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Dossier : 2011-530(IT)APP

 

ENTRE :

JAMES CARCONE,

demandeur,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Demande entendue le 16 juin 2011, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L'honorable juge Steven K. D'Arcy

 

Comparutions :

 

Avocat du demandeur :

Me Ladislav Beganyi

Avocat de l'intimée :

Me Ricky Y. M. Tang

________________________________________________________________

 

ORDONNANCE

 

          La demande de prorogation du délai pour signifier un avis d'opposition aux nouvelles cotisations est rejetée compte tenu du fait qu'une telle ordonnance est superflue, le ministre n'ayant apporté la preuve ni de l'existence d'avis de nouvelle cotisation, ni de la date à laquelle ces avis auraient été envoyés par la poste.

          Le demandeur aura droit aux dépens.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 1er jour de décembre 2011.

 

 

« S. D'Arcy »

Le juge D'Arcy

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 550

Date : 20111201

Dossier : 2011-530(IT)APP

 

ENTRE :

JAMES CARCONE,

demandeur,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

Le juge D'Arcy

 

[1]              Le demandeur, James Carcone, demande, au titre de l'article 166.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi »), la prorogation du délai de signification d'un avis d'opposition à l'égard de deux nouvelles cotisations que le ministre du Revenu national (le « ministre ») affirme avoir établies le 31 décembre 2003 (les « nouvelles cotisations »). Ces nouvelles cotisations concernent les années d'imposition 1999 et 2000 du demandeur.

 

[2]              Le demandeur avait précédemment demandé au ministre, en application de l'article 166.1 de la Loi, la prorogation du délai de signification d'un avis d'opposition concernant les années d'imposition 1999 et 2000. Le ministre avait rejeté la demande.

 

[3]              La première question à trancher par la Cour est celle de savoir si les nouvelles cotisations ont effectivement été postées au demandeur le 31 décembre 2003, ou à quelque autre date. La seconde question, le cas échéant, est de savoir si les nouvelles cotisations ont effectivement été postées à l'adresse autorisée de M. Carcone.

 

[4]              J'ai entendu trois témoins : le demandeur, son comptable, M. Carmine Rossi, et M. Michael Coombs, agent de recouvrement et de l'exécution à l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »).

 

[5]              Les témoignages de M. Carcone et de M. Rossi m'ont paru dignes de foi. J'aurai l'occasion de revenir, dans ces motifs, sur le témoignage de M. Coombs.

 

Résumé des faits

 

[6]              Selon M. Carcone, ce n'est qu'au début de 2004 qu'il a eu connaissance des nouvelles cotisations en cause, lorsqu'il a reçu de l'ARC une lettre l'informant du retard de ses versements d'impôt sur le revenu. Il a communiqué avec M. Rossi pour lui demander de s'occuper de la question auprès de l'ARC.

 

[7]              M. Rossi a témoigné avoir communiqué avec l'ARC à de nombreuses reprises en 2004 et en 2005 afin d'obtenir une copie des nouvelles cotisations, sans cependant y parvenir.

 

[8]              M. Carcone a témoigné avoir lui aussi tenté d'obtenir de l'ARC des copies des nouvelles cotisations. Il précise avoir renouvelé ses efforts en ce sens jusqu'à l'été 2010, où il a sollicité l'aide du député fédéral de sa circonscription. Selon le témoignage de M. Carcone, il a vu une copie des nouvelles cotisations la première fois quelques jours seulement avant l'audition de la présente demande, lorsqu'il a reçu le recueil de documents de l'intimée.

 

[9]              M. Carcone vit depuis 1984 au 3629, croissant Birchmeadow, à Mississauga, en Ontario (l'« adresse croissant Birchmeadow »). M. Carcone précise qu'aux fins de l'impôt sur le revenu, l'adresse croissant Birchmeadow est son adresse postale autorisée depuis 1984. L'adresse croissant Birchmeadow est la seule à avoir figuré sur ses déclarations de revenus depuis 1984. Il n'a jamais indiqué d'autre adresse à l'ARC et n'a jamais demandé un changement d'adresse.

 

[10]         M. Carcone possède 50 % des actions de la J. C. Carcone Carpenters Corporation (la « société »), son épouse possédant les autres 50 %. La société en question offre des services d'entrepreneur général dans le domaine de la construction.

