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Référence : 2011 CCI 558

Date : 20111206

Dossiers : 2011-1863(EI)

2011-1864(CPP)

ENTRE :

VIJAY MEHTA,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(révisés à partir de la transcription des motifs du jugement rendus oralement à l’audience le 27 octobre 2011, à Toronto (Ontario))

 

La juge Campbell

 

[1]     Qu’il soit consigné au dossier que les présents motifs sont rendus oralement dans l’affaire Vijay Mehta, que j’ai entendue plus tôt aujourd’hui.

 

[2]     L’appelant a interjeté appel d’une décision du ministre du Revenu national selon laquelle il exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension auprès de Dixie X‑Ray Associates Limited (que j’appellerai « Dixie » ou le « payeur » dans les présents motifs) au cours de la période allant du 1er janvier 2007 au 17 août 2010, suivant l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi et l’alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada. Les deux appels ont été entendus ensemble sur preuve commune.

 

[3]     Il s’agit de savoir si, au cours de la période en question, M. Mehta travaillait pour le payeur à titre d’employé ou s’il agissait plutôt à titre d’entrepreneur indépendant.

 

[4]     L’appelant a une formation de technicien en imagerie diagnostique médicale et possède des connaissances spécialisées dans le domaine de l’ultrason musculo-squelettique. Au cours de sa carrière, l’appelant a noué des liens étroits avec plusieurs experts en médecine dans ce domaine ainsi qu’avec un certain nombre de cliniques et d’associations sportives qui s’occupent d’athlètes professionnels. L’appelant travaille pour le payeur depuis environ cinq ans, mais il voit parfois des patients dans d’autres cliniques.

 

[5]     Dixie, le payeur, exploite un certain nombre de cliniques de soins de santé qui fournissent au public divers services d’imagerie diagnostique. Ces cliniques étaient ouvertes de 8 à 20 h, du lundi au samedi. L’appelant exécutait ses tâches dans les établissements de Dixie à Mississauga, à North York et à Woodbridge. Un certain nombre de techniciens travaillaient pour Dixie à ces endroits.

 

[6]     L’appelant peut fournir une gamme de services d’imagerie aux membres du grand public qui se présentent chez Dixie, mais il s’occupe généralement d’imagerie spécialisée, et un grand nombre de ces services sont fournis à des gens qu’il a appelés ses [traduction] « propres patients », lesquels lui sont adressés par des médecins et par des cliniques spécialisés dans le domaine du sport.

 

[7]     L’appelant a témoigné que les athlètes professionnels lui sont adressés pour recevoir des services d’imagerie musculo-squelettique. Il consacre ses mardis et ses jeudis, chez Dixie, à voir des patients qui se sont blessés en faisant du sport et qui lui sont adressés par ces sources extérieures. Le mercredi, il passe la moitié de la journée avec un médecin spécialiste, dans un établissement de Dixie, à faire des injections aux patients. L’appelant a déclaré pouvoir, à son gré, amener ces médecins aux locaux de Dixie pour faire les injections aux membres du public.

 

[8]     Les heures de travail de l’appelant pouvaient varier, mais elles étaient limitées aux heures auxquelles les établissements de Dixie reçoivent le public. L’horaire de l’appelant variait en fonction de l’établissement et du nombre de rendez-vous qui avaient été pris. L’appelant a témoigné qu’en général, il travaillait de 8 à 15 h pour Dixie, mais qu’à cause de la demande, il pouvait fournir des services aux patients après 15 h.

 

[9]     L’appelant touchait 36 $ l’heure et il était rémunéré par chèque aux deux semaines. Il pouvait embaucher des assistants pour qu’ils l’aident à s’occuper des patients et à établir le calendrier des rendez-vous, mais seule Dixie pouvait embaucher de véritables remplaçants pour M. Mehta si les cliniques en avaient besoin.

 

[10]    À la fin de l’année, Dixie versait à M. Mehta 10 p. 100 de son salaire brut global, que ce dernier a appelé une [traduction] « prime », pour les patients qu’il avait amenés à la clinique; contrairement à ce que l’intimé a affirmé, il ne s’agissait pas d’une paie de vacances.

