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Dossier : 2009-3634(IT)G

ENTRE :

JACQUES POISSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

 

Requête entendue le 4 novembre 2011, à Sherbrooke (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Johanne D'Auray

 

 

Avocat de l’appelant :

Me Robert Jodoin (absent)

Avocat de l'intimée :

Me Mathieu Tanguay

____________________________________________________________________

 

 

ORDONNANCE

 

VU l’ordonnance prononcée le 16 novembre 2011;

 

          ET après avoir reçu les prétentions écrites par les parties quant aux dépens;

 

          La Cour ordonne que des dépens de 650 $ et les frais soient payables par l’appelant à l’intimée;

 

          La Cour ordonne que ce montant soit remboursé à l’appelant par l’avocat de l’appelant en application du paragraphe 152(1)b) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (règles) et en application du paragraphe 152(3) des règles, ordonne que l’avocat de l’appelant fasse parvenir à l’appelant la présente ordonnance et les présents motifs de l’ordonnance.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2012.

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray

 

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 53

Date : 20120220

Dossier : 2009-3634(IT)G

ENTRE :

JACQUES POISSON,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

La juge D'Auray

 

 

[1]              Dans ce dossier, j’ai rendu une ordonnance en date du 16 novembre 2011, accueillant la requête en rejet d’appel qu’avait présentée l’avocat de l’intimée.

 

[2]              Ni l’appelant, ni son avocat n’ont comparu pour l’audience de la requête en rejet d’appel.

 

[3]              Lors de l’audience, l’avocat de l’intimée m’a demandé d’ordonner des dépens plus élevés que ceux prévus au tarif en vertu de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (règles).

 

[4]              L’avocat de l’intimée a aussi fait valoir que l’article 152 des règles, par directive, permet à cette Cour d’enjoindre à un avocat de rembourser son client des dépens que celui-ci est tenu de payer à une autre partie, si l’avocat d’une partie a fait engager des dépens à tort ou sans raison valable, ou les a fait augmenter inutilement par des retards abusifs, par mauvaise conduite ou par une autre omission.

 

[5]              Le paragraphe 152(2) des règles énonce que la Cour ne peut donner une telle directive que si l’avocat a eu une occasion raisonnable d’être entendu par la Cour.

 

[6]              J’ai alors demandé à l’avocat de l’appelant et à celui de l’intimée de soumettre des prétentions écrites sur les dépens et particulièrement, sur l’application du paragraphe 152(2) des règles.

 

[7]              Des prétentions écrites ont été déposées par les deux parties.

 

[8]              L’avocat de l’appelant prétend que les dépens dans ce dossier devraient se limiter au tarif B de l’annexe II, catégorie A, soit de 350 $ pour la préparation d’une requête pour rejet d’appel. Selon l’avocat de l’appelant, le montant de 2000 $ demandé par l’avocat de l’intimée est beaucoup trop élevé, eu égard au travail effectué dans ce dossier.

 

[9]              De plus, il prétend qu’il ne peut pas être tenu responsable des dépens du présent dossier car son client, M. Poisson, ne lui donnait pas d’instructions; ainsi il ne pouvait pas faire part des intentions de son client à l’avocat de l’intimée.

 

[10]         Il ressort aussi des prétentions de l’avocat de l’appelant que son client lui a retiré son mandat dès que le délai pour porter la décision de la Cour du Québec en appel fut expiré, soit le 15 août 2011.

 

[11]         La veille de l’audience, soit le 3 novembre 2011, l’étude de droit de l’avocat de l’appelant faisait parvenir une lettre à l’avocat de l’intimée, lui indiquant qu’il n’avait pas le mandat du client de contester la demande en rejet d’appel. Cette Cour n’a pas reçu une copie de cette correspondance.

 

[12]         L’avocat de l’appelant ne s’est pas présenté à l’audience le 4 novembre 2011, ne croyant pas que sa présence était nécessaire.

 

[13]         Pourtant, la requête en rejet d’appel lui avait été dûment signifiée. De plus, l’avocat de l’appelant était toujours l’avocat inscrit au dossier en vertu des articles 31 à 34 des règles.

