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Dossier : 2010-1(IT)I

ENTRE :

JANICE DEHART,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus le 8 septembre 2011 à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Kristen L. Woods

 

Avocats de l’intimée :

Me Ian Theil

MCherylyn Dickson

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

       Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007 sont rejetés, sans dépens, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

          Signé à Toronto (Ontario), ce 2jour de novembre 2011.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 512

Date : 20111102

Dossier : 2010-1(IT)I

ENTRE :

JANICE DEHART,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

Les faits

 

[1]     L’appelante a fait l’objet de nouvelles cotisations pour ses années d’imposition 2005, 2006 et 2007. Lorsqu’il a établi les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a inclus dans le revenu de l’appelante la pension alimentaire de 6 000 $, de 7 200 $ et de 7 200 $ payable à l’appelante pour chacune de ces années, respectivement.

 

[2]     L’appelante interjette appel à l’encontre des nouvelles cotisations établies, affirmant que les montants susmentionnés n’auraient pas dû être inclus dans son revenu au motif que les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») invoquées par l’intimée ne s’appliquent pas à sa situation.

 

[3]     Lorsqu’il a établi l’obligation fiscale de l’appelante pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, le ministre s’est fondé sur les faits suivants, qui étaient énoncés comme des hypothèses de fait dans la réponse à l’avis d’appel modifié (la « réponse ») :

 

 

 

 

[traduction]

 

14.       Lorsqu’il a établi l’impôt et les intérêts dus par l’appelante pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, le ministre a émis les hypothèses de fait suivantes :

 

            Questions relatives à la pension alimentaire pour enfants

 

a)      l’appelante et son ex‑époux vivent séparés en raison de l’échec de leur mariage depuis au moins l’année d’imposition 1982;

 

b)      l’appelante et son ex‑époux ont un enfant, à savoir S., née le 23 janvier 1979;

 

c)      selon un jugement conditionnel de la Cour suprême de l’Ontario prononcé le 25 janvier 1982 et signé le 14 octobre 1982 ( « la première ordonnance »), l’ex‑époux de l’appelante devait verser à l’appelante une pension alimentaire pour enfants à l’égard de S. de 25 $ par semaine;

 

d)      en vertu d’un jugement de la Cour suprême de l’Ontario signé le 13 octobre 1988, rendu à la suite d’une demande entendue le 10 juin 1988 (« la deuxième ordonnance »), la première ordonnance a été modifiée, enjoignant à l’ex‑époux de l’appelante de verser à celle‑ci une pension alimentaire pour enfants à l’égard de S. de 80 $ par semaine (compte tenu de l’indice du prix à la consommation);

 

e)      les versements périodiques de pension alimentaire payables en vertu de la deuxième ordonnance n’ont jamais été modifiés après la date de cette ordonnance, de quelque manière et à quelque moment que ce soit;

 

f)        comme l’ex‑époux de l’appelante ne s’est pas conformé à la deuxième ordonnance de façon à verser toute la pension alimentaire pour enfants qui était exigée, la Cour suprême de l’Ontario a rendu, le 17 décembre 1997 et le 21 juillet 2005, et, le 29 juillet 2004 et le 9 décembre 2004, des ordonnances judiciaires par défaut et des ordonnances sur consentement à l’égard des ordonnances par défaut, dans lesquelles il était indiqué que certains paiements devaient être faits au titre d’arriérés relativement à des versements que l’ex‑époux de l’appelante était tenu de faire selon la deuxième ordonnance;

 

g)      le montant total de la pension alimentaire que l’ex‑époux de l’appelante a versé à l’appelante, dans chacune des années d’imposition 2005, 2006 et 2007, à savoir 6 000 $, 7 200 $ et 7 200 $, respectivement, a été versé conformément à la deuxième ordonnance, par suite des ordonnances par défaut, relativement à la pension alimentaire pour enfants que l’ex‑époux de l’appelante aurait dû payer à cette dernière dans les années d’imposition antérieures (les années dans lesquelles ces montants étaient payables);

 

h)      l’appelante a omis d’inclure dans son revenu les paiements d’arriérés de pension alimentaire pour enfants, à savoir 6 000 $, 7 200 $ et 7 200 $ pour les années d’imposition 2005, 2006 et 2007, respectivement.

