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Dossier : 2006-1685(IT)I

ENTRE :

CARL CURRIE,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Requête entendue par téléconférence tenue le 9 février 2012,

à Ottawa (Canada)

 

Devant : L’honorable juge Wyman W. Webb

 

Comparutions :

 

Avocat du requérant :

Me David W. Hooley

Me Robin Aiken

Avocate de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

____________________________________________________________________

ORDONNANCE

 

  La requête du requérant visant à obtenir une ordonnance (prévue au paragraphe 22(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)) exigeant que le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada comparaisse devant un juge de la Cour relativement à une allégation selon laquelle cette personne est coupable d’outrage au tribunal est rejetée avec dépens.


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 1999.

 

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb


 

Référence : 2012TCC62

Date : 20120305

Dossier : 2006-1685(IT)I

 

ENTRE :

CARL CURRIE,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge Webb

 

  • [1] Le requérant a présenté une requête en vertu du paragraphe 22(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure informelle) (les « Règles ») pour ordonner que le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada comparaisse devant un juge de la Cour pour répondre à une allégation du requérant selon laquelle cette personne était coupable d’outrage au tribunal relativement à un jugement rendu par le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) de la Cour le 13 juin 2008 (le « jugement »). Les requérants avaient déjà présenté une requête pour outrage au tribunal, mais comme le requérant n’avait pas obtenu l’ordonnance requise pour qu’une personne comparaisse, l’affaire a été ajournée et cette requête a été entendue par téléconférence, les deux parties ayant déposé une déclaration par affidavit.

 

  • [2] Dans Bhatnager c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 217. Le juge Sopinka (qui écrivait au nom de la Cour suprême du Canada) a fait les commentaires généraux suivants relativement à une allégation d’outrage :

 

14 Tout d’abord, il convient de se rappeler qu’une allégation d’outrage au tribunal a une dimension criminelle (ou du moins quasi criminelle) : [...]

 

  • [3] Les paragraphes 22(1) (en partie), (2) et (4) des Règles sont rédigés en ces termes :

 

22. (1)  Est coupable d’outrage au tribunal quiconque, selon le cas :

[…]

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

 

[…]

 

(2)  Sous réserve du paragraphe (6), avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

 

a)  de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

 

b)  d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

 

c)  d’être prête à présenter une défense.

 

[…]

 

(4)  La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (2) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

 

  • [4] Par conséquent, il y a un processus en deux étapes concernant une allégation d’outrage au tribunal. La première étape (qui fait l’objet de la présente requête) est la délivrance d’une ordonnance exigeant qu’une personne en particulier comparaisse devant un juge relativement à l’allégation d’outrage. Pour qu’une telle ordonnance soit rendue en l’espèce, je dois être convaincu qu’il y a une preuve prima facie que l’outrage a été commis. Si une telle ordonnance est rendue, le requérant sera alors tenu, lors de l’audience pour outrage, de prouver hors de tout doute raisonnable [1] que la personne qui devait comparaître a commis le prétendu outrage au tribunal.

 

  • [5] Le jugement (qui n’a pas eu d’effet selon la requérante) prévoyait ce qui suit :

 

L’appel interjeté à l’égard de la cotisation établie en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, dont l’avis est daté du 3 février 2004 et porte le numéro 30527, est accueilli, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation sur le fondement que l’appelant n’a pas à payer les intérêts courus sur la dette de la succession après le 31 décembre de l’année du transfert, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

  • [6] Le père du requérant (Delmar Currie) est décédé en 1996 et le requérant était l’un des deux exécuteurs de la succession. Une déclaration de revenus a été préparée pour l’année du décès dans laquelle, entre autres, le gain en capital découlant de la disposition réputée des actions que Delmar Currie détenait dans une société de terrains de golf a été déclaré. En 2000, la succession de Delmar Currie a fait l’objet d’une nouvelle cotisation, ce qui a augmenté la dette fiscale découlant de la disposition réputée de ces actions et suite au dépôt d’un avis d’opposition, la succession a de nouveau fait l’objet d’une nouvelle cotisation afin de réduire la dette fiscale de la succession. Il semble que le montant de la nouvelle cotisation du 26 avril 2002 (suite à l’avis d’opposition) était de 705 388 $.