 

[11]    L’appelant remettait des feuilles de temps à Dixie, mais il ne lui présentait pas de factures à payer. L’appelant remettait également à Dixie les résultats des tests d’imagerie au moyen de rapports et Dixie était ensuite responsable de la distribution des rapports aux sources concernées.

 

[12]    Dixie fournissait les locaux sans exiger de loyer de M. Mehta, ainsi que tous les instruments, le matériel et les fournitures nécessaires pour les diagnostiques, d’une valeur d’environ 300 000 $, et ce, sans qu’il en coûte quoi que ce soit à M. Mehta. De plus, Dixie était responsable des réparations et de l’entretien du matériel et des locaux. M. Mehta a témoigné utiliser son propre ordinateur pour rédiger les rapports, mais la preuve ne montrait pas clairement s’il s’agissait d’une exigence.

 

[13]    Les parties avaient de fait conclu un bref contrat de travail, daté du 5 novembre 2007, lequel indiquait fort peu de choses au sujet des conditions réelles de travail; le taux horaire et la date de début du contrat étaient même laissés en blanc. Le seul élément pertinent, dans ce document d’une page, était la mention du fait que l’appelant agissait à titre d’entrepreneur et qu’il était personnellement responsable des retenues à la source.

 

[14]    À coup sûr, l’intention déclarée de l’appelant, et probablement de Dixie, quoique personne n’ait comparu pour le compte de cette dernière, était qu’il devait agir à titre d’entrepreneur indépendant plutôt qu’à titre d’employé.

 

[15]    Il convient de se demander si les faits établis par la preuve qui a été présentée aujourd’hui sont compatibles avec les intentions des parties et les étayent. Je me reporterai ici à l’arrêt Royal Winnipeg Ballet (Royal Winnipeg Ballet c. Ministre du Revenu national), [2006] A.C.F. no 339).

 

[16]    Pour ce faire, il faut analyser les faits et les examiner selon le critère à quatre volets qui a été énoncé dans l’arrêt Wiebe Door (Wiebe Door Services v. Minister of National Revenue (1986), 87 D.T.C. 5025 (C.A.F.)), à savoir le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte.

 

[17]    Dans l’arrêt Sagaz Industries (plus exactement connu sous le nom de 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59), la Cour suprême du Canada a confirmé ces facteurs et, aux paragraphes 47 et 48, elle a dit ce qui suit :

 

[47]      Bien qu’aucun critère universel ne permette de déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, je conviens avec le juge MacGuigan que la démarche suivie par le juge Cooke dans la décision Market Investigations, précitée, est convaincante. La question centrale est de savoir si la personne qui a été engagée pour fournir les services les fournit en tant que personne travaillant à son compte. Pour répondre à cette question, il faut toujours prendre en considération le degré de contrôle que l’employeur exerce sur les activités du travailleur. Cependant, il faut aussi se demander, notamment, si le travailleur fournit son propre outillage, s’il engage lui-même ses assistants, quelle est l’étendue de ses risques financiers, jusqu’à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion et jusqu’à quel point il peut tirer profit de l’exécution de ses tâches.

 

[48]      Ces facteurs, il est bon de le répéter, ne sont pas exhaustifs et il n’y a pas de manière préétablie de les appliquer. Leur importance relative respective dépend des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

[18]    Dans les motifs concourants qu’il a rendus dans l’arrêt Wolf v. The Queen, 2002 D.T.C. 6853 (C.A.F.), le juge Décary, de la Cour d’appel fédérale, a mentionné ce qui suit au paragraphe 117 :

 

[117]    Le critère consiste donc à se demander, en examinant l’ensemble de la relation entre les parties, s’il y a un contrôle d’un côté et une subordination de l’autre. Je déclare, avec le plus grand respect, que les tribunaux, dans leur propension à créer des catégories juridiques artificielles, ont parfois tendance à ne pas tenir compte du facteur même qui est l’essence d’une relation contractuelle, à savoir l’intention des parties. [...]

 

[19]    La façon dont les parties qualifient leur relation de travail et la façon dont elles la décrivent sont pertinentes, mais cela n’est pas nécessairement déterminant. Toutefois, lorsque les faits ne sont pas clairs et qu’il serait possible de conclure à l’existence soit d’une relation d’entrepreneur indépendant soit d’une relation d’employé, l’intention et la compréhension mutuelle de la relation auront une importance primordiale.

