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Dossier : 2008-3339(IT)G

ENTRE :

Nathalie Dion, exécutrice

de la succession de René Dion,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 3 novembre 2011, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Sylvain Lacombe

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2003 et 2004 sont rejetés avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2012.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 6

Date : 20120109

Dossier : 2008-3339(IT)G

ENTRE :

Nathalie Dion, exécutrice

de la succession de René Dion,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

La juge Lamarre

 

 

[1]              Il s’agit d’appels de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Loi) par lesquelles on a rajouté au revenu de René Dion (R.D.), entre autres, un revenu d’entreprise de 65 961 $ en 2003 et de 53 711 $ en 2004.

 

[2]              R.D. est décédé en septembre 2009 et sa succession a pris le relais dans la contestation de ces cotisations.

 

 

Faits

 

[3]              Il ressort de la preuve que R.D. était le seul actionnaire et administrateur de la société Entreprises d’excavations René Dion inc. (société). La société était détentrice d’un camion de 10 roues depuis plusieurs années et en mai 2002, elle a acquis un deuxième camion de 12 roues, lequel a été immatriculé au nom de la société auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) (pièce A-1).

 

[4]              La société détenait un permis de transport en vrac de la Commission des transports du Québec (CTQ) pour le camion de 10 roues, pour lequel elle était abonnée à titre d’« exploitant » auprès du courtier de camionnage en vrac du nom de Sous-poste de camionnage en vrac Terrebonne inc. (pièce A-2(2)).

 

[5]              Lors de l’achat du deuxième camion, le permis de transport pour l’exploitation de ce deuxième camion a été demandé par R.D. lui-même, et c’est lui qui, suite à l’obtention du permis, est devenu abonné auprès du même organisme de courtage, le Sous-poste de camionnage en vrac Terrebonne inc. (pièce A-2(1)). Ce sont les revenus générés par ce deuxième camion de 12 roues qui ont été ajoutés au revenu de R.D. et qui font l’objet du présent litige.

 

[6]              Selon les explications données par R.D. dans son avis d’appel, ce dernier agissait comme prête-nom pour la société, afin que la société puisse bénéficier des privilèges réservés aux membres de l’organisme de courtage sur la liste de priorité d’appel pour le deuxième camion également. Toutes les dépenses inhérentes aux deux camions (y compris le salaire versé aux chauffeurs de camion) étaient payées par la société et tous les revenus provenant de ces deux camions ont été comptabilisés dans les revenus de la société (selon le grand livre de la société, pièce I-1, onglet 5).

 

[7]              Selon l’intimée, les revenus générés sur le deuxième camion devaient être inclus dans les revenus de R.D. personnellement en déduisant les dépenses concordantes. Le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (ARC), M. Abel Nefouci, a expliqué que puisque le permis de transport était au nom de R.D., et que celui-ci était enregistré comme l’exploitant de ce deuxième camion auprès de l’organisme de courtage (voir pièce A-2(1)), lequel payait R.D. directement par chèque, on a considéré que ce dernier exploitait sa propre entreprise et qu’il devait inclure personnellement les revenus provenant de cette source dans sa déclaration de revenus.

 

[8]              De son côté, l’appelante soutient que les revenus générés par le deuxième camion devaient être comptés dans la déclaration de revenus de la société, puisque c’est celle-ci qui en était propriétaire et qui l’exploitait. D’ailleurs, l’appelante a mis en preuve le fait que les chèques reçus par R.D. étaient déposés directement dans le compte bancaire de la société (voir pièce A-1) et que cette dernière versait un salaire et des dividendes à R.D. (pièces A-3 et I-1, onglets 1 et 2).

 

[9]              M. Gaétan Légaré, directeur général de l’Association nationale des camionneurs artisans inc. (LANCAI) a témoigné pour le compte de l’appelante. LANCAI regroupe tous les organismes de courtage qui détiennent des permis de la CTQ. LANCAI a un code de déontologie interne uniforme dans la province. Il a expliqué que tous les détenteurs de permis de la CTQ doivent s’abonner auprès d’un organisme de courtage, lequel ne peut refuser l’accès à celui qui en fait la demande, si ce dernier détient un permis. Ces organismes de courtage inscrivent les membres sur une liste de priorité d’appel. Un abonné qui possède plus d’un camion ne peut enregistrer ses autres camions sur cette première liste d’appel. On fera appel à son deuxième ou autre camion seulement si l’on a épuisé la première liste d’appel au cours d’une journée.

