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Dossier : 2011-1802(IT)I

ENTRE :

ALLAN H. KERR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 17 novembre 2011 à London (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Valerie Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelant :

Me William Doran

Avocat de l’intimée :

Me Grégoire Cadieux

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 est accueilli, et l’affaire est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2011.

 

      

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13jour de janvier 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.

 


 

 

 

 

Référence : 2011 CCI 551

Date : 20111201

Dossier : 2011-1802(IT)I

ENTRE :

ALLAN H. KERR,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge V.A. Miller

[1]              En l’espèce, la question en litige est de savoir si l’appelant a le droit de déduire du revenu les montants de 7 487 $ et de 7 654 $ à titre de pension alimentaire pour enfants pour les années 2008 et 2009, respectivement.

[2]              Les parties ont produit un exposé conjoint des faits (partiel) qui, essentiellement, réitère les hypothèses de fait émises par le ministre du Revenu national (le « ministre ») lorsqu’il a établi la cotisation à l’égard de l’appelant. Ces hypothèses de fait sont les suivantes :

 

[traduction]

 

1.      Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a, au départ, établi une cotisation relativement à la dette fiscale de l’appelant pour l’année 2008, dans laquelle la déduction de la pension alimentaire pour enfants de 7 487 $ a été refusée.

2.      Le ministre a, au départ, établi une cotisation relativement à la dette fiscale de l’appelant pour l’année 2009, dans laquelle la déduction de la pension alimentaire pour enfants de 7 654 $ a été refusée.

3.      Le ministre a ratifié les cotisations établies pour les années d’imposition 2008 et 2009.

4.      L’appelant et Louise Carrie (l’« ex‑épouse ») vivaient séparément depuis novembre 1995.

5.      L’appelant et l’ex‑épouse ont eu un enfant, à savoir J.C., né en 1994 (l’« enfant »).

6.      Selon une ordonnance de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) datée du 18 juin 1996 (l’« ordonnance »), l’appelant devait payer une pension alimentaire pour enfants mensuelle de 350 $ à l’ex‑épouse relativement à l’enfant (la « pension alimentaire »). (Une copie de l’ordonnance du 18 juin 1996 est ci‑jointe, à l’onglet 1).

7.    L’ordonnance comportait une disposition relative au coût de la vie, qui prévoyait que la pension alimentaire devait être annuellement revue à la hausse.

8.    Le Bureau des obligations familiales (le « BOF ») du ministère des Services sociaux et communautaires a procédé à l’exécution de l’ordonnance judiciaire du 18 juin 1996.

9.    L’appelant et l’ex‑épouse ont signé un accord de séparation écrit le 30 mai 2006 (l’« accord ») qui prévoyait une pension alimentaire d’un montant (de) 322 $, à compter du 1er juin 2006. (Une copie de l’accord de séparation du 30 mai 2006 est ci‑jointe, à l’onglet 2).

10.     L’accord n’a pas été présenté devant la cour.

11.     Le BOF du ministère des Services sociaux et communautaires n’a pas procédé à l’exécution de l’accord du 30 mai 2006. (Une copie d’un document provenant du BOF à cet effet est ci-jointe, à l’onglet 3).

12.     Pour les années 2008 et 2009, en plus de la pension alimentaire, l’appelant a versé des arriérés de pension alimentaire suivant un calendrier de paiement volontaire des arriérés pour un montant fixe mensuel de 220 $ (le « paiement des arriérés »). (Une copie d’un document provenant du BOF à cet effet est ci-jointe, à l’onglet 4).

13.     Durant l’année d’imposition 2008, l’appelant a effectué des versements de pension alimentaire pour un montant total de 7 487 $, y compris des arriérés, au moyen de retenues à la source.

14.  Durant l’année d’imposition 2009, l’appelant a effectué des versements de pension alimentaire pour un montant total de 7 654 $, y compris des arriérés, au moyen de retenues à la source.

[3]              L’ordonnance mentionnée au paragraphe 6 de l’exposé conjoint des faits (partiel) comportait le paragraphe suivant :

 

[traduction]

 

LA COUR ORDONNE que l’ordonnance alimentaire soit exécutée par le directeur du Bureau des obligations familiales et que les montants exigibles lui soient payés pour qu’il les remette ensuite à la personne à laquelle ils sont dus, à moins que cette ordonnance ne soit retirée du bureau du Régime des obligations alimentaires envers la famille.

[4]              L’ordonnance alimentaire n’a jamais été retirée du bureau du Régime des obligations alimentaires envers la famille. Dans une lettre datée du 4 août 2009, le Bureau des obligations familiales (le « BOF ») a confirmé qu’il avait procédé à l’exécution de l’ordonnance depuis son enregistrement en octobre 1996.