 

[20]    Les facteurs de l’arrêt Wiebe Door peuvent être plus ou moins importants selon les faits particuliers qui ont été établis dans une affaire donnée. Contrairement a ce qu’a soutenu l’intimé, le facteur « contrôle » a souvent un rôle primordial, mais pas toujours. Dans 1’arrêt Combined Insurance Co. of America c. Ministre du Revenu national, [2007] CAF 60, 2007 A.C.F. no 124, le juge Nadon, de la Cour d’appel fédérale, a dit ce qui suit au paragraphe 35 :

 

[35] […] 2. Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents et leur importance dépendra des circonstances et des faits particuliers de l’affaire.

 

Même si en règle générale, le critère de contrôle aura une importance marquée, les critères élaborés dans Wiebe Door et Sagaz, précités, s’avéreront néanmoins utiles pour déterminer la véritable nature du contrat. [Non souligné dans l’original.]

 

[21]    J’examinerai maintenant les divers facteurs énoncés dans l’arrêt Wiebe Door. Je traiterai d’abord du contrôle. Il faut ici se rappeler qu’il s’agit du « droit » d’exercer un contrôle sur l’appelant ou de le diriger dans l’exécution de ses tâches plutôt que du contrôle « réel » qui peut être exercé. L’avocate de l’intimé a déclaré que ce facteur était neutre parce que l’appelant est un professionnel hautement qualifié possédant des connaissances spécialisées dont le travail exige peu de supervision. Cela serait vrai, que M. Mehta soit un employé ou qu’il soit un entrepreneur indépendant, ce qui suscite des difficultés pour l’application des critères traditionnels énoncés dans l’arrêt Wiebe Door.

 

[22]    Dans ces conditions, étant donné que Dixie ne posséderait pas les compétences ou les connaissances nécessaires en vue de superviser une personne si compétente, le facteur « contrôle », qui a une telle pertinence dans d’autres circonstances, est tout simplement peu pertinent dans ce cas‑ci. L’appelant exerçait un degré assez élevé de contrôle sur le type de patients à qui il fournissait ses services et pouvait décider de ses propres heures, dans la mesure où les cliniques de Dixie étaient ouvertes. L’appelant pouvait également demander à des spécialistes en médecine qu’il choisissait lui-même de se présenter à la clinique afin de pratiquer des injections. Ces faits indiquent, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant exerçait un contrôle plus étendu sur le type de services qu’il fournissait à la clinique.

 

[23]    Le facteur suivant est celui de la propriété des instruments de travail. Ce facteur permet clairement de conclure que l’appelant est un employé étant donné que presque tous les instruments de travail et presque tout le matériel appartenaient au payeur, Dixie, qui assurait leur entretien. La valeur de ces actifs est fort élevée. Il n’est pas question d’un assortiment négligeable de fournitures. De plus, l’appelant est libre d’utiliser les locaux et les installations du payeur sans qu’il lui en coûte quoi que ce soit.

 

[24]    Le facteur suivant est celui du profit. L’appelant pouvait normalement faire plus d’argent uniquement s’il effectuait un plus grand nombre d’heures au taux horaire fixe. Selon la preuve, c’est ce que l’appelant faisait régulièrement étant donné que des sources extérieures telles que les cliniques de médecine sportive lui adressaient des patients. Toutefois, le nombre d’heures additionnelles que l’appelant pouvait effectuer était limité aux heures d’ouverture des cliniques de Dixie. À cet égard, cela n’est pas très différent du cas de l’employé qui effectue des heures additionnelles pour son employeur à un taux horaire fixe.

 

[25]    Dans l’ensemble, c’était clairement Dixie qui tirait profit du nombre accru de patients adressés à ses cliniques et des montants facturés qui en résultaient finalement. Les compétences et l’expertise de l’appelant attiraient peut-être bien des patients à la clinique, mais l’appelant pouvait uniquement demander qu’on lui accorde un taux horaire plus élevé. C’était le seul pouvoir de négociation dont il disposait. En fin de compte, c’était Dixie qui faisait un profit ou qui subissait une perte dans l’exploitation et la gestion de ses diverses cliniques.

