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Dossier : 2009-2129(IT)G

 

ENTRE :

HENNING E. JACOBSEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appels entendus les 11 et 12 octobre 2011, à Montréal (Québec)

 

Devant : L'honorable juge G. A. Sheridan

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Guy Matte

 

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

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JUGEMENT

 

          Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels formés contre les nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 2003, 2004 et 2005 sont rejetés, avec dépens en faveur de l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2012.

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 25

Date : 20120120

Dossier : 2009-2129(IT)G

 

ENTRE :

HENNING E. JACOBSEN,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Sheridan

 

Introduction

 

[1]              L'appelant, Henning Jacobsen, fait appel des nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi ») pour ses années d'imposition 2003, 2004 et 2005. Au cours de ces années, l'appelant était un consultant en aérospatiale à son propre compte spécialiste en analyse et en gestion de données sous forme informatique.

 

[2]              Il a fait l'objet d'une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2003 après la période normale de nouvelle cotisation; des pénalités ont été établies pour les trois années d'imposition. Le ministre devait justifier la nouvelle cotisation pour 2003 en application du paragraphe 152(4), et l'imposition de pénalités en application du paragraphe 163(2). Le fardeau de la preuve est plus lourd dans le cas du paragraphe 163(2) de la Loi que dans celui du paragraphe 152(4).

 

[3]              En ce qui concerne l'établissement des nouvelles cotisations pour les années d'imposition 2004 et 2005, le ministre a tenu pour acquis que l'appelant avait omis de déclarer un revenu de 33 886 $ en 2004 et de 33 127 $ en 2005 et, pour l'année 2005 seulement, qu'il n'avait pas versé la taxe sur les produits et services (la « TPS ») correspondante. Pour les trois années d'imposition, le ministre a refusé certaines dépenses d'entreprise, estimant qu'il s'agissait de dépenses personnelles, qui n'étaient donc pas déductibles en application de l'alinéa 18(1)h) de la Loi.

 

Analyse

 

[4]              Au début de l'audience, l'appelant a reconnu avoir omis de déclarer des revenus et de verser la TPS, mais selon lui cette omission n'était pas suffisante pour entraîner l'imposition de pénalités. Abstraction faite de cette question et de la question de la prescription, la question est de savoir si les divers montants déduits au titre des frais d'intérêts, des frais de repas et de représentation, des frais afférents à un véhicule automobile, des frais de fournitures de bureau et de services administratifs, des frais de déplacement, des frais de sous‑traitance et des frais liés à l'utilisation de la résidence à des fins professionnelles sont des dépenses engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise, comme l'exige l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

 

[5]              L'appelant n'est malheureusement pas parvenu à réfuter l'hypothèse du ministre selon laquelle les dépenses déduites étaient des dépenses personnelles. Cela découle surtout de la stratégie que l'appelant a employée à l'audience. Plutôt que d'établir un lien entre les dépenses déduites et des pièces justificatives les étayant, ou de faire comparaître des témoins pour qu'ils confirment son témoignage, l'appelant s'est attaché à manipuler les données qu'il avait compilées dans une base de données informatique (la « base de données »). Il a demandé, et a obtenu, l'autorisation d'utiliser la base de données pour appuyer son témoignage. La base de données montrait, pour les dépenses de l'appelant, les chiffres bruts tirés de ses relevés de carte de crédit et de ses relevés bancaires[1], chiffres qu'il avait inscrits, longtemps après le fait, sous diverses catégories de dépenses professionnelles : frais de déplacement, de promotion, de représentation, de véhicule automobile, et ainsi de suite. La grande faiblesse de la base de données était que les totaux indiqués comme dépenses professionnelles dépendaient entièrement de l'appréciation subjective de l'appelant quant à leur caractère professionnel ou personnel.

 

[6]              L'autre difficulté était que l'appelant n'avait pas produit les factures ou les reçus étayant ces dépenses. Sans ces pièces justificatives (ou d'autres éléments, tels que des journaux de bord pour la voiture établis au fur et à mesure ou des agendas pour les activités sociales), la simple affirmation par l'appelant du caractère professionnel de ces dépenses ne pouvait être vérifiée. Outre son aspect subjectif, le système de classification utilisé par l'appelant comportait un autre défaut, à savoir qu'il reposait sur des idées fausses : par exemple, l'appelant croyait que les dépenses qu'il supportait dans son travail de consultant et que, aux termes d'une entente, un client donné pouvait s'engager à rembourser étaient validement déductibles en vertu de la Loi. L'appelant semblait croire aussi que, s'il existait un lien, si ténu soit‑il, avec son entreprise, une dépense était une dépense professionnelle légitime. L'appelant compliquait encore les choses pour lui‑même en s'abstenant de tenir des comptes distincts pour ses affaires professionnelles et ses affaires personnelles.

