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Dossier : 2011-1623(EI)

ENTRE :

LOUISE C. GRAHAM,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

Appel entendu le 21 novembre 2011, à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Devant : L’honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Kristian DeJong

 

 

 

 

JUGEMENT

          L’appel est rejeté, et la décision du ministre du Revenu national datée du 23 février 2011 est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

          Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 14e jour de décembre 2011.

 

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mars 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


 

 

Référence : 2011 CCI 565

Date : 20111214

Dossier : 2011-1623(EI)

ENTRE :

LOUISE C. GRAHAM,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge suppléant Rowe

 

[1]              Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rendu des décisions – toutes deux datées du 23 février 2011 – confirmant des décisions antérieures selon lesquelles Minou Mirette Lejeune (« Mme Lejeune » ou la « travailleuse ») avait exercé auprès de Louise Graham (« Mme Graham ») et de Brennen McLean (« M. McLean »), durant la période du 15 septembre 2008 au 26 juin 2009, un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») et ouvrant droit à pension en vertu du Régime de pensions du Canada (le « Régime »).

 

[2]              L’appel de ces décisions a été interjeté pour le compte de Mme Graham seulement et se voulait un appel des deux décisions. Dans l’avis d’appel, au haut de la lettre dactylographiée datée du 20 mai 2011, Mme Graham a mentionné le numéro de dossier des appels et le numéro de dossier des décisions. À la deuxième ligne du document, Mme Graham a affirmé ce qui suit :

 

[traduction] […] J’ai pris le temps d’examiner le résumé du chef d’équipe, appels RPC/AE, et je l’ai comparé à la documentation accessible en ligne provenant de l’ARC concernant la distinction entre employés et entrepreneurs indépendants […] et j’ai déterminé ce qui suit : […]

 

[3]              Mme Graham a ensuite analysé les facteurs habituellement pris en compte à cet égard. Le numéro de dossier des appels et le numéro de dossier des décisions cités par Mme Graham sont identiques à ceux qui figurent au haut des lettres de décision délivrées par le ministre le 23 février 2011.

 

[4]              Le greffe n’a pas assigné de numéro d’appel en matière de pensions (CPP) à l’appel de Mme Graham, étant donné que le corps de sa lettre n’indiquait pas expressément que la décision rendue en vertu du Régime était également contestée.

 

[5]              L’appelante et l’avocat de l’intimé ont convenu que l’avis d’appel et la réponse à l’avis d’appel (la « réponse ») produits dans le présent appel pouvaient être utilisés dans un appel de la décision rendue en vertu du Régime. Cependant, pour parer à l’éventualité où cela créerait des problèmes d’ordre procédural et le dépôt d’un nouvel avis d’appel et d’une nouvelle réponse seraient requis, les parties ont convenu que le résultat dans le présent appel en vertu de la Loi serait déterminant quant à la question de savoir si l’emploi ouvrait droit à pension.

 

[6]              Mme Graham a affirmé dans son témoignage qu’elle résidait à North Vancouver, en Colombie-Britannique, et qu’elle exploitait – avec M. McLean – une entreprise de fruits de mer. Elle a renvoyé au paragraphe 6 de la réponse et a convenu que les hypothèses suivantes étaient exactes :

 

[traduction] 6.    Pour décider que la travailleuse avait exercé un emploi assurable auprès de l’appelante durant la période, le ministre s’est appuyé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)                  l’appelante a embauché la travailleuse pour que celle-ci fournisse des services de garde d’enfants à ses deux jeunes enfants;

 

b)                  l’appelante a retenu les services de « Nannies on Call » (« Nannies ») pour l’aider à trouver une bonne d’enfants qualifiée pour ses enfants;

 

c)                  l’appelante a payé un montant unique d’honoraires à Nannies à titre de rémunération de ses services de recommandation de la travailleuse;

 

d)                  les honoraires payés à Nannies correspondaient à 10 % du salaire brut annuel de la travailleuse;

 

e)                  l’appelante et la travailleuse ont signé une entente (l’« entente ») rédigée par Nannies et établissant les grandes lignes de la relation;

 

f)                    l’entente initiale indiquait que la travailleuse travaillerait les lundis, les mercredis et les jeudis, de 14 h à 18 h;

 

g)                  en cours d’emploi, des modifications ont été apportées à l’horaire pour tenir compte de la disponibilité de la travailleuse;

 

[…]

 

i)                   l’appelante n’était pas à la maison lorsque la travailleuse exerçait ses fonctions;

 

j)                   les fonctions de la travailleuse consistaient à assurer la sécurité et le bien-être des enfants, à les ramener de l’école, à préparer des collations, à planifier et à faire avec eux des activités, à ranger leurs effets et à les aider à faire leurs devoirs;

 

k)                 la travailleuse conduisait également les enfants aux lieux de leurs activités parascolaires;

 

                        […]

 

n)                  la travailleuse était tenue de fournir ses services elle-même;

 

o)                  la travailleuse n’avait pas la liberté de s’occuper d’affaires personnelles pendant ses heures de travail prévues;

 

p)                  la travailleuse était payée toutes les deux semaines par chèque;

 

q)                  le taux de rémunération de la travailleuse était fondé sur les normes de l’industrie et sur son propre niveau d’expérience déterminé par Nannies et la travailleuse;

 

                        […]

 

s)                  la travailleuse n’a reçu aucune prime ni indemnité de congé ni aucun autre type d’avantage financier;

 

t)                   la travailleuse fournissait son propre véhicule, et elle était remboursée au taux de 0,52 $ le kilomètre;

 

u)            la travailleuse était rémunérée au taux de 19 $ l’heure;

 

[…]

 

w)                 en vertu de l’entente, la travailleuse touchait sa rémunération régulière lorsque l’appelante et ses enfants étaient en vacances ou lorsque ses services n’étaient pas requis même s’ils étaient prévus à l’horaire;

 

x)         l’appelante avait le dernier mot sur toutes les questions relatives au soin de ses enfants.