 

[26]    Le facteur suivant concerne les pertes. À cet égard, il n’existait essentiellement aucune possibilité de perte pour l’appelant lorsqu’il fournissait les services. L’appelant ne versait pas de loyer à la clinique et ne payait aucune partie des frais généraux; il ne fournissait pas d’instruments de travail ni de fournitures; il n’avait pas à réparer le matériel ou à assurer son entretien ni à recruter du personnel, si ce n’est un assistant occasionnel. De plus, la preuve ne montrait pas clairement si, au cours de la période en question, l’appelant avait de fait embauché quelqu’un pour l’aider dans les cliniques de Dixie.

 

[27]    M. Mehta n’avait pas investi des fonds dans l’entreprise et il n’assumait aucun des risques associés à l’exploitation de la clinique. Les facteurs « profit et perte » indiquent que M. Mehta avait le statut d’employé.

 

[28]    L’embauche de remplaçants : dans le travail qu’il effectuait pour Dixie, l’appelant fournissait personnellement ces services et il n’avait pas le droit d’embaucher un remplaçant s’il ne pouvait pas se présenter à la clinique. L’appelant a témoigné qu’il pouvait embaucher des assistants, mais ici encore, la preuve est vague sur ce point et ne permet pas de savoir s’il l’a fait au cours de la période en question.

 

[29]    Quant à la question de la paie de vacances que l’appelant a appelée, dans son témoignage oral, une prime de 10 p. 100, la preuve documentaire justifie pleinement une conclusion contraire. La pièce R‑4, qui est une note manuscrite de l’appelant, indiquait clairement que le montant correspondant à 10 p. 100 du salaire global que l’appelant avait touché en 2009 était une paie de vacances.

 

[30]    De plus, sur l’un des chèques que Dixie a émis en faveur de l’appelant (pièce R‑5) il est mentionné que le montant se rapporte à la paie de vacances. Il s’agit d’un autre facteur qui étaye la conclusion que je tire dans les présents appels.

 

[31]    En résumé, tous les facteurs, à l’exception du contrôle, indiquent clairement que Dixie avait engagé l’appelant à titre d’employé, contrairement à l’intention déclarée de l’appelant, qui voulait agir à titre d’entrepreneur indépendant. Le facteur « contrôle » n’indique pas d’une façon définitive si l’appelant était un entrepreneur indépendant, mais certains éléments montrent que l’appelant avait une certaine latitude dans la façon dont il fournissait ses services spécialisés et quant aux personnes à qui il fournissait ses services.

 

[32]    Toutefois, la preuve ne traitait pas de la question cruciale de savoir si Dixie avait le « droit », si elle le voulait, de diriger M. Mehta dans l’exécution des services qu’il fournissait dans ses cliniques.

 

[33]    Les travailleurs qualifiés qui sont engagés reçoivent généralement peu de directives, sinon aucune, mais la relation de travail peut néanmoins être telle que Dixie peut avoir eu en dernier ressort le droit de donner des directives à l’égard des services et des patients si elle décidait de le faire.

 

[34]    Compte tenu de l’ensemble des circonstances et des faits qui ont été portés à ma connaissance dans les présents appels, et à la lumière des facteurs de l’arrêt Wiebe Door, je dois conclure que l’appelant est un employé de Dixie, et ce, malgré l’entente écrite indiquant qu’il est entrepreneur.

 

[35]    De plus, lorsque je me demande si l’appelant, M. Mehta, fournissait ses services d’imagerie diagnostique en tant que personne exploitant une entreprise à son propre compte, je dois conclure que M. Mehta n’exploitait pas sa propre entreprise. Pour ces motifs, les appels sont rejetés sans frais.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de décembre 2011.

 

 

 

« Diane Campbell »

Juge Campbell

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de février 2012.

 

Marie-Christine Gervais


 

RÉFÉRENCE :                                  2011 CCI 558

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 2011-1863(EI)

                                                          2011-1864(CPP)

 

INTITULÉ :                                       Vijay Mehta

                                                          c.

                                                          Ministre du Revenu national

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 27 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :               L’honorable juge Campbell

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 27 octobre 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Cenobar Parker

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                        

 

       Pour l’intimé :                             Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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