 

[7]              Pour ce qui est des inexactitudes contenues dans ses déclarations de revenus, l'appelant les a attribuées à sa comptable. Plus précisément, celle‑ci lui avait conseillé de sous‑estimer ses pertes en 2003 afin de ne pas éveiller l'attention de l'Agence du revenu du Canada, conseil qui, selon l'appelant, avait entraîné d'autres erreurs dans ses déclarations pour 2004 et 2005 (pièce A‑1). Cependant, l'appelant a admis avoir fourni les données utilisées par la comptable et avoir produit les déclarations tout en sachant qu'elles étaient inexactes. D'ailleurs, la comptable n'a pas été appelée à témoigner.

 

[8]              Dans le même ordre d'idées, l'appelant était d'avis que la vérificatrice responsable de son dossier avait eu tort d'utiliser comme base de son analyse l'information erronée produite dans ses déclarations[2]. Si elle avait bien voulu utiliser l'information révisée figurant dans une version antérieure de ce qui à la date de l'instruction était devenu la base de données, les nouvelles cotisations n'auraient pas eu lieu d'être. L'avocat de l'appelant a aussi fait valoir que la vérificatrice n'avait pas bien compris en quoi consistait le travail de consultant de l'appelant.

 

[9]              La vérificatrice affectée au dossier de l'appelant, Nadia Sglavo, a été appelée comme témoin par l'intimée. Elle a expliqué sa méthode et fait un examen approfondi des pièces sur lesquelles elle s'était fondée pour refuser les dépenses déduites par l'appelant. Elle avait d'abord examiné les dépenses indiquées par l'appelant dans ses déclarations (pièce A‑1). Elle avait ensuite considéré les chiffres pour chaque catégorie de dépenses apparaissant sur un tableau des dépenses préparé en utilisant la version antérieure de la base de données, et elle avait tenté de les comparer aux quelques reçus et factures que lui avait remis l'appelant. Sur ce point, la vérificatrice détenait un avantage sur la Cour. Pour son examen, elle disposait d'au moins quelques‑unes des pièces justificatives, principalement pour 2003. La plupart des pièces de 2004 et de 2005 avaient été détruites lorsque le sous‑sol de l'appelant avait été inondé en 2006. La vérificatrice avait alors préparé ses feuilles de travail et rencontré l'appelant et sa comptable pour leur permettre de réagir à ses constatations. En conséquence, quelques rajustements avaient été faits au bénéfice de l'appelant; le refus des montants restants avait été confirmé à l'étape de l'opposition, et ce sont ces montants qui font l'objet des présents appels.

 

[10]         Quelles qu'aient pu être les conclusions de la vérificatrice, l'appelant devait, à l'audience, s'acquitter du fardeau qui lui incombait, soit justifier le caractère professionnel des sommes déduites. Toutefois, comme l'appelant (et son avocat) ont si souvent critiqué l'analyse de la vérificatrice, j'ajouterai ce qui suit : comme le système fiscal canadien est fondé sur l'autodéclaration, il est difficile de blâmer la vérificatrice de s'être fondée sur l'information que l'appelant lui-même lui avait fournie dans des déclarations qu'il savait erronées. Quant à l'utilisation de la base de données au stade de la vérification, cette base de données n'existait pas alors dans la forme où elle a été présentée à l'instruction. D'ailleurs, la vérificatrice avait accepté et examiné une copie papier d'une version antérieure de la base de données. Cette copie papier n'ayant pu la convaincre, l'appelant avait continué de manipuler les données tout au long de la période d'opposition et jusqu'à l'instruction; qui plus est, durant son témoignage, lorsque l'appelant a relevé une erreur dans l'une des sous‑catégories, il l'a corrigée sur‑le‑champ. La facilité avec laquelle il procède à des modifications est sans doute un atout dans le domaine de la gestion informatique de données, mais elle ne contribue pas à la fiabilité de la base de données et à la crédibilité du témoignage de l'appelant.

