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Dossier : 2005-469(IT)G

ENTRE :

CANWEST MEDIAWORKS INC.

(société ayant remplacé CanVideo Television Sales (1983) Limited à la suite d’une fusion),

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 11 octobre 2006, à Toronto (Ontario), par

l’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Me Ian S. MacGregor et

Me Kimberley J. Wharram

Avocat de l’intimée :

Me Donald G. Gibson

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 1997 est accueilli, et la nouvelle cotisation datée du 16 août 2004 est annulée pour le motif qu’elle a été établie après l’expiration de la période maximale de nouvelle cotisation prévue dans l’Accord Canada-Barbade en matière d’impôt sur le revenu de 1980. L’appelante a droit aux dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’octobre 2006.

 

 

« Campbell J. Miller »

Juge Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’avril 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

 

 

 

 

Référence : 2006CCI579

Date : 20061024

Dossier : 2005-469(IT)G

ENTRE :

 

CANWEST MEDIAWORKS INC.

(société ayant remplacé CanVideo Television Sales (1983) Limited à la suite d’une fusion),

 

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Miller

 

[1]  L’appelante, Canwest Mediaworks Inc., est la société qui a remplacé CanVideo Television Sales (1983) Limited (la société « CanVideo ») à la suite d’une fusion. Canwest International Communications Inc. (la société « CICI ») était une société résidente de la Barbade et une société étrangère affiliée contrôlée (une « SEAC ») de CanVideo pendant la période en question. Le ministre du Revenu national (le « ministre »), en se fondant sur les dispositions concernant le revenu étranger accumulé, tiré de biens (le « REATB »), figurant à l’article 91 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 1997 de  CanVideo dans les délais prévus dans la législation nationale du Canada (en raison d’une renonciation), mais après l’expiration du délai de cinq ans prévu au paragraphe XXVII(3) de l’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu de 1980 (l’« Accord »). Le ministre défend la nouvelle cotisation en faisant valoir l’argument voulant que le paragraphe XXX(2) de l’Accord prime sur le paragraphe XXVII(3).

 

 

[2]  Les paragraphes XXVII(3) et XXX(2) de l’Accord sont rédigés en ces termes :

 

XXVII(3) Un État contractant n’augmentera pas la base imposable d’un résident de l’un ou l’autre État contractant en y incluant des éléments de revenu qui ont déjà été imposés dans l’autre État contractant, après l’expiration des délais prévus par sa législation nationale et, en tout cas, après l’expiration de cinq ans à dater de la fin de la période imposable au cours de laquelle les revenus en cause ont été réalisés. Le présent paragraphe ne s’applique pas en cas de fraude, d’omission volontaire ou de négligence.

 

[…]

 

XXX(2) Aucune disposition du présent Accord ne peut être interprétée comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur les montants inclus dans le revenu d’un résident du Canada en vertu de l’article 91 de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada.

 

[3]  La seule question en litige est de savoir si le délai de prescription prévu au paragraphe XXVII(3) s’applique en l’espèce, ou bien si les dispositions du paragraphe XXX(2) priment sur celles du paragraphe XXVII(3), ce qui permettrait au ministre d’établir une nouvelle cotisation après l’expiration du délai de prescription de cinq ans. Je conclus que le délai de prescription s’applique en l’espèce et que la nouvelle cotisation du ministre a été établie trop tard.

 

[4]  Les parties ont produit un exposé conjoint des faits qui vient préciser le bref énoncé factuel qui précède. En voici des extraits :

 

[TRADUCTION]

 

6.  Au cours de son année d’imposition se terminant le 31 août 1996 (l’« année d’imposition 1996 de CICI »), en plus de tous ses autres revenus, CICI a gagné des intérêts sur des bons du Trésor et des dépôts effectués à la Banque Royale du Canada (collectivement, les « dépôts à la RBC ») s’élevant à un montant global de 659 974 $CAN (les « intérêts de la RBC »).