 

[7]              En ce qui concerne l’hypothèse énoncée à l’alinéa 6h) selon laquelle la travailleuse exerçait ses fonctions à la résidence de l’appelante, Mme Graham a affirmé que Mme Lejeune avait notamment pour fonctions de prendre les enfants à l’école et de les conduire aux lieux de leurs activités parascolaires conformément à ce qui était indiqué sur un calendrier dans la cuisine puis de les ramener à la maison. Concernant l’hypothèse énoncée à l’alinéa 6l), Mme Graham a affirmé qu’elle n’avait pas déterminé les fonctions de Mme Lejeune ni donné d’instructions quant à la façon dont elles devaient être exercées. Mme Graham a affirmé que, contrairement ce qu’avait présumé le ministre – à l’alinéa 6m) – Mme Lejeune n’avait pas besoin d’une permission pour faire des sorties spéciales comportant un déplacement en voiture jusqu’à un certain endroit, pourvu que l’activité fût prévue durant les heures de classe. Mme Graham a affirmé que le ministre avait présumé à tort que Mme Lejeune avait présenté des factures durant la période pertinente – alinéa 6r) – car aucune n’avait été remise et aucune n’était requise, étant donné que l’entente à court terme entre la famille et la bonne d’enfants – pièce A-1 – énonçait les heures de travail au taux de 19 $ l’heure. À l’occasion, Mme Lejeune apportait ses propres fournitures artistiques ou d’autres articles à la résidence de Mme Graham et de M. McLean lorsqu’elle voulait que les enfants participent à une activité particulière. Mme Graham a affirmé qu’elle avait interviewé Mme Lejeune avant de signer l’entente, datée du 15 septembre 2008, et que l’entente avait été rédigée par Nannies on Call (« NOC »), une entreprise se décrivant comme une petite agence de bonnes pour enfants. L’entente a été signée par Mmes Graham et Lejeune et M. McLean. Mme Lejeune acceptait de fournir ses services 12 heures par semaine à un taux de 19 $ l’heure, et elle devait être payée pour les jours prévus à l’horaire – même lorsque ses services n’étaient pas requis –, y compris lorsque Mme Graham et M. McLean prenaient des vacances. Mme Lejeune était tenue d’utiliser son propre véhicule pour conduire et prendre les enfants à l’école et aux lieux d’autres activités, et elle avait droit à une indemnité de 52 cents le kilomètre, qui tenait compte de toutes réparations et tous frais d’entretien. Mme Graham et M. McLean avaient convenu de rembourser à Mme Lejeune toutes les dépenses autorisées – préalablement approuvées – supportées lorsqu’elle gardait les enfants. L’entente visait la période du 15 septembre 2008 au 26 juin 2009, la date prévue de fin des classes. Bien que l’année scolaire ait pris fin plus tôt, Mme Lejeune a été rémunérée pour les heures de travail prévues à l’horaire même si ses services n’ont pas été requis ni fournis. L’entente énonçait – à la page 2 – [traduction] « La bonne d’enfants sera payée en tant qu’entrepreneur indépendant et aucun relevé T4 ne sera délivré aux fins de l’impôt. La bonne d’enfants (Mme Lejeune) est responsable de ses propres impôts. » Mme Graham a affirmé qu’elle savait que Mme Lejeune fournissait des services à une autre famille les avant-midi des jours prévus à leur entente. Mme Graham a affirmé qu’elle avait embauché une bonne d’enfants à temps plein lorsque les enfants étaient plus jeunes et avait versé les cotisations d’assurance-emploi (« AE ») et les cotisations au Régime de pensions du Canada (« RPC ») ainsi que l’impôt sur le revenu retenu à la source. Mme Graham avait eu recours deux fois auparavant aux services de NOC pour trouver des personnes convenables pour fournir des services de bonne d’enfants de 8 h 30 à 17 h 30 cinq jours par semaine. Elle a affirmé qu’elle s’était fiée à l’avis du personnel de NOC selon lequel Mme Lejeune travaillerait en tant qu’entrepreneur indépendant. Elle a présumé que tel serait le cas, étant donné qu’elle avait été informée que Mme Lejeune avait d’autres clients. Mme Lejeune tenait un registre des kilomètres parcourus dans l’exercice de ses fonctions et, toutes les deux semaines, elle communiquait le total à Mme Graham, qui la remboursait au taux convenu. Mme Graham a affirmé que Mme Lejeune n’avait pas demandé que des sommes soient déduites de sa paye et n’a vu aucune raison de le faire, étant donné que leur entente énonçait clairement que Mme Lejeune était entrepreneur indépendant et qu’elle exploitait une entreprise en tant que bonne d’enfants / prestataire de soins en fournissant ses services à d’autres clients. Mme Graham a invoqué une liasse de courriels – pièce A-2 – échangés entre elle-même et Lisa Bruce, de NOC, en septembre 2008 avant la signature du contrat (pièce A-1). Au cours de ces échanges, plusieurs questions avaient été abordées, notamment les taux de kilométrage, le taux horaire, l’horaire et l’obligation de payer Mme Lejeune pour les heures prévues même lorsque ses services n’étaient pas requis.

 