 

[10]         Par ailleurs, M. Légaré a expliqué que si un abonné a des intérêts dans plusieurs entités, ce groupe d’entités ne peut inscrire plus de trois camions et chaque camion doit être enregistré sous une entité différente pour pouvoir être inscrit sur la première liste d’appel. Il a expliqué que c’était la CTQ qui vérifiait et gérait les liens rattachés aux détenteurs de camions.

 

[11]         Les organismes de courtage sont des organismes à but non lucratif qui perçoivent des cotisations de leurs membres. Ce sont ces organismes qui distribuent les mandats selon la liste de priorité d’appel, et qui prélèvent les revenus des entrepreneurs qui font appel aux camionneurs. Les organismes de courtage perçoivent également les taxes et remettent aux membres inscrits sur le permis de transport les revenus générés par leurs camions ainsi que les taxes perçues.

 

 

Dispositions législatives en matière de camionnage en vrac au Québec applicables en l’instance

 

Loi sur les transports, L.R.Q., c. T-12

SECTION V

COMMISSION DES TRANSPORTS

 

[…]

 

§ 4.2. —  Registre du camionnage en vrac

 

Contenu du registre.

47.9. La Commission [des transports du Québec] doit tenir et maintenir à jour un Registre du camionnage en vrac où sont inscrits les exploitants de véhicules lourds visés, dans un marché public, par une clause de stipulation pour autrui au bénéfice des petites entreprises de camionnage en vrac.

 

Caractère public.

Ont un caractère public le nom de l'exploitant et l'adresse de son principal établissement.

 

Caractère public.

La Commission peut, par règlement, après consultation de la Commission d'accès à l'information, attribuer un caractère public aux autres renseignements personnels de ce registre qu'elle détermine.

 

Dépôt à l'Assemblée nationale.

L'avis de la Commission d'accès à l'information est déposé à l'Assemblée nationale dans les 15 jours de sa réception ou, si elle ne siège pas, dans les 15 jours de la reprise de ses travaux.

 

Inscription au registre.

47.10. Sont inscrits au registre, les exploitants de véhicules lourds qui, le 31 décembre 1999, étaient autorisés à effectuer le transport de toutes les matières en vrac visées au groupe 1 de l'article 3 du Règlement sur le camionnage en vrac (R.R.Q., 1981, c. T-12, r.3), soit comme titulaires d'un permis de camionnage en vrac délivré en vertu de la présente loi, soit comme titulaires d'une licence de camionnage intra-provincial délivrée en vertu de la partie III de la Loi de 1987 sur les transports routiers (Lois révisées du Canada (1985), chapitre M-12.01).

 

Régions visées.

La Commission consigne au registre, pour chaque inscription, le numéro d'une région d'exploitation qui correspond à la région pour laquelle le permis ou la licence a été délivré et dans laquelle l'exploitant s'abonne au service de courtage d'un titulaire d'un permis de courtage.

 

Service de courtage.

Lorsque l'exploitant était titulaire de plus d'un permis ou de plus d'une licence délivrés pour plus d'une région, la Commission doit indiquer au registre le numéro de ces régions; ces numéros seront remplacés par le numéro de la région dans laquelle l'exploitant s'inscrit au service de courtage. Elle doit, en outre, indiquer au registre le nombre de camions exploités en vertu de ces permis ou licences; ce nombre sera réduit, le cas échéant, pour correspondre au nombre de camions que l'exploitant inscrit au service de courtage.

 

Transfert d'une inscription.

Sous réserve d'une radiation visée à l'article 47.13, cette inscription est transférable par la Commission sur demande du cédant et du cessionnaire.

 

[…]

 

Maintien d’une inscription.