 

[11]         À la fin du témoignage de l'appelant, il est devenu évident que ce que l'appelant voulait véritablement, c'était produire des déclarations modifiées fondées sur la base de données, qui, selon lui, montrait qu'il avait le droit de déduire bien davantage de dépenses professionnelles (pièce A‑7) que celles qui avaient été déduites initialement dans ses déclarations, pendant la vérification et au stade de l'opposition. J'ai refusé à l'avocat de l'appelant la possibilité de modifier l'avis d'appel en conséquence. Cependant, même si j'avais autorisé la modification, cela n'aurait rien changé à l'issue, étant donné que, dans l'ensemble, l'appelant n'a pas établi la nature professionnelle des sommes qu'il voulait déduire.

 

[12]         Par conséquent, il n'est pas nécessaire de faire une analyse détaillée des prétentions de l'appelant; cependant, l'approche adoptée pour l'examen de sa preuve est décrite ci-après, avec quelques exemples.

 

[13]         Ayant entendu le témoignage de l'appelant, j'ai comparé les relevés bancaires et les relevés de carte de crédit pour les années 2003, 2004 et 2005 (pièces A‑3, A‑4 et A‑5, respectivement) avec les imprimés correspondants de la base de données pour chaque institution financière (pièce A‑6). J'avais pensé comparer les imprimés aux pièces justificatives, qui, si j'ai bien compris l'appelant, faisaient partie des pièces produites. Constatant que ce n'était pas le cas, je me suis concentrée sur l'année d'imposition 2003 vu qu'au moins certaines copies de reçus et de factures figuraient parmi les documents de l'intimée (pièce R‑2).

 

[14]         L'un des premiers éléments figurant dans l'imprimé de la base de données pour 2003 (pièce A-6) est « Belair », le 3 janvier 2003, classé de manière générale comme dépense professionnelle et dans la sous‑catégorie [TRADUCTION] « Frais de déplacement et de subsistance ». Selon le système de l'appelant, cela signifiait les frais de subsistance supportés lors de ses voyages d'affaires. La comparaison des dates et des montants indiqués avec ceux figurant dans les relevés de MBNA (pièce A‑3) révèle que « Belair » est la forme abrégée employée par l'appelant pour « Nettoyeur Belaire », qui est une entreprise de nettoyage à sec selon ce que la vérificatrice a pu constater. Il y a tout au long de 2003 de nombreux frais semblables. L'appelant a expliqué qu'il avait classé ses frais de nettoyage à sec comme dépense professionnelle parce que, comme consultant, il avait toujours facturé ces coûts à ses clients. Il est loisible à l'appelant et à ses clients de conclure une telle entente, mais cela ne convertit pas en dépenses professionnelles les frais de nettoyage à sec, qui sont en principe des frais personnels.

 

[15]         L'imprimé de la base de données pour 2003 classe aussi comme dépenses de représentation ou de promotion des frais supportés dans des magasins d'alcool, des stations de ski, des boutiques de cadeaux et des épiceries, lesquelles dépenses apparaissent toutes dans les relevés de MBNA (pièce A‑3). L'appelant a dit que ces dépenses étaient validement classées comme dépenses professionnelles parce que, comme consultant, il devait entretenir des relations avec ses clients, actuels ou potentiels. Il utilisait aussi des activités sociales pour obtenir des conseils d'avocats, de comptables et de personnes connaissant bien l'industrie aérospatiale ou connaissant des personnes qui y travaillent. Compte tenu de cet objectif, il les invitait souvent chez lui le vendredi soir à prendre un verre, il les emmenait au restaurant ou allait faire du ski avec eux, et il leur envoyait des cadeaux de remerciement ou d'anniversaire. Selon ses dires, les achats à l'épicerie servaient à préparer chez lui des repas élaborés pour ses relations d'affaires.