 

[14]         Si l’on analyse les faits dans ce dossier, on se rend compte que c’est suite à la demande de l’avocat de l’appelant que le dossier de cette Cour a été suspendu. L’avocat de l’appelant s’est engagé auprès de cette Cour à ce que le présent dossier soit lié au jugement rendu en Cour du Québec. Le jugement de la Cour du Québec a été rendu le 15 juillet 2011, rejetant la requête introductive d’instance de M. Poisson. Ni cette Cour, ni l’avocat de l’intimée n’ont été avisés qu’un jugement avait été rendu. L’avocat de l’intimée l’a appris par la procureure du sous-ministre du Revenu du Québec, le 25 juillet 2011.

 

[15]         Le 25 juillet 2011, l’avocat de l’intimée a tenté de communiquer sans succès avec l’avocat de l’appelant.  

 

[16]         Le 28 juillet 2011, l’avocat de l’intimée a fait parvenir une lettre à l’avocat de l’appelant lui demandant de l’informer de ses intentions quant à la poursuite du dossier.

 

[17]         Le 25 août 2011, après plusieurs tentatives de communication avec l’avocat de l’appelant, l’avocat de l’intimée a fait signifier une seconde lettre par laquelle il lui demandait à nouveau ses intentions quant à la poursuite du dossier. Dans cette lettre, l’avocat de l’intimée indiquait que l’appelant pouvait se désister de son appel, sans frais, jusqu’au 2 septembre 2011, sinon une requête en rejet d’appel serait déposée.

 

[18]         Le 6 septembre 2011, l’avocat de l’intimée signifiait une requête en rejet d’appel à l’avocat de l’appelant.

 

[19]         Le 7 septembre 2011, la requête en rejet d’appel de l’intimée ainsi que les preuves de signification étaient déposées auprès de cette Cour.  

 

[20]         L’audience de la requête a été inscrite au rôle du 4 novembre 2011 devant cette Cour à Sherbrooke.

 

[21]         De plus, par une lettre en date du 3 novembre 2011, l’avocat de l’intimée confirmait auprès de l’avocat de l’appelant sa présence à l’audience. Voir : pièce I‑1.

 

[22]         La présente instance est de catégorie A, puisque le montant d’impôt en litige pour chacune des années d’imposition 2003 et 2004 est inférieur à 50 000 $. Le tarif B de l’Annexe II prévoit que les dépens accordés pour la préparation et la présentation d’une requête dans une instance de catégorie A sont de 350 $.

 

[23]         L’avocat de l’intimée fait valoir que ce montant est insuffisant, considérant que le dossier a dû continuer à être géré et que toutes les démarches nécessaires pour l’obtention du rejet du présent appel ont été effectuées en raison du non‑respect par l’avocat de ses engagements pris à l’égard de cette Cour et de l’intimée.

 

[24]         L’avocat de l’intimée s’appuie sur les alinéas 147(3)a), 147(3)e), 147(3)g) et le sous alinéa 147(3)i)(i) des règles.

 

 

147(3)a) - le résultat de l’instance

 

[25]         La requête pour rejet de l’appel a été accueillie. Selon l’avocat de l’intimée, aucune justification n’a été apportée par l’avocat de l’appelant à l’égard du comportement reproché.

 

 

147(3)e) - charge du travail

 

[26]         L’avocat de l’intimée a été obligé de consacrer du temps à tenter de joindre l’avocat de l’appelant par téléphone, par correspondance et pour la préparation de la requête.   

 

 

147(3)g) - la conduite d’une partie qui aurait prolongé inutilement la durée de l’instance

 

[27]         L’intimée fait valoir que la conduite de l’avocat de l’appelant a eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance.

 

 

147(3)i)(i) - de la question de savoir si une étape de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile

 

[28]         L’intimée fait valoir qu’en vertu de l’engagement de l’avocat de l’appelant de lier le présent appel au jugement rendu en Cour du Québec, l’avocat de l’appelant aurait dû se désister en temps opportun, ce qui aurait évité des frais inutiles à la Cour et à l’intimée. 

 

[29]         Deux questions se soulèvent dans le présent dossier :

 

-       Est-ce que des dépens supérieurs au tarif devraient être accordés?

         

-       Est-ce que l’avocat de l’appelant doit être tenu responsable du paiement des dépens et des frais?

 

 

Est-ce que des dépens supérieurs au tarif devraient être accordés?