 

  • [7] Avant la première nouvelle cotisation de la succession, le requérant (et ses frères et sœurs) a reçu certains biens de la succession de Delmar Currie. L’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») est rédigé en partie en ces termes :

 

160. (1) Lorsqu’une personne a […] transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

[…]

 

c)  une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

 

les règles suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

e)  le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)  l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii)  le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi […] au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

 

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi […]

 

  • [8] Le 3 février 2004, une cotisation a été établie à l’égard du requérant en vertu de l’article 160 de la Loi, pour un montant de 544 147 $ (la « cotisation en vertu de l’article 160 ») qui reflétait certains paiements effectués sur la dette fiscale de la succession avant cette date. Bien que la juste valeur marchande des biens que le requérant a reçus de la succession ne soit pas claire, le requérant ne s’est pas opposé à la cotisation en vertu de l’article 160 au motif que la juste valeur marchande des biens reçus était inférieure au montant de la cotisation. Le fondement de son opposition et de son appel était que le requérant ne devrait pas être tenu de payer des intérêts sur le montant cotisé en vertu de l’article 160 de la Loi pour toute période après la date de la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [9] Le jugement prévoyait que la cotisation en vertu de l’article 160 n’aurait pas dû inclure d’intérêts pour une période quelconque suivant l’année au cours de laquelle les biens ont été transférés au requérant. Par conséquent, à la suite du jugement, le montant de la cotisation établie à l’égard du requérant en vertu de l’article 160 de la Loi aurait dû être inférieur à 544 147 $. Le requérant est d’avis qu’il aurait dû recevoir un remboursement et, comme il ne l’a pas fait, que le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada est coupable d’outrage au tribunal relativement au jugement.

 

  • [10] Deux questions générales seront abordées :

 

  • a) Le requérant a-t-il établi prima facie qu’il y a eu une omission de se conformer au jugement?

 

  • b) Dans l’affirmative, peut-on citer le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada pour outrage?

 

  • [11] Dans Canadian Broadcasting Corp. (CBC) v. CKPG Television Ltd., [1992] 3 W.W.R. 279, 64 B.C.L.R. (2d) 96, le juge Lambert, au nom de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, a indiqué que :

 

[traduction]

[…] Dans le cadre d’une demande où les deux parties ont déposé une preuve par affidavit, je présume qu’une « preuve prima facie » doit signifier un cas où, si une décision devait être prise comme si la preuve présentée sur la demande était toute la preuve qui serait présentée, cette décision serait en faveur du demandeur […]

 

  • [12] Dans les deux cas, les deux parties ont déposé une preuve par affidavit concernant la requête précédente qui avait été présentée relativement à l’allégation d’outrage et relativement à cette requête. Par conséquent, la question à trancher dans cette requête est de savoir si je suis convaincu que, compte tenu seulement de la preuve par affidavit déposée relativement à la requête pour outrage ou à la requête en instance, il y a présomption que l’outrage a été commis relativement au jugement.

 

  • [13] En l’espèce, la question est la suivante : comment savoir s’il y a eu un manquement de respecter le jugement? Si la dette fiscale de la succession n’avait pas été payée et que le montant du redressement était certain, il serait évident qu’il y a eu omission de se conformer au jugement puisque le montant que l’Agence du revenu du Canada devrait tenter de recouvrer auprès du requérant en vertu de l’article 160 de la Loi devrait être inférieur à 544 147 $ après avoir appliqué le jugement. Cependant en l’espèce, la dette fiscale de la succession a été entièrement payée et a été payée en totalité avant le jugement et il est donc plus difficile de déterminer s’il y a eu manquement de respecter le jugement.

 

  • [14] L’avocat de l’intimée avait affirmé que, puisqu’une deuxième cotisation (pour 0 $) a été établie en vertu de l’article 160 de la Loi avant l’audience de l’appel en 2008 (puisque la dette fiscale de la succession avait été payée en entier), cette deuxième cotisation annulait la cotisation en vertu de l’article 160 et il n’y avait par conséquent pas de montant à redresser. L’effet de la deuxième cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi a fait l’objet d’une requête entendue par le juge Bowie le 22 novembre 2006. Cette requête visait à obtenir l’annulation de l’appel au motif que, à la suite de la deuxième cotisation de 0 $ en vertu de l’article 160 de la Loi, il n’y avait aucune cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi qui pouvait faire l’objet d’un appel par le requérant. Cette requête a été rejetée.

 

  • [15] La question de l’incidence de la deuxième cotisation de 0 $ en vertu de l’article 160 de la Loi semble avoir été soulevée à nouveau lors de l’audience devant le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre). Dans ses motifs fournis avec le jugement, le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) a fait référence à la cotisation en vertu de l’article 160 comme étant la cotisation no 1 et à la deuxième cotisation datée du 11 mai 2006 d’un montant de 0 $ comme étant la cotisation no 2. Il est clair au paragraphe 26 des motifs fournis avec le jugement que le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) ordonnait une modification de la cotisation no 1 (la cotisation en vertu de l’article 160).