 

[16]         Vu la nature des activités de l'appelant, rien de tout cela ne dépasse l'entendement. Cependant, les rares pièces justificatives dont disposait la Cour n'appuyaient pas ses dires. Si l'on considère les copies de reçus à la pièce R‑2, onglet 6, rien ne permet de penser que les achats à l'épicerie étaient autre chose que les courses hebdomadaires personnelles du couple. L'appelant ne tenait pas d'agenda des activités sociales indiquant les dates où telles activités avaient lieu, ou indiquant les noms de ses invités. L'épouse de l'appelant, qui s'occupait selon lui des activités sociales de l'entreprise, n'a pas été appelée à témoigner pour confirmer les dires de son mari. L'appelant a témoigné que lui et son épouse recevaient des relations d'affaires une fois ou deux par mois, mais les achats à l'épicerie déduits comme dépenses professionnelles (pièces A‑3 et A‑6) ont lieu beaucoup plus fréquemment. L'analyse de la vérificatrice (pièce R‑2, onglet 5) montrait aussi que l'appelant avait l'habitude de retirer des espèces lors de nombreux achats par carte de crédit et de déduire le montant entier comme dépense professionnelle. L'appelant a témoigné qu'il utilisait toujours cet argent liquide pour divers petits achats, mais là encore rien ne permet d'établir le caractère professionnel de ces achats.

 

[17]         Un examen des pièces A‑3 et A‑6 révèle aussi que l'appelant classait souvent comme dépenses professionnelles certains frais de déplacement. Les déplacements en question avaient souvent lieu durant les congés, par exemple le jour de l'An ou la fête du Travail, ou encore durant les fins de semaine. L'appelant a expliqué que, en tant que travailleur autonome, il était en mesure d'organiser ses rencontres avec les clients de telle sorte que lui‑même et son épouse (qui l'accompagnait souvent pour l'aider concernant les préparatifs de voyage et les engagements sociaux) puissent combiner travail et agrément.

 

[18]         Encore une fois, il n'y a rien à redire à cela en soi. Toutefois, vu la nature double de telles escapades, il incombait à l'appelant de consigner soigneusement ses dépenses afin de pouvoir plus tard justifier le lien avec ses activités professionnelles. Il ne l'a pas fait. Vu les autres lacunes de son témoignage, il fallait davantage que sa simple affirmation concernant le caractère professionnel du voyage. À l'onglet 11 de la pièce A‑8 se trouve une copie de ce que l'appelant appelle un journal de bord de l'automobile. Cependant, tout comme la base de données, ce journal a été établi après le fait. Au lieu d'utiliser des notes prises pendant ses voyages, par exemple en utilisant la distance parcourue ou des reçus d'essence, l'appelant s'y prenait à rebours, à partir de ce qui, selon ses dires, était des dates de réunions d'affaires, pour aboutir à des dépenses professionnelles tirées de renseignements généraux tels que des calculateurs de distance sur Internet et les prix moyens du carburant indexés pour la période. Fort de cette méthode, l'appelant justifiait les dépenses déduites au titre de déplacements et de l'achat de repas au restaurant et d'alcool pour des voyages faits à Belleville et à Toronto afin d'y rencontrer un conseiller financier et un avocat respectivement. Il se trouve que ces personnes étaient d'anciens amis; leurs « conseils » n'ont pas été facturés à l'appelant. Sans autre élément de preuve à l'appui de sa simple affirmation selon laquelle il s'agissait de dépenses professionnelles, les coûts en question semblent bien davantage des dépenses personnelles que des dépenses professionnelles.

 

[19]         En 2004, l'appelant a déduit des frais de déplacement pour un voyage en Floride. Son épouse et lui ont quitté leur résidence au Québec le 15 décembre 2004 pour passer un mois dans un condominium à Naples. L'imprimé de la base de données pour 2004 (pièce A‑6) et les relevés de MBNA (pièce A‑4) indiquent plusieurs achats faits durant cette période : épicerie, essence, location de voiture, articles de pharmacie et repas au restaurant. L'appelant a déduit toutes ces sommes compte tenu du fait que le voyage en Floride était nécessaire pour ses activités professionnelles : il devait consulter un spécialiste qui se trouvait justement en Floride. Cependant, l'appelant a dit plus tard qu'il n'avait en réalité jamais rencontré ledit spécialiste parce qu'ils avaient discuté du projet au téléphone, ce qu'il aurait pu faire tout aussi facilement depuis son bureau à domicile au Québec. Quant aux dépenses déduites, même si j'admettais le caractère professionnel du voyage, la plupart des dépenses sont à première vue des dépenses personnelles. Un reçu qu'a mentionné la vérificatrice avait été délivré par Marshall's, un magasin de Naples, en Floride, et l'article qui y avait été acheté était une paire de chaussures[3]. Un seul reçu du genre ne rendrait pas inadmissible une déduction demandée par un contribuable, mais il atteste en l'occurrence la désinvolture de l'appelant en ce qui concerne les documents à l'appui.