 

[30]         La plupart des décisions qui traitent des dépens indiquent qu’à défaut de circonstances spéciales ou comme le dit le juge Mainville de la Cour d’appel fédérale, lorsque les circonstances le justifient[1], les dépens adjugés devraient être conformes à ceux que prévoit le tarif. 

 

[31]         Dans le présent dossier, l’intimée fait valoir qu’elle a eu gain de cause relativement à la requête en rejet d’appel, elle fait aussi valoir qu’à la lumière de la conduite de l’avocat de l’appelant, elle a dû continuer à gérer le dossier et préparer une requête en rejet d’appel. La conduite de l’avocat de l’appelant a inutilement prolongé l’instance, la procédure entourant la requête et l’audience de cette requête auraient pu être évitées.

 

[32]         Je suis d’accord avec les prétentions de l’avocat de l’intimée. L’avocat de l’appelant avait pris l’engagement de lier le présent appel au jugement de la Cour du Québec. Par conséquent, dès que le délai d’appel fut expiré, l’avocat de l’appelant aurait dû produire un désistement. De plus, l’avocat de l’appelant savait que son client ne voulait pas continuer dès la fin du mois d’août 2011. Il a choisi d’ignorer les appels téléphoniques et la correspondance de son confrère. Il a aussi choisi de ne pas produire un avis pour cesser d’occuper et d’ignorer la Cour en ne l’avisant pas de ses intentions et en ne se présentant pas lors de l’audience.

 

[33]         De plus, ce n’est que la veille de l’audience que son étude a avisé l’avocat de l’intimée que son client ne lui avait pas donné le mandat de contester la requête en rejet d’appel, mais n’indiquait pas qu’il ne se présenterait pas devant cette Cour pour l’audience du 4 novembre 2011. Cette lettre fut transmise à l’avocat de l’intimée et non pas à cette Cour, alors que l’avocat de l’intimée était déjà en route pour Sherbrooke.

 

[34]         Je conclus qu’à lumière des faits au dossier, ce dossier présente des circonstances qui justifient d’adjuger des dépens supérieurs au tarif. Il est clair que si l’avocat de l’appelant avait fait connaître ses intentions à son confrère et à la Cour, l’avocat de l’intimée n’aurait pas eu à gérer le dossier, préparer une requête et se présenter devant cette Cour. En soi, une audience n’aurait pas été nécessaire. L’avocat de l’appelant s’est fait retirer sont mandat par son client lors de l’expiration du délai d’appel soit le 15 août 2011. Il avait amplement le temps d’aviser la Cour et son confrère de ce fait avant l’audience du 4 novembre 2011. Un bref appel téléphonique à son confrère et cette Cour indiquant que son client ne voulait pas continuer son appel aurait suffi. Un désistement ou une requête pour cesser d’occuper aurait pu être déposé.

 

[35]         L’avocat de l’intimée demande 2000 $ à titre de dépens et frais. Il n’a cependant pas fait valoir sur quoi il s’appuyait pour en arriver à ce montant. Je trouve le montant de 2000 $ élevé. À la lumière des faits au dossier et des alinéas 147(3)a), 147(3)e), 147(3)g) et du sous alinéa 147(3)i)(i) ainsi que du paragraphe 147(4) des règles, j’ordonne des dépens 650 $ plus les frais.

 

 

Est-ce que l’avocat de l’appelant doit être tenu responsable du paiement des dépens?

 

[36]         L’avocat de l’appelant soutient qu’il fut stupéfait d’apprendre que son client lui retirait son mandat parce qu’il devait faire faillite le lendemain. Selon lui, il ne peut être tenu responsable du laxisme de son client.

 

[37]         L’avocat de l’appelant n’explique cependant pas dans ses prétentions écrites pourquoi :

 

-       il n’a pas avisé son confrère et la Cour que son client avait décidé de ne pas continuer le présent appel soit à la fin du mois d’août 2011, lors de l’expiration du délai pour déposer un appel à la Cour d’appel du Québec?

-       il n’a pas produit un désistement ou une requête pour cesser d’occuper alors qu’il s’était engagé à lier le présent appel au jugement rendu par la Cour du Québec?

