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Référence : 2007CCI578

Date : 20070928

Dossier : 2007-543(IT)I

ENTRE :

MARK WARBINEK,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

 

Le juge Bowie

 

[1]     La présente affaire soulève une fois de plus la question de savoir si une ordonnance de pension alimentaire pour enfants rendue par un juge a pour effet de créer une date d’exécution au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), dans la mesure où les versements de la pension alimentaire effectués après cette date sont régis aux fins de l’impôt par la Loi, dans sa version modifiée par la L.C. 1997, ch. 25. À l’audience, l’appelant a reconnu que ses prétendus appels pour les années d’impositions 2005 et 2006 n’avaient pas été dûment présentés à la Cour, et que les seuls appels dûment interjetés étaient ceux se rapportant aux années d’imposition 2003 et 2004. Les appels relatifs aux années d’imposition 2005 et 2006 seront donc annulés.

 

[2]     Les faits de l’espèce ne sont pas contestés. L’appelant et son épouse se sont séparés en 1994 et, en vertu d’un accord de séparation écrit (l’« accord »), signé en mai 1994, l’appelant était tenu de payer une pension alimentaire de 1 350 $ pour les trois enfants, c’est-à-dire 450 $ par mois pour chaque enfant. Le 14 mars 1997, un juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a prononcé un jugement de divorce et ordonné à l’appelant de payer une pension alimentaire de 125 $ par mois pour chaque enfant, c’est-à-dire un montant total de 375 $ par mois (l’« ordonnance de mars »).

 

[3]     L’autre ordonnance pertinente a été rendue le 23 juillet 1997 (l’« ordonnance de juillet »). À cette époque, l’appelant était temporairement en chômage et ne pouvait pas effectuer les paiements exigés aux termes de l’accord, tel que modifié par l’ordonnance de mars. L’extrait de l’ordonnance de juillet qui nous intéresse se lit comme suit :

 

[traduction]

 

LA COUR ORDONNE que la pension alimentaire provisoire pour enfants prévue dans [l’ordonnance de mars] soit modifiée, de manière à ce que le requérant soit dispensé de son obligation de verser une telle pension pendant une période d’un an, du 1er mai 1997 au 1er avril 1998 inclusivement, sous réserve du droit de l’intimée de demander des aliments pour les enfants issus du mariage en fonction des revenus qu’il aura gagnés pendant cette période, SUR CONSENTEMENT;                               [Non souligné dans l’original.]

 

[4]     L’appelant fait l’objet d’une nouvelle cotisation sous le régime de la Loi,  car le ministre du Revenu national a conclu que l’ordonnance de juillet avait créé le jour où elle avait été rendue une « date d’exécution », c’est-à-dire le 23 juillet 1997. La création d’une date d’exécution a pour effet d’assujettir les montants de la pension alimentaire versés par l’appelant après cette date au régime législatif applicable postérieurement au mois d’avril 1997, lequel prévoit que les montants payés au titre de pension alimentaire pour enfants ne sont pas imposables entre les mains du bénéficiaire ni déductibles dans le calcul du revenu du payeur.

 

[5]     Les montants payés au titre de pension alimentaire pour enfants ne sont pas déductibles dans le calcul du revenu de l’appelant pour l’année visée (et ne sont pas inclus dans les revenus de son ex-épouse) s’ils sont devenus payables aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement, et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à la date d’exécution ou postérieurement. C’est ce que prévoit l’alinéa 60b) de la Loi, dans sa version modifiée. Comme la Cour d’appel l’a souligné dans l’arrêt Holbrook c. Sa Majesté la Reine,[1] il convient d’examiner les deux questions suivantes :

 

Aux termes de quel accord ou de quelle ordonnance les montants étaient-ils payables?

 

L’ordonnance ou l’accord en question comporte-il une « date d’exécution »?

 

[6]     Initialement, les montants de la pension alimentaire étaient payables conformément à l’accord de 1994. L’ordonnance de mars prévoyait ce qui suit :

 

[traduction]

 

LA COUR ORDONNE EN OUTRE que la pension alimentaire pour enfants payable conformément à l’accord de séparation soit modifiée de manière à ce que le requérant soit tenu de verser à l’intimée au titre de pension alimentaire provisoire pour les enfants issus du mariage un montant de 125 $ par mois pour chaque enfant à compter du 1er février 1997 et, par la suite, le premier jour de chaque mois;                             [Non souligné dans l’original.]