 

  • [16] Puisque la dette fiscale de la succession de Delmar Currie a été payée en entier avant le 11 mai 2006 (et donc avant le jugement), le requérant n’aurait pas pu faire l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi après la date du jugement (le 13 juin 2008) pour tout montant relatif à la responsabilité de la succession de Delmar Currie en vertu de la Loi. L’une des restrictions des montants prévues par l’article 160 de la Loi est la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de la Loi (sous-alinéa 160(1)e)(ii) de la Loi) et puisqu’il n’existait aucune obligation pour la succession de Delmar Currie en 2008, aucune cotisation n’aurait pu être établie en 2008 en vertu de l’article 160 de la Loi relativement à une quelconque dette de la succession de Delmar Currie. Il me semble que l’effet du jugement est que la cotisation qui avait été établie en vertu de l’article 160 de la Loi le 3 février 2004 (à un moment où il y avait une obligation pour la succession de Delmar Currie en vertu de la Loi) devrait être modifiée. Cette cotisation aurait dû être modifiée, en n’incluant pas « les intérêts courus sur la dette de la succession après le 31 décembre de l’année du transfert ».

 

  • [17] L’année du transfert n’était pas précisée dans le jugement. Il semble qu’il y ait une certaine incertitude relative à la détermination de l’année du transfert de bien au requérant. La position du requérant est la suivante : la dernière année au cours de laquelle des biens lui ont été transférés était 1997. Cependant, dans son avis d’appel à la Cour (qui a été signé par le requérant), le requérant a déclaré que :

 

[traduction]

4)  Entre 1996 et 1999, diverses propriétés ont été transférées de la succession de Delmar Currie au requérant en raison du fait que ce dernier était bénéficiaire du testament de feu Delmar Currie.

 

  • [18] Dans son affidavit souscrit le 30 janvier 2012, Hélène Dahl, agente aux litiges auprès de l’Agence du revenu du Canada, a déclaré :

 

[traduction]

23.  En juillet 2008, après avoir examiné les dossiers, j’avais cru comprendre que le requérant avait reçu des biens de la succession jusqu’à l’année 2000 inclusivement, de la manière indiquée dans la réponse.

 

  • [19] Par conséquent, il semble qu’il y ait trois dates possibles qui devraient être utilisées pour déterminer le montant du redressement à apporter à la cotisation prévue à l’article 160, soit : le 31 décembre 1997, le 31 décembre 1999 et le 31 décembre 2000. Hélène Dahl avait signé un affidavit le 2 novembre 2011 relativement à la requête précédente que le requérant avait présentée pour une ordonnance pour outrage au tribunal. Dans cet affidavit, Hélène Dahl avait inclus un tableau indiquant les montants de la dette de la succession et le montant qui aurait dû être inclus à la cotisation dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160 (en date du 3 février 2004), [traduction] « sans tenir compte du fait que la dette immobilière sous-jacente a été entièrement payée » sur la base des trois années possibles pour le transfert définitif de la propriété. Ce tableau comprenait les données suivantes :

 

 

31 déc. 2000

31 déc. 1999

31 déc. 1997

Dette totale de la succession

627 830 $

569 506 $

476 876 $

Moins : les paiements de la dette de la succession en 2002.

230 000 $

230 000 $

230 000 $

Dette totale de l’article 160

397 830 $

339 506 $

246 876 $

 

  • [20] Il est évident qu’établir l’année où le bien a été transféré est nécessaire pour déterminer le montant pour lequel le requérant aurait dû faire l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi le 3 février 2004. Comme cela est indiqué plus haut, il existe un désaccord entre le requérant et l’intimée à l’égard de la bonne année pour le transfert de biens et, par conséquent, le bon redressement qui aurait dû être apporté à la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [21] Le paragraphe 22(1) des Règles prévoit :

 

22. (1)  Est coupable d’outrage au tribunal quiconque, selon le cas :

 

[…]

 

b) désobéit volontairement à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

  • [22] Cela nécessiterait une intention coupable délibérée [2] . Puisqu’un élément d’outrage au tribunal tel que prévu dans les Règles est que la personne qui aurait commis l’outrage au tribunal a délibérément désobéi à un processus ou à une ordonnance de la Cour, toute incertitude liée à l’application du jugement aurait dû être résolue avant une procédure d’outrage et non dans le cadre d’une telle procédure. Comment une personne aurait-elle volontairement désobéi au jugement si le montant du redressement à apporter à la cotisation en vertu de l’article 160 n’est pas clair? L’année appropriée pour le transfert et donc le redressement approprié qui aurait dû être apporté à la cotisation en vertu de l’article 160 aurait dû être réglée soit par entente entre les parties, soit par un tribunal compétent avant que le requérant ne présente la requête d’une audience pour outrage.