 

7.  Dans la détermination de l’impôt que CICI avait à payer à la Barbade pour l’année d’imposition 1996, les intérêts de la RBC ont été inclus dans le revenu en intérêts. Le 12 septembre 1997, le ministère du Revenu intérieur de la Barbade a établi une cotisation à l’égard de l’année d’imposition 1996 de CICI et a inclus les intérêts de la RBC dans les revenus imposables.  

 

8.  Dans la déclaration de revenus produite par CanVideo pour l’année d’imposition en cause, les intérêts de la RBC n’ont pas été inclus au titre de revenu étranger accumulé, tiré de biens (le « REATB »), au sens de la définition de ce terme donnée au paragraphe 95(1) de la Loi. Rien n’indique que l’omission d’inclure les intérêts de la RBC dans la déclaration de revenus au titre de REATB pour l’année d’imposition en cause constitue une fraude, une omission volontaire ou de la négligence de la part de CanVideo.

 

9.  Le 18 décembre 1997, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a envoyé à CanVideo un premier avis de cotisation pour l’année d’imposition en cause en fonction du fait que les intérêts de la RBC n’avaient pas été inclus au titre de REATB, en application du paragraphe 91(1) de la Loi, dans le calcul de l’impôt à payer par CanVideo pour l’année d’imposition en cause.

 

10.  Dans le présent cas, la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition en cause, au sens du paragraphe 152(3.1) de la Loi, était de quatre ans à partir de la date de mise à la poste du premier avis de cotisation. Cette période a donc pris fin le 18 décembre 2001.

 

11.  Avant la fin de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition en cause, le ministre a demandé une renonciation aux délais de prescription prévus par la Loi à l’égard de nombreuses questions concernant l’année d’imposition, y compris à l’égard du REATB gagné par la SEAC de CanVideo. Le 9 novembre 2001, GCL a accordé au ministre la renonciation demandée à l’égard de CanVideo, permettant ainsi au ministre de poursuivre son examen de l’année d’imposition en cause.

 

12.  Le 16 août 2004, le ministre a envoyé à GCL un avis de nouvelle cotisation à l’égard de CanVideo pour l’année d’imposition en cause (la « nouvelle cotisation »). Dans la nouvelle cotisation, le ministre a augmenté la base imposable de CanVideo pour l’année d’imposition en cause afin d’y inclure le montant de 659 974 $CAN, qui représente les intérêts de la RBC gagnés par CICI au cours de son année d’imposition 1996. Le ministre a considéré ce montant comme un REATB au sens du paragraphe 91(1) de la Loi. Compte tenu de la renonciation, la nouvelle cotisation a été établie avant l’expiration des délais de prescription prévus par la Loi, mais après l’expiration du délai de prescription prévu à l’article XXVII de l’Accord.

 

[…]

 

14.  L’Accord a été signé le 22 janvier 1980 par des représentants du gouvernement du Canada et du gouvernement de la Barbade. Dans l’ensemble, l’Accord est calqué sur le Modèle de Convention de double imposition élaboré en 1977 par l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») (le « Modèle de convention de l’OCDE »).

 

[…]

 

17.  Aucune déclaration publique n’a été prononcée ou publiée, ni par le gouvernement du Canada, ni par le gouvernement de la Barbade, ni même par un organisme, un ministère ou une autre entité représentant l’un ou l’autre de ces gouvernements, concernant l’interaction entre le paragraphe 3 de l’article XXVII et le paragraphe 2 de l’article XXX. Il n’y a pas eu d’échange de notes diplomatiques entre ces deux gouvernements concernant l’interaction entre le paragraphe 3 de l’article XXVII et le paragraphe 2 de l’article XXX. Le Canada n’a connaissance de l’existence d’aucun document, directive interne ou autre acte démontrant qu’un des objectifs du paragraphe 2 de l’article XXX de l’Accord est de contourner le délai de prescription prévu au paragraphe 3 de l’article XXVII. Le Canada n’a connaissance de  l’existence d’aucun document, directive interne ou autre acte démontrant qu’un des objectifs du paragraphe 3 de l’article XXVII de l’Accord est de contourner l’application du paragraphe 2 de l’article XXX.

