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Dossier : 2011-1456(IT)I

ENTRE :

MAVIS TIDD,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 5 et 8 décembre 2011, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge Valerie Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Richard Yasny

Avocate de l’intimée :

Me Alisa Apostle

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2006 et des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2007 et 2008 est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse de nouvelles cotisations conformément aux motifs du jugement cijoints.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de janvier 2012.

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de février 2012.

 

Marie-Christine Gervais

 


 

 

 

 

Référence : 2012CCI16

Date : 20120110

Dossier : 2011-1456(IT)I

ENTRE :

MAVIS TIDD,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(rendus oralement à l’audience le 8 décembre 2011, à Toronto (Ontario))

La juge V.A. Miller

[1]              Il s’agit ici de savoir si l’appelante a droit a une déduction de 10 000 $ pour les années 2006, 2007 et 2008 à l’égard d’une résidence des membres du clergé en vertu de l’alinéa 8(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction en tenant pour acquis que l’appelante ne satisfaisait pas au critère du statut ou de la fonction énoncé à l’alinéa 8(1)c).

[2]              Selon la thèse de l’appelante, pour ce qui est de la législation, elle était membre du clergé au sein de la Toronto International Celebration Church (la « TICC ») et, cela étant, elle avait la charge de cette congrégation.

[3]              L’appelante et Peter Karl Youngren ont témoigné à l’audience. M. Youngren a décrit la structure de la TICC et le rôle de l’appelante au sein de cette Église. M. Youngren a été pasteur en chef de la TICC jusqu’au 31 décembre 2009. Je l’appellerai M. Youngren de façon à ne pas le confondre avec son père, qui est également pasteur et s’appelle lui aussi Peter Youngren.

[4]              M. Youngren a témoigné que son père, le pasteur Peter Youngren, a établi la Niagara Celebration Church, à St. Catharines (Ontario), en 1990. En 1999, le pasteur Youngren a décidé de fonder une Église à Toronto. La TICC a ouvert ses portes au mois de septembre 2000 et le premier service a été célébré le 10 septembre 2000. La congrégation a rapidement pris de l’essor et, de nos jours, elle compte environ 2 000 fidèles.

[5]              M. Youngren était chargé des activités quotidiennes de la TICC et, au cours de la période pertinente, il agissait à titre de pasteur en chef et de chef spirituel de la TICC. Je ne sais pas trop si c’était lui ou son père qui présidait le conseil d’administration de la TICC.

[6]              La TICC est une Église évangélique. M. Youngren a déclaré que l’Église faisait partie du mouvement non confessionnel qui s’éloignait de la tradition, dans laquelle il y a un ministre principal. Selon la structure de la TICC, tous les membres de l’Église ont ensemble la charge de la congrégation. Il n’y pas de titres et, de fait, un grand nombre de membres de la congrégation ne désignait pas M. Youngren sous le nom de pasteur.

[7]              Le conseil d’administration de la TICC supervisait uniquement les finances de l’Église. M. Youngren, en sa qualité de pasteur, élaborait la vision spirituelle de la TICC. Il choisissait les pasteurs, les chefs et les ministres de la TICC. Pour être choisies, ces personnes devaient présenter les caractéristiques de leadership chrétien selon sa vision. M. Youngren a déclaré qu’il cherchait à voir si la personne manifestait le [traduction] « fruit de l’esprit ».

[8]              M. Youngren avait fait venir des gens de l’Église, à Niagara, pour montrer à la congrégation de la TICC comment travailler avec les divers membres de leur congrégation. Il a déclaré qu’il existait un modèle de communion et de leadership chrétiens au sein de la Niagara Celebration Church et qu’ils avaient adopté ce modèle pour la TICC.

[9]              Selon la description que M. Youngren a faite de la structure de la TICC, je conclus qu’il existait une hiérarchie au sein de la TICC. Cette hiérarchie était, en ordre ascendant, la suivante : a) personnes visitant l’Église pour la première fois, b) membres de la congrégation régulière, c) bénévoles, d) chefs, e) ministres et f) pasteurs. En sa qualité de pasteur en chef, M. Youngren avait le dernier mot à tous les égards.