 

  • [23] Une fois que l’année du transfert est déterminée et donc que le montant de redressement de la cotisation établie à l’article 160 est établi, il sera alors nécessaire de déterminer si le requérant a droit à un remboursement qui ne lui est pas versé. En supposant que l’année du transfert du bien est 1997 (ce qui serait le plus avantageux pour le requérant), le montant qui aurait dû faire l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi est de 246 876 $ (selon le tableau préparé par Hélène Dahl). La question serait alors de savoir si le requérant a payé plus que ce montant dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [24] Dans la décision du juge Rossiter (tel était à l’époque son titre), il a remarqué ce qui suit :

 

9 L’appelant a versé les sommes suivantes au titre de la cotisation établie à l’égard de la succession :

 

21 juillet 2004

50 000,00 $

23 décembre 2005

173 000,00 $

6 février 2006

150 000,00 $

23 mars 2006

247 289,64 $

Total

620 289,64 $

 

  • [25] L’avocat du requérant a fait valoir qu’au cours de l’audience devant le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre), le requérant a été interrogé et contre-interrogé pour savoir s’il effectuait des paiements au titre de la cotisation en vertu de l’article 160. Toutefois, la question dont était saisi le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) était la validité de la cotisation en vertu de l’article 160, et non le droit à un remboursement pour le requérant. Comme il a été mentionné plus haut, dans les motifs du jugement, la cotisation en vertu de l’article 160 était appelée « cotisation no 1”. Bien que le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) ait noté que l’« appelant a versé les sommes suivantes au titre de la cotisation établie à l’égard de la succession », il n’a pas déclaré que ces paiements de 620 290 $ avaient été versés conformément à la cotisation no 1 (l’évaluation en vertu de l’article 160).
    Par conséquent, il n’a pas été clairement établi que le requérant avait versé 620 290 $ dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160 et cette conclusion n’aurait pas été nécessaire pour déterminer si le requérant aurait dû faire l’objet d’une cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi pour un montant de 544 147 $ (qui était la question qui a été tranchée).

 

  • [26] L’incertitude entourant les paiements effectués par le requérant découle d’une décision de la Cour suprême – Section de première instance de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard datée du 12 décembre 2005 (2005 PESCTD 64). La question dans cette affaire était de savoir quels biens de la succession de Delmar Currie devaient être utilisés pour payer les dettes de la succession découlant de la nouvelle cotisation de la succession relative à l’impôt sur le revenu (qui est la même nouvelle cotisation en vertu de la Loi qui a donné lieu à la cotisation du requérant en vertu de l’article 160). Le juge Taylor, dans cette affaire, s’est prononcé en ces termes :

 

[traduction]

39 Les exécuteurs ont transféré tous les actifs résiduels à Carl Currie. Je lui ordonne de restituer immédiatement ces biens à la succession, et à défaut de s’y conformer, je demande aux exécuteurs de prendre immédiatement des mesures pour récupérer les actifs résiduels ou leur valeur auprès de Carl Currie. Quant à la terre qu’il a reçue, conformément au paragraphe 113(2) de la Probate Act (Loi sur les successions), j’ordonne aux exécuteurs de vendre sans délai à la juste valeur marchande les terres qui pourraient être nécessaires pour payer intégralement les dettes et les frais de la succession.

 

40 Certains des actifs du reliquat se seront détériorés et auront perdu leur valeur ou auront été consommés, notamment les biens ménagers, les machines, les outils, le bétail, les produits agricoles et les véhicules. Je ne vois aucun moyen maintenant de déterminer si les valeurs placées sur les actifs en 1996 étaient justes. Je présume que Carl Currie a pris ces actifs et les a utilisés. Je lui ordonne de rendre à la succession la valeur que lui et son frère ont attribuée à ces biens, soit 166 366,67 $, et ces sommes serviront à payer des dettes.

 

[…]

 

Conclusion

 

52  Je me prononce en ces termes :

 

a)  l’investissement de 64 000 $ fait partie du reliquat;

 

b)  l’argent des deux comptes bancaires désignés comme faisant partie de l’actif résiduel est un actif immobilier;

 

c)  les dettes et les dépenses sont payables d’abord à partir du reliquat;

 

d)  Carl Currie détient les actifs qu’il a reçus en fiducie et les exécuteurs testamentaires doivent récupérer les actifs résiduels auprès de lui.