 

[…]

 

21.  Dans les lois fiscales de la Barbade, il n’existe pas de principe analogue au principe du REATB décrit aux paragraphes 91(1) et 95(1) de la Loi. Le Canada a conclu des conventions fiscales avec près de 14 pays qui ont adopté le principe du REATB. La plupart de ces conventions contiennent une disposition analogue à celle du paragraphe 2 de l’article XXX de l’Accord. Environ la moitié de ces conventions ne contiennent aucune disposition semblable à celle du paragraphe 3 de l’article XXVII de l’Accord. Environ le quart de ces conventions contiennent une disposition analogue à celle du paragraphe 3 de l’article XXVII de l’Accord. Finalement, environ le quart de ces conventions contiennent une seule disposition concernant le délai de prescription, qui se limite à ce qui est prévu à l’article IX de l’Accord (les entreprises associées, décrites parfois comme des personnes liées).

 

[…]

 

25.  En application du paragraphe 91(1) de la Loi, les éléments de revenu qui constituent un REATB qui sont gagnés par une SEAC au cours d’une année d’imposition donnée de la SEAC sont ajoutés à la base imposable du résident canadien pour l’année d’imposition du résident canadien au cours de laquelle l’année d’imposition donnée de la SEAC se termine.

 

[5]  De plus, l’intimée a appelé M. Ross John Kauffman, un conseiller principal en matière de conventions fiscales auprès de l’Agence du revenu du Canada, à témoigner. Au cours des dix dernières années, M. Kauffman a participé à la négociation de vingt conventions. Chacune de ces conventions contenait une disposition semblable à celle du paragraphe XXX(2) de l’Accord en question (la disposition sur le REATB), ou même une disposition ayant une plus grande portée. Dans son témoignage, il a expliqué qu’une telle disposition était incluse dans les conventions dans le but de protéger ou de garantir le droit du Canada  d’ [traduction] « accéder » au REATB. En ce qui concerne le paragraphe XXVII(3), selon M. Kauffman, il s’agit là d’une disposition d’allègement prévoyant le délai maximum à l’intérieur duquel un État contractant peut rectifier les revenus du contribuable. Il a expliqué que, d’après sa propre expérience, la présence de ce type de disposition était motivée par des considérations liées aux litiges portant sur les prix de transfert entre sociétés et par des préoccupations quant à la difficulté d’obtenir certains documents après un laps de temps trop important.

 

 

Position de l’appelante

 

[6]  L’appelante soutient que les deux paragraphes de l’Accord qui sont en cause en l’espèce sont tout à fait conciliables, étant donné que l’un traite du pouvoir d’imposition du Canada et que l’autre se veut simplement une disposition procédurale sur la prescription. Ils peuvent être interprétés d’une manière qui en préserve la cohérence, à savoir comme permettant au ministre d’établir une cotisation à l’égard du REATB, conformément au paragraphe XXX(2), mais seulement à condition qu’il respecte le délai prévu au paragraphe XXVII(3). Autrement dit, le paragraphe XXVII(3), en tant que disposition purement procédurale, n’empêche pas le prélèvement de l’impôt sur le REATB.

 

Position de l’intimée

 

[7]  L’intimée soutient que le libellé de l’article XXX est formel et que le paragraphe XXVII(3) est une disposition de l’Accord qui peut être interprétée comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur le REATB. En l’espèce, le ministre ne peut donc pas interpréter le paragraphe XXVII(3) de cette façon et accorder la primauté à l’article XXX. Subsidiairement, l’intimée recourt au principe de l’interprétation des lois relatif à l’exception implicite, selon lequel une disposition spéciale l’emporte sur une disposition générale, et soutient que la disposition concernant le REATB est une disposition spéciale qui l’emporte sur la disposition générale portant sur le délai de prescription.