 

            […]

 

[4]     L’avocate de l’appelante a présenté un recueil de documents comportant les documents énumérés ci‑dessous et dont le contenu est brièvement décrit de la manière suivante :

 

         

·        Un jugement conditionnel rendu par la Cour suprême de l’Ontario en janvier 1982 – disposant que l’appelante était divorcée de son mari, Robert DeHart. Le jugement ordonnait également que la garde, le soin et la surveillance de l’enfant en bas âge issu du mariage, né en janvier 1979, soient confiés à l’appelante. Le jugement disposait ensuite que l’ex‑époux de l’appelante devait verser à celle‑ci une somme de 25 $ par semaine pour subvenir aux besoins de l’enfant tant que ledit enfant serait sous la garde de l’appelante et serait un enfant à charge au sens de la Loi sur le divorce. Le jugement ordonnait aussi des intérêts sur jugement au taux de 17,25 pour 100.

 

·        Une ordonnance de la Cour suprême de l’Ontario datée d’octobre 1982, enjoignant à l’ex‑époux de l’appelante de payer une pension alimentaire pour l’enfant revue à la hausse, à savoir 55 $ par semaine.

 

·        Un jugement de la Cour suprême de l’Ontario rendu en juin 1988 qui ordonne que le jugement conditionnel rendu en janvier 1982, tel que modifié par l’ordonnance d’octobre 1982, soit de nouveau modifié pour prévoir que l’ex‑époux de l’appelante verse à l’appelante une pension alimentaire pour enfants de 80 $ par semaine. Cette ordonnance de 1988 prévoyait que la pension alimentaire pour enfants payable serait assujettie à une majoration annuelle, à la date anniversaire de l’ordonnance, égale à un pourcentage déterminé par des références précises à l’Indice du prix à la consommation pour le Canada, publié par Statistique Canada et prévu par l’article 34 de la Loi sur le droit de la famille, 1986. L’ordonnance établissait aussi un taux d’intérêt sur jugement de 10 pour 100. Il était ensuite prévu que le directeur de l’exécution des ordonnances alimentaires et de garde d’enfants devait veiller à l’exécution de cette ordonnance.

 

·        Une ordonnance de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) rendue au mois de novembre 1994, en réponse à une demande, faite par le directeur du Régime des obligations alimentaires envers la famille, au profit de l’appelante relativement à un avis de défaut de paiement. L’ordonnance confirme et fixe le montant des arriérés à 39 808,77 $ (l’« ordonnance par défaut »). Elle prévoit ensuite que le payeur, l’ex‑époux de l’appelante, doit [traduction] « respecter l’ordonnance, à savoir, effectuer un versement de 130,51 $ par semaine, payable les vendredis, à défaut de quoi le payeur sera incarcéré pendant sept jours. »

 

·        Une ordonnance de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) rendue en décembre 1997 en réponse à une demande du directeur du Bureau des obligations familiales, au profit de l’appelante, pour révoquer le mandat de dépôt et modifier l’ordonnance par défaut rendue en novembre 1994 en supprimant le passage concernant le moment et le montant du paiement nécessaires pour respecter l’ordonnance par défaut et en prévoyant simplement que le payeur (l’ex‑époux de l’appelante) [traduction] « doit respecter l’obligation alimentaire courante, à défaut de quoi il sera incarcéré pendant sept jours ».