 

[11]         La société a, à diverses époques, donné à l'ARC trois adresses postales différentes. Avant le mois de juillet 2003, l'adresse postale autorisée pour la société était l'adresse croissant Birchmeadow. En juin 2003, la société a changé son adresse postale autorisée, celle‑ci devenant le 102, chemin Lakeshore Est, à Mississauga (Ontario) (l'« adresse chemin Lakeshore ») et, en octobre 2004, l'adresse postale autorisée de la société est devenue le 2395, chemin Cawthra, à Mississauga (Ontario)[1].

 

[12]         Les changements d'adresse de la société sont pertinents pour la présente demande étant donné que l'intimée affirme que l'ARC a apporté un changement à l'adresse postale autorisée du demandeur, adoptant pour celle‑ci l'adresse chemin Lakeshore[2]. Selon le témoignage de l'intimée, ce changement a eu lieu le 25 mai 2004, cette adresse demeurant en vigueur jusqu'au 21 avril 2005[3].

 

[13]         Il n'a été présenté à la Cour aucun élément de preuve montrant que le demandeur ait autorisé le changement ainsi apporté à son adresse postale personnelle, ou qu'il en ait été à l'origine. Il semblerait que ce soit par erreur que l'ARC a effectué ce changement d'adresse.

 

[14]         L'intimée a produit devant la Cour l'affidavit de M. Coombs. M. Coombs a aussi témoigné à l'audience; il a été contre‑interrogé sur son affidavit ainsi qu'à l'audience. Selon l'affidavit de M. Coombs, l'ARC a envoyé les nouvelles cotisations au demandeur par la poste, à l'adresse croissant Birchmeadow, le jour même où elles ont été établies, c'est‑à‑dire le 31 décembre 2003. Dans son affidavit, M. Coombs affirme que l'ARC a aussi envoyé les nouvelles cotisations au demandeur par la poste le 11 juin 2004, et les lui a transmises par télécopieur le 21 avril 2005 à son adresse croissant Birchmeadow.

 

Résumé du droit applicable

 

[15]         La Cour ne peut pas faire droit à une demande fondée sur l'article 166.2 de la Loi si le demandeur n'a pas auparavant demandé au ministre, en vertu de l'article 166.1, une prorogation du délai de signification d'un avis d'opposition.

 

[16]         Aux termes de l'alinéa 166.2(5)a) de la Loi, la Cour ne peut faire droit à une telle demande présentée au titre de l'article 166.2 que si « la demande a été présentée en application du paragraphe 166.1(1) dans l'année suivant l'expiration du délai par ailleurs imparti pour signifier un avis d'opposition [...] ».

 

[17]         Le délai de signification d'un avis d'opposition est prévu au paragraphe 165(1) de la Loi, qui était, à l'époque en cause, libellé ainsi :

 

Le contribuable qui s'oppose à une cotisation prévue par la présente partie peut signifier au ministre, par écrit, un avis d'opposition exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents, dans les délais suivants :

 

a) lorsqu'il s'agit d'une cotisation relative à un contribuable qui est un particulier (sauf une fiducie) ou une fiducie testamentaire, pour une année d'imposition, au plus tard le dernier en date des jours suivants :

 

(i) le jour qui tombe un an après la date d'échéance de production qui est applicable au contribuable pour l'année,

 

(ii) le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation;

 

b) dans les autres cas, au plus tard le 90e jour suivant la date de mise à la poste de l'avis de cotisation.

 

[18]         Pour ce qui est de la présente demande, le délai court à partir de la date de mise à la poste de l'avis de nouvelle cotisation[4].

 

[19]         Lorsqu'un contribuable, tel que le demandeur en l'espèce, fait valoir que l'avis de nouvelle cotisation ne lui a pas été envoyé par la poste, ou ne lui a pas été communiqué de quelque autre manière, il appartient au ministre d'établir que l'avis a effectivement été envoyé au contribuable par la poste, ou lui a été transmis de quelque autre manière. Ainsi que l'a fait remarquer la Cour d'appel fédérale dans Aztec Industries Inc. c. Canada, no A‑405‑94, 6 avril 1995, [1995] A.C.F. no 535 (QL) (l'arrêt « Aztec »), au paragraphe 10 (QL) : « lui seul est en possession de ces faits et lui seul peut en administrer la preuve. Diverses dispositions de la Loi confirment que la charge de la preuve incombe au Ministre à cet égard et visent manifestement à l'alléger. »

 

[20]         Le demandeur fait en outre valoir que si l'ARC lui a effectivement envoyé par la poste les nouvelles cotisations, elle ne les a pas envoyées à son adresse postale autorisée.