 

[7]     L’ordonnance de juillet a modifié l’ordonnance de mars de la façon suivante :

 

[traduction]

 

LA COUR ORDONNE que la pension alimentaire provisoire pour enfants prévue dans [l’ordonnance de mars] soit modifiée, de manière à ce que le requérant soit dispensé de son obligation de verser une telle pension pendant une période d’un an, du 1er mai 1997 au 1er avril 1998 inclusivement, sous réserve du droit de l’intimée de demander des aliments pour les enfants issus du mariage en fonction des revenus qu’il aura gagnés pendant cette période, SUR CONSENTEMENT;                               [Non souligné dans l’original.]

 

 

Par conséquent, la réponse à la première question est que, pour les années d’imposition 2003 et 2004, les montants de la pension alimentaire étaient payables conformément à l’accord, tel que modifié par les ordonnances de mars et de juillet.

 

[8]     L’accord de 1994 comportait-il une date d’exécution pour les années d’imposition 2003 et 2004?

 

[9]     La définition de l’expression « date d’exécution » est prévue au paragraphe 56.1(4) de la Loi, et aux termes du paragraphe 60.1(4) elle s’applique également à l’article 60 de la Loi.

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a)         si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)         si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)         le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii)        si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)       si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv)              le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

 

"commencement day" at any time of an agreement or order means

 

(a)        where the agreement or order is made after April 1997, the day it is made; and 

(b)        where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of        

(i)         the day specified as the commencement day of the agreement or order by the payer and recipient under the agreement or order in a joint election filed with the Minister in prescribed form and manner,

(ii)        where the agreement or order is varied after April 1997 to change the child support amounts payable to the recipient, the day on which the first payment of the varied amount is required to be made,

(iii)               where a subsequent agreement or order is made after April 1997, the effect of which is to change the total child support amounts payable to the recipient by the payer, the commencement day of the first such subsequent agreement or order, and

(iv)              the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.

 

Il est clair que l’alinéa a) ne s’applique pas puisque l’accord a été signé avant 1997. Un accord subséquent a-t-il été établi créant une date d’exécution au sens des sous‑alinéas b)(i), (ii), (iii) ou (iv)?

 

[10]    Le sous-alinéa b)(i) ne s’applique pas, compte tenu qu’aucun choix conjoint n’a été présenté au ministre. Le sous-alinéa b)(iv) ne s’applique pas non plus, puisque ni l’accord, ni l’ordonnance de mars, ni l’ordonnance de juillet ne précise une date d’exécution.

 

[11]    Le sous-alinéa b)(ii) ne peut s’appliquer. L’ordonnance de mars a modifié l’accord en faisant passer les montants de la pension alimentaire de 1 350 $ à 375 $, mais cette modification a été apportée avant avril 1997 et non après. L’ordonnance de juillet a modifié l’accord en modifiant l’ordonnance de mars mais n’a pas « touch[é] le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire ». Je comprends que Mme Sit ait plaidé que l’ordonnance de juillet a réduit à 0 $ les montants de la pension alimentaire pour enfants payables pendant une année, mais il ne s’agit pas d’une modification au montant payable au sens du sous-alinéa b)(ii). Aucune date d’exécution ne pouvait être créée par cette modification aux termes du sous-alinéa b)(ii), car on ne trouve aucune date qui pourrait correspondre « [au] jour où le montant modifié est à verser pour la première fois », selon la dernière phrase du sous-alinéa. Il n’existe pas de date à laquelle le montant à verser est différent du montant de 375 $.

 

[12]    Le sous-alinéa b)(iii) prévoit des conditions qui, si elles sont remplies, donneront lieu à une date d’exécution.

 

(i)         Un accord ou une ordonnance subséquent à l’accord ou l’ordonnance  qui prévoit l’obligation d’effectuer les paiements a été établi;

 

(ii)        L’accord ou l’ordonnance a été établi après avril 1997;

 

(iii)       L’accord ou l’ordonnance a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur.