[5]              L’appelant a présenté les faits qui l’ont amené à signer l’accord de séparation mentionné au paragraphe 9 de l’exposé conjoint des faits.

[6]              En 2006, l’appelant n’a versé aucune pension alimentaire à son ex‑épouse, qui recevait une aide sociale du conseil d’administration des services du district d’Algoma (le « Conseil »). Une agente d’aide au recouvrement au Conseil a écrit à l’appelant pour l’aviser qu’elle était chargée d’aider l’ex‑épouse de l’appelant à obtenir la pension alimentaire pour enfants et qu’à cet effet, il y avait deux recours possibles : procéder par voie judiciaire ou établir un accord écrit privé entre les parties. L’appelant a choisi de signer l’accord écrit privé (l’« accord de séparation »), qui prévoyait une pension alimentaire pour enfants de 322 $ par mois.

[7]              L’appelant a respecté l’accord de séparation et a effectué dix versements au moyen de chèques libellés au nom de son ex‑épouse, pour la période allant de juin 2006 à mars 2007, inclusivement. Il a déclaré qu’il avait cessé d’envoyer les chèques à son ex‑épouse parce que cette dernière avait déménagé et qu’il ne connaissait pas sa nouvelle adresse.

[8]              Le Conseil a envoyé l’accord de séparation au BOF pour que cet accord soit exécuté. Le BOF n’était pas en mesure d’exécuter l’accord étant donné qu’il n’avait pas été déposé devant les tribunaux.

[9]              Au moyen d’une lettre datée du 8 août 2007, l’appelant a été avisé par le Conseil que ce dernier était autorisé à recevoir la pension alimentaire directement du BOF, étant donné que l’ex‑épouse de l’appelant avait cédé ses droits découlant de l’ordonnance au Conseil. Une copie de l’acte de cession était jointe à la lettre.

[10]         Le BOF, de concert avec l’appelant, a établi un calendrier de paiement volontaire des arriérés et a saisi sur le salaire de l’appelant les montants proposés par ce dernier. Les montants saisis sont ceux qui sont en cause pour les années 2008 et 2009.

[11]         Les parties sont d’accord sur le fait que la pension alimentaire en cause a été payée par l’intermédiaire du BFO et conformément à l’ordonnance judiciaire et non à l’accord de séparation.

Le droit

[12]         Les montants de pension alimentaire pour enfants ne sont pas déductibles par le payeur et ne sont pas non plus inclus dans le revenu du bénéficiaire s’ils sont payables aux termes d’un accord ou d’une ordonnance dont la date d’exécution est le 1er mai 1997 ou une date ultérieure[1].

[13]         Les montants de pension alimentaire pour enfants payables en vertu d’un accord ou d’une ordonnance établi avant mai 1997 sont généralement déductibles par le payeur et sont inclus dans le revenu du bénéficiaire à moins qu’une « date d’exécution » postérieure à avril 1997 puisse être attribuée à l’accord.

[14]         L’expression « date d’exécution » est ainsi définie au paragraphe 56.1(4) de la Loi :

 

« date d’exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a) si l’accord ou l’ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b) si l’accord ou l’ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)  le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l’accord ou de l’ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii) si l’accord ou l’ordonnance fait l’objet d’une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d’exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv) le jour précisé dans l’accord ou l’ordonnance, ou dans toute modification s’y rapportant, pour l’application de la présente loi.

[15]         Il est d’abord nécessaire de déterminer si la pension alimentaire était payable en vertu d’une ordonnance ou d’un accord de séparation[2].

[16]         Si la pension alimentaire est devenue payable en vertu d’un accord de séparation, alors la « date d’exécution » est le 30 mai 2006 selon l’alinéa 56.1(4)a) de la Loi. Si la pension alimentaire était payable aux termes d’une ordonnance, alors il est nécessaire de déterminer si une disposition de l’alinéa 56.1(4)b) attribue une « date d’exécution » à l’ordonnance.

[17]         Selon l’appelant, la pension alimentaire était payable en vertu de l’ordonnance. L’intimée n’a pas clairement exprimé son opinion.

[18]         À mon avis, l’appelant a raison. Aucun terme n’a été précisé dans l’ordonnance. Il n’a pas été établi que l’obligation de soutien selon l’ordonnance avait été suspendue ou qu’il avait été mis fin à cette obligation. L’ordonnance n’a pas été modifiée, ni annulée ni suspendue.