 

Analyse

 

[8]  L’appelante et l’intimée adhèrent à l’avis de la Cour suprême du Canada exprimé dans l’arrêt The Queen v. Crown Forest Industries Limited et al. [1] selon lequel, lorsqu’on interprète une convention, il est essentiel de tenir compte de son libellé et de l’intention des parties.

 

Libellé

 

[9]  La position de l’intimée est simple – le libellé « Aucune disposition du présent Accord ne peut être interprétée comme empêchant le Canada de prélever son impôt » sur le REATB est on ne peut plus clair. Le paragraphe XXVII(3), qui est une disposition sur la prescription, peut être interprété comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur le REATB dans certaines circonstances, et c’est dans de telles circonstances que les parties se trouvent, en l’espèce. Selon l’intimée, il n’y a aucune ambiguïté dans le libellé des deux paragraphes.

 

[10]  L’appelante analyse l’expression « interprétée comme empêchant » plus en profondeur et soutient qu’il y a une différence fondamentale entre le fait de limiter l’application d’une règle à cinq ans et le fait d’en empêcher l’application. L’appelante soutient que même une fois la période de cinq ans terminée, le paragraphe XXVII(3) n’empêche pas le Canada de prélever son impôt sur le REATB, il ne fait que restreindre les éléments qui peuvent être inclus dans les revenus à ce qui n’a pas déjà été imposé par la Barbade, à ce qui fait l’objet d’une fraude, d’une omission volontaire ou de négligence, et à ce qui a déjà été inclus dans les revenus dans le délai de cinq ans et qui a fait l’objet d’une cotisation. En fait, il n’y a pas d’entrave au droit du Canada de prélever son impôt sur le REATB. Cet argument est convaincant.

 

[11]  Le terme « prevent » (« empêcher » en français) comporte une notion d’interdiction complète d’une chose avant qu’elle ne survienne. Le Oxford English Dictionary définit ainsi ce terme :

 

 

[TRADUCTION]

Gêner, entraver (une personne ou un autre agent), mettre dans l’impossibilité de faire quelque chose (7); se prémunir contre la survenance (de quelque chose); rendre (un acte ou un événement) irréalisable ou impossible par des précautions; prévenir, entraver, gêner (8).

 

Dans la décision Abbott Laboratories, Limited v. The Queen [2] , le juge Kerr a donné les définitions ci‑dessous [3]  :

 

[TRADUCTION]

 

[…] Des définitions de divers dictionnaires ont été citées, notamment :

 

Prevent [« Empêcher » en français]

 

  […] empêcher signifie prévenir efficacement une chose en allant au‑devant et en la rendant impossible. (Random House Dictionary of the English Language, 1966)

 

  […] 7. Prendre des précautions. (The Shorter Oxford English Dictionary, Third Edition, 1956)

 

Prevention [« prévention » en français]

 

  […] mesure visant à empêcher ou à rendre impossible un événement anticipé ou une action prévue; une mesure préventive; (The Shorter Oxford English Dictionary, vol. 1, 3e éd., 1944, réédité en 1947)

 

  L’action de prévenir; obstacle efficace. (Random House Dictionary of the English Language, 1966)

 

 

[12]  Le paragraphe XXVII(3) ne constitue pas un empêchement permanent ou un obstacle de ce genre. À mon avis, le paragraphe XXVII(3) prévoit que le Canada peut prélever son impôt sur le REATB d’un résident canadien, mais pas après l’expiration du délai de cinq ans si un impôt sur le REATB a déjà été perçu à la Barbade. En fait, ce n’est pas le paragraphe XXVII(3) qui « empêche » le Canada de prélever son impôt, mais plutôt son omission de prélever son impôt dans le délai imparti.