 

[20]         L'appelant a aussi soutenu qu'il devrait avoir le droit de déduire une somme nettement plus élevée que les 50 p. 100 autorisés par la vérificatrice pour les intérêts payés sur ses diverses cartes de crédit et marges de crédit. Or, encore une fois, l'appelant ne peut s'en prendre qu'à lui‑même. En choisissant de ne pas établir des comptes distincts pour ses dépenses professionnelles et ses dépenses personnelles, et en négligeant de produire les pièces censées justifier les sommes qu'il voudrait déduire, il a rendu très difficile la tâche consistant à déterminer la part des intérêts payés sur ces comptes qui pourrait être attribuée à des dépenses professionnelles.

 

[21]         Finalement, l'appelant voulait déduire diverses dépenses supportées au titre de sa résidence, où il exploitait son entreprise de consultation. Encore une fois, nulle disposition de la Loi n'interdit la déduction de telles dépenses, si elles se rattachent à des activités professionnelles. Malheureusement, la preuve produite par l'appelant n'a pas permis d'établir un tel lien. Un examen de la pièce A‑6 et des relevés figurant dans les pièces A‑3, A‑4 et A‑5 montre que, en plus de déduire des dépenses habituellement rattachées aux fournitures de bureau et aux services connexes (papier, frais d'affranchissement, matériel informatique, soutien technique), l'appelant avait voulu aussi déduire des frais d'aménagement paysager, d'entretien de piscine et de nettoyage résidentiel (intérieur et extérieur). Il s'est justifié en affirmant que, comme il se servait de son domicile pour exercer ses activités professionnelles, sa résidence devait être une vitrine; il a même dit que, s'il avait acheté une impressionnante demeure, c'était précisément pour cette raison. Cependant, pour faire admettre ses prétentions, l'appelant devait encore établir un lien concret entre les dépenses et une utilisation à des fins professionnelles. Vu le petit nombre de fois par année où, selon lui, il recevait à domicile par rapport aux frais qui auraient été supportés, et vu l'absence générale d'éléments de preuve étayant les dépenses, je ne crois pas que de telles déductions soient admissibles. Je pense même que l'appelant devrait se réjouir de ce que certains frais de jardinage imputables à des plantes de garniture et ainsi de suite aient été admis au stade de la vérification.

 

[22]         L'autre lacune grave des prétentions de l'appelant en ce qui concerne l'utilisation de sa résidence à des fins professionnelles avait trait à la part des frais liés à la résidence qu'il voulait déduire. Il avait au départ déduit 25 p. 100 de ces frais dans sa déclaration de 2003, dont une bonne portion a été admise par la vérificatrice. Comme il n'avait aucun document à l'appui pour 2004 et 2005, la vérificatrice a utilisé une moyenne pour ces années. À l'instruction, cependant, l'appelant a soutenu qu'il avait le droit de déduire un bon 49 p. 100 de ses dépenses liées à la résidence. Ce chiffre était fondé en partie sur ce que d'autres, à défaut d'une meilleure expression, « réussissaient à obtenir », ainsi que sur son remaniement constant de la base de données. Pour calculer la superficie de la partie de sa résidence utilisée à des fins professionnelles, l'appelant avait adopté une approche libérale, qui englobait en fait tout espace le moindrement rattaché à la visite d'un client, à savoir la totalité de la cuisine, vu qu'il servait parfois une tasse de café à ses clients et la totalité du sous‑sol, vu que ses dossiers y sont entreposés à côté d'articles de ménage. Compte tenu des faits, je ne vois aucune raison de modifier cet aspect des nouvelles cotisations.

 

[23]         Globalement, l'appelant n'a pas réfuté les hypothèses sur lesquelles les cotisations du ministre sont fondées; par conséquent, ses appels doivent être rejetés.