 

·        Un document de la Cour de l’Ontario (Division générale) daté de novembre 1998, sur lequel figure une note du juge concernant une demande en modification de la pension alimentaire présentée par l’ex‑époux de l’appelante. Cette demande avait été présentée plusieurs jours avant que d’autres procédures d’exécution ne fassent l’objet de débats. Dans cette note, le juge rejette la demande et renvoie à des demandes antérieures, lesquelles avaient traîné dans le système judiciaire. D’après le juge, il semble que le demandeur (l’ex‑époux) [traduction] « tente de déjouer le système judiciaire à son profit alors qu’il devrait s’acquitter de ses arriérés au lieu de payer ses avocats. » Les frais concernant la demande rejetée, payables au directeur, ont été fixés à 500 $.

 

·        Une ordonnance sur consentement de la Cour de justice de l’Ontario rendue le 29 juillet 2004, concernant une demande du directeur du Bureau des obligations familiales au profit de l’appelante, enjoignant à l’ex‑époux de payer 500 $ par mois au titre d’arriérés, à compter du premier jour de septembre 2004. L’ordonnance précise ensuite qu’en cas de défaut de versement de tout paiement mentionné, l’ex‑époux sera incarcéré pendant dix jours pour chaque manquement au paiement. En outre, l’ordonnance prévoit qu’en cas de défaut de versement de tout paiement dû, il est loisible au directeur du Bureau des obligations familiales de présenter une nouvelle requête en obtention d’un mandat de dépôt, moyennant signification à l’ex‑époux d’un avis à l’intimé envoyé par courrier affranchi ordinaire à l’adresse la plus récente figurant dans le dossier du Bureau.

 

·        Une ordonnance sur consentement de la Cour de justice de l’Ontario datée de décembre 2004 concernant une demande présentée par le directeur du Bureau des obligations familiales, enjoignant à l’ex‑époux de l’appelante de fournir certains renseignements requis et de continuer à payer 500 $ par mois.

 

·        Une ordonnance par défaut définitive de la Cour de justice de l’Ontario rendue sur consentement en juillet 2005, enjoignant à l’ex‑époux de payer la somme de 600 $ par mois au titre d’arriérés à compter du premier jour d’août 2005. Encore une fois, il est prévu une mesure d’incarcération autorisant le directeur du Bureau des obligations familiales de présenter une requête en vue de la délivrance d’un mandat de dépôt en cas de défaut de l’ex‑époux. L’ordonnance enjoint également à l’ex‑époux d’aviser le Bureau des obligations familiales de tout nouvel emploi qu’il obtiendrait.

 

·        Une lettre du 12 août 2010 adressée à l’appelante par le ministre des Services sociaux et communautaires, Bureau des obligations familiales, qui confirme que l’ordonnance de juillet 2005 est une ordonnance par défaut définitive enjoignant au débiteur alimentaire d’effectuer des paiements mensuels de 600 $ sous peine d’incarcération. La lettre confirme que les modalités de remboursement prévues par l’ordonnance de juillet 2005 avaient commencé le 1er août 2005 et que le débiteur alimentaire s’était conformé à l’ordonnance. La lettre confirme ensuite que le Bureau des obligations familiales avait procédé à l’exécution de l’ordonnance de 1988 qui exigeait le paiement d’une pension alimentaire pour enfants de 80 $ par semaine, jusqu’à ce qu’il ait reçu un avis écrit de l’appelante selon lequel l’obligation continue était éteinte le 31 août 2001. L’appelante avait confirmé qu’une telle obligation continue était, en fait, éteinte au moment où l’enfant à charge au profit duquel la pension alimentaire était versée avait terminé ses études universitaires.

 

[5]     L’appelante a également produit en pièce jointe un échéancier des paiements provenant du Bureau des obligations familiales, qui présentait en détail l’historique des paiements de la pension alimentaire pour enfants et qui faisait un suivi du montant des arriérés. Dans cet échéancier, il était inclus des montants séparés de 400 $ représentant des frais d’exécution payables au Bureau des obligations familiales, montants qui avaient été ajoutés au compte au fil du temps. La lettre du 12 août 2010 du Bureau des obligations familiales mentionnée ci‑dessus confirmait que ces montants, qui totalisaient 1 600 $, étaient dus au directeur relativement à des coûts supportés lors de la prise de mesures d’exécution dans l’affaire de l’appelante. Il était précisé dans la lettre que le Bureau des obligations familiales n’avait pas [traduction] « déduit » les 1 600 $ des arriérés de la pension alimentaire pour enfants due à l’appelante.