 

[21]         Dans l'arrêt R. c. 236130 British Columbia Ltd., 2006 CAF 352, la Cour d'appel fédérale s'est exprimée en ces termes au paragraphe 22 en ce qui concerne l'effet que peut avoir le fait que le ministre ait envoyé un avis de cotisation à la mauvaise adresse :

 

En définitive, les avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à la mauvaise adresse, par deux fois. Comme on peut le lire dans la décision L. B. Scott c. M.R.N., [1960] C.T.C. 402 (C.É.), à la page 417 :

 

[traduction] « [...] on doit aussi en déduire, à mon avis, que le législateur n'a jamais voulu qu'un tel avis puisse être effectivement donné au moyen de son « envoi par la poste » au contribuable à une mauvaise adresse ou à une adresse fictive et je ne trouve rien dans la loi rien qui donne à entendre que le législateur ait voulu que le contribuable soit lié par un avis de cotisation au moment de la mise à la poste d'un avis y afférent qui lui est adressé ailleurs qu'à sa véritable adresse ou à une adresse qu'il a d'une façon ou d'une autre autorisée ou adoptée comme adresse à cette fin. »

 

[22]         Il appartient donc au ministre de démontrer que les nouvelles cotisations ont été envoyées à l'adresse postale autorisée par le contribuable.

 

Application du droit aux faits de l'espèce

 

[23]         Le demandeur fait valoir que les nouvelles cotisations ne lui ont jamais été envoyées, ni par la poste ni autrement.

 

[24]         L'intimée a produit un certain nombre d'éléments à l'appui de sa thèse selon laquelle les nouvelles cotisations ont été envoyées au demandeur par la poste le 31 décembre 2003, date de leur établissement initial par le ministre, qu'elles ont été envoyées par la poste une seconde fois le 11 juin 2004, puis transmises au demandeur par télécopieur le 21 avril 2005.

 

[25]         La Cour doit se pencher sur ces trois dates. Mon collègue le juge Bowie a affirmé ce qui suit dans la décision Central Springs Ltd. c. La Reine, 2006 CCI 524, au paragraphe 9 : « Il est bien établi en droit que, lorsque des avis de cotisation ne sont pas expédiés par la poste, mais remis en mains propres au contribuable, le délai dans lequel ils peuvent faire l'objet d'une opposition commence à courir au moment de cette remise en mains propres. »

 

[26]         Avant d'examiner les éléments de preuve produits devant la Cour, il convient d'examiner la question de savoir si l'affidavit de M. Coombs répond aux conditions prévues aux paragraphes 244(9) et 244(10) de la Loi.

 

[27]         Le ministre invoque souvent les paragraphes 244(9) et 244(10) de la Loi lorsqu'il produit des éléments de preuve devant la Cour. Aux termes du paragraphe 244(9), l'affidavit d'un fonctionnaire de l'ARC indiquant qu'il a la charge des registres pertinents et qu'un document qui y est annexé est un document, la copie conforme d'un document ou l'imprimé d'un document électronique, fait par ou pour le ministre[5], ou par ou pour un contribuable, fait preuve de la nature et du contenu du document.

 

[28]         Aux termes du paragraphe 244(10) de la Loi, un affidavit d'un fonctionnaire de l'ARC indiquant qu'il a la charge des registres appropriés et qu'il a connaissance de la pratique de l'ARC peut servir de preuve de ce qui est affirmé dans l'affidavit en ce qui concerne la question de savoir si un avis d'opposition ou d'appel concernant une cotisation a été reçu dans le délai imparti par la Loi.

 

[29]         Voici ce que dit le paragraphe 1 de l'affidavit de M. Coombs :

 

[TRADUCTION]

 

1.         Je suis fonctionnaire au bureau des services fiscaux de Toronto Ouest de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») où j'étais chargé de ce dossier. Cela étant, j'ai une connaissance personnelle des faits exposés ci‑dessous, sauf ceux que j'affirme tenir pour véridiques sur la foi de renseignements, auquel cas je les tiens effectivement pour véridiques. Lorsque, dans mon affidavit, je fais état de renseignements dont je ne précise pas la source, il s'agit soit de renseignements de première main, soit de renseignements découlant de mon examen du dossier de l'ARC concernant James Carcone (le « demandeur »).

 

[30]         M. Coombs a témoigné qu'il est, à l'ARC, l'agent de recouvrement et de l'exécution qui, pendant trois mois, d'août 2009 à octobre 2009, était chargé du dossier du demandeur.