 

Année frappée de prescription : l'année 2003

 

[24]         Pour ce qui est maintenant de la question de savoir si le ministre a eu raison d'établir une nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 2003 après la période normale de nouvelle cotisation, le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi oblige le ministre à prouver qu'il y a eu une présentation erronée des faits, imputable à la négligence, à l'inattention ou à l'omission volontaire du contribuable, ou à une fraude commise par lui. Ce n'est pas un fardeau de la preuve particulièrement lourd. Il est aisé de s'en acquitter ici étant donné que l'appelant a reconnu avoir produit sa déclaration de 2003 en sachant qu'elle contenait des renseignements inexacts. Même si j'acceptais son témoignage selon lequel il a agi ainsi uniquement à l'instigation de sa comptable, cela ne suffirait pas à l'exempter des conséquences de ses actes.

 

Pénalités

 

[25]         Dans une décision de la Cour fédérale, Venne c. La Reine, no T‑815‑82, 9 avril 1984, [1984] A.C.F. no 314 (QL), le juge Strayer exposait l'approche à adopter pour savoir si l'imposition par le ministre de pénalités au titre du paragraphe 163(2) de la Loi était justifiée :

 

(4) Imposition de pénalités — Comme il a été souligné auparavant, pour que [le ministre] puisse imposer des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il faut que le contribuable ait « sciemment ou dans des circonstances qui justifient l'imputation d'une faute lourde... participé, consenti, acquiescé à » un faux énoncé dans une déclaration, etc... Le libellé équivalent du paragraphe 56(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu a été interprété par le juge Cattanach dans l'affaire Udell c. le ministre du Revenu national [1970] R.C.É. 176. [...] Lorsque le juge Cattanach a interprété le texte de ce qui est maintenant le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il a déclaré à la page 193 :

 

En conséquence, reste la question de savoir si l'article 56(2) considère que la négligence flagrante du préposé de l'appelant, en l'occurrence le comptable professionnel, peut être attribuée à l'appelant lui-même. Chacun des verbes de l'article « a participé, consenti, ou acquiescé » implique un élément de connaissance de la part du commettant, ou avec le consentement tacite de ce dernier. L'autre verbe utilisé dans l'article 56(2) est « a fait ». La question est par conséquent de savoir si les principes régissant ordinairement les rapports entre commettants et préposés vont s'appliquer, c'est‑à‑dire ce que l'on fait faire par un préposé revient à ce que l'on fait soi‑même, et que le commettant est ainsi responsable des actes de son préposé, lorsque celui‑ci prétend agir dans l'exercice de ses fonctions, même en l'absence d'ordre exprès ou de consentement de la part du commettant.

 

À mon avis, l'utilisation du terme « a fait » dans ce contexte, implique aussi une connaissance délibérée et intentionnelle de l'employeur quant à l'acte fait; or, ce n'était pas le cas, d'après les circonstances de l'espèce. L'appelant n'a pas été complice de la négligence flagrante de son comptable. Il s'agit sûrement là d'une interprétation raisonnable.

 

Il est de règle, à mon avis, que lorsqu'il existe, pour l'imposition d'une taxe ou d'un droit, et a fortiori d'une pénalité, un doute raisonnablement fondé, il faut interpréter la loi de façon à donner à la partie visée le bénéfice du doute.

 

Pour arriver à cette interprétation, le savant juge avait pris en considération le fait que le paragraphe en cause est une disposition pénale et qu'elle doit être interprétée de façon restrictive, de sorte que s'il existe une interprétation raisonnable propre à éviter la pénalité dans un cas particulier, cette interprétation devrait être adoptée. Il a conclu que les renseignements erronés qui se trouvent dans les déclarations n'avaient pas été donnés au su du contribuable et que la faute lourde du comptable ne pouvait lui être attribuée.

 

Il convient aussi de se souvenir, dans l'application de ce paragraphe, que d'après le paragraphe 163(3), c'est à la défenderesse qu'il incombe de prouver que la cotisation d'une pénalité est justifiée[4].

 

[26]         L'avocat de l'appelant a fait valoir qu'aucune pénalité ne devrait être imposée pour 2003, étant donné que l'unique erreur de l'appelant avait été la sous‑estimation de ses pertes d'entreprise. Quant aux années 2004 et 2005, la non‑déclaration des revenus était imputable à un pépin dans le programme informatique utilisé pour créer une version antérieure de la base de données.