47.12. Pour maintenir son inscription au registre, tout exploitant de véhicules lourds doit :

 

 1° être abonné au service de courtage d'un titulaire d'un permis de courtage, s'il en est, dans la zone ou, le cas échéant, dans le territoire prévu par règlement, où il a son principal établissement et, le cas échéant, inscrire ses camions au service de courtage interzone de l'association régionale reconnue dans sa région d'exploitation;

 

 2° maintenir son principal établissement dans sa région d'exploitation ou, le cas échéant, sur le territoire prévu par règlement ou, s'il s'agit d'un exploitant visé à l'article 47.11, celui-ci doit maintenir son principal établissement hors Québec;

 

 3° n'inscrire au service de courtage que des camions immatriculés à son nom et dont le nombre correspond à celui indiqué à la Commission pour sa région d'exploitation;

 

 4° payer annuellement à la Commission les droits fixés par règlement, selon les conditions et les modalités que le gouvernement détermine.

 

Radiation du registre.

47.13. La Commission peut, de sa propre initiative ou sur demande d'un titulaire d'un permis de courtage, d'une association régionale reconnue ou d'une personne intéressée, radier du registre :

 

 1° un exploitant qui ne satisfait pas aux exigences de l'article 47.12;

 

 2° un exploitant visé à l'article 47.11 qui est une personne morale dont plus de 50% des droits de vote afférents à ses actions sont détenus directement ou indirectement par une personne qui a son principal établissement au Québec ou dont celle-ci peut élire la majorité des administrateurs ou, s'il s'agit d'une personne physique, qui est associé avec une personne ayant son principal établissement au Québec;

 

 3° un exploitant auquel une cote de sécurité «insatisfaisant» a été attribuée en vertu de la Loi concernant les propriétaires, les exploitants et les conducteurs de véhicules lourds (chapitre P-30.3);

 

 4° un exploitant qui, en raison de ses agissements ou de ses omissions, a été expulsé du service de courtage;

 

 5° un exploitant qui exerce ou fait exercer à l'endroit d'une personne des gestes d'intimidation, des menaces ou des représailles dans le but de contraindre un exploitant ou un titulaire d'un permis de courtage à s'abstenir ou à cesser d'exercer un droit qui résulte de la présente loi ou de ses règlements;

 

 6° un exploitant qui ne se conforme pas à une décision exécutoire de la Commission;

 

 7° lorsque le titulaire d’un permis de courtage fait défaut de se conformer à une décision exécutoire de la Commission, un exploitant qui est un dirigeant de ce titulaire et qui a prescrit ou autorisé l’accomplissement de l’acte ou de l’omission qui contrevient à cette décision ou qui y a consenti, acquiescé ou participé.

 

La Commission peut, de sa propre initiative ou sur demande, prendre à l'égard d'un exploitant toute autre mesure qu'elle juge appropriée ou raisonnable pour l'application de la présente sous-section.

 

Préavis préalable.

La Commission doit, avant de radier un exploitant du registre ou de prendre toute autre mesure à son égard, lui notifier par écrit le préavis prescrit par l'article 5 de la Loi sur la justice administrative (chapitre J-3) et lui accorder un délai d'au moins 10 jours pour présenter ses observations.

 

Délai à l'exploitant.

La Commission peut accorder un délai pour permettre à l'exploitant de remédier à la situation lorsque le motif du défaut qui entraînerait sa radiation ou l'imposition de toute autre mesure est prévu par règlement.

 

 

§ 4.3. —  Services de courtage

 

47.13.1. Tout règlement concernant les services de courtage en transport dans un marché public adopté par un titulaire de permis de courtage doit, avant d'être approuvé en vertu de l'article 8, être approuvé par au moins les deux tiers des abonnés de ce titulaire qui sont présents lors d'une assemblée extraordinaire réunissant au moins le quart des abonnés.

 

Cette assemblée extraordinaire se tient à la suite d'un avis transmis aux abonnés, au moins 15 jours avant sa tenue, aux dernières coordonnées qu'ils ont fournies au titulaire de permis de courtage. Cet avis doit indiquer la date, l'heure et le lieu où elle se tiendra, ainsi que l'ordre du jour. Il doit aussi faire mention de tout nouveau règlement et de toute modification à la réglementation qui pourront y être approuvés. L'avis doit être accompagné du règlement qui sera soumis pour approbation à l'assemblée.

 

Dans le cas d'un règlement visé au premier alinéa qui accompagne une demande de permis de courtage, on entend par abonnés, pour l'application des premier et deuxième alinéas, tous les exploitants de véhicules lourds qui sont inscrits au Registre du camionnage en vrac et qui, au cours de la période d'abonnement, ont signé avec le demandeur un contrat d'abonnement aux services de courtage qu'il offrira en vertu du permis demandé.