[10]         La TICC était divisée en 40 segments, notamment : sacerdoce chargé des petits groupes, sacerdoce chargé de la musique, sacerdoce dispensé aux personnes âgées, sacerdoce desservant les hôpitaux, sacerdoce s’occupant des appels téléphoniques, sacerdoce chargé de l’accueil, sacerdoce responsable des visites et ainsi de suite. Chaque sacerdoce était supervisé par un chef qui était chargé de veiller à ce que le sacerdoce fonctionne bien et à ce qu’il y ait un nombre suffisant de bénévoles pour exécuter son mandat.

[11]         L’appelante a joint la TICC en l’an 2000. M. Youngren a décrit l’appelante comme étant charismatique, magnétique et comme manifestant le [traduction] « fruit ». Initialement, l’appelante effectuait du travail bénévole au sein de la TICC. En 2003, elle travaillait pour la TICC à plein temps à titre d’adjointe exécutive du pasteur en chef. Elle exerçait ses fonctions du lundi au jeudi. Toutefois, elle travaillait également le soir, les mercredis, jeudis et samedis, pour aider aux classes informatiques organisées par la TICC. En 2004 ou en 2005, la congrégation l’a reconnue à titre de ministre de l’Église.

[12]         L’appelante supervisait divers sacerdoces; M. Youngren a résumé les tâches accomplies par l’appelante auprès de la TICC, lorsqu’il était pasteur en chef de la TICC. Voici ce qu’il a écrit le 21 décembre 2009 :

 

[traduction]

 

Mavis Tidd est une travailleuse ordonnée chargée de l’évangélisation auprès de la Toronto International Celebration Church.

 

Les tâches qu’elle accomplit pour l’Église sont en résumé les suivantes :

 

a)   Elle fait des vérifications approfondies concernant les gens avant de fixer un rendez‑vous pour eux avec un pasteur approprié;

b)   Prière et counseling : Elle aide ceux qui fournissent les services de pastorale pendant les périodes de grande activité, en priant avec les personnes qui demandent de l’aide et en leur donnant des conseils;

c)   Sacerdoce dans les hôpitaux : Elle visite les personnes hospitalisées, les réconforte et prie pour elles. Elle visite également les membres confinés chez eux;

d)   Sacerdoce chargé de l’accueil: Elle choisit, aux fins de l’accueil, des bénévoles parmi les membres et les visiteurs. Elle rédige le guide d’accueil et forme les nouveaux travailleurs affectés à l’accueil. Elle établit tous les mois les horaires pour l’accueil et elle veille à ce qu’un membre du personnel ou un bénévole, au bureau, communique avec les personnes affectées à l’accueil sur une base hebdomadaire. Elle établit également l’horaire des personnes chargées de l’accueil pour d’autres fonctions de l’Église;

e)   Sacerdoce chargé des visites : Elle coordonne l’équipe responsable des visites en lui donnant le nom des membres confinés chez eux;

f)    Elle supervise les bénévoles qui s’occupent du bureau et de la banque alimentaire;

g)   Elle gère tous les baptêmes par immersion et les bénédictions de nouveaux-nés;

h)   Elle gère les biens, les parcs de stationnement de l’Église, les locations et le personnel associé;

i)    Participation communautaire: Elle gère les classes informatiques et en établit l’horaire; elle gère la  banque alimentaire et en assure la coordination et, pendant la période de Noël, elle gère les dons de paniers d’aliments. Elle assure la liaison entre l’Église et Second Harvest [qui livre les aliments pour notre banque de l’espoir (denrées non périssables) et pour notre service d’approche du centre‑ville] ainsi qu’avec le 700 Club.

[13]         À l’audience, M. Youngren a dit que l’appelante était son [traduction] « bras droit », sa [traduction] « première ligne de défense ». Selon son témoignage, toute personne qui supervise un programme est un ministre de l’Église.