 

[13]  À mon avis, ce point de vue concernant l’interaction entre les deux paragraphes de l’Accord est aussi appuyé par l’emploi de l’expression « ne peut être interprétée comme ». Cette formulation doit bien avoir un sens particulier. Le paragraphe XXVII(3) n’indique pas simplement qu’« aucune disposition du présent Accord n’empêche ». Il doit y avoir une bonne raison expliquant la présence de l’expression « être interprétée comme ». Quelle pourrait être cette raison? L’explication logique serait de dire que certaines dispositions de l’Accord pourraient donner lieu à une interprétation, qu’elles devraient être interprétées d’une façon ou d’une autre. Le paragraphe XXVII(3) ne nécessite aucune interprétation. Il s’agit bien d’une disposition sur la prescription assez simple qui n’appelle pas une interprétation (contrairement aux articles VII et XX, que j’examinerai plus loin dans mon analyse de l’objet des articles XXVII et XXX).

 

[14]  Si l’on se fie simplement au libellé des paragraphes, on peut se poser les questions suivantes : 

 

  (i)  Peu importe l’interprétation qu’on en fait, le paragraphe XXVII(3) empêche-t-il le Canada de prélever son impôt sur le REATB d’un résident canadien? Non.

 

  (ii)  Plus précisément, le paragraphe XXVII(3) empêche-t-il le Canada de prélever son impôt sur le REATB de l’appelante? Non, le Canada peut prélever son impôt sur le REATB de Canwest. 

 

  (iii)  Plus précisément encore, le paragraphe XXVII(3) empêche‑t‑il le Canada de prélever son impôt sur le REATB de Canwest après l’expiration du délai de cinq ans? Non, dans certaines circonstances, le Canada pourrait toujours prélever son impôt sur le REATB de Canwest.

 

  (iv)  Enfin, le paragraphe XXVII(3) empêche-t‑il le Canada de prélever son impôt, après l’expiration du délai de cinq ans, sur le REATB de Canwest qui a déjà été imposé à la Barbade? Selon l’intimée, la réponse est oui, et c’est pourquoi le paragraphe XXX(2) prévoit que le paragraphe XXVII(3) ne doit pas être interprété de cette façon. 

 

Cet argument ne tient pas, car il n’existe aucune autre façon d’interpréter le paragraphe XXVII(3). En fait, l’intimée souhaite qu’on ne tienne pas compte du paragraphe XXVII(3), et non qu’on interprète le paragraphe XXVII(3) d’une manière différente qui le rendrait compatible avec le paragraphe XXX(2). Le paragraphe XXVII(3) devrait être « interprété » comme n’existant pas du tout, c’est‑à‑dire comme s’il n’y avait pas de délai de prescription à l’égard du REATB. Il ne s’agit pas ici d’une interprétation, mais plutôt d’une suppression. Autrement  dit, je conclus que, de par son recours au terme « interpréter », l’article XXX ne vise pas le paragraphe XXVII(3).

 

[15]  À mon avis, il est clair que l’article XXX, par l’expression « aucune disposition du présent Accord ne peut être interprétée comme », enjoint au lecteur de tenir compte du libellé des autres articles de l’Accord plutôt que de la situation précise d’un contribuable en particulier. Il s’agit d’examiner les autres articles et de se poser la question de savoir si, à première vue, ils empêchent le Canada de prélever son impôt sur le REATB. Il ne s’agit pas de savoir s’ils empêchent le Canada de prélever son impôt sur le REATB dans certaines situations précises. L’Accord comporte‑t‑il quelque élément que ce soit privant le Canada de son pouvoir d’imposer le REATB? Selon moi, c’est ce que le libellé indique. Dans ce contexte, on ne peut pas interpréter une disposition sur la prescription comme privant le Canada de ce pouvoir. Il est certain que le libellé du paragraphe XXVII(3) n’exclut pas le REATB de son application comme il le fait pour les cas de fraude, d’omission volontaire ou de négligence.