[8]              Lorsqu’elle a été contre-interrogée par l’avocat de l’intimé, Mme Graham a affirmé qu’il était important qu’elle retienne les services d’une bonne d’enfants compétente, munie d’un permis de conduire valide et d’un véhicule, pour prendre soin de deux enfants – âgés de 8 et 5 ans – et les prendre après l’école, les ramener à la maison ou les conduire aux lieux d’autres activités. Au départ, Mme Graham voulait obtenir les services d’une bonne d’enfants 5 jours par semaine entre 14 h et 18 h, en faisant certains rajustements au besoin, mais elle avait accepté l’offre de Mme Lejeune de travailler ces heures les lundis, mercredis et jeudis. Mme Graham a déclaré qu’elle n’avait pas discuté avec Mme Lejeune de la question de savoir en quelle qualité celle‑ci travaillerait puisque l’entente énonçait qu’elle serait entrepreneur indépendant. Lors des discussions qu’elles avaient eues aux bureaux de NOC, il n’avait pas été question de savoir si Mme Lejeune préférerait fournir ses services à titre d’employée. Mme Lejeune possédait un véhicule utilitaire sport de marque Ford qu’elle utilisait pour son travail. La nourriture pour les enfants et les jouets se trouvaient à la résidence de Mme Graham et de M. McLean, et lorsque Mme Lejeune – qui était très artistique – apportait du matériel à dessin à la maison, elle n’était pas remboursée. Malgré le jeune âge des enfants, ils avaient des devoirs à faire, et Mme Lejeune les encourageait à les faire et elle les y aidait souvent, mais cela ne faisait pas partie de ses fonctions convenues. Mme Lejeune conduisait les enfants à des parties de soccer et à des cours de karaté, mais elle avait le choix de ne pas les y conduire si des circonstances particulières l’exigeaient. Mme Graham a affirmé qu’elle n’était pas présente, de sorte qu’elle ne donnait pas d’instructions quotidiennement à Mme Lejeune mais lui parlait à la fin de la journée de travail. Mme Graham a affirmé qu’elle ne se rappelait pas que Mme Lejeune l’ait appelée pour lui demander la permission d’annuler une activité prévue pour les enfants. Mme Lejeune n’était pas tenue de préparer le souper pour les enfants, mais Mme Graham avait suggéré que Mme Lejeune leur donne une collation tout de suite après l’école pour éviter qu’ils soient turbulents durant le retour à la maison. Aucune instruction précise n’avait été donnée à Mme Lejeune concernant certains aliments ou gâteries, mais Mme Graham avait souligné lors de l’entrevue chez NOC qu’elle s’attendait à ce que Mme Lejeune serve de la nourriture saine aux enfants.

 

[9]              L’appelante a clos sa preuve.

 

[10]         L’avocat de l’intimé a appelé Minou Lejeune à la barre. Elle a affirmé qu’elle avait travaillé comme employée de soutien dans un établissement préscolaire mais qu’elle avait entrepris des recherches qui l’avaient amenée à communiquer avec NOC. Elle leur avait remis son curriculum vitae et un employé de l’agence l’avait interviewée puis l’avait inscrite sur une liste de prestataires de soins aux enfants qualifiée. Mme Lejeune a déclaré qu’un directeur des placements chez NOC affichait une liste de clients éventuels sur un site Web en précisant les jours et les heures de services requis. Mme Lejeune avait autorisé NOC à transmettre son dossier à Mme Graham, et elle avait rencontré Mme Graham et M. McLean chez NOC, où ils avaient discuté des besoins de ces derniers, qui avaient également communiqué des renseignements au sujet des enfants et de leurs passe-temps, leurs intérêts et leurs activités. À la suite de la rencontre, Mme Lejeune avait avisé NOC qu’elle serait disposée à travailler pour Mme Graham et M. McLean. L’agence avait alors préparé le contrat – pièce A-1 – et l’avait envoyé à Mme Lejeune, qui l’avait signé, tout comme Mme Graham et M. McLean. Au début du contrat, Mme Lejeune travaillait comme travailleuse de relève les avant-midi des jours où elle devait prendre soin des enfants Graham et elle était également employée les autres jours dans un foyer d’accueil et comme commis à temps partiel dans un commerce de détail. En 2010, elle a travaillé comme bonne d’enfants chez une autre famille, de 8 h à 14 h 30, 4 ou 5 jours par semaine – où elle s’occupait d’un enfant âgé de 8 mois. Elle a demandé 19 $ l’heure pour ses services, ce qui correspondait au taux que le représentant de NOC avait suggéré comme étant adéquat eu égard à l’expérience et aux qualifications de Mme Lejeune. Mme Graham et M. McLean ont accepté ce taux. Mme Lejeune a affirmé que le représentant de l’agence avait expliqué qu’une bonne d’enfants potentielle avait le choix de travailler soit en tant qu’employé ou en tant qu’entrepreneur indépendant. Elle a été informée que Mme Graham voulait qu’elle fournisse ses services de bonne d’enfants en tant qu’entrepreneur indépendant, ce qu’elle a accepté, bien qu’elle ne comprît pas la distinction. Mme Lejeune a affirmé qu’elle travaillait actuellement comme bonne d’enfants et qu’elle avait dû déclarer faillite en raison de problèmes financiers liés à des fuites dans un condominium. Mme Lejeune a affirmé que Mme Graham la payait toutes les deux semaines pour chaque jour prévu au contrat mais qu’elle n’était pas payée lorsqu’elle était malade ou ne pouvait pas se présenter pour quelque autre raison que ce soit, auquel cas elle avisait NOC. Le travail était exécuté à la résidence de Mme Graham et de M. McLean ou aux lieux des activités parascolaires. Conformément à son entente, Mme Lejeune était chargée d’assurer la sécurité et le bien-être des enfants et de leur donner des collations durant le retour de l’école à la maison, et elle les aidait à faire leurs devoirs. De temps à autre, Mme Graham ou M. McLean la rejoignait au lieu d’une activité. Les activités des enfants étaient indiquées sur un calendrier dans la cuisine, et Mme Lejeune utilisait les services de Google Maps pour s’orienter. Mme Lejeune a affirmé qu’elle n’avait pas exercé son choix d’annuler l’activité d’un enfant et que, lorsqu’une question la préoccupait, elle téléphonait à Mme Graham ou à M. McLean pour obtenir des instructions. Elle s’est souvenue d’une fois où leur fils voulait rester à la maison plutôt que d’aller faire une activité prévue, mais ses parents avaient donné comme consigne à Mme Lejeune de l’y conduire. Les collations prises durant le retour de l’école à la maison étaient préparées par Mme Lejeune avec des aliments qu’elle trouvait à la résidence, et elles étaient composées de fruits, de légumes et de céréales, conformément aux instructions de Mme Graham selon lesquelles Mme Lejeune ne devait pas donner de bonbons ni de biscuits aux enfants. Mme Lejeune a affirmé qu’elle parlait à Mme Graham chaque jour avant que celle-ci aille travailler et qu’elles se laissaient des notes l’une à l’autre à l’occasion. À l’époque où Mme Lejeune travaillait comme bonne d’enfants pour une autre famille – durant la période pertinente –, NOC lui avait fourni des cartes de visite, mais son nom n’y figurait pas. Mme Lejeune a affirmé qu’elle n’utilisait aucun nom commercial, qu’elle ne facturait pas la taxe sur les produits et services (la « TPS ») et qu’elle ne possédait pas de permis d’exploitation d’une entreprise. Elle ne possédait pas de qualifications reconnues en tant qu’éducatrice de la petite enfance.