 

53  J’ordonne à Carl Currie de restituer immédiatement le terrain qu’il a reçu du reliquat et de rembourser immédiatement à la succession la valeur des autres actifs résiduels déclarés dans l’inventaire; à défaut de conformité, j’ordonne aux exécuteurs de prendre immédiatement des mesures pour récupérer auprès de Carl Currie les actifs résiduels ou leur valeur.

 

54  J’ordonne en outre aux exécuteurs de vendre immédiatement les terres résiduaires nécessaires pour payer toutes les dettes et dépenses de la succession en entier.

 

  • [27] Puisque le requérant a reçu l’ordre de remettre à la succession les biens qu’il avait reçu dans le cadre du reliquat de la succession et que ces biens étaient détenus en fiducie par lui (pour payer l’obligation fiscale de la succession), il semble selon moi, il y a un problème à savoir si les paiements effectués par le requérant après le 12 décembre 2005 étaient, dans la mesure où ces paiements étaient inférieurs au montant qu’il détenait en fiducie et qu’il était tenu de rembourser à la succession, payés à partir des biens qu’il détenait en fiducie et non de ses biens personnels ou s’ils avaient été payés à partir de ses avoirs personnels. Il me semble que le requérant, pour établir qu’il effectuait des paiements au titre de la cotisation en vertu de l’article 160, aurait besoin d’établir qu’il utilisait ses propres biens pour effectuer de tels paiements et non des biens qu’il détenait en fiducie pour la succession. Puisque le requérant demande un remboursement qui lui serait versé personnellement, il me semble que le requérant aurait besoin d’établir qu’il a personnellement payé la dette en utilisant ses biens, et non les biens qu’il détenait en fiducie pour la succession.

 

  • [28] La juste valeur marchande des biens que le requérant a reçus dans le cadre du reliquat de la succession (et qu’il tenait en fiducie) est inconnue. Les parts reçues par le requérant dans une société de terrains de golf ne font pas partie du reliquat de la succession. Cependant, le juge Taylor a remarqué ce qui suit, en lien avec la valeur des actifs qui faisaient partie du reliquat :

 

[traduction]

30   Selon l’inventaire, le reliquat se composait de la propriété spécifiée suivante sous les rubriques suivantes :

 

Vêtements, bijoux, articles ménagers et meubles  2 300,00 $

 

Machines agricoles et souffleuse à neige  39 000,00 $

 

Un tiers d’intérêt dans les machines agricoles et autres machines
et les outils, le bétail et les produits de la ferme  87 066,67 $

 

Véhicules  40 000,00 $

 

Biens immobiliers  187 750,00 $

 

Deux comptes bancaires  284 750,00 $

 

  • [29] La valeur totale des éléments d’actif inclus dans le reliquat de la succession (en utilisant les montants indiqués ci-dessus) était de 640 867 $. De plus, puisque le juge Taylor a conclu que l’investissement de 64 000 $ faisait partie du reliquat, il semblerait que cet investissement devrait être ajouté à ce qui précède. Par conséquent, la valeur totale des éléments d’actif faisant partie du résidu de la succession s’élevait à 704 867 $. Les montants totaux des paiements effectués par le requérant après le 12 décembre 2005 (la date de l’ordonnance du juge Taylor) étaient les suivants :

 

Date de paiement

Montant

23 décembre 2005

173 000 $

6 février 2006

150 000 $

23 mars 2006

247 290 $

Total :

570 290 $

 

  • [30] Le montant total des paiements était inférieur à la valeur des biens (selon les valeurs indiquées dans l’inventaire de la succession) que le requérant détenait en fiducie et qu’il s’est vu ordonner de reverser à la succession. L’avocat du requérant a indiqué lors de l’audition de cette requête qu’un appel de la décision du juge Taylor avait été interjeté et qu’un règlement avait été conclu, mais rien n’indiquait le moment auquel l’affaire avait été réglée ni comment elle l’avait été.

 

  • [31] Pour aggraver la situation, lorsque le requérant a effectué les trois versements mentionnés ci-dessus, il a joint au paiement le formulaire de versement de la succession de feu Delmar Currie. Le formulaire de versement que le requérant aurait reçu avec la cotisation en vertu de l’article 160 différait des formulaires de versement de la succession. Dans le formulaire de versement qui accompagnait la cotisation en vertu de l’article 160, le texte suivant apparaît sur le côté gauche :

 

[traduction]

Versé par :

[…]

CARL CURRIE

[…]

 

  • [32] Il est clair dans le formulaire de versement qui accompagnait la cotisation en vertu de l’article 160 que le paiement était fait par une personne autre que le débiteur fiscal, puisque le texte suivant est indiqué à la droite de ce formulaire :

 

[traduction]

 

Cotisation relative à :

Nom : ...