 

Objet

 

[16]  Mon interprétation du libellé des deux paragraphes en cause est étayée par mes conclusions concernant l’objet de leur insertion dans l’Accord. Bien que je ne dispose pas du témoignage de gens ayant participé à la négociation de l’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu de 1980,  M. Kauffman m’a quand même donné de bonnes indications quant à la raison d’être des deux dispositions. En ce qui concerne le paragraphe XXVII(3), il a expliqué que ce type de disposition sur la prescription permet d’éviter le problème auquel donnerait lieu la nécessité de se fonder sur les dispositions concernant l’autorité compétente afin de procéder à des ajustements d’allègement longtemps après que les documents pertinents ont été perdus ou détruits. J’accepte également la position de l’appelante selon laquelle ce type de disposition sur la prescription donne une certaine certitude au contribuable. Rien ne prouve que cette disposition a été insérée dans le but précis de limiter le pouvoir du Canada de prélever son impôt sur le REATB provenant de la Barbade.

 

[17]  C’est l’objet sous-jacent du paragraphe XXX(2) qui soulève le plus grand intérêt en l’espèce. L’intimée soutient que l’objet du paragraphe XXX(2) peut être manifestement déduit de la formulation utilisée et que, lorsque le libellé d’une disposition est clair, il n’est pas approprié de s’en rapporter à des sources extrinsèques pour établir l’objet. De son côté, l’appelante soutient que l’interprétation qu’il faut donner au paragraphe XXX(2) est axée sur la question de savoir si l’intention des responsables de la négociation de l’Accord, qui a motivé  leur décision d’insérer cette disposition dans l’Accord, était d’éliminer toute incertitude concernant le droit du Canada d’imposer le REATB. Cette intention peut être aisément établie à la lumière d’autres dispositions de l’Accord et de sources extrinsèques, comme la doctrine, le Modèle de convention fiscale de l’OCDE et la jurisprudence. Vu que la Couronne a présenté le témoignage de M. Kauffman selon lequel des dispositions semblables avaient été insérées dans d’autres conventions afin de protéger le droit du Canada d’ [traduction] « accéder » au REATB, et vu que le libellé de l’article XXX a nécessité une analyse assez poussée, je suis prêt à examiner les sources susmentionnées afin de vérifier quel était l’objet des dispositions en cause. 

 

[18]  Afin d’établir quel était cet objet, j’examinerai d’abord l’Accord comme tel avant de passer aux sources susmentionnées. Le libellé du paragraphe XXX(2) donne à entendre que l’Accord peut comporter d’autres dispositions pouvant être interprétées comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur le REATB. Il convient donc de chercher à savoir s’il existe de telles dispositions. Les avocats de l’appelante ont renvoyé aux paragraphes VII(1) et X(5) de l’Accord.

 

[19]  L’article VII énonce ce qui suit :

 

Les bénéfices d’une entreprise d’un État contractant [définie au paragraphe III(1) comme une entreprise exploitée par un résident d’un État contractant] ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’entreprise n’exerce ou n’ait exercé son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé. […]

 

Il est facile de constater que cette disposition pourrait être interprétée comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur les bénéfices d’une SEAC, à moins que la SEAC n’ait un établissement stable au Canada. Cependant, il serait aussi possible de conclure que les bénéfices de la SEAC sont simplement attribués théoriquement à la société mère canadienne et que, par conséquent, ils ne tombent pas sous le coup de l’article VII et des « bénéfices » qui y sont mentionnés.

 

[20]  Le paragraphe X(5) énonce ce qui suit :

 

Lorsqu’une société est un résident d’un seul État contractant, l’autre État contractant ne peut percevoir aucun impôt sur les dividendes payés par la société aux personnes qui ne sont pas des résidents de cet autre État, ni prélever aucun impôt sur les bénéfices non distribués de la société, même si les dividendes payés ou les bénéfices non distribués consistent en tout ou en partie en bénéfices ou revenus provenant de cet autre État. […]

 

Cette disposition pourrait, elle aussi, être interprétée comme empêchant le Canada de prélever son impôt sur le REATB, étant donné qu’une telle imposition pourrait, en fait, être vue comme le prélèvement d’un impôt sur les bénéfices non distribués d’un résident de la Barbade. Là encore, une autre interprétation serait possible, soit celle de dire que la disposition en question n’empêche pas le prélèvement de l’impôt sur le REATB en raison du fait que le régime de REATB a pour objet le prélèvement de l’impôt sur les revenus de la société mère canadienne et que l’impôt est perçu sur un montant théorique attribué à la société mère canadienne plutôt que sur des bénéfices non distribués de la SEAC. 