 

[27]         Je ne trouve pas ces arguments convaincants. À partir de 2003, l'appelant a reconnu ne pas avoir déclaré ses pertes parce qu'il ne voulait pas éveiller l'attention de l'Agence du revenu du Canada. Mais il n'avait pas simplement choisi de ne pas déduire une « perte » véritablement calculée; il avait fait une présentation erronée globale des détails de ses dépenses dans l'État des résultats des activités d'une profession libérale. L'appelant a même employé le mot [TRADUCTION] « arbitraires » pour qualifier les chiffres indiqués dans les déclarations. La même méthode a été employée en 2004 et en 2005. Pour ces années, cependant, l'appelant a aussi omis de déclarer un revenu important et, pour l'année d'imposition 2005, il a omis de verser la TPS. Vu la facilité avec laquelle l'appelant utilise le programme de la base de données (une aisance démontrée, à sa demande, au cours de l'audience), j'ai de la difficulté à croire que de telles erreurs aient été le résultat d'un pépin interne, ou que l'appelant en ignorait l'existence avant la vérification de 2006. Il a lui‑même affirmé que c'est délibérément qu'il n'avait pas déclaré les honoraires gagnés en 2004 parce que, à la fin de l'exercice, ses honoraires n'avaient pas encore été payés par son client et qu'il n'allait pas payer de l'impôt sur des sommes qu'il pourrait ne jamais recevoir[5]. S'il n'a pas payé la TPS établie pour 2005, c'est parce qu'il était sûr, d'après ses calculs, qu'après que ses dépenses professionnelles auront été établies correctement, il n'aurait pas de TPS à verser. Dans ces circonstances, il est difficile de conclure que l'appelant ne savait pas ce qu'il faisait lorsqu'il a produit ses déclarations pour ces deux années.

 

[28]         Pour savoir si le ministre avait établi le bien‑fondé des pénalités dans la décision Venne, le juge Strayer avait examiné les circonstances particulières du contribuable en cause et a affirmé : « Je devrais faire remarquer ici, puisque c'est pertinent à toute la question de l'application des peines en vertu du paragraphe 163(2), qu'il semble y avoir un certain élément de subjectivité admis dans la jurisprudence pour évaluer si le contribuable avait connaissance du caractère erroné des présentations dans les déclarations ou s'il a commis une faute lourde : voir, par ex., Howell c. Ministre du Revenu national (1981) 81 D.T.C. 230, p. 234 (C.R.I.); Joris c. Ministre du Revenu national (1981) 81 D.T.C. 470, p. 472 (C.R.I.)[6]. » Compte tenu des conclusions exposées ci-après, la Cour fédérale avait finalement conclu que le ministre n'était pas parvenu à prouver que le contribuable avait « sciemment » fait de fausses déclarations dans sa déclaration de revenus :

 

[...] Le contribuable, en l'espèce, est un homme qui a fini sa cinquième année d'études; il travaille et paye des impôts dans une langue qui n'est pas sa première langue ni de culture, ni d'enseignement, un homme qui est plus à l'aise dans un garage que dans un bureau. Ces facteurs non seulement militent à l'encontre d'une conclusion selon laquelle il aurait fait sciemment les faux énoncés contenus dans ses déclarations, mais aussi tout son comportement n'est pas celui d'une personne qui avait délibérément cherché à dissimuler de grandes quantités de revenus imposables. Il tenait des dossiers qui semblaient tout à fait complets sur ses ventes commerciales, et il les remettait au teneur de livres. Pour autant que la preuve le montre, toutes les recettes de l'entreprise, ou pratiquement, ont été déposées à la banque, là où les fonds pouvaient être retracés très facilement. Il a aussi confié toutes ses créances hypothécaires, sauf une ou deux, à des banques et à des sociétés de fiducie qui tenaient des dossiers très soignés sur les revenus provenant de ces hypothèques entiercées. Il est peu probable qu'une personne qui cherche à dissimuler son revenu ait mené ses affaires de cette façon. Qui plus est, il est difficile de croire qu'il surveillait consciemment et effectivement ses teneurs de livres puisque bon nombre des erreurs commises dans ses déclarations étaient en fait en sa défaveur, bien que la plupart d'entre elles aient été à son avantage. Je ne puis donc conclure que les faux énoncés dans les déclarations ont été faits sciemment par le demandeur[7].