 

47.13.2. Un titulaire de permis de courtage peut soumettre à l'approbation prévue à l'article 8 un règlement qu'il a fait approuver conformément à l'article 47.13.1 et dans lequel il prévoit que tous ses règlements en vigueur concernant les services de courtage en transport dans un marché public, et seulement ceux-ci, s'appliquent aussi dans les marchés autres que publics qu'il dessert.

 

En cas d'approbation du règlement en vertu de l'article 8, la Commission, chacun de ses membres, toute personne désignée en vertu de l'article 17.8 et toute personne autorisée à agir comme inspecteur en vertu de l'article 49.2 disposent, pour en assurer le respect, des pouvoirs prévus par la présente loi comme si ce titulaire et ses abonnés agissaient dans un marché public. Les dispositions de la présente loi et de ses règlements, qui encadrent les services de courtage offerts dans les marchés publics, s'appliquent alors, compte tenu des adaptations nécessaires, à ceux offerts dans les marchés autres que publics desservis par ce titulaire.

 

Priorité d'appel.

47.14. Le titulaire d'un permis de courtage doit constituer, aux périodes prévues dans son règlement, une seule liste de priorité d'appel qui classifie les camions de tous ses abonnés selon leur ordre de priorité d'appel et, le cas échéant, selon leur catégorie. L'ordre de priorité d'appel des camions d'un même abonné est indiqué par celui-ci au titulaire du permis de courtage conformément à ses règles de fonctionnement.

 

Compilation du temps de travail.

Le temps de travail d'un abonné avec un camion assigné par le titulaire d'un permis de courtage est compilé avec, le cas échéant, le temps de travail qui lui est alloué en application des règles de fonctionnement et des mesures disciplinaires prévues dans les règlements du titulaire. Dans le cas d'un nouvel abonné, le titulaire d'un permis de courtage lui alloue la moyenne du temps de travail des autres abonnés des services de courtage ou, s'il s'agit d'un transfert, le temps de travail du cédant.

 

Priorité aux abonnés.

Le rang de chacun des camions dans la liste de priorité d'appel donne priorité aux abonnés ayant accumulé le moins de temps de travail avec leurs premiers camions.

 

Répartition des demandes de services.

47.15. Sauf pour satisfaire aux exigences particulières d'une demande faite en conformité avec ses règlements, le titulaire d'un permis de courtage doit répartir toute demande de services de camionnage en vrac entre ses abonnés selon le rang de leurs camions dans sa liste de priorité d'appel. L'assignation est valable pour la durée de la demande ou, le cas échéant, jusqu'à la mise en application d'une nouvelle liste de priorité d'appel.

 

Incapacité d'un abonné.

En cas d'incapacité de ses abonnés d'exécuter la demande, le titulaire d'un permis de courtage doit faire appel aux services d'un autre titulaire d'un permis de courtage par l'intermédiaire de l'association régionale reconnue, s'il en est.

 

Règles d'exclusivité.

47.16. Les règles de fonctionnement visées au deuxième alinéa de l'article 47.14 peuvent notamment comprendre des règles d'exclusivité qui, dans les contrats d'adhésion entre les abonnés et le titulaire d'un permis de courtage:

 

 1° imposent à l'abonné l'obligation de référer au service de courtage toute demande de services qu'il reçoit directement d'un client du titulaire d'un permis de courtage ou d'une personne à qui ce titulaire a présenté une offre écrite concernant la fourniture des services faisant l'objet de la demande;

 

 2° interdisent à l'abonné de faire effectuer par un tiers le transport d'une matière en vrac, sans avoir au préalable sollicité les services du titulaire d'un permis de courtage.

 

Liens de personnes morales liées.

47.17. Pour l'application des articles 47.14 à 47.16, les règlements du titulaire d'un permis de courtage peuvent prévoir que les camions d'un groupe d'abonnés ayant entre eux des liens de personnes morales liées au sens de la Loi sur les impôts seront classifiés comme s'ils appartenaient à un seul abonné et que le groupe peut alors désigner, au rang de premiers camions du groupe de personnes liées, le nombre de camions prévu par les règlements de ce titulaire sans excéder trois.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

Loi sur les impôts du Québec, L.R.Q., c. I-3

 

[12]         La Loi sur les impôts du Québec, définit ce que sont un groupe lié et des personnes liées comme suit aux articles 17 et 19 :

 

17.   Groupe lié. — Dans la présente partie, un groupe est lié lorsque chacune des personnes qui le composent est liée à chaque autre personne du groupe.