 

[11]         L’appelante n’a pas contre-interrogé Mme Lejeune.

 

[12]         L’intimé a clos sa preuve.

 

[13]         L’appelante a soutenu que le contrat écrit énonçait clairement que Mme Lejeune fournirait ses services de bonne d’enfants en tant qu’entrepreneur indépendant. Toutes deux ont eu recours aux services de NOC pour établir les conditions de leur entente, notamment quant au taux horaire. De l’avis de NOC, la relation de travail était compatible avec un statut d’entrepreneur indépendant, et cela était acceptable pour toutes les parties. Ce statut semblait raisonnable étant donné que Mme Lejeune avait d’autres sources de revenu à titre de prestataire de soins pour d’autres personnes ou entités durant la période pertinente et qu’elle exerçait un contrôle sur ses différents horaires de travail. Mme Lejeune fournissait son propre véhicule pour ramener les enfants de l’école et les conduire aux lieux de leurs activités et, à l’occasion, elle fournissait ses propres fournitures artistiques pour une activité. L’appelante a soutenu qu’aucun contrôle n’avait été exercé sur les tâches exécutées par Mme Lejeune, qui était censée respecter ses engagements contractuels.

 

[14]         L’avocat de l’intimé a soutenu que les circonstances entourant la relation de travail tendaient à indiquer l’existence d’une relation employeur-employé. Il ressortait d’une analyse comportant une application aux faits des facteurs requis selon la jurisprudence pertinente que la travailleuse n’était pas un entrepreneur indépendant exploitant une entreprise pour son propre compte. Bien que Mme Graham et M. McLean, d’une part, et Mme Lejeune, d’autre part, aient accepté – de bonne foi – l’avis de NOC et aient signé l’entente énonçant que la travailleuse aurait le statut d’entrepreneur indépendant, les faits ne concordaient pas avec une telle qualification, et le ministre ne saurait être lié par cette entente.

 

[15]         Dans des affaires récentes dont Wolf v. The Queen, 2002 DTC 6853, Royal Winnipeg Ballet c. M.R.N., 2006 CAF 87 (CanLII) (« Royal Winnipeg Ballet »), Vida Wellness Corporation (Vida Wellness Spa) c. M.R.N., [2006] A.C.I. n° 570 et City Water International Inc. c. Canada, 2006 CAF 350 (CanLII) (« City Water »), aucune question n’était soulevée à cet égard étant donné l’intention mutuelle clairement exprimée des parties selon laquelle la personne qui fournirait les services le ferait en tant qu’entrepreneur indépendant et non en tant qu’employé. Dans le présent appel, malgré le libellé clair de l’entente écrite, la travailleuse soutient qu’elle s’est fiée à l’avis de l’agence, qu’elle n’a pas bien saisi la distinction et qu’elle n’a pas exploité une entreprise mais plutôt fournit ses services en tant qu’employée pendant toute la période pertinente.

 

[16]         Dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 (« Sagaz »), la Cour suprême du Canada était saisie d’une affaire de responsabilité du fait d’autrui et, dans son examen de diverses questions pertinentes, la Cour suprême devait aussi se pencher sur ce qui constituait un entrepreneur indépendant. La décision de la Cour suprême a été rendue par le juge Major, qui a examiné l’évolution de la jurisprudence dans le contexte de l’importance de la distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant au regard de la question de la responsabilité du fait d’autrui. Après avoir cité les motifs du juge MacGuigan dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1986] 3 C.F. 553 et la mention qui y était faite du critère de l’organisation du lord Denning – et de la synthèse du juge Cooke dans la décision Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 –, le juge Major a affirmé, aux paragraphes 47 et 48 de l’arrêt :

 

47        Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui‑même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

48        Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

.

 

[17]         J’examinerai les faits dans les présents appels au regard des facteurs énoncés par le juge Major dans l’arrêt Sagaz.

 

Degré de contrôle

 

[18]         La nature des services fournis par la travailleuse était telle qu’en tant que bonne d’enfants, elle devait tabler sur ses propres compétences, formation et expérience et exercer son propre jugement pour prendre soin des enfants en l’absence de leurs parents. C’est précisément pour cette raison que les gens ont recours aux services d’une bonne d’enfants qualifiée. Comme le prévoit l’entente, la principale priorité de la travailleuse était de veiller à la santé, à la sécurité et au bien-être des enfants. Elle était également tenue de [traduction] « ranger les objets que les enfants et elle-même utilisaient afin de garder la maison en ordre ». Mme Lejeune devait prendre les enfants après l’école et les ramener à la maison ou les conduire au lieu d’une autre activité, les attendre, puis les ramener à la maison pour superviser leurs devoirs ou faire d’autres activités avec eux. Il y avait un désaccord quant aux éléments de preuve concernant la possibilité pour la travailleuse d’annuler de sa propre initiative une activité prévue, mais il semblerait que ce type de situation – à supposer qu’elle se soit présentée – ait été rare, et cela ne constitue pas une préoccupation majeure dans la présente analyse.

 

Fourniture d’outillage et embauche d’assistants

 

[19]         Le véhicule utilitaire sport de marque Ford de la travailleuse constituait un outil important. La travailleuse en avait besoin pour fournir ses services. Mme Lejeune a choisi d’utiliser son propre matériel de dessin et ses propres fournitures artistiques de temps à autre, mais elle n’était pas tenue de le faire, et les ingrédients nécessaires pour préparer les collations et les déjeuners se trouvaient dans la résidence de Mme Graham et de M. McLean. Il était évident que Mme Lejeune devait fournir elle‑même les services de bonne d’enfants.