 

[21]  Je conclus qu’en soi, l’Accord présente certaines zones grises concernant le droit du Canada de prélever son impôt sur le REATB qui pourraient justifier la présence de l’article XXX permettant au Canada d’ [traduction] « accéder » au REATB, pour reprendre les mots de M. Kauffman.

 

[22]  Il s’agit là d’une question qui semble avoir été abordée dans le document intitulé Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune – Mise à jour 2003 de l’OCDE :   

 

En conséquence, même si certains pays ont jugé utile de préciser expressément dans leurs conventions que leur législation relative aux sociétés étrangères contrôlées n’était pas contraire à la Convention, une telle précision n’est pas nécessaire. Il est admis que la législation relative aux sociétés étrangères contrôlées qui suit cette approche n’est pas contraire aux dispositions de la Convention.

 

De toute évidence, le Canada est un des pays ayant précisé expressément que l’Accord ne devait pas être contraire à ses propres lois nationales en matière de REATB. Comme l’a indiqué le professeur Brian Arnold dans Tax Treaties and Tax Avoidance: The 2003 Revisions to the Commentary to the OECD Model :

 

[TRADUCTION]

 

Avant les changements de 2003, les Commentaires relatifs au Modèle de convention fiscale de l’OCDE étaient flous et incomplets en ce qui concerne la relation qui existe entre les règles en matière de SEC et les conventions fiscales.

 

[23]  Les tribunaux ont eux aussi eu à traiter la question du pouvoir d’un État de prélever son impôt sur les revenus d’une société étrangère contrôlée (la « SEC »). L’appelante a renvoyé à la décision française Re Société Schneider Electric [4] et à la décision finlandaise Re A Oyj Abp [5] . Les deux décisions portaient sur des conventions fiscales comportant des dispositions semblables à l’article VII de l’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu de 1980. Le Conseil d’État français a conclu que la loi française en matière de SEC n’était pas compatible avec les dispositions de la convention fiscale entre la France et la Suisse. De son côté, la Cour administrative suprême de la Finlande a statué que les bénéfices d’une filiale belge tombaient sous le coup du régime de la Finlande en matière de SEC et que l’article VII de la convention fiscale entre la Belgique et la Finlande n’empêchait pas la Finlande de prélever son impôt dans ces circonstances. Aucune des deux conventions ne comportait de disposition équivalente à l’article XXX de l’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu. Même si ces deux causes ont été entendues bien après la négociation de l’Accord Canada‑Barbade en matière d’impôt sur le revenu, elles viennent confirmer qu’il existe certains doutes quant à l’effet d’une convention fiscale sur la législation portant sur les SEC, à moins que la convention ne contienne une disposition explicative comme l’article XXX.

 

[24]  L’appelante a aussi renvoyé à des énoncés formulés par le professeur Michael Lang, qui a écrit ce qui suit dans l’article CFC Regulations and Double Taxation Treaties :

 

[TRADUCTION]

 

Dans plusieurs pays, la question de la compatibilité entre la règlementation en matière de SEC et les dispositions des conventions est loin d’être tranchée. Dans un bon nombre de cas, la question n’a jamais fait l’objet d’un arrêt d’une cour suprême. La plupart des points de vue énoncés dans le rapport de 1987 de l’OCDE et dans les Commentaires de 1992 accompagnant le Modèle de convention fiscale de l’OCDE représentent l’avis des administrateurs fiscaux des pays membres de l’OCDE. Il s’agit là d’avis qui ne reflètent aucunement les conclusions actuelles d’autres experts ou la jurisprudence récente.

 

[…]

 

Les conventions fiscales ont un effet limitatif sur les régimes fiscaux nationaux. Par conséquent, sauf preuve contraire, on ne peut pas tenir pour acquis que les conventions fiscales n’auront aucune incidence sur la règlementation en matière de SEC avec lesquelles elles entrent en contradiction.