 

19.   [Personnes liées]. 1° Personnes liées. —  Aux fins de la présente partie, sont des personnes liées ou des personnes liées entre elles:

 

a)  des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption;

 

b)  une société et

 

i.  la personne qui contrôle cette société,

 

[13]         À l’article 1, on définit un particulier comme suit :

 

«particulier». — « particulier » signifie une personne autre qu'une société;

 

[14]         L’article 1.7 mérite également d’être cité :

 

1.7.   Interprétation. — Dans la présente loi et les règlements, une personne morale, qu'elle soit ou non à but lucratif, est désignée par le mot «société», étant entendu que ce mot ne désigne pas une personne morale lorsqu'il est employé dans l'expression «société de personnes».

 

 

Question en litige

 

[15]         R.D. pouvait-il agir légalement à titre de prête-nom pour la société, comme exploitant du deuxième camion (12 roues)? Dans l’affirmative, les revenus qu’il a générés à ce titre devaient-ils être déclarés personnellement dans sa déclaration de revenus, ou la société pouvait-elle les déclarer à son compte dans le calcul de son revenu?

 

 

Analyse

 

[16]         Dans Shell Canada Ltée. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, la Cour suprême du Canada s’exprimait ainsi au paragraphe 39 :

 

39     Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci: Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables: Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

 

[17]         Par ailleurs, dans Victuni c. Ministre du Revenu Québec, [1980] 1 R.C.S. 580, la Cour suprême du Canada concluait que les autorités fiscales doivent donner effet à la convention de prête-nom entre les parties, en reconnaissant toutefois l’obligation du mandataire de faire connaître son rôle au fisc. La Cour s’exprimait ainsi aux pages 584 et 585 :

 

    En vertu des principes généraux du mandat il est clair que l'obligation d'un mandataire envers son mandant n'est pas une dette. Celui qui a acheté un immeuble pour le compte d'un tiers qui veut rester inconnu, n'est pas plus débiteur du prix payé qu'il n'est propriétaire de l'immeuble. Le vrai propriétaire c'est le mandant et l'obligation du mandataire prête-nom c'est de rendre compte au mandant et de lui remettre ce qu'il perçoit pour lui (C.c., art. 1713). Ce qu'il reçoit, même si c'est de l'argent, ne lui appartient pas, il est obligé de le tenir à part de ses biens. C'est un crime pour lui que de s'en emparer de façon à se constituer débiteur au lieu de mandataire: R. c. Légaré [[1978] 1 R.C.S. 275]. Dans notre arrêt récent Canadian Pioneer Management Ltd. c. Conseil des relations du travail de la Saskatchewan [[1980] 1 R.C.S. 433] le juge Beetz a fait ressortir l'importance de cette distinction en citant notamment l'arrêt du Conseil privé sur les dépôts non réclamés: Attorney General for Canada v. Attorney General for the Province of Quebec [[1947] A.C. 33].

 

    Quant au caractère de la taxe dont il s'agit, un autre arrêt du Conseil privé portant sur la première loi du Québec à ce sujet, a bien fait ressortir qu'il s'agit d'une taxe imposée à la personne et non sur les biens: Bank of Toronto v. Lambe [[1887] 12 A.C. 575]. Il ne s'agit donc pas ici d'une taxe de même nature que l'impôt foncier prélevé par les municipalités qui est évidemment exigible du propriétaire apparent, puisqu'il s'agit d'une charge immobilière qui grève l'immeuble. La taxe sur le capital versé des compagnies, tout comme l'impôt sur leur revenu, est au contraire une contribution imposée à la personne exactement comme l'impôt sur le revenu des particuliers. Le mandataire apparent ou occulte qui possède un bien pour le compte d'autrui est tenu de faire connaître au fisc ce qu'il perçoit pour le compte de son mandant, mais il n'est pas débiteur de l'impôt.