[14]         Je note que, dans sa lettre du 21 décembre 2009, M. Youngren a dit que l’appelante était une [traduction] « travailleuse ordonnée chargée de l’évangélisation ». Toutefois, lorsqu’il a témoigné à l’audience, il l’a désignée comme étant un [traduction] « ministre ».

[15]         Selon le témoignage de M. Youngren, aucune cérémonie d’ordination formelle n’était tenue au sein de la TICC. Lorsqu’une personne devenait ministre au sein de la TICC, on inscrivait son nom dans le [traduction] « Bulletin du dimanche » et cette personne était alors reconnue comme étant un ministre.

[16]         Au cours de la période pertinente, le personnel était composé de 20 membres. M. Youngren a déclaré que dix d’entre eux étaient ministres ou faisaient partie du clergé.

Analyse

[17]         Selon la thèse de l’appelante, le passage pertinent de l’alinéa 8(1)c) est libellé en ces termes :

 

8(1) Éléments déductibles – Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, [...]

 

c) Résidence des membres du clergé – lorsque le contribuable, au cours de l’année :

(i) d’une part, est membre du clergé ou [...] ministre régulier d’une confession religieuse,

(ii) d’autre part :

[...]

(B) [...] à la charge [...] d’une congrégation.

[18]         Il s’agit en premier lieu de savoir si l’appelante était membre du clergé de la TICC et, en second lieu, si elle avait la charge d’une congrégation.

[19]         Selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire qu’un particulier soit ordonné pour être membre du clergé. Voir Kraft v. Minister of National Revenue[1]. La question de savoir si une personne est membre du clergé d’une confession religieuse dépend des pratiques et rituels de cette confession. Au paragraphe 13 de la décision Kraft, le juge Bowman, de la Cour canadienne de l’impôt, a dit ce qui suit :

Donc, la question de savoir si une personne est membre du clergé d’une Église donnée dépend des procédures et rituels de cette Église. Il faut un acte officiel de reconnaissance par lequel la personne est distinguée des autres membres de l’Église comme chef spirituel. Il n’est pas nécessaire que cet acte soit fait par un membre supérieur de la hiérarchie ecclésiastique. Certaines Églises ne reconnaissent pas une telle hiérarchie. Cet acte peut être fait par la congrégation. Il faut un engagement à long terme sérieux et officiel à l’égard du saint ministère. Si ces éléments existent, que la confession en cause appelle ou non « ordination» le rituel officiel, la personne qui se voit accorder ce statut par l’Église est à mon avis membre du clergé.

[Non souligné dans l’original.]

[20]         La preuve établissait que l’appelante était distinguée des autres membres de la TICC comme chef. Son nom figurait dans le Bulletin du dimanche et la TICC l’a ensuite reconnue comme ministre. L’appelante a été reconnue par la congrégation à titre de ministre.

[21]         Je me suis demandé si la preuve établissait que l’appelante était distinguée des autres membres de la congrégation comme « chef spirituel ».

[22]         Qu’est‑ce qu’un « chef spirituel »? Je suppose qu’il s’agit d’une personne qui cherche à changer les gens plutôt qu’à les diriger ou à les appuyer. Il s’agit de quelqu’un qui non seulement prie pour les gens dans le besoin mais qui leur offre aussi des conseils spirituels.

[23]         M. Youngren a témoigné que l’appelante [traduction] « faisait tout ce qu’il faisait, sauf qu’elle ne prononçait pas de sermons le dimanche ». L’appelante mettait en pratique le leadership biblique dans chacun des sacerdoces qu’elle supervisait. Elle amenait la paix dans les foyers qu’elle visitait et dans la vie des gens qu’elle rencontrait. Elle offrait des conseils spirituels aux membres de la congrégation de la TICC.

[24]         L’appelante supervisait les chefs au sein de la TICC. Je conclus qu’elle agissait à titre de chef spirituel au sein de la TICC et qu’elle était reconnue en tant que tel par la congrégation et par le pasteur en chef de la TICC.

[25]         À mon avis, l’appelante faisait partie du « clergé » pour l’application de l’alinéa 8(1)c) de la Loi.