 

[31]         Dans son affidavit, M. Coombs n'affirme pas avoir eu la charge des registres pertinents de l'ARC. Son témoignage fait nettement ressortir qu'il n'avait pas la charge de ces registres. Cela étant, l'intimée ne saurait invoquer les paragraphes 249(9) ou (10) de la Loi.

 

L'envoi supposé par la poste des nouvelles cotisations le 31 décembre 2003

 

[32]         À l'appui de sa thèse voulant que les nouvelles cotisations aient été envoyées par la poste le 31 décembre 2003 à l'adresse autorisée du demandeur, l'intimée se fonde sur les éléments suivants :

 

a)       l'affidavit et le témoignage oral de M. Coombs concernant les pratiques de l'ARC en matière d'envois par la poste;

 

b)      les avis de nouvelle cotisation reconstitués (pièces R‑2 et R‑3);

 

c)       la copie papier du dossier électronique de l'ARC dans lequel figure l'adresse postale autorisée du demandeur (pièce A‑6).

 

[33]         M. Coombs a décrit, aux pages 12 et 13 de son affidavit, les pratiques de l'ARC en ce qui concerne l'envoi par la poste des cotisations fiscales. Cette description est jointe aux présents motifs à titre d'annexe A.

 

[34]         Selon le témoignage de M. Coombs, cette description ne repose pas sur une connaissance directe des faits. Elle est le fruit d'une discussion qu'il a eue avec une gestionnaire de la Section du traitement initial des déclarations de l'ARC à Ottawa (Ontario).

 

[35]         Lors de l'interrogatoire principal mené par l'avocat de l'intimée, M. Coombs a notamment déclaré ceci :

 

[TRADUCTION]

 

Q.        Puis‑je vous demander de passer à la page 12, aux alinéas a) à h), passage qui continue à la page 13? Qu'avez-vous fait pour vérifier que les renseignements qui figurent dans ces deux pages sont exacts?

 

R.         J'ai communiqué avec une gestionnaire de la Section du traitement initial des déclarations, à Ottawa. Voulez-vous que je vous donne son nom?

 

Q.        Oui, s'il vous plaît.

 

R.         Il s'agit de Marie‑Josée Gagné. Elle m'a confirmé que c'est effectivement la procédure suivie. Je ne fais pas moi‑même partie de la section du courrier, et je n'ai donc aucune idée de la manière dont les choses se font. Elle m'a expliqué tout cela afin que je puisse rédiger mon affidavit[6].

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[36]         Le témoignage livré par M. Coombs en ce qui concerne les procédures de l'ARC en matière d'envois postaux constitue manifestement une preuve par ouï‑dire. Dans certains cas, notre cour et la Cour d'appel fédérale admettent de tels éléments de preuve.

 

[37]         Au paragraphe 16 de l'arrêt Kovacevic c. La Reine, 2003 CAF 293, la Cour d'appel fédérale a fait les observations suivantes :

 

Je conviens que lorsque la loi exige qu'un document soit envoyé par courrier ordinaire par une grande organisation comme un ministère, mais qu'elle n'exige pas que ce soit fait par courrier recommandé ou certifié ou qu'il y ait une preuve d'un moyen d'envoi plus formel, la remarque du juge Bowman dans la décision Schafer est raisonnable. En général, il suffit donc d'énoncer dans un affidavit, souscrit par la dernière personne en autorité qui a traité le document avant qu'il soit soumis à la procédure normale d'envoi du bureau, la description de cette procédure. [...]

 

[38]         Dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale, on reconnaît que, dans la plupart des cas, la personne qui a effectivement envoyé l'avis de cotisation ne sera pas en mesure de venir témoigner. C'est pourquoi notre cour et la Cour d'appel fédérale ont permis à l'ARC de s'acquitter du fardeau qui lui incombe en produisant des affidavits ou en appelant à témoigner des personnes en mesure d'exposer la procédure applicable à l'envoi par la poste d'un avis de cotisation[7].

 

[39]         Cependant, pareille preuve par ouï‑dire n'est admise que si elle satisfait aux critères de fiabilité et de nécessité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

 

[40]         On n'a pas mentionné à la Cour le nom de la dernière personne en autorité ayant traité les avis de nouvelle cotisation du demandeur. L'intimée a plutôt appelé à témoigner M. Coombs, qui a reconnu n'avoir [TRADUCTION] « aucune idée » de la procédure de l'ARC applicable aux envois postaux. J'estime que les critères de fiabilité et de nécessité exigent au minimum que l'intimée produise un témoin au courant des pratiques de l'ARC en matière d'expédition d'avis de cotisation par la poste.