 

[6]     Dans une lettre récente émanant du Bureau des obligations familiales, présentée sans opposition après l’audience, il est déclaré que les intérêts sur jugement n’étaient pas inclus dans l’échéancier de paiement présenté à l’audience, mais qu’ils y seraient ajoutés.

 

Les dispositions législatives

 

[7]     Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées :

 

56(1) Sommes à inclure dans le revenu de l’année – Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition,

 

        b) Pension alimentaire [pour conjoint ou pour enfants]le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où :

 

  A représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l’année d’une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

 

B le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

 

C le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu’il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

[…]

 

56.1(4) DéfinitionsLes définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 56.

          « date d’exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

 

a) si l’accord ou l’ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

 

b) si l’accord ou l’ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i) le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l’accord ou de l’ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii) si l’accord ou l’ordonnance fait l’objet d’une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d’exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv) le jour précisé dans l’accord ou l’ordonnance, ou dans toute modification s’y rapportant, pour l’application de la présente loi.

            […]

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a) le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b) le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

« pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d’après l’accord ou l’ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n’est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d’un bénéficiaire qui est soit l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur, soit le parent, père ou mère, d’un enfant dont le payeur est légalement l’autre parent.

           

            […]

 

 

 

 

Les questions en litige

 

[8]     Il n’est pas contesté que les montants payables en vertu de l’ordonnance de 1988, et les arriérés, étaient payables à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins de l’enfant de la bénéficiaire, et que la bénéficiaire est l’ex‑épouse du payeur et vit séparée de ce celui‑ci pour cause d’échec de leur mariage. En outre, le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent. Ces éléments répondent aux exigences nécessaires pour que les paiements constituent une « pension alimentaire » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi.

 

[9]     De même, il importe de souligner qu’il n’est pas contesté que les montants constituent une « pension alimentaire pour enfants » au sens de la disposition susmentionnée. Cela veut dire que l’ordonnance en vertu de laquelle la pension alimentaire était à recevoir ne mentionnait pas que cette pension servirait uniquement à subvenir aux besoins d’une ex‑épouse bénéficiaire.

 

[10]    En conséquence, l’inclusion des paiements en cause dans le revenu de l’appelante en vertu de l’alinéa 56(1)b) de la Loi repose sur la question de savoir si au moins un montant de la pension alimentaire pour enfants est devenu recevable par l’appelante dans les années en question à la date d’exécution ou postérieurement. La question de savoir si un paiement est devenu recevable à la date d’exécution ou postérieurement dépend de la date de l’ordonnance qui exige le paiement. La date d’exécution en ce qui concerne un paiement fait aux termes d’une ordonnance établie après avril 1997 est la date de l’établissement de l’ordonnance. La date d’exécution concernant une ordonnance établie avant mai 1997 est, à défaut de dates précises incluses dans l’ordonnance, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

 

·        le jour où le montant de la pension alimentaire pour enfants modifiée est à verser pour la première fois si l’ordonnance fait l’objet d’une modification après avril 1997;

·        la date d’une ordonnance subséquente établie après avril 1997 dont l’effet est de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire.

 

 

Les arguments

 

Les arguments de l’appelante

 

[11]    L’avocate de l’appelante a avancé plusieurs arguments qui, à son avis, exigent une conclusion selon laquelle les paiements que l’appelante a reçus dans les années en cause n’étaient pas des montants imposables en vertu du paragraphe 56(1) de la Loi.