[26]         La seconde question à trancher se rapporte à l’élément « fonction » du critère énoncé à l’alinéa 8(1)c). L’appelante avait-elle la charge d’une congrégation?

[27]         Dans la décision McGorman c. Canada[2], le juge Bowman, de la Cour de l’impôt, a interprété ainsi le terme anglais « ministering » (« desservir » ou « avoir la charge ») :

 

            56 Son travail englobait tout ce qui est traditionnellement accompli par un ministre ou prêtre ayant une église. « To minister » signifie simplement « servir » ou « s’occuper des besoins de ». Un médecin ou une infirmière s’occupe des besoins physiques d’un patient. Un ecclésiastique, ministre, prêtre ou conseiller spirituel s’occupe des besoins spirituels d’une congrégation, sur le plan collectif ou sur le plan individuel. Les ministres du culte sont toutefois appelés à faire beaucoup plus qu’offrir une orientation spirituelle. Ils donnent des conseils en matière psychologique et matrimoniale. Ils donnent des conseils sur des questions liées à la famille ainsi qu’à la carrière. C’est vers l’Église que les gens se tournent face à une infinie variété de problèmes survenant dans la vie. Le mot anglais « ministering » véhicule un concept très vaste, notamment dans le contexte du travail d’un membre du clergé. Il est indéniable que M. Miller s’occupait des besoins des personnes avec qui il traitait, qu’il desservait ou servait ces personnes.

[28]         L’Agence du revenu du Canada a adopté cette interprétation de l’expression « desservir ou avoir la charge ». Voir les paragraphes 13 et 14 du bulletin IT‑141R qui disent ce qui suit :

 

13. L’expression « desservir ou avoir la charge » recouvre un concept très large signifiant être au service ou voir aux besoins d’une congrégation, d’un diocèse, d’une paroisse ou de leurs membres. On doit l’examiner dans le contexte des pratiques et des attentes de l’organisation religieuse. Si une personne satisfaisant au critère du statut est employée par une congrégation, on considère qu’elle dessert ou a la charge d’une congrégation si elle s’acquitte d’un rôle pastoral ou sacerdotal de la manière requise par cette congrégation. Si une personne satisfaisant au critère du statut est employée par une organisation religieuse à l’extérieur de l’ordre ou de la confession religieuse, on considère qu’elle dessert ou a la charge d’une congrégation telle une église, les fidèles d’une aumônerie ou un groupe défavorisé si elle s’acquitte d’un rôle pastoral ou sacerdotal compatible avec le sacerdoce religieux de l’organisation au sein de laquelle elle a ce statut.

 

14. Les personnes qui satisfont au critère du statut qui desservent ou ont une charge à temps partiel ou comme assistant et celles qui accomplissent un sacerdoce spécialisé satisfont au critère de la fonction. Du moment où desservir ou avoir la charge d’une congrégation fait partie intégrante des responsabilités et des attentes de leur emploi, cette activité est admissible.

[29]         Je conclus que l’appelante avait la charge de la congrégation au sein de la TICC. Elle exerçait ses fonctions sacerdotales de la façon demandée par la congrégation et par le pasteur en chef de la TICC. Le fait de desservir la congrégation ou d’en avoir la charge au sein de la TICC faisait partie intégrante des responsabilités et des attentes de l’emploi de l’appelante.

[30]         Pour les motifs susmentionnés, l’appel est accueilli.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de janvier 2012.

 

 

« V.A. Miller »

Juge V.A. Miller

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de février 2012.

 

Marie-Christine Gervais

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2011CCI16

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :      2011-1456(IT)I

 

INTITULÉ :                                       MAVIS TIDD

                                                          c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Les 5 et 8 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Valerie Miller

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 10 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Richard Yasny

Avocate de l’intimée :

Me Alisa Apostle

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                             Richard Yasny

                   Cabinet :                         Payne Law Professional Corporation

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1] [1999] 3 C.T.C. 2185 (C.C.I.)

[2] [1999] A.C.I. no 133, 99 DTC 699

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