 

Étendue des risques financiers et responsabilité à l’égard des mises de fonds et de la gestion

 

[20]         La travailleuse ne prenait aucun risque financier étant donné que l’entente exigeait que Mme Lejeune soit payée pour le temps prévu, peu importe qu’elle ait travaillé ou non les heures ou les jours stipulés, si ses services n’étaient pas requis. Elle était payée 52 cents le kilomètre pour conduire et, même en tenant compte du prix de l’essence durant la période pertinente et de la consommation d’un plus vieux modèle de véhicule utilitaire sport de marque Ford, ce taux était suffisant pour rembourser à Mme Lejeune le coût du carburant et les dépenses connexes attribuables au temps travaillé pour Mme Graham et M. McLean. Si une dépense donnée liée aux activités des enfants était préalablement autorisée, la travailleuse était remboursée. Mme Lejeune n’était tenue d’investir aucune somme pour accomplir son travail, et elle n’avait aucun autre travailleur à gérer dans l’exercice de ses fonctions en tant que bonne d’enfants.

 

Possibilité de tirer profit de l’exécution des tâches

 

[21]         La travailleuse était payée 19 $ l’heure pour les heures prévues. Elle ne pouvait pas gagner plus que cela, et l’entente expirait le 26 juin 2009. Bien que ses services aient cessé d’être requis un peu avant cette date, elle a été payée pour les heures qu’elle aurait travaillées jusqu’à cette date.

 

[22]         Dans l’arrêt Standing c. M.R.N., [1992] A.C.F. no 890, le juge Stone a affirmé :

 

[…] Rien dans la jurisprudence ne permet d’avancer l’existence d’une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l’arrêt Wiebe Door. […]

 

[23]         Dans le présent appel, ce principe n’est pas modifié par l’intervention d’un tiers – NOC –, agissant comme courtier ou intermédiaire, qui a prétendu – expressément ou implicitement – qualifier le statut de Mme Lejeune dans le cadre de la relation de travail.

 

[24]         Dans l’arrêt City Water, précité, le juge Malone a exposé le contexte factuel aux paragraphes 5 à 12 :

 

[5]               City Water vend et loue des purificateurs d’eau (les purificateurs) à des entreprises et à des particuliers. L’Agence du revenu du Canada a délivré des avis de cotisation à City Water pour les années d’imposition 2002 et 2003, le calcul desquelles tenait pour acquis que certains des travailleurs occupaient des emplois assurables et ouvrant droit à pension.

 

[6]               City Water fournit à ses clients deux services distincts : l’installation des purificateurs et par la suite leur entretien et leur réparation. Le présent appel ne concerne que les travailleurs qui entretiennent et réparent les purificateurs (les travailleurs en entretien). Les contrats d’embauche de ces travailleurs ont été conclus oralement. Les modalités de leur emploi ont été définies par l’administration de City Water et chaque travailleur les a approuvées avant de commencer à travailler. Dès le début, City Water a clairement fait savoir aux travailleurs en entretien qu’ils étaient embauchés à titre de travailleurs autonomes.

 

[7]               Les travailleurs en entretien effectuaient tant des travaux de routine que des travaux d’urgence chez les clients de City Water. Pour les travaux de routine, ils recevaient une liste des clients qu’il fallait visiter dans les 30 jours suivants et ils pouvaient ensuite établir à leur guise l’horaire de ces visites pendant cette période. Ils avaient la liberté de planifier leur trajet et d’assurer le service comme il leur convenait et ils n’avaient pas à effectuer un nombre préétabli de visites par jour ou par semaine. Pour ce qui est des visites d’urgence, elles devaient être effectuées le plus tôt possible. Ces travaux d’urgence étaient payés à part aux employés qui les avaient effectués.

 

[8]               Aucun représentant de City Water n’allait chez le client pour superviser ou inspecter les travaux effectués par les travailleurs en entretien.

 

[9]               Comme il avait été convenu à leur embauche, les travailleurs en entretien n’avaient pas droit au paiement de vacances, d’heures supplémentaires ou de congés de maladie. Ils ne bénéficiaient d’aucun avantage social et aucune retenue salariale n’était effectuée. Ils devaient envoyer des factures et justifier le travail effectué, les heures travaillées et les dépenses réclamées, et ils étaient payés à l’heure selon des taux différents. Ils n’étaient pas tenus de se rendre quotidiennement au bureau de City Water. City Waters tenait des réunions mensuelles à Toronto afin d’informer les travailleurs en entretien des nouveaux produits, afin de payer le travail effectué et afin d’attribuer les tâches pour le mois à venir. La présence à ces réunions n’était pas obligatoire.

 

[10]           Les travailleurs en entretien ne devaient avoir qu’un tournevis et une clé à molette. City Water leur fournissait tous les autres outils de travail, comme un sceau, des éponges, des serviettes, des pastilles pour tester l’eau, des gants, du désinfectant, du nettoyant pour verre, des filtres de rechange, une clé de plastique pour les filtres et un appareil pour mesurer la teneur en métaux de l’eau.

 

[11]           Les travailleurs en entretien devaient également fournir leur propre véhicule automobile, ou leur propre bicyclette s’ils travaillaient au centre-ville de Toronto. Beaucoup d’entre eux parcouraient de grandes distances dans la région du Grand Toronto et ailleurs afin de fournir les services. Ils assumaient les coûts de l’assurance et de l’entretien de leur véhicule ou de leur bicyclette. Certaines dépenses leur étaient remboursées, comme l’essence et le stationnement, et ils recevaient chaque mois une indemnité pour usage de leur véhicule personnel lorsqu’ils parcouraient plus de 100 kilomètres.

 

[12]           Dans la ville de Toronto, les travailleurs, s’ils n’avaient pas à être rappelés pour reprendre le travail, recevaient une prime de rendement de 200 $, dont étaient déduits 50 $ par rappel jusqu’à ce que les 200 $ soient épuisés.