-       il n’a jamais communiqué avec l’avocat de l’intimée, malgré les appels et la correspondance de ce dernier quant à la poursuite de ce dossier?

-       il n’a pas avisé cette Cour qu’il ne se présenterait pas à l’audience alors qu’il était toujours l’avocat inscrit au dossier?

 

[38]         Les prétentions écrites et le comportement de l’avocat de l’appelant dans ce dossier sont des plus décevants. Il est clair que si l’avocat de l’appelant avait agi avec diligence et courtoisie envers son confrère et la Cour, la préparation, la signification, le dépôt, l’audience de la requête en rejet d’appel auraient pu être évités ainsi que la gestion de ce dossier par la Cour et par l’avocat de l’intimée.

 

[39]         L’article 152 des règles énonce :

 

 (1) Si l’avocat d’une partie a fait engager des dépens à tort ou sans raison valable, ou les a fait augmenter inutilement par des retards abusifs, par mauvaise conduite ou par une autre omission, la Cour peut, par directive :

a) lui refuser les dépens en totalité ou en partie sur une base procureur-client;

b) lui enjoindre de rembourser son client des dépens que celui-ci est tenu de payer à une autre partie;

c) lui enjoindre d’indemniser l’autre partie en réduisant les dépens payables par celle-ci.

(2) La directive visée au paragraphe (1) peut être donnée par la Cour, de son propre chef ou à la suite d’une requête d’une partie à l’instance; elle ne peut être donnée que si l’avocat a eu une occasion raisonnable d’être entendu par la Cour.

(3) La Cour peut prescrire que le client de l’avocat visé par une directive donnée en application du paragraphe (1) en soit avisé de la façon prévue par la directive.

 

[40]         Je fais mienne l’analyse du juge Boyle relativement à l’article 152 des règles dans la décision DaCosta v. R., 2008 CCI 136, aux paragraphes 23 à 28. Il est important d’énoncer le principe qu’il dicte au paragraphe 23 au sujet de l’article 152 des règles:

 

23.       L'exigence prévue par la common law en matière de compétence inhérente voulant que le tribunal doive conclure à l'existence de mauvaise foi ne constitue manifestement pas une condition préalable aux termes de l'article 152 des Règles. Il faut donner aux mots employés dans cette disposition leur sens ordinaire. Il n'est nullement nécessaire que la conduite de l'avocat constitue un abus, de la négligence ou de la mauvaise foi. Voir, à titre d'exemple, les récentes décisions ontariennes Walsh v. 1124660 Ontario Ltd., [2007] O.J. No. 639 (Ont. S.C.J.), et Standard Life Assurance Co. v. Elliott, [2007] O.J. No. 2031 (Ont. S.C.J.).

 

[41]         Dans le présent dossier, je conclus que le comportement de l’avocat de l’appelant est visé par l’article 152 des règles. Son comportement a fait engager des dépens à tort ou sans raison valable. Sa conduite reflète un manque de courtoisie envers la Cour et envers l’avocat de l’intimée.

 

[42]         La Cour ordonne par directive que les dépens adjugés à l’intimée et payables par l’appelant pour un montant de 650 $ plus les frais soient intégralement remboursés par l’avocat de l’appelant en vertu de l’alinéa 152(1)b) des règles et la Cour ordonne à l’avocat de l’appelant, en application du paragraphe 152(3) des règles, de faire parvenir à l’appelant la présente ordonnance et les présents motifs de l’ordonnance.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2012.

 

 

 

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray

 

 


RÉFÉRENCE :                                            2012 CCI 53         

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :                2009-3634(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        JACQUES POISSON c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Sherbrooke (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 novembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :       L'honorable juge Johanne D'Auray

 

DATE DE L’ORDONNANCE :                    Le 20 février 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelant :

Me Robert Jodoin (absent)

Avocat de l'intimé :

Me Mathieu Tanguay

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :               

 

       Pour l’appelant:

 

                     Nom :                                      Me Robert Jodoin (absent)

 

                 Cabinet :                                     Jodoin Hubert

                                                                   Bromont (Québec)

 

       Pour l’intimé :                                       Myles J. Kirvan

                                                                    Sous-procureur général du Canada

                                                                    Ottawa, Canada



[1] Canada (Procureur Général) c. Chrétien, 2011 CAF 53.

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