[19]         L’ordonnance ne pouvait être modifiée que par une demande présentée à un tribunal compétent conformément à la Loi sur le droit de la famille[3] de l’Ontario. L’article 37 de cette loi est, en partie, ainsi libellé :

 

37(1)    Une requête en modification d’une ordonnance rendue ou confirmée en vertu de la présente partie peut être présentée au tribunal par les personnes ou organismes suivants :

a) la personne à charge ou l’intimé dont le nom figure dans         l’ordonnance;

b) le père ou la mère de la personne à charge visée à l’alinéa a);

c) le représentant successoral de l’intimé visé à l’alinéa a);

d) l’organisme visé au paragraphe 33 (3).

[…]

(2.1)  Dans le cas d’une ordonnance alimentaire à l’égard d’un enfant, s’il est convaincu que la situation a changé au sens des lignes directrices sur les aliments pour les enfants ou que des preuves qui n’étaient pas disponibles lors de l’audience antérieure le sont devenues, le tribunal peut :

a) annuler, modifier ou suspendre une condition de l’ordonnance, par anticipation ou rétroactivement;

b) libérer l’intimé du versement, en tout ou en partie, des arriérés ou des intérêts dus;

c) rendre toute autre ordonnance alimentaire à l’égard d’un enfant qu’il pourrait rendre à la suite d’une requête présentée en vertu de l’article 33. […]

[20]         L’accord de séparation n’a pas et ne pouvait pas remplacer l’ordonnance ni primer l’obligation imposée à l’appelant par la cour étant donné que l’accord de séparation n’avait pas été déposé auprès de la cour.

[21]         Le paragraphe 35(2) de la Loi sur le droit de la famille permet qu’un accord de séparation déposé auprès de la cour soit traité comme une ordonnance du tribunal. Voici, en partie, la teneur de l’article 35 de cette loi :

 

35(1)    La partie à un contrat familial peut déposer le contrat auprès du greffier de la Cour de justice de l’Ontario ou de la Cour de la famille de la Cour supérieure de justice. Elle y joint un affidavit précisant que le contrat est valide et n’a pas été annulé ou modifié par un tribunal ou par un accord.

[…]

Effet du dépôt

 

(2) La disposition alimentaire qui figure dans un contrat déposé de cette façon peut, comme s’il s’agissait d’une ordonnance du tribunal où le contrat a été déposé ,

a) être mise à exécution;

b) être modifiée en vertu de l’article 37;

c) sauf dans le cas d’une disposition alimentaire à l’égard d’un enfant, être augmentée en vertu de l’article 38;

d) dans le cas d’une disposition alimentaire à l’égard d’un enfant, faire l’objet d’un nouveau montant fixé en vertu de l’article 39.1.

[22]         Étant donné que j’ai conclu que la pension alimentaire était payable aux termes de l’ordonnance, je dois aussi trancher la question de savoir si l’accord de séparation avait entraîné la création d’une date d’exécution pour l’ordonnance.

[23]         À mon avis, aucune date d’exécution n’a été créée en l’espèce.

[24]         Les sous‑alinéas 56.1(4)b)(i) et (iv) de la Loi ne s’appliquent pas dans les circonstances de l’espèce étant donné que l’appelant et son ex‑épouse n’ont pas fait de choix conjoint et qu’ils n’ont pas non plus précisé de date d’exécution dans l’accord de séparation.

[25]         L’accord de séparation ne pouvait pas modifier l’ordonnance. L’ordonnance ne pouvait être modifiée que par une demande présentée à la cour. Le sous‑alinéa 56.1(4)b)(ii) de la Loi ne s’applique pas.

[26]         L’accord de séparation ne crée pas une obligation de paiement distincte qui coexiste avec l’obligation de paiement imposée par l’ordonnance. L’accord de séparation ne peut donc pas établir une date d’exécution pour l’ordonnance en vertu du sous‑alinéa 56.1(4)b)(iii) de la Loi[4].

[27]         Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que l’accord de séparation n’a pas entraîné la création d’une date d’exécution. L’appelant a le droit de déduire les montants de 7 487 $ et de 7 654 $ à titre de pension alimentaire pour enfant pour 2008 et 2009.

[28]         L’appel est accueilli.

 

         Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre 2011.

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13jour de janvier 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 551

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2011-1802(IT)I

 

INTITULÉ :                                       ALLAN H. KERR

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   London (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 17 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 1er décembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

 

Me William Doran

 

Avocat de l’intimée :

Me Grégoire Cadieux

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

      

       Nom :                                         William Doran

       Cabinet :                                     Miller Thompson, LLP

                            

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 



[1] Holbrook c. Canada, 2007 CAF 145, au paragraphe 7

[2] Ibid., aux paragraphes 3 et 4

[3] L.R.O. 1990, Chapitre F.3

[4] Warbinek c. Canada, 2008 CAF 276, aux paragraphes 33 à 38.

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