 

[25]         Lorsqu’il a examiné les éléments de preuve, le juge Malone a estimé que le critère du contrôle avait peu de poids en raison de la simplicité de la tâche exécutée par les travailleurs, et il a affirmé que l’aspect « contrôle » de l’analyse tendait à indiquer qu’il s’agissait d’un contrat d’entreprise. City Water fournissait presque tout l’équipement nécessaire, mais la vaste majorité des travailleurs fournissaient leurs propres véhicules, qui étaient essentiels à la tâche et représentaient un investissement majeur. Le juge Malone a statué que cela militait en faveur de la conclusion que les travailleurs engagés étaient des entrepreneurs indépendants. Il n’y avait aucune possibilité de profit parce que les travailleurs étaient payés à l’heure et leur chance de profit était complètement attribuable à City Water. Même si les travailleurs avaient la possibilité – par leur ardeur au travail – de gagner une prime de 200 $, cela n’a pas été considéré comme une possibilité de tirer un profit donnée à quelqu’un qui exploitait une entreprise. En fait de prise de risques financiers, le juge Malone a conclu qu’il n’y en avait aucun étant donné que les travailleurs obtenaient le remboursement de différentes dépenses et touchaient une indemnité mensuelle au titre de l’utilisation de leur voiture. Ils ne couraient aucun risque de non-paiement étant donné qu’ils étaient rémunérés pour leur travail même si le client ne payait pas la facture présentée par City Water.

 

[26]         Le juge Malone a dû traiter de la question de l’intention des parties. Du paragraphe 27 au paragraphe 31, il a affirmé :

 

[27]      Le bilan des facteurs analysés ci‑dessus ne donne pas un résultat clair. Par conséquent, il est nécessaire d’établir la valeur qu’il faudrait accorder à l’intention de City Water et des travailleurs en entretien au moment de la conclusion du contrat.

 

[28]      S’il peut être établi que les modalités du contrat, examinées dans le contexte factuel approprié, sont conformes à la relation juridique que les parties souhaitaient établir, alors il ne peut être fait abstraction de leur déclaration d’intention (voir l’arrêt Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national, 2006 CAF 87 (CanLII), 2006 CAF 87, au paragraphe 61). Royal Winnipeg n’était pas tranché quand le juge a rendu sa décision.   

 

[29]      Royal Winnipeg reprend essentiellement les principes de droit énoncés par la Cour dans l’arrêt Wolf, précité au paragraphe 15. Dans cette affaire, la Cour devait trancher la question de savoir si M. Wolf était un employé ou un entrepreneur indépendant. Le juge Noël, qui était d’accord avec la juge Desjardins quant à la décision à rendre, mais qui avait procédé à une analyse différente, a affirmé aux paragraphes 122 à 124 :

 

[…] Mais, dans une issue serrée comme en l’espèce, si les facteurs pertinents pointent dans les deux directions avec autant de force, l’intention contractuelle des parties et en particulier leur compréhension mutuelle de la relation ne peuvent pas être laissées de côté.

 

[…] Mon évaluation de l’ensemble de la relation entre les parties ne n’amène pas à une conclusion claire et c’est pourquoi, selon moi, il faut examiner la façon dont les parties voyaient leur relation.

 

[…] Il s’ensuit que la manière dont les parties ont pu voir leur entente doit l’emporter à moins qu’elles ne se soient trompées sur la véritable nature de leur relation. À cet égard, la preuve, lorsqu’elle est évaluée à la lumière des critères juridiques pertinents, est pour le moins neutre. Comme les parties ont estimé qu’elles se trouvaient dans une relation d’entrepreneur indépendant et qu’elles ont agi d’une façon conforme à cette relation, je n’estime pas que la juge de la Cour de l’impôt avait le loisir de ne pas tenir compte de cette entente […]

 

[30]      Donc, il ne convient d’accorder de la valeur à l’intention des parties que si le contrat reflète de façon satisfaisante la relation juridique qui les unit (voir Royal Winnipeg, au paragraphe 81). En l’espèce, il n’existe aucun accord écrit prétendant qualifier la relation juridique entre les travailleurs en entretien et City Water. Toutefois, les parties concevaient de la même façon la nature de leur relation. Selon la preuve, les deux parties croyaient que les travailleurs étaient autonomes et chacune a agi en conséquence. 

 

[31]      Selon mon analyse, puisque les facteurs pertinents ne suggèrent pas de résultat clair, le juge aurait dû accorder plus d’importance à l’intention des parties en l’espèce. Le juge devait examiner les facteurs à la lumière de la preuve non contestée et se demander si, dans l’ensemble, les faits concordaient avec la conclusion voulant que les travailleurs soient des personnes « travaillant à leur compte » (voir Sagaz, précité au paragraphe 3) ou s’ils concordaient plus avec la conclusion voulant que les travailleurs soient des employés. En omettant de ce faire, il a commis une erreur manifeste et dominante sur une question mixte de droit et de fait. S’il avait procédé à cette analyse, à mon sens, il n’aurait eu d’autre choix que de conclure que City Water n’était pas l’employeur des travailleurs en entretien.

 

[27]         Le juge O’Connor a entendu l’appel Gati c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.I. no 166 concernant une éducatrice de la petite enfance qui avait été recommandée par une agence de placement et possédait une formation en matière d’éducation de la petite enfance. La travailleuse possédait sa propre voiture, et elle s’occupait de deux jeunes enfants chez les payeurs. Au début de la relation de travail, la travailleuse avait signé une entente prévoyant une rémunération fixe de 500 $ à la quinzaine sans aucune déduction. La plupart des dépenses étaient payées par les parents, mais, à l’occasion, la travailleuse payait les déjeuners et d’autres dépenses. À un certain moment vers le début de la relation de travail, les parties dans cette affaire avaient discuté de la question de savoir si des déductions devraient être faites au titre de l’assurance-emploi, du RPC et de l’impôt sur le revenu et, après avoir décidé que ce devrait être le cas, les parties avaient ensuite changé d’avis et étaient revenues à leur entente initiale. La travailleuse devait fournir elle-même les services de garde d’enfants, mais elle ne recevait pas d’instructions strictes quant aux activités des enfants. Aux paragraphes 18 à 21 inclusivement de la décision, le juge O’Connor a affirmé :

 

18        Bien que le degré de contrôle sur les activités quotidiennes ne fut pas déterminé par les parents des enfants, les soins apportés à de jeunes enfants par une gardienne ou une bonne d’enfants instruite et expérimentée ne nécessitaient pas que les Gati fixent une routine quotidienne. La travailleuse savait en quoi consistaient ses tâches, notamment, s’occuper des enfants à la maison comme à l’extérieur de la maison. La plus grande partie des tâches s’effectuait dans la maison.