 

L’ordonnance de juillet a été établie postérieurement à l’accord qui prévoyait que l’appelant avait l’obligation d’effectuer les paiements, et elle a été établie après avril 1997. L’avocate de l’intimée allègue que cette ordonnance a pour effet de changer « le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables », parce qu’elle modifie le nombre de paiements à verser pendant toute la durée de l’accord, réduisant ainsi « le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables » d’un montant de 375 $ multiplié par 12 mois, pour un total de 4 500 $. Comme l’ordonnance de juillet constitue le premier accord ou la première ordonnance établi après avril 1997 ayant pour effet de changer « le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables », sa date d’exécution devient la date d’exécution de l’accord. La date d’exécution de l’ordonnance de juillet est celle à laquelle elle a été établie, c’est-à-dire le 23 juillet 1997, selon l’alinéa a) de la définition de l’expression « date d’exécution ». La date d’exécution de l’accord est donc, suivant la définition, le 23 juillet 1997, puisqu’il s’agit de « […] la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance […] ».

 

[13]    D’après ce que j’ai compris, l’appelant soutient que « le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables » (ou « total child support amounts payable ») s’entend seulement du total des montants payables par mois. Il allègue que, comme le montant des paiements mensuels à effectuer après la période d’un an, qui pris fin le 1er avril 1998, est resté identique à celui payable avant cette période, on ne pouvait conclure que l’ordonnance de juillet avait eu pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants payables. À mon avis, c’est la première interprétation qui est la bonne.

 

[14]    L’objet des modifications apportées à la Loi en 1997, comme on le sait, est de mettre en place un régime d’imposition qui prévoit que les montants payés au titre de pension alimentaire pour enfants ne sont ni imposables entre les mains du bénéficiaire ni déductibles par le payeur. À la même époque, les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants (les « Lignes directrices »)[2] ont été adoptées en application de la Loi sur le divorce[3] pour régir le montant des pensions alimentaires pour enfants. Bien entendu, les Lignes directrices ont été établies selon les nouvelles règles de non-imposition et de non-déduction des paiements. De toute évidence, il n’aurait pas été équitable d’appliquer les nouvelles règles aux paiements à verser conformément aux accords et aux ordonnances antérieurs à mai 1997, car ceux-ci avaient été le fruit de négociations et de décisions fondées sur l’ancien régime d’imposition. Le législateur a                                                                                                                                                                                donc voulu protéger les paiements en question par une disposition transitoire qui renferme une définition de l’expression « date d’exécution », dans le but que ces paiements soient assujettis, aux fins de l’impôt, à l’ancienne loi jusqu’à ce que les parties choisissent par écrit de les assujettir à la nouvelle loi par écrit ou jusqu’à ce qu’un accord ou une ordonnance soit établi postérieur à avril 1997, ce qui comprend par une modification apportée après avril 1997 à un accord ou à une ordonnance antérieur à mai 1997, dont l’objet vise ou comprend les paiements de pension alimentaire pour enfants. Dans un tel cas, l’effet des dispositions transitoires est de faire en sorte que tous les futurs paiements de pension alimentaire soient régis par les nouvelles dispositions. Bien sûr, il se dégage implicitement des dispositions transitoires que lorsqu’une ordonnance ou un accord nouveau ou modifié est établi, les parties au moment des leurs négociations ou le juge au moment de sa décision devront avoir tenu compte du changement en matière d’impôt, ainsi que des Lignes directrices. Malheureusement, ce n’est souvent pas le cas.

 

 


[15]    Pour ces motifs, les appels doivent être rejetés.

 

Signé à Ottawa, au Canada, ce 30e jour d’octobre 2007.

 

 

« E.A. Bowie »

Juge Bowie

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de novembre 2007.

 

Caroline Tardif, traductrice


RÉFÉRENCE :                                  2007CCI578

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2007-543(IT)I

 

INTITULÉ :                                       Mark Warbinek et

                                                          Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Kelowna (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 21 août 2007

 

MOTIFS MODIFIÉS

DU JUGEMENT :                              L’honorable juge E.A. Bowie

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 28 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

L’avocate de l’intimée :

Selena Sit

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                          Nom :                      S/O

 

                          Cabinet :                  S/O

 

       Pour l’intimée :                            John H. Sims, c.r.

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                         Ottawa (Canada)



[1]           2007 CAF 145.

 

[2]           DORS/97-175.

 

[3]           L.R.C. (1985), ch. 3 (2ème suppl.).

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