 

[18]         Toutefois, si l’acte simulé (la contre-lettre) est utilisé(e) pour passer outre à une disposition prohibitive de la loi ou à une disposition d’ordre public, la contre-lettre sera frappée de nullité. Ceci part du principe qu’il est impossible de faire indirectement ce qu’il est défendu de faire directement (voir article 9 du Code civil du Québec, et Pierre –Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vézina, Baudouin et Jobin : Les obligations, 6e éd., Cowansville (QC), Éditions Yvon Blais, 2005, nos 512 et 519, pages 526, 527, 529 et 530). Ainsi, un mandataire ne peut disposer d’une aptitude juridique supérieure à celle de son mandant. Ce dernier ne peut charger un mandataire que de passer un contrat qu’il est lui-même apte à passer (1524994 Ontario Ltd c. Canada, [2007] A.C.F. n° 234 (QL), au par. 18).

 

[19]         Ainsi, même si la contre-lettre établit la véritable convention des parties et que le fisc est tenu d’en tenir compte dans l’établissement d’une cotisation, (voir également Transport Desgagnés Inc. c. Le ministre du Revenu national, 91 DTC 264; Caplan c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCA 1322, [2006] R.D.F.Q. 40), si cette contre-lettre est frappée de nullité, elle lui devient inopposable.

 

[20]         En l’instance, l’appelante a fait la preuve que c’est la société qui était le propriétaire enregistré du deuxième camion et que, malgré le contrat d’abonnement apparent, c’est la société qui était le véritable exploitant (voir la lettre relative au crédit-bail et l’immatriculation au nom de la société, (pièce A-1); les dépenses payées et les revenus comptabilisés par la société (pièce I-1, onglet 5); les revenus du deuxième camion déposés dans le compte bancaire de la société (pièce A-1)).

 

[21]         Compte tenu de cette preuve et compte tenu de l’état du droit, on pourrait prétendre que la société était justifiée de déclarer les revenus générés par le deuxième camion dans sa déclaration fiscale. Ceci est vrai toutefois, seulement dans la mesure où l’on me convainc que l’acte apparent ne va pas à l’encontre d’une disposition de la loi ou de l’ordre public.

 

[22]         Dans le cas présent, R.D. et la société semblent avoir transgressé la réglementation sur le transport en vrac à certains égards. En effet, le registre du camionnage en vrac où sont inscrits les exploitants des camions dans un marché public, a été créé au bénéfice des petites entreprises de camionnage en vrac (article 47.9 de la Loi sur les transports). Ainsi, cette loi prévoit que le titulaire d’un permis de courtage (l’organisme de courtage) doit constituer une seule liste de priorité d’appel qui classifie les camions de tous ses abonnés selon leur ordre de priorité d’appel. L’abonné qui possède plusieurs camions doit donner à l’organisme de courtage, conformément à ses règles de fonctionnement, l’ordre de priorité d’appel de ses camions. Le rang de chacun des camions dans la liste de priorité d’appel donne priorité aux abonnés ayant accumulé le moins de temps de travail avec leurs premiers camions (article 47.14). Cet article, combiné aux explications données par M. Gaétan Légaré, présuppose qu’un propriétaire de plusieurs camions ne peut inscrire plus d’un premier camion sur la liste de priorité d’appel. Ceci est logique dans la mesure où je comprends de cette loi, qu’elle tend à régulariser le transport en vrac afin d’équilibrer la répartition du travail entre les divers abonnés.

 

[23]         Dans ce contexte, il m’apparaît que la société, contrôlée par R.D., n’avait pas le droit ou la possibilité d’inscrire à son nom le deuxième camion (12 roues) comme premier camion sur la liste de priorité d’appel puisqu’elle avait déjà inscrit son premier camion (10 roues) sur cette liste. La société n’avait pas plus le droit de mandater R.D. d’enregistrer ce deuxième camion en priorité d’appel sous son nom personnel. D’ailleurs, l’article 47.12 prévoit qu’un exploitant doit n’inscrire au service de courtage que des camions immatriculés à son nom, et le fait de contrevenir à cette disposition peut entraîner la radiation de cet exploitant du registre (article 47.13).

 

[24]         Ici, R.D. était clairement en contravention de cette disposition puisqu’il n’était pas la personne au nom de laquelle le camion était immatriculé.