 

19        Pour ce qui est des instruments de travail, les principaux outils étaient la maison elle-même et l’ensemble de son contenu qui étaient utilisés afin de voir au repas, aux soins, au sommeil au divertissement et à la supervision des enfants. Les outils fournis par la travailleuse étaient minimaux. Il est clair que celle-ci prenait sa voiture pour aller travailler et qu’elle s’en servait à l’occasion pour les sorties des enfants mais, comme on l’a mentionné, les instruments de travail principaux étaient de loin la résidence et son contenu.

 

20        En ce qui concerne les profits et les pertes, la travailleuse n’avait aucune possibilité de profit ni aucun risque de perte. Celle-ci s’occupait des enfants avec la seule réserve qu’elle devait aussi s’occuper de sa propre fille. Plus précisément, celle-ci ne dirigeait pas une entreprise de gardienne d’enfants où les gens allaient porter leurs enfants à la maison de la travailleuse qui, dans une telle situation, aurait eu la possibilité de prendre d’autres enfants (ce qu’elle ne faisait pas dans le cadre de cette fonction) et ainsi d’avoir une possibilité de réaliser un profit.

 

21        Cela nous amène au critère de l’intégration et à la question que l’on se pose habituellement dans le cadre de ce critère, « À qui appartient l’entreprise? ». En ce qui concerne l’activité qui consiste à s’occuper d’enfants, il ne convient pas de comparer directement cette activité à une entreprise. Toutefois, les gardiens légaux des enfants sont les parents, et la travailleuse effectuait cette tâche de donner des soins à la place et au nom des parents. Par conséquent, les services de gardienne faisaient partie intégrante des tâches des parents.

 

[28]         Les faits de l’affaire Mohr c. (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1997] A.C.I. no 1252 étaient similaires. Aux paragraphes 11 à 16 de la décision, le juge Mogan a formulé les commentaires suivants :

 

11        En ce qui concerne la question du contrôle, ce critère milite en faveur de l’existence d’un emploi par opposition à un travail effectué par un entrepreneur indépendant parce que les heures étaient fixées par l’appelante et que le service devait être fourni de façon à accommoder l’appelante et son mari, soit de 7 h 30 à 17 h 30. L’appelante assignait les tâches et celles-ci devaient être accomplies à sa satisfaction tant en ce qui concerne les soins physiques comme le fait de faire manger les enfants et de les laver et de faire la lessive, que les soins émotionnels à apporter dans une atmosphère où les enfants pouvaient se sentir en sécurité et à l’aise. Il existait un certain contrôle parce qu’en 1995, l’aîné aurait eu cinq ans et pouvait se plaindre à sa mère. Colin et Spencer auraient tous les deux pu se plaindre à leurs parents en 1995 et en 1996 s’ils n’étaient pas heureux ou si Shelley les avait traités d’une façon irresponsable. Par conséquent, bien qu’il n’y ait pas eu de supervision directe pendant la journée de dix heures, il existait un mécanisme de contrôle lorsqu’il s’agissait de savoir si l’on prenait soin des enfants d’une façon responsable et sûre et dans une atmosphère agréable. Quant au critère du contrôle, je crois qu’il milite en faveur de l’existence d’un emploi plutôt que d’un travail effectué à titre d’entrepreneur indépendant.

 

12        En ce qui concerne la propriété des instruments de travail, ma première réaction est qu’on ne songe pas à des instruments dans le cas de services comme ceux-ci. Les instruments, dans un lieu de travail, sont habituellement des outils à la main, comme le marteau et la scie du menuisier, ou les outils du machiniste, comme un tour ou une perceuse à colonne. On ne songe pas à des instruments de travail dans le cas de la garde d’enfants, mais si l’on attribue à cette expression un sens plus large, c’est-à-dire qu’elle s’applique à des articles qui permettent de fournir un service, il s’agirait de la vaisselle et de la coutellerie utilisées pour nourrir les enfants, de la cuisinière servant à faire chauffer les aliments, des jouets, des couches, parce qu’il s’agit d’articles nécessaires lorsqu’on s’occupe d’un enfant en bas âge, ainsi que d’une fourgonnette pour transporter les enfants si l’on veut faire des sorties. Étant donné que tous ces « instruments de travail » appartenaient à l’appelante et étaient fournis par cette dernière, ce critère milite en faveur de l’existence d’un emploi.

13        Le troisième critère se rapporte aux chances de bénéfice et aux risques de perte. À cet égard, l’appelante soutient que la possibilité pour Shelley de s’occuper d’autres enfants comme Amanda, Ben et Heidi, et Nicholas, ou de refuser de le faire, est une chance pour elle d’augmenter son revenu. Il est certain que Shelley pouvait le faire si l’appelante le lui permettait, mais je ne crois pas que ce soit le fait pertinent lorsqu’il s’agit d’appliquer le critère des chances de bénéfice ou des risques de perte. Je ne puis constater aucun risque de perte parce que, dans la mesure où les tâches assignées étaient accomplies, la rémunération quotidienne de 50 $ était versée. La rémunération n’était pas fixe, comme un taux horaire, mais elle était tout aussi sûre que le salaire horaire ou le salaire quotidien ou hebdomadaire qui pourrait être versé lorsque d’autres genres de services sont fournis. J’estime que les chances de bénéfice et les risques de perte militent en faveur de l’existence d’un emploi parce que la rémunération était garantie et qu’il n’y avait pas de risques de perte. La question de savoir si Shelley était prête à s’occuper d’autres enfants ne dépendait que d’elle et des parents des autres enfants. À mon avis, cela n’influe pas sur la relation permanente établie entre Shelley et l’appelante.