 

[29]         Ces faits contrastent vivement avec le cas de l'appelant. C'est un homme instruit, qui a une parfaite maîtrise de l'anglais et de nombreuses années d'expérience comme consultant indépendant. Il exerçait un contrôle étroit sur ses finances et avait une connaissance approfondie de la gestion informatique de telles informations. Malgré ces atouts, il a décidé de ne pas tenir des registres adéquats de ses activités professionnelles et de ne pas avoir de comptes distincts pour ses affaires professionnelles et ses affaires personnelles. Dans ces circonstances, il est difficile de croire que l'appelant était à la merci de sa comptable. Je n'ai pas eu l'avantage de connaître la version de la comptable, mais rien ne me permet de douter de la description persuasive qu'en a faite la vérificatrice, pour qui elle avait été la plus raisonnable des deux durant ses rencontres avec l'appelant. Finalement, contrairement à celle de M. Venne, la ligne de conduite de l'appelant montre un style de gestion financière conçu de façon à obscurcir la frontière entre les dépenses professionnelles et les dépenses personnelles dans le but de maximiser les déductions.

 

[30]         L'avocat de l'appelant a cité dans ses observations plusieurs autres décisions portant sur les pénalités[8]. À mon avis, chacune de ces décisions peut être écartée ici pour diverses raisons : contribuables inexpérimentés, caractère crédible de leur témoignage ou nature plus complexe de la disposition légale concernée.

 

Conclusion

 

[31]         Ce qui est le plus triste dans toute cette histoire, c'est que, si l'appelant avait appliqué ses extraordinaires talents en matière de gestion informatique des données pour conserver des registres contemporains de ses activités professionnelles — registres fondés sur des reçus permettant de faire une distinction entre ses dépenses professionnelles et ses dépenses personnelles, notes de réunions tenues avec les clients, journal de bord pour la voiture, agenda d'activités sociales, et ainsi de suite — il aurait fort bien pu éviter les difficultés qu'il connaît aujourd'hui. Vu la non‑fiabilité des données figurant dans la base de données, elles n'ont guère étayé le témoignage de l'appelant; elles ont même eu l'effet d'affaiblir encore le témoignage de l'appelant sur la nature professionnelle des dépenses mêmes qu'il voulait déduire. Tout compte fait, l'appelant n'est pas parvenu à réfuter les hypothèses sur lesquelles les nouvelles cotisations étaient fondées. Les appels concernant les années d'imposition 2003, 2004 et 2005 sont rejetés, avec dépens en faveur de l'intimée.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de janvier 2012.

 

 

« G. A. Sheridan »

Le juge Sheridan

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 25

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2009-2129(IT)G

 

INTITULÉ :                                       HENNING E. JACOBSEN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  Les 11 et 12 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L'honorable juge G. A. Sheridan

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 20 janvier 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Guy Matte

 

Avocate de l'intimée :

Me Christina Ham

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelant :

 

                   Nom :           Guy Matte

 

                   Cabinet :      Me. Fiscalex inc.

                                       500, Place D'Armes, pièce 2100

                                       Montréal (Québec), H2Y 2W2

 

          Pour l'intimée :       Myles J. Kirvan

                                       Sous-procureur général du Canada

                                       Ottawa, Canada

 



[1] Pièces A-3 (2003), A-4 (2004), et A-5 (2005).

 

[2] Transcription, page 30, lignes 16 à 23. Voir la pièce A‑1, « État des résultats des activités d'une profession libérale », pour 2003, 2004 et 2005.

 

[3] Transcription, volume 2, page 30, lignes 8 à 12.

 

[4] Décision susmentionnée.

 

[5] Transcription, page 112, lignes 14 à 19.

 

[6] Décision susmentionnée.

 

[7] Décision susmentionnée.

 

[8] Lafrance c. Ministre du Revenu national, 26 janvier 1971, 71 D.T.C. 172 (C.A.I.), Mark c. Ministre du Revenu national, 13 février 1978, 78 D.T.C. 1205 (C.R.I.), Magliaro c. Ministre du Revenu national, 27 mars 1980, 80 D.T.C. 1287 (C.R.I.), Chaimberg c. Ministre du Revenu national, 19 janvier 1983, 83 D.T.C. 81 (C.R.I.), Cloutier c. La Reine, no T‑2235‑76, 23 octobre 1978, [1978] A.C.F. no 917 (QL) (C. F. 1re inst.), Sandhu c. Ministre du Revenu national, 18 mars 1983, 83 D.T.C. 500 (C.R.I.).

 

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