 

[41]         La nécessité qu'il y a de produire un tel témoin apparaît à la lecture des déclarations faites par M. Coombs aux alinéas a), b) et c) de son affidavit, à la page 12 :

 

[TRADUCTION]

 

a)         les cotisations fiscales sont traitées dans notre système informatique et les renseignements sont acheminés électroniquement à l'imprimerie des services des médias de la Direction des médias électroniques et imprimés et inscrits au Système quotidien des cotisations (« SQC ») en vue de l'impression des avis de nouvelle cotisation, les avis étant postdatés de façon à indiquer la date de leur mise à la poste;

 

b)         les avis de nouvelle cotisation de James Carcone (le demandeur) pour les années d'imposition 1999 et 2000 ont été inscrits au SQC 71 et postdatés au 31 décembre 2003;

 

c)         on ne relève aucun problème lors du téléchargement des renseignements figurant à ce SQC.

 

[42]         Ces déclarations constituent un élément essentiel de la thèse de l'intimée. Cependant, puisque l'unique témoin appelé par l'intimée, en l'occurrence M. Coombs, n'était pas au courant de la procédure de l'ARC en matière d'envois postaux, la fiabilité de ses déclarations n'a pas pu être évaluée.

 

[43]         Selon le témoignage de M. Coombs, ses affirmations sur ce point reposent uniquement sur les renseignements que lui a fournis une certaine Mme Gagné. M. Coombs n'a expliqué ni dans son affidavit ni lors de son témoignage la manière dont Mme Gagné avait pu vérifier que les avis de nouvelle cotisation du demandeur figuraient effectivement au SQC 71, ni comment elle avait pu vérifier qu'il n'y avait eu, le jour en question, aucun problème à l'égard du SQC 71.

 

[44]         Ajoutons que l'avocat du demandeur n'a pas pu, lors du contre‑interrogatoire de M. Coombs, vérifier la fiabilité des déclarations que ce dernier avait faites aux pages 12 et 13 de son affidavit. On le constate à la lecture des propos échangés sur ce point par M. Coombs et l'avocat du demandeur :

 

[TRADUCTION]

 

Q.        M. Coombs, toujours en ce qui concerne votre paragraphe 17, au sujet des pratiques en matière d'envois postaux, vous affirmez, à l'alinéa b) :

 

« les avis de nouvelle cotisation de James Carcone pour les années d'imposition 1999 et 2000 ont été inscrits au SQC 71 et postdatés au 31 décembre 2003. »

 

Est‑ce exact?

 

R.         C'est effectivement ce que l'on m'a dit.

 

Q.        Et ce renseignement provient de Mme Gagné?

 

R.         C'est exact.

 

Q.        Savez‑vous, Monsieur, que lorsque l'ARC établit au départ un avis de nouvelle cotisation, celui-ci se voit attribuer un numéro de lot, et ce numéro de lot est apposé à la déclaration T2 de l'année en question lorsque la cotisation est établie?

 

R.         Non, je ne suis pas au courant[8].

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[45]         En outre, les éléments produits devant la Cour soulèvent des préoccupations générales quant à la fiabilité des déclarations faites par M. Coombs dans son affidavit. Cet affidavit contient certaines déclarations qui sont inexactes ou dont M. Coombs n'a pas connaissance, comme l'a révélé le contre‑interrogatoire. Le reste de mes motifs donne des exemples des nombreuses déclarations inexactes figurant dans l'affidavit.

 

[46]         En bref, la description que M. Coombs donne dans son affidavit des pratiques de l'ARC en matière d'envois postaux relève du ouï‑dire. Les éléments de preuve produits devant la Cour ne permettent de conclure ni à la nécessité, ni à la fiabilité de cette preuve par ouï‑dire. Je ne lui ai, par conséquent, accordé aucun poids.

 

[47]         Tentant de s'acquitter du fardeau qui lui incombait, l'intimée a également produit des avis de nouvelle cotisation reconstitués (pièces R‑2 et R‑3). De tels éléments de preuve ne lui sont d'aucun secours; la preuve que l'ARC a effectivement établi des avis de nouvelle cotisation ne démontre pas que l'ARC les a envoyés au contribuable à son adresse postale autorisée.

 

[48]         Je conclus, pour ces motifs, que l'intimée n'a pas satisfait au fardeau d'établir que les nouvelles cotisations ont été envoyées au demandeur par la poste le 31 décembre 2003.