 

[12]    L’avocate de l’appelante soutient que la pension alimentaire pour enfants à recevoir par l’appelante dans les années en cause était à recevoir par elle en vertu d’une ordonnance établie après sa « date d’exécution ». Elle avance cet argument en se fondant sur le fait que les ordonnances sur consentement de la Cour de justice de l’Ontario rendues en juillet 2004 et en juillet 2005, qui enjoignaient à l’ex‑époux de payer au titre d’arriérés la somme de 500 $ par mois à compter du premier jour de septembre 2004, et ensuite de 600 $ par mois à compter du premier jour d’août 2005, étaient des ordonnances modifiant les montants de pension alimentaire pour enfants à recevoir.

 

[13]    L’appelante se fonde sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada c. Sills[1] dans lequel le juge Heald, s’exprimant au nom de la majorité, a fait l’observation suivante : « Les paiements ne changent pas de nature pour la seule raison qu’ils ne sont pas effectués à temps. » En se fondant sur cet exposé du droit, l’avocate de l’appelante soutient que le fait que les paiements sont des paiements d’arriérés ne change pas leur nature de montants de pension alimentaire pour enfants.

 

[14]    L’avocate de l’appelante soutient aussi que l’ordonnance de juillet 2004, rendue après l’expiration des ordonnances établies avant mai 1997, était une nouvelle ordonnance ou une ordonnance modifiée relative à la pension alimentaire pour enfants. Qu’il s’agisse donc d’une nouvelle ordonnance ou d’une ordonnance modifiée rendue à l’égard d’arriérés, c’est, selon le principe énoncé dans Sills, une nouvelle ordonnance ou une ordonnance modifiée établie après avril 1997 relativement au paiement de la pension alimentaire pour enfants. Que ces paiements aient été dus auparavant sous un régime de paiement différent, cela ne change pas le fait que le régime a été modifié. En conséquence, les paiements, la pension alimentaire pour enfants, étaient à recevoir par la contribuable en vertu d’une ordonnance établie après sa date d’exécution. De même, les paiements reçus en vertu de l’ordonnance définitive de juillet 2005 étaient des paiements à recevoir en vertu d’une ordonnance établie après sa date d’exécution.

 

[15]    L’avocate de l’appelante a aussi fait valoir que le montant total de la pension alimentaire reçue avait augmenté en vertu des ordonnances relatives aux dépens et aux frais de comparution qui ont été ajoutés au compte de la pension alimentaire de l’appelante tenu par le Bureau des obligations familiales.

 

[16]    Il a été également avancé que l’ordonnance sur consentement rendue en juillet 2004 constituait un nouvel [traduction] « accord », ce qui revient à dire que le paiement a été effectué aux termes d’un accord et non d’une ancienne ordonnance. Étant donné qu’il n’y avait jamais eu d’accord avant 2004, et comme la « date d’exécution » renvoie aux paiements effectués aux termes « d’un accord ou d’une ordonnance », nous avons un nouveau point de départ pour déterminer la date d’exécution.

 

[17]    Un autre argument qu’il est possible de plaider a également été soulevé relativement à la question de savoir si le fait qu’un relevé des arriérés ne mentionnait d’aucune manière des intérêts sur jugement traduisait une modification de la pension alimentaire.

 

[18]    L’avocate de l’appelante a aussi cherché à établir une distinction entre les faits de l’affaire McNeely c. La Reine[2] et ceux de l’affaire Adat c. La Reine[3]. Elle s’est également fondée sur les décisions suivantes : Gill c. La Reine[4], Nowlan c. La Reine[5], et Roy c. La Reine[6]. À mon avis, ces décisions invoquées par l’avocate de l’appelante ne constituaient pas une argumentation de poids capable d’appuyer la cause de l’appelante.

