeurs canadiens qui peuvent établir ce lien étroit avec une activité admissible, comme l’appelant l’a fait en l’espèce. Dans la décision Humber, la juge Woods semble avoir conclu que le lien entre la formation, au campus du CNA‑Q, et les projets d’ingénierie du secteur pétrolier et gazier du Qatar était trop ténu, parce qu’elle ne disposait pas d’un nombre suffisant d’éléments de preuve établissant l’existence de ce lien, contrairement à ce qui est ici le cas, où les témoignages et la preuve documentaire étaient suffisants pour établir l’existence d’un pareil lien.

 

[24]         La décision Dunbar c. La Reine, 2005 CCI 769, 2005 D.T.C. 1807, étaye ma conclusion; en effet, au paragraphe 10, le juge Miller a dit que « [...] toutes les étapes nécessaires pour permettre aux ressources naturelles d’atteindre leur valeur maximale en vue de l’obtention d’un profit font partie du processus d’exploitation ». Il serait possible de soutenir que la première étape, dans le processus d’exploitation, doit débuter par l’enseignement; en effet, si les compétences et connaissances pertinentes n’étaient pas enseignées aux experts qui doivent travailler dans ces industries, les ressources naturelles ne pourraient pas être extraites et être finalement vendues à profit. L’étape de l’enseignement, pour les futurs ingénieurs et techniciens, constitue une étape nécessaire essentielle qui vient avant leur participation au processus même d’exploration ou d’exploitation. La position administrative de l’ARC, telle qu’elle est énoncée dans le bulletin d’interprétation IT‑497R4, étaye également la thèse selon laquelle l’enseignement de compétences et de connaissances spécialisées fait partie intégrante de l’exercice d’activités admissibles telles que l’exploitation du pétrole et du gaz. Au paragraphe 7 de ce bulletin, l’ARC exprime l’avis selon lequel, dans la mesure où toutes les autres conditions prévues à l’article 122.3 sont remplies, « a) les instructeurs ou le personnel administratif qui fournissent des services de soutien aux collègues; b) le personnel chargé de la formation des employés du client étranger » peuvent demander le CIEE. Le Qatar n’avait de toute évidence pas fait appel au CNA pour qu’il exerce toute la gamme d’activités associées à l’exploitation du pétrole et du gaz, au Qatar. Toutefois, cela n’empêche pas l’appelant de demander le CIEE avec succès, puisque l’entente et le plan d’entreprise visent notamment l’étape initiale de l’enseignement du processus d’exploration ou d’exploitation et qu’ils établissent un lien solide entre les dispositions de l’entente et le processus d’exploration ou d’exploitation.

 

[25]         Un CIEE peut également être demandé lorsque l’employeur déterminé est embauché à titre de sous-traitant et fournit les services d’employés à un tiers qui exerce à l’étranger une activité admissible. L’intimée fait valoir que le CNA n’agit pas comme sous-traitant de l’État du Qatar à l’égard de l’activité admissible d’exploitation du pétrole et du gaz exercée par l’État. Toutefois, il serait possible de soutenir que, puisque QP est une société étatique, l’entente est un sous-contrat en vertu duquel le CNA s’engage à exécuter certaines parties du contrat principal, en vue de l’exploitation d’une entreprise se rapportant à l’exploration ou à l’exploitation du pétrole et du gaz. Un tel argument est renforcé par le fait qu’on ne saurait considérer le CNA comme une simple agence de placement. Toutefois, l’argument selon lequel le CNA est un sous-traitant comporte plusieurs points faibles. La société QP et ses filiales ne sont pas les seules à être des associées du CNA‑Q; pourtant, les seules parties à l’entente sont le CNA et l’État du Qatar. Dans l’ensemble, l’argument concernant la sous-traitance n’étaye pas fortement la position que l’appelant a prise.

 

[26]         Il reste uniquement à savoir si l’entreprise du CNA qui consiste à enseigner le génie pourrait également être considérée comme « se rapportant à un projet d’ingénierie », conformément à la division 122.3(1)b)(i)(B). Je conclus qu’il est possible de la considérer ainsi. Compte tenu de l’interprétation large que les tribunaux ont donné de l’expression « se rapportant à », l’entente peut également être considérée comme se rapportant à des projets d’ingénierie. Selon l’argument fondé sur la division 122.3(1)b)(i)(A), la formation assurée par le CNA‑Q est suffisamment liée ou se rattache suffisamment aux projets d’ingénierie, compte tenu du degré de participation de l’industrie aux activités du CNA‑Q au Qatar.

 

[27]         Dans la décision Gabie v. The Queen, 98 D.T.C. 2207, le sens du terme « ingénierie » a été élargi en vue d’inclure la création de banques de données et d’autres logiciels visant à contrôler le flux d’informations en sus des activités « pratiques » ou des travaux de construction eux-mêmes. Dans cette décision, la demande relative au CIEE a été admise pour le motif qu’en sa qualité d’informaticien, le contribuable s’occupait de projets d’ingénierie dans le domaine du génie logiciel. En me fondant sur l’interprétation large que le juge en chef Rip a donnée à l’expression « projet d’ingénierie » dans la décision Gabie, je conclus que l’enseignement du génie constitue également un projet d’ingénierie lorsque, comme c’est ici le cas, la preuve satisfait suffisamment aux exigences de l’article 122.3. Ainsi, la formation d’un ingénieur serait assimilable à la création d’une banque de données, en ce sens que des tiers, afin de prendre des décisions éclairées, pourraient ensuite se fonder sur l’information fournie par le produit final, à savoir des ingénieurs compétents et des banques de données précises. L’enseignement de compétences et de connaissances à des étudiants qui travaillent déjà ou qui travailleront dans le domaine du génie est crucial aux fins de l’exécution appropriée d’autres projets d’ingénierie.

 

[28]         La formation appropriée des personnes qui exercent les activités en question et l’application de leurs connaissances spécialisées sont des conditions de la réussite des projets d’ingénierie. Cette conclusion est également étayée, en premier lieu, par la position que l’ARC a prise dans le bulletin IT‑497R4, où l’enseignement est reconnu à titre d’activité admissible et, en second lieu, par les lois de quatre provinces portant sur les techniques du génie, dans lesquelles l’enseignement du génie est expressément inclus en tant qu’élément acceptable de la pratique de cette profession. Quant aux autres ressorts provinciaux, ils n’excluent pas expressément l’enseignement des lois portant sur les techniques du génie.

 

[29]         Compte tenu de la preuve qui m’a été soumise, l’appelant a satisfait aux exigences énoncées à l’article 122.3 de la Loi. L’appel est donc accueilli avec dépens, en vue de permettre à l’appelant de demander le CIEE à l’égard de son année d’imposition 2007.

 

Signé à Summerside (Île-du-Prince-Édouard), ce 6e jour de septembre 2011.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de novembre 2011.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 413

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2010-1802(IT)G

 

INTITULÉ :                                       DAVID WAYNE LEGGE c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Cornerbrook (Terre-Neuve)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 18 juillet 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Diane Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 6 septembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Bruce S. Russell, c.r.

Avocate de l’intimée :

Me Devon E. Peavoy

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :                         

 

                          Nom :                      Bruce S. Russell, c.r.

 

                          Cabinet :                  McInnes Cooper

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa, Canada

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