 

[49]         L'intimée n'a pas non plus démontré que, si les nouvelles cotisations ont effectivement été envoyées par la poste, elles ont été envoyées à l'adresse postale autorisée du demandeur.

 

[50]         L'intimée s'est fondée sur les avis de nouvelle cotisation reconstitués, ainsi que sur l'affidavit et le témoignage oral de M. Coombs, pour établir que l'ARC avait, le 31 décembre 2003, envoyé les avis de nouvelle cotisation à l'adresse postale autorisée du demandeur.

 

[51]         Lors de son interrogatoire principal, M. Coombs a confirmé que l'adresse figurant sur les avis de nouvelle cotisation reconstitués était bien, pour reprendre la formule employée par l'avocat de l'intimée, [TRADUCTION] « celle à laquelle cet avis de nouvelle cotisation aurait effectivement été envoyé »[9].

 

[52]         Lors de son contre‑interrogatoire, M. Coombs a d'abord déclaré que l'adresse figurant sur les avis de nouvelle cotisation reconstitués, c'est‑à‑dire l'adresse croissant Birchmeadow, était bien celle qui aurait figuré sur les avis de nouvelle cotisation initiaux. Il a cependant ensuite reconnu que l'adresse figurant sur les avis de nouvelle cotisation reconstitués était celle qui figurait au dossier de l'ARC au moment de l'impression des avis de nouvelle cotisation reconstitués. Il a également reconnu qu'il n'y avait aucun moyen de savoir si, à l'époque où les avis de nouvelle cotisation auraient été envoyés par la poste, ils avaient été envoyés à l'adresse croissant Birchmeadow ou à une autre adresse qui aurait pu figurer au dossier de l'ARC lors de l'envoi[10].

 

[53]         Compte tenu de ce témoignage, les avis de nouvelle cotisation reconstitués ne permettent évidemment pas de démontrer quelle était l'adresse figurant sur les avis de nouvelle cotisation initiaux.

 

[54]         L'intimée s'est également fondée sur un extrait des registres internes de l'ARC ainsi que sur les paragraphes 13 et 17 de l'affidavit de M. Coombs qui, selon elle, démontrent que l'adresse postale autorisée du demandeur était, du 22 octobre 1992 au 24 mai 2004, l'adresse croissant Birchmeadow, du 25 mai 2004 au 20 avril 2005, l'adresse chemin Lakeshore et, après le 20 avril 2005, l'adresse croissant Birchmeadow.

 

[55]         Au paragraphe 13 de son affidavit, M. Coombs affirme ceci :

 

[TRADUCTION]

 

13.       Un examen minutieux des registres de l'ARC et les recherches menées dans ceux‑ci montrent que, le 25 mai 2004, l'adresse du demandeur figurant au dossier de l'ARC était devenue le 102, chemin Lakeshore Est, Mississauga (Ontario) L5G 1E8 (« Lakeshore »), étant donné que c'était l'adresse que le demandeur avait inscrite sur sa déclaration T1.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[56]         Lors de son contre‑interrogatoire, M. Coombs a reconnu ne pas avoir examiné la déclaration de revenus T1 en question, c'est‑à‑dire la déclaration de revenus T1 du demandeur pour l'année 2003. Ce qu'il affirme dans son affidavit repose uniquement sur son examen du système RAPID, un système interne de l'ARC[11].

 

[57]         L'extrait correspondant du système RAPID figure au recueil de documents de l'intimée[12]. Ce document est intitulé [TRADUCTION] Identité, Adresse postale, Historique. Selon ce document, du 22 octobre 1992 au 24 mai 2004, l'adresse postale du demandeur était l'adresse croissant Birchmeadow. Toujours selon ce document, l'adresse postale du demandeur est, le 25 mai 2004, devenue l'adresse chemin Lakeshore. L'origine de ce changement est indiquée comme étant [TRADUCTION] « la déclaration T1 ».

 

[58]         Ce qui est gênant pour l'intimée, c'est que le demandeur a produit devant la Cour sa déclaration de revenus T1 pour l'année 2003[13], et que l'adresse postale qui y figure est l'adresse croissant Birchmeadow.

 

[59]         Au vu des éléments de preuve produits devant la Cour, il est évident que l'extrait du système RAPID de l'ARC et le paragraphe 13 de l'affidavit de M. Coombs sont inexacts. Le demandeur n'a pas modifié son adresse sur sa déclaration de revenus T1 pour l'année 2003. C'est par erreur que l'ARC a modifié l'adresse postale autorisée du demandeur.