 

Les arguments de l’intimée

 

[19] Les avocats de l’intimée se sont fondés sur la décision Wilson c. La Reine[7] pour soutenir que la date pertinente en ce qui concerne la détermination de la date d’exécution est la date à laquelle la pension alimentaire pour enfants est payable et est à recevoir, et non la date à laquelle elle est payée et reçue. Les montants de la pension alimentaire pour enfants, en l’espèce, étaient tous payables avant 2001, aux termes d’ordonnances établies avant mai 1997.

 

[20]    L’intimée invoque également la décision Sills. Elle soutient que cette décision confirme que les paiements en question sont des paiements de montants qui n’ont pas perdu leur nature de montants de pension alimentaire imposables versés aux termes de l’ordonnance de 1988 qui exigeait leur paiement. Les variations concernant les versements d’arriérés ne pouvaient pas être considérées comme une modification de la pension alimentaire payable aux termes des ordonnances établies avant mai 1997.

 

[21]    Les avocats de l’intimée ont également fait valoir que les frais de comparution de 400 $ ajoutés au compte de pension alimentaire de l’appelante tenu par le Bureau des obligations familiales ne constituaient pas une modification de la pension alimentaire pour enfants à recevoir par l’appelante. En outre, il a été soutenu que les paiements de pension alimentaire pour enfants ont été effectués aux termes de l’ordonnance de 1988 et non aux termes d’un accord subséquent.

 

[22]    En ce qui concerne la question de savoir si les intérêts sur jugement ont une incidence sur la détermination d’une pension alimentaire ou s’ils sont pertinents à cet égard, l’intimée s’est fondée sur les décisions Whelan c. La Reine[8] et Pilon c. La Reine[9].

 

[23]    L’intimée a également invoqué la décision Roy.

 

L’analyse

 

[24]    Les avocats de l’intimée ont présenté des arguments nouveaux, intéressants et astucieux pour tenter d’aider une mère dont l’ex‑époux pourrait bien correspondre à la description d’un père qui s’est dérobé à ses responsabilités financières à l’égard de sa fille pendant bien au-delà de dix ans et qui, comme l’a fait observer un juge, a payé des avocats pour déjouer le système judiciaire au lieu de verser la pension alimentaire pour enfants à son épouse. Si ces arguments avaient été soulevés lorsque les affaires concernant la date d’exécution ont été pour la première fois examinées, ils auraient peut‑être été convaincants si les dispositions en question avaient été interprétées de façon à tenir compte des variations en ce qui concerne le montant des versements de la pension alimentaire pour enfants. Toutefois, compte tenu d’une jurisprudence constante qui existe depuis longtemps en ce qui concerne la manière dont il faut traiter le paiement des arriérés en vertu des dispositions en cause, je ne crois pas qu’il m’est loisible de changer la façon dont les dispositions législatives ont été appliquées dans la jurisprudence[10].

 

[25]    En bref, je souscris aux arguments des avocats de l’intimée. Les paiements d’arriérés représentent des montants dont le paiement était exigé aux termes d’une ordonnance antérieure. La dernière ordonnance alimentaire au profit d’un enfant, qui fixait la pension alimentaire pour enfants payable était celle de 1988 qui exigeait un paiement de 80 $ par semaine. Selon la décision Wilson, la date pertinente en ce qui concerne la détermination de la date d’exécution est la date à laquelle la pension alimentaire pour enfants est payable et est à recevoir, et non la date à laquelle elle est payée et reçue.

 

[26]    L’argument de l’appelante selon lequel la décision Sills peut être invoquée à l’appui d’un principe différent ne tient pas. L’appelante soutient que, si les arriérés constituent une pension alimentaire pour enfants, alors lorsque le montant et la base périodique des versements d’arriérés à recevoir sont modifiés, la pension alimentaire pour enfants est modifiée. C’est un argument astucieux qui n’est pas dénué de logique. Toutefois, une telle modification n’entraîne que des changements qui touchent au moment où les versements sont à effectuer à l’égard des parties. Les montants à recevoir selon les ordonnances d’exécution correspond aux montants à recevoir selon l’ordonnance de 1988, et ne seraient pas à recevoir, n’eût été l’ordonnance de 1988. Il n’y a donc aucun élément de preuve selon lequel le montant mensuel ou les montants totaux qui doivent être payés, et qui sont donc à recevoir, aux termes de l’ordonnance de 1988 ont été modifiés. Il ressort clairement de la décision Whelan que dans des cas pareils, aucune date d’exécution n’est créée.