 

SUCCESSION DE FEU DELMAR CURRIE

Numéro de compte : ...

 

108 393 661 RI

Lorsque vous faites des demandes de renseignements, veuillez citer ce numéro.

 

 

  • [33] En revanche, le formulaire de versement pour la dette fiscale de la succession présente uniquement la succession de feu Delmar Currie. Comme il est indiqué ci‑dessus, le requérant n’a utilisé que les formulaires de versement pour la succession de feu Delmar Currie lorsqu’il a effectué les trois paiements effectués après le 12 décembre 2005.

 

  • [34] Si les trois paiements effectués par le requérant après le 12 décembre 2005 n’ont pas été faits par le requérant conformément à l’article 160, il semblerait que le requérant n’aurait pas droit à un remboursement même si l’année du transfert était 1997 (ce qui donnerait le montant le moins élevé pour lequel une cotisation aurait dû être établie pour le requérant en fonction des trois années possibles de 1997, 1999 et 2000). Comme nous l’avons déjà mentionné, si l’année du transfert de propriété était 1997, le montant de la cotisation qui aurait dû être établie en vertu de l’article 160 de la Loi était de 246 876 $, mais le seul paiement effectué par le requérant après la date de la cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi (le 3 février 2004) et avant le 12 décembre 2005 était de 50 000 $. Tout paiement que le requérant aurait pu effectuer avant le 3 février 2004 ne serait pas un paiement effectué par le requérant dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [35] Il me semble que si le requérant peut établir que les paiements qu’il effectuait après le 12 décembre 2005 étaient faits par lui dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160 et qu’il s’agissait d’un élément important que le requérant devrait établir avant de commencer toute action pour outrage au tribunal. Il ne me semble pas que cette question devrait être résolue dans le contexte d’une procédure d’outrage au tribunal. Cette question devrait être résolue soit avec l’accord des parties ou d’un tribunal compétent avant que le requérant ne puisse présenter une requête pour outrage.

 

  • [36] Compte tenu des incertitudes très importantes liées à l’année du transfert de la propriété au requérant (et donc du montant du redressement qui aurait dû être apporté à la cotisation émise en vertu de l’article 160 de la Loi pour donner effet au jugement) et le montant payé par le requérant dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi, à mon avis, le requérant n’a pas établi qu’il y a une preuve prima facie d’outrage pour ce qui est de savoir s’il y a eu un manquement de se conformer au jugement.

 

  • [37] Il me semble qu’il est également important d’examiner la compétence de la Cour. La compétence de la Cour est établie à l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, rédigé en ces termes :

 

12 (1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

 

  • [38] Dans le cadre d’un appel interjeté devant la Cour relativement à une cotisation établie en vertu de la Loi, ce que la Cour peut faire relativement à l’issue de l’appel est énoncé à l’article 171 de la Loi, est rédigé en ces termes :

 

171. (1) La Cour canadienne de l’impôt peut statuer sur un appel :

 

a) en le rejetant;

 

b) en l’admettant et en :

 

  • (i) annulant la cotisation,

 

  • (ii) modifiant la cotisation,

 

  • (iii) déférant la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

 

  • [39] Dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Main Rehabilitation Co. C. Canada (2004 CAF 403) (l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée (343 NR 196 (note))), la Cour d’appel fédérale a fait les commentaires suivants :

 

8 Il en est ainsi parce que l’appel interjeté sur le fondement de l’article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l’établir (voir à titre d’exemple Canada c. The Consumers' Gas Company Ltd., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), à la page 5012). Autrement dit, il ne s’agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l’ADRC ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi (Ludco Enterprises Ltd. c. R., [1996] 3 C.T.C.  74 (C.A.F.), à la page 84).

 

  • [40] Par conséquent, la seule question en litige dans un appel à la Cour est la validité d’une cotisation et les seuls recours que la Cour peut accorder si un appel est accueilli sont de révoquer la cotisation, de modifier l’évaluation ou de renvoyer l’affaire au ministre du Revenu national, pour réexamen et nouvelle cotisation. Elle n’a ni le pouvoir ni l’autorisation d’ordonner un remboursement. L’avocat du requérant a déclaré que, à son avis, le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) envisageait manifestement un remboursement lorsqu’il rendrait le jugement. En particulier, il a fait référence aux commentaires du juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) en ce qui concerne les intérêts payés pour la période postérieure au 3 février 2004. Aux paragraphes 21 et 22 de sa décision, le juge Rossiter (tel était à l’époque son titre) s’est prononcé en ces termes :

 