 

[60]         L'inscription relevée dans le système RAPID est erronée et je ne peux, par conséquent, accorder aucun poids à ce document, y compris à la date donnée comme étant celle à laquelle l'ARC a modifié l'adresse postale du demandeur. L'intimée n'a produit aucun élément fiable permettant d'expliquer pourquoi l'adresse avait été modifiée. Cela dit, je relève que la société a, en juillet 2003, adopté l'adresse chemin Lakeshore. On peut ainsi se demander si ce n'est pas en juillet 2003 que l'ARC a modifié l'adresse du demandeur (c.‑à‑d. avant la date à laquelle les avis de nouvelle cotisation auraient été envoyés par la poste), plutôt qu'à la date donnée par l'ARC, soit le 25 mai 2004 (c.‑à‑d. après la date à laquelle les avis auraient été mis à la poste).

 

[61]         J'estime, pour les motifs qui précèdent, que le ministre n'est pas parvenu à démontrer que, si les nouvelles cotisations ont été postées le 31 décembre 2003, elles ont été envoyées à la bonne adresse.

 

La mise à la poste alléguée des nouvelles cotisations le 11 juin 2004

 

[62]         Au paragraphe 14 de son affidavit, M. Coombs affirme ceci :

 

[TRADUCTION]

 

14.       Un examen minutieux des registres de l'ARC et les recherches menées dans ceux‑ci montrent que, le 11 juin 2004, le demandeur a demandé qu'on lui envoie une autre copie des avis de nouvelle cotisation. L'ARC a donc réimprimé et envoyé le jour même une copie des avis de nouvelle cotisation, comme le demandeur lui avait demandé de le faire.

 

[63]         En contre‑interrogatoire, M. Coombs a reconnu que cela était inexact. Il a en effet reconnu que l'employé de l'ARC qui avait reçu la demande le 11 juin 2004 n'avait pas l'autorisation de faire réimprimer les nouvelles cotisations[14].

 

[64]         Lors de son contre‑interrogatoire, M. Coombs a également reconnu que, si les nouvelles cotisations avaient été postées le 11 juin 2004, elles n'auraient pas, selon les indications relevées dans le système RAPID de l'ARC, été envoyées à l'adresse postale autorisée du demandeur[15].

 

[65]         Bref, le témoignage produit par l'intimée au sujet du prétendu envoi par la poste, le 11 juin 2004, des avis de nouvelle cotisation n'a pas résisté au contre‑interrogatoire et ne peut donc se voir accorder de poids par la Cour.

 

L'envoi allégué des nouvelles cotisations par télécopieur le 21 avril 2005

 

[66]         En ce qui concerne l'envoi allégué des avis de nouvelle cotisation au demandeur par télécopieur, l'intimée se fonde sur le paragraphe 17 de l'affidavit de M. Coombs, où l'on trouve la déclaration suivante :

 

[TRADUCTION]

 

17.       Un examen minutieux des registres de l'ARC et les recherches menées dans ceux‑ci montrent que, le 21 avril 2005, le demandeur a communiqué avec l'ARC pour l'aviser que l'adresse figurant à son dossier n'était pas la bonne. L'ARC a alors rétabli l'adresse croissant Birchmeadow, comme le demandeur lui demandait de le faire. L'ARC a ensuite envoyé au demandeur par télécopieur une copie des avis de cotisation et de nouvelle cotisation à l'adresse croissant Birchmeadow.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[67]         Lors de son contre‑interrogatoire, M. Coombs a reconnu ne pas avoir examiné la télécopie en question, mais s'être simplement fondé sur le journal du SARRS[16], un autre système interne de l'ARC.

 

[68]         Le demandeur a produit devant la Cour un double de la télécopie du 21 avril 2005[17]. Comme M. Coombs l'a reconnu lors de son contre‑interrogatoire, la télécopie en question ne contenait pas de copie des nouvelles cotisations. Ce qu'il affirme au paragraphe 17 de son affidavit est inexact.

 

[69]         Pour résumer, donc, l'intimée n'a produit aucun élément de preuve fiable démontrant que les nouvelles cotisations avaient effectivement été envoyées au demandeur par la poste le 31 décembre 2003 ou le 11 juin 2004, ni qu'elles lui avaient été transmises par télécopieur le 21 avril 2005. L'intimée n'est donc pas parvenue à établir que les avis de nouvelle cotisation avaient été envoyés au demandeur par la poste, ou transmis à lui de quelque autre manière.

 

[70]         Selon l'avocat de l'intimée, il y aurait lieu en l'espèce de rejeter la demande, car le demandeur était au courant de l'impôt dont il était redevable au titre de ses années d'imposition 1999 et 2000. Cet argument ne saurait être retenu. Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a mentionné dans l'arrêt Aztec, précité, au paragraphe 19 (QL) : « Par ailleurs, le fait que la contribuable, ou son séquestre, eût conscience de la demande du ministre ou que le séquestre eût versé le dépôt y afférent ne peut nullement servir à prouver la date de la mise à la poste des avis de cotisation, encore moins leur existence. »

 

[71]         Pour les motifs qui précèdent, la demande de prorogation du délai pour signifier un avis d'opposition aux nouvelles cotisations est rejetée compte tenu du fait qu'une telle ordonnance est superflue, le ministre n'ayant apporté la preuve ni de l'existence d'avis de nouvelle cotisation, ni de la date à laquelle ces avis auraient été envoyés par la poste. Le demandeur aura droit aux dépens.

 

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 1er jour de décembre 2011.

 

 

« S. D'Arcy »

Le juge D'Arcy

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de janvier 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur


Annexe A

 

[TRADUCTION]

 

Pratiques de l'ARC en matière d'envois postaux

 

Je tiens les énoncés suivants pour véridiques sur la foi de renseignements :

 

a)         les cotisations fiscales sont traitées dans notre système informatique et les renseignements sont acheminés électroniquement à l'imprimerie des services des médias de la Direction des médias électroniques et imprimés et inscrits au Système quotidien des cotisations (« SQC ») en vue de l'impression des avis de nouvelle cotisation, les avis étant postdatés de façon à indiquer la date de leur mise à la poste;

 

b)         les avis de nouvelle cotisation de James Carcone (le demandeur) pour les années d'imposition 1999 et 2000 ont été inscrits au SQC 71 et postdatés au 31 décembre 2003;

 

c)         on ne relève aucun problème lors du téléchargement des renseignements figurant à ce SQC;

 

d)         les avis de nouvelle cotisation imprimés sont insérés dans des enveloppes individuelles;

 

e)         les machines de mise sous enveloppe produisent une feuille de comptage du nombre total d'avis imprimés pour mise à la poste;

 

f)          toutes les enveloppes sont placées dans des bacs où elles sont récupérées par Postes Canada pour être mises à la poste à la date indiquée sur les avis;

 

g)         avant que les avis de nouvelle cotisation soient déposés dans le bac à l'intention de Postes Canada, le compte informatique figurant sur les machines de mise sous enveloppe est comparé au compte prévu enregistré au SQC et, en cas d'écart entre les deux comptes, l'impression est annulée, les avis imprimés sont détruits et il est procédé à une nouvelle impression;

 

h)         les comptes étaient exacts pour le SQC en question.

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 550

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2011-530(IT)APP

 

INTITULÉ :                                       JAMES CARCONE c. LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

                                                         

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le 16 juin 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      L'honorable juge Steven K. D'Arcy

 

DATE DE L'ORDONNANCE :          Le 1er décembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat du demandeur :

Me Ladislav Beganyi

Avocat de l'intimée :

Me Ricky Y. M. Tang

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour le demandeur :

 

                    Nom :           Me Ladislav Beganyi

                   Cabinet :      Beganyi Professional Corporation

                                       Mississauga (Ontario)

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1]           Transcription, page 42.

 

[2]           Pièce A‑6, Recueil de documents de l'intimée, onglet 12.

 

[3]           Ibid.

 

[4]           Selon le paragraphe 248(1) de la Loi, est assimilée à la cotisation la nouvelle cotisation.

 

[5]           Y compris une personne exerçant les pouvoirs de celui-ci.

 

[6]           Transcription, pages 71 et 72.

 

[7]           Voir, par exemple, les décisions de notre cour dans les affaires Abraham c. La Reine, 2004 CCI 380, et Nicholls c. La Reine, 2011 CCI 39.

 

[8]           Transcription, page 94.

 

[9]           Transcription, page 73.

 

[10]          Transcription, pages 92 et 93.

 

[11]          Transcription, pages 82 et 83.

 

[12]          Pièce A-6, Recueil de documents de l'intimée, onglet 12.

 

[13]          Pièce A-3, Recueil de documents du demandeur, onglet 2.

 

[14]          Transcription, pages 87 à 90.

 

[15]          Transcription, page 90.

 

[16]          Transcription, page 80.

 

[17]          Pièce A-2, Recueil de documents du demandeur, onglet 4.

 

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