 

[27]    En outre, le fait que des montants impayés qui devaient être payés aux termes de l’ordonnance de 1988 fassent l’objet d’ordonnances d’exécution subséquentes qui, nécessairement, mettent en place un nouveau régime de versements comme les circonstances l’exigent parfois, ne signifie pas que la pension alimentaire pour enfants payable selon l’ordonnance de 1988 a changé. En dépit du fait que je comprends le sentiment d’injustice éprouvé par l’appelante, je suis convaincu que la conclusion à laquelle je suis arrivé m’a été imposée par un courant de jurisprudence constante que je ne saurais contredire. Si les paiements avaient été faits à temps, ils auraient été imposables. Le fait que les paiements aient été faits en retard et conformément à de nouvelles ordonnances d’exécution judiciaires ou de nouveaux accords ne change pas ce résultat. En outre, si les obligations en matière de pension alimentaire pour enfants avaient pris fin en 2001, les ordonnances d’exécution subséquentes qui ne réduisaient pas le montant des arriérés ne pouvaient que servir à l’exécution d’obligations découlant d’une ordonnance antérieure, à savoir, en l’espèce, l’ordonnance de 1988.

 

[28]    En ce qui concerne la question des intérêts sur jugement, je suis convaincu que l’obligation de payer le montant pertinent qui a pris naissance avant mai 1997 n’a pas été modifiée. En outre, même si elle avait été modifiée après avril 1997, l’intimée a raison d’invoquer les décisions Whelan et Pilon comme étant déterminantes. Enfin, le fait que le relevé des arriérés ait omis de mentionner les intérêts sur jugement n’a aucune incidence sur la question en litige.

 

[29]    De même, je signale qu’il ne peut être conclu, en vertu des dispositions en question, que les ordonnances concernant les dépens et les frais de comparution ont une incidence sur la pension alimentaire pour enfants payable et à recevoir. Elles ne visent pas, au moins pas directement, à subvenir aux besoins de l’enfant et sans aucun doute, elles ne représentent ni une allocation à verser ni une pension alimentaire payable sur une base périodique.

 

[30]    En conséquence, les appels sont rejetés, sans dépens.

 

 

          Signé à Toronto (Ontario), ce 2e jour de novembre 2011.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 15jour de décembre 2011.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 512

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-1(IT)I

 

INTITULÉ :                                       JANICE DEHART

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 8 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 novembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

 

Me Kristen L. Woods

 

Avocats de l’intimée :

Me Ian Theil

Me Cherylyn Dickson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

       Nom :                                         Kristen L. Woods

 

       Cabinet :                                     Mills & Mills LLP

                                                          2, avenue Saint‑Clair Ouest, bureau 700

                                                          Toronto (Ontario)

                                                          M4V 1L5

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] [1984] A.C.F. no 268 (C.A.), à la page 3.

[2] 2008 CCI 450, aux paragraphes 6 et 7.

 

[3] [2011] A.C.I. no 167.

 

[4] [2008] A.C.I. n373.

 

[5] 2003 CCI 803.

 

[6] [2010] A.C.I. no 321.

 

[7] [2008] A.C.I. no 187.

 

[8] [2006] A.C.I. no 1799 (CAF), au paragraphe 11.

 

[9] [2003] A.C.I. no 690.

 

[10] Il existe au moins une décision de la Cour d’appel fédérale qui laisse entendre que les questions concernant le montant des versements ne sont pas pertinentes dans la détermination de la date d’exécution. Voir Warbinek c. Canada, 2008 CAF 276.

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