21 L’appelant prétend qu’il n’a pas à payer des intérêts d’environ 75 000 $ courus sur la dette de la succession après la cotisation no 1. L’appelant a interjeté appel de cette cotisation, laquelle ne vise pas cette somme de 75 000 $ […]

 

22 […] En outre, l’appelant demandait précisément le remboursement de la somme de 75 000 $ qu’il a payée à titre d’intérêts courus après la cotisation no 1. Cette somme sera supprimée de la cotisation en conformité avec mes observations précédentes, et cette mesure est très certainement nécessaire pour respecter la décision Algoa Trust, précitée […]

 

  • [41] Bien que le requérant ait demandé le remboursement du montant de 75 000 dollars, il est indiqué au paragraphe 22 ci-dessus que ce montant devait être supprimé de la cotisation. L’intérêt d’environ 75 000 $ représentait des intérêts sur un montant de 544 147 $ pour la période suivant la date à laquelle le requérant avait reçu une cotisation pour ce montant (3 février 2004) et, par conséquent, il n’a pas été inclus dans la cotisation établie le 3 février 2004. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de supprimer cet intérêt de la cotisation en vertu de l’article 160 puisqu’il n’était pas inclus dans cette cotisation. En tout état de cause, le seul pouvoir ou la seule autorité de la Cour lorsque l’appel est accueilli est le pouvoir ou l’autorité d’annuler la cotisation ou de la modifier – soit directement (en modifiant la cotisation) ou indirectement (en renvoyant l’affaire au ministre du Revenu national pour réexamen et nouvelle cotisation). Par conséquent, le seul pouvoir ou l’unique autorité de la Cour en l’espèce aurait été d’annuler ou de modifier la cotisation visée par l’appel qui était la cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi, d’un montant de 544 147 $, établie le 3 février 2004. Il me semble que notre Cour n’a pas compétence pour trancher un différend découlant de la façon dont l’Agence du revenu du Canada a réparti ou traité les paiements qui lui ont été faits et, en particulier, la Cour n’a pas compétence pour ordonner un remboursement, y compris tout remboursement d’intérêt. Il convient également de noter que le jugement lui-même ne porte que sur le montant qui aurait dû faire l’objet de la cotisation et, en fait, modifie le montant de la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [42] Il me semble également que la compétence limitée de la Cour est pertinente en l’espèce en ce qui concerne les deux différends susmentionnés – l’année où le transfert de la propriété a eu lieu et le montant que le requérant a payé dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160.

 

  • [43] Puisque le premier différend porte sur le montant de la cotisation qui aurait dû être établie pour la requérante en vertu de l’article 160 de la Loi, il me semble que cette Cour aurait compétence pour trancher cette question si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur l’année au cours de laquelle la propriété a été transférée au requérant.

 

  • [44] Cependant, puisque la deuxième question ne porte pas sur le montant de la cotisation, mais plutôt sur le montant que le requérant a payé dans le cadre de cette cotisation, il me semble que la Cour n’aurait pas compétence pour résoudre ce différend, si les parties sont incapables de s’entendre sur le montant que le requérant a payé dans le cadre de la cotisation en vertu de l’article 160. Il ne s’agit pas d’un différend lié au montant de la cotisation, mais d’un différend relatif au montant des paiements effectués dans le cadre de la cotisation. Ce n’est pas une question de compétence qui a été accordée à cette Cour en vertu de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.

 

  • [45] Puisque le requérant n’a pas établi prima facie qu’il y a eu outrage au tribunal, la question de savoir si le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada est la personne à qui l’on doit donner l’ordre de comparaître est une question discutable. Toutefois, comme l’avocat de l’intimée avait soulevé l’argument selon lequel le ministre du Revenu national ne pourrait jamais être reconnu coupable d’outrage, je voudrais faire quelques commentaires sur cet argument. Cet argument est fondé sur les commentaires du juge Bowie dans Kumar c. La Reine, 2004 CCI 521, [2004] 4 CCI 2477, 2004 DTC 3048. Au paragraphe 5 de Kumar, la juge Bowie a indiqué que :

 

5 Je dois préciser d’emblée que la requête ne peut pas être accueillie à l’égard du « ministre du Revenu national ». Il est bien établi qu’un ministre de la Couronne ne peut pas être condamné pour outrage en raison d’actes ou d’omissions d’un fonctionnaire de son ministère (voir Bhatnager c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 217).

 

  • [46] Dans Bhatnager, précité, la principale question, telle que décrite par le juge Sopinka (qui écrivait au nom de la Cour suprême du Canada), était la suivante :

 

1 […] La principale question est de savoir si l’acceptation de la signification de l’ordonnance par l’avocat des ministres constitue à leur égard une connaissance suffisante de l’ordonnance pour justifier une conclusion d’outrage au tribunal.