 

14        Comme les parties l’ont fait savoir dans leurs plaidoiries, le critère d’intégration n’est pas pertinent en l’espèce. Shelley était la principale pourvoyeuse de soins pour le compte de l’appelante.

 

15        Il est intéressant de noter de quelle façon cette affaire a pris naissance parce que, à mon avis, et je crois que cela ressort clairement du témoignage de l’appelante, Shelley et l’appelante n’ont jamais considéré ce service comme donnant lieu à un emploi assurable. Cette idée ne leur était tout simplement jamais venue à l’esprit et elles n’y auraient pas songé si ce n’avait été du fait que Shelley s’est rendue au Centre d’emploi du Canada pour se renseigner sur certains programmes dont elle pourrait se prévaloir. Par suite de sa demande de renseignements, un agent du Centre lui a demandé, comme il était logique de le faire, si elle exerçait un emploi assurable et ce qu’elle faisait. Après que Shelley eut raconté son histoire, toute une série d’enquêtes ont été faites en vue de savoir si le service qu’elle fournissait à l’appelante donnait lieu à un emploi assurable et, après de longues démarches, les parties se sont retrouvées devant cette cour.

 

16        Je conclus en droit que Shelley exerçait un emploi assurable. C’est ce que dit la jurisprudence. Toutefois, j’aimerais ajouter que je ne puis concevoir qu’au moment où la législation a d’abord été édictée à la fin des années 1940 ou au moment où elle a été révisée, comme elle l’a été de temps en temps, je ne puis croire qu’on ait considéré, si ce n’est récemment, que le travail occasionnel d’une personne qui garde des enfants à domicile constitue un emploi assurable, rendant cette personne admissible aux prestations d’assurance-chômage. Nous vivons dans une société où les lois et règlements constituent de plus en plus une intrusion exagérée dans la vie des citoyens. Nous avons ici le cas d’une personne qui veut perfectionner ses connaissances et qui se renseigne sur le genre d’aide disponible, ce qui déclenche toute une série de conséquences, de sorte que Shelley et l’appelante se trouvent soudainement non seulement dans une relation employeur‑employé, mais aussi dans une relation qui donne lieu à la nécessité de retenir et de verser des cotisations d’assurance-chômage et des cotisations au Régime de pensions du Canada. Cela montre jusqu’à quel point la société est réglementée d’une façon outrancière. Cependant, ce ne sont pas les juges qui édictent les lois; ils ne font que les interpréter et les appliquer à certaines situations, comme je me vois obligé de le faire en l’espèce. C’est avec réticence que je statue que Shelley exerçait un emploi assurable en 1995, en 1996 et en 1997 et que je rejette les appels.

 

[29]         Selon mon appréciation des circonstances inhérentes à la relation de travail, les facteurs pertinents militent en faveur d’une conclusion selon laquelle les parties avaient une relation employeur‑employée. Même si l’entente visait à conférer la qualité d’entrepreneur indépendant à Mme Lejeune – la prestataire de services –, les parties n’ont pas traité des conséquences de cette décision et se sont fiées à l’avis de l’agence. La question de l’intention devrait être examinée si les critères juridiques – appliqués correctement – ne donnaient pas de résultat clair dans le contexte de la relation prise dans son ensemble. Même s’il s’était agi d’un cas limite, il n’y a eu aucun véritable accord des volontés concernant la question du statut, et la conduite ultérieure des parties, bien qu’elle ait été conforme aux conditions de leur entente, était incompatible avec celle d’une personne qui fournit des services à d’autres dans le contexte de l’exploitation d’une entreprise pour son propre compte. Le fait que Mme Lejeune a eu d’autres emplois comme prestataire de soins à des adultes et comme bonne d’enfants et qu’elle a travaillé à temps partiel comme commis dans un commerce de détail n’équivaut pas à l’exploitation d’une entreprise. Mme Lejeune était une bonne d’enfant embauchée par l’intermédiaire d’une agence pour exercer des fonctions précises en mettant à profit ses propres compétences et formation, à un taux horaire et selon un horaire rigide pendant une durée déterminée. À deux occasions auparavant, par l’intermédiaire de l’agence – NOC –, Mme Graham avait obtenu les services d’une bonne d’enfants avec laquelle elle avait établi une relation employeur-employée. Mme Lejeune avait toujours été une employée lorsqu’elle avait travaillé comme éducatrice de la petite enfance, prestataire de soins ou bonne d’enfants. Il n’y avait rien dans les antécédents des parties ni aucune modification des modalités de prestation des services à fournir ou de la rémunération ni aucun autre facteur important qui aurait dû les amener à considérer que le statut de travail éventuel de Mme Lejeune en vertu de leur entente pourrait constituer autre chose qu’une relation employeur-employée. De bonne foi et pour satisfaire à leurs besoins mutuels, ils ont accepté l’avis de NOC. Ces paroles de Paul Simon dans la chanson I Know What I Know me viennent à l’esprit : « Who am I to blow against the wind? » (« Qui suis-je pour souffler contre le vent? »).

 

[30]         Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision du ministre concernant l’assurabilité de l’emploi de Mme Lejeune est bien fondée, et elle est par les présentes confirmée.

 

[31]         Le présent appel est rejeté et, tel qu’il est mentionné au début des présents motifs, les parties ont accepté d’être liées par ce résultat relativement à la décision rendue au regard du Régime.

 

 

          Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 14e jour de décembre 2011.

 

 

« D. W. Rowe »

Juge suppléant Rowe

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de mars 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 565

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2011-1623(EI)

 

INTITULÉ :                                       LOUISE C. GRAHAM c. M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 21 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge suppléant D. W. Rowe

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 14 décembre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimé :

Me Kristian DeJong

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     

 

                          Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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