 

[25]         Par ailleurs, l’article 47.17 semble permettre à « un groupe d’abonnés ayant entre eux des liens de personnes morales liées » au sens de la Loi sur les impôts de désigner au rang de premiers camions le nombre de camions prévu par les règlements de l’organisme de courtage sans excéder trois. Je note, à ce sujet, que les règlements du Sous-poste de camionnage en vrac Terrebonne inc. n’ont pas été déposés en preuve, de sorte qu’il m’est difficile de voir si un groupe d’abonnés ayant un tel lien de personnes morales liées pouvait enregistrer plus d’un camion auprès de cet organisme de courtage. Malgré tout, cet article n’aurait pas empêché R.D. d’enregistrer un camion dont il aurait été propriétaire, puisque l’article 47.17 ne vise que des personnes morales (lesquelles n’incluent pas des particuliers).

 

[26]         Le problème auquel faisait face R.D. est qu’il n’était pas le propriétaire du camion et que, dans les circonstances, il ne pouvait s’enregistrer personnellement comme exploitant. Il ne pouvait pas plus s’enregistrer comme mandataire de sa société dans le cadre d’une convention de prête-nom, car la société elle-même n’avait pas le droit d’inscrire un deuxième camion sur la liste de priorité d’appel.

 

[27]         L’avocat de l’appelante a soutenu qu’il revenait à la CTQ d’émettre ou de retirer le permis et que si celui-ci a été délivré à R.D., ce dernier a dès lors agi en toute légalité. Je ne peux souscrire à cet argument. Tel que le disait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Association des transporteurs en vrac de l’Outaouais c. 3503623 Canada Inc., 2011 QCCA 1206, par. 18, la Loi sur les transports est une loi d’intérêt public visant une politique gouvernementale en matière de transport en vrac reliée aux marchés publics. Cette loi a instauré un régime de préférence pour les camionneurs artisans et les petites entreprises de transport dans le cadre de travaux publics visant à leur assurer une sécurité financière. Le juge Dalphond s’exprimait ainsi aux paragraphes 3 et 4 :

 

3    Au Québec, les 5000 camionneurs artisans bénéficient de certaines préférences dans le cadre des travaux publics visant à leur assurer une sécurité financière.

 

4    Ce régime de préférence est axé sur deux éléments. D'abord, la présence dans chaque région de la province, d'un ou deux titulaires d'un permis de courtage chargé(s) de répartir équitablement entre les camionneurs membres les besoins en vrac pour les marchés publics. Ensuite, une exigence du donneur d'ouvrage (ministère, municipalité, etc.) au soumissionnaire retenu de confier au moins un pourcentage prédéfini du transport en vrac aux membres des associations de courtage, souvent appelée une stipulation au bénéfice des camionneurs artisans.

 

[28]         Cette loi étant d’intérêt public, il s’ensuit donc que ses dispositions sont d’ordre public (voir Garcia Transport Ltée c. Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499, p. 524).

 

[29]         Dans ces circonstances, l’appelante ne peut se prévaloir auprès du fisc de la contre-lettre qui liait R.D. à la société. L’ARC était donc justifiée d’ajouter aux revenus de R.D. les sommes qu’il a reçues de l’exploitation du deuxième camion puisque c’est lui qui était officiellement enregistré comme l’exploitant de ce camion, et qu’à ce titre, l’organisme de courtage lui a remis les sommes qui étaient attribuées à ce camion. C’est R.D. qui était le bénéficiaire et le titulaire de ces revenus et il avait donc l’obligation de les inclure dans le calcul de son revenu (et ce, même si théoriquement il n’y avait pas légalement droit (voir R. v. Poynton, 1972 CarswellOnt 205, par. 8 (Cour suprême de l’Ontario); Smith v. Canada (Attorney General), 1924 CarswellNat 5, par. 8 et 9, [1917-27] C.T.C. 240 p. 242, (Cour de l’Échiquier du Canada)).

 

[30]         Pour ces raisons les appels sont rejetés avec dépens en faveur de l’intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2012.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 6

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-3339(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Nathalie Dion, exécutrice de la succession de René Dion c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 3 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 9 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Sylvain Lacombe

Avocat de l'intimée :

Me Simon Petit

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                            Me Sylvain Lacombe

 

                 Cabinet :                           L’ANCAI

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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