 

En outre, dans un article intitulé The Uncertain Future of CFC Regimes in the Member States of the European Union – Part I, Renata Fontana a affirmé ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

L’application des conventions fiscales aux régimes de SEC et la compatibilité entre les deux est un débat qui ne date pas d’hier et qui n’est pas encore réglé. En fait, c’est une question qui fait encore l’objet de litiges devant les tribunaux nationaux des divers États touchés, qui rendent des décisions divergentes.

 

[…]

 

Bien que les universitaires, les tribunaux nationaux (administratifs et judiciaires) et même l’OCDE aient à maintes reprises abordé la question de la compatibilité entre les régimes de SEC et les conventions fiscales, il n’existe pas encore de consensus ou de solution définitive.

 

Je suis conscient du fait que les commentaires des universitaires, les énoncés concernant l’OCDE et les décisions rendues par les tribunaux français et finlandais ne constituent pas une preuve directe de l’intention réelle des négociateurs canadiens et barbadiens de l’Accord, mais il s’agit là de sources utiles pour présenter un contexte. Ces sources extrinsèques, en plus du témoignage de M. Kauffman concernant la position du Canada sur ces dispositions précises insérées dans d’autres conventions et du libellé de l’article XXX comme tel, appuient la conclusion à laquelle je suis parvenu voulant que l’objet de l’article XXX était de voir à ce qu’aucune autre disposition de l’Accord ne prive le Canada du pouvoir de prélever son impôt sur le REATB d’un résident de la Barbade. Aucun élément de preuve démontrant le contraire n’a été présenté. Cela dit, la disposition sur la prescription, soit le paragraphe XXVII(3), est-elle incompatible avec cet objet? À mon avis, elle ne l’est pas. En effet, comme je l’ai déjà indiqué plus haut, elle appuie plutôt le droit du Canada de prélever son impôt sur le REATB. J’accepte la position de l’appelante selon laquelle le paragraphe XXX(2) concerne la compétence même du Canada en matière d’imposition et l’article XXVII est clairement une simple disposition de nature procédurale. 

 


[25]  Compte tenu du libellé de l’Accord comme tel et de l’objet des paragraphes XXVII(3) et XXX(2), je conclus que le paragraphe XXX(2) ne doit pas être interprété comme primant sur le paragraphe XXVII(3), ce qui ferait perdre à la prescription tout son sens. Le délai de prescription de cinq ans s’applique et, en l’espèce, l’intimée a dépassé ce délai. J’accueille donc l’appel et j’annule la nouvelle cotisation datée du 16 août 2004 pour le motif qu’elle a été établie après l’expiration de la période maximale de nouvelle cotisation prévue dans l’Accord. L’appelante a droit aux dépens.  

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d’octobre 2006.

 

 

 

« Campbell J. Miller » 

Juge Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour d’avril 2008.

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

   

 

 

 

 

 

 


RÉFÉRENCE :   2006CCI579

 

N° DU DOSSIER :   2005-469(IT)G

 

INTITULÉ :   Canwest Mediaworks Inc. (société ayant remplacé CanVideo Television Sales (1983) Limited à la suite d’une fusion) et Sa Majesté la Reine 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Les 11 et 12 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :   L’honorable juge Campbell J. Miller

 

DATE DU JUGEMENT :  Le 24 octobre 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Me Ian S. MacGregor et

Me Kimberley S. Wharram

Avocat de l’intimée :

Me Donald G. Gibson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Pour l’appelante :

 

  Nom :  Me Ian S. MacGregor et

  Me Kimberley J. Wharram

 

  Cabinet :   Osler, Hoskin & Harcourt LLP

 

  Pour l’intimée :   John H. Sims, c.r.

  Sous-procureur général du Canada

  Ottawa, Canada



[1]   95 DTC 5389.

[2]   [1971] C.T.C. 26 (C. de l’É.)

[3]   Aux pages 37 et 38.

[4]   4 ITRL 1077.

[5]   4 ITRL 1009.

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