 

  • [47] Le juge Sopinka a fait les commentaires suivants relativement à l’exigence d’avoir connaissance de l’ordonnance avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage à cette ordonnance :

 

16 D’après la jurisprudence, il n’y a aucun doute que la common law a toujours exigé la signification à personne ou la connaissance personnelle réelle de l’ordonnance d’un tribunal comme condition préalable à la responsabilité pour outrage au tribunal […]

 

[…]

 

17 Cette longue histoire d’une exigence stricte en common law imposant à la partie qui allègue l’outrage de démontrer la connaissance réelle de la part de l’auteur de l’outrage allégué est incompatible avec l’argument selon lequel une présomption simple résulte automatiquement de la signification de l’ordonnance au procureur. À mon avis, dans certaines circonstances, le fait que le procureur en ait été informé permet d’inférer que le client en a eu connaissance. En fait, cette inférence est normale dans le cas ordinaire d’une partie engagée dans des litiges isolés. Dans le cas de ministres de la Couronne qui dirigent de grands ministères et qui sont engagés dans un grand nombre de procédures, il serait extraordinaire que des ordonnances soient portées systématiquement à leur attention. Pour inférer la connaissance dans un tel cas, il doit exister des circonstances qui indiquent une raison spéciale pour porter l’ordonnance à l’attention du ministre. Dans la plupart des cas (y compris les affaires pénales), la connaissance est démontrée de façon circonstancielle et, dans les affaires d’outrage au tribunal, on peut toujours inférer la connaissance lorsque les faits permettant d’appuyer cette inférence sont prouvés : voir Avery v. Andrews (1882), 51 L.J. Ch. 414.

 

18 Cela ne veut pas dire que les ministres pourront se cacher derrière leurs avocats pour échapper aux ordonnances de la cour. Toute directive ayant pour effet de garder le ministre dans l’ignorance peut entraîner la responsabilité sur le fondement de la doctrine de l’aveuglement volontaire. Qui plus est, le fait qu’un ministre ne puisse jamais être assuré qu’on n’arrivera pas à cette conclusion devrait suffire à l’inciter à faire en sorte que les fonctionnaires comprennent bien l’importance de se conformer aux ordonnances des tribunaux.

 

  • [48] Il me semble donc que ce n’est pas une règle absolue que le ministre du Revenu national ne peut jamais être reconnu coupable d’outrage, mais l’exigence que le ministre du Revenu national connaisse le jugement signifierait que ce n’est que dans des circonstances très exceptionnelles que le ministre du Revenu national soit déclaré coupable d’outrage à un jugement de la Cour à la suite d’un appel en matière d’impôt. Il n’y avait aucune preuve que le ministre du Revenu national avait eu connaissance du jugement et comme il s’agissait d’une procédure informelle, il est très improbable que le ministre du Revenu ait eu connaissance du jugement ou que la doctrine de l’ignorance volontaire s’appliquait dans ce cas.

 

  • [49] De plus, de la manière présentée plus haut, l’outrage au tribunal prévu à l’article 22 des Règles prévoit que la personne a délibérément désobéi à une procédure ou à une ordonnance du tribunal. Par conséquent, non seulement le requérant doit prouver que la personne soupçonnée d’outrage au tribunal a connaissance de l’ordonnance ou du jugement, mais il doit également prouver que cette personne a délibérément désobéi à ce processus ou à cette ordonnance. Par conséquent, de toute façon, il me semble que le ministre du Revenu national ne serait pas la personne appropriée pour répondre à une allégation d’outrage au jugement en l’espèce.

 

  • [50] Le juge Sopinka a également abordé l’autre argument relatif à la responsabilité du fait d’autrui :

 

Responsabilité du fait d’autrui

 

24 L’avocat de l’intimée a présenté à notre Cour des arguments complexes pour soutenir la responsabilité des appelants pour outrage au tribunal même s’ils n’avaient pas eu connaissance de l’ordonnance à laquelle il avait été désobéi, en invoquant une certaine forme de responsabilité du fait d’autrui, désignée de façon diverse comme le principe de la délégation et la théorie de l’identification. L’avocat a cherché à comparer les appelants à des titulaires de permis et à des sociétés à l’égard desquelles ces principes avaient été appliqués dans le passé. Voir par exemple, Allen v. Whitehead, [1930] 1 K.B. 211; et Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662.

 

25 Compte tenu de la prémisse que la responsabilité en matière d’outrage au tribunal est essentiellement une responsabilité criminelle, le principal obstacle que rencontre l’intimée à cet égard tient à ce que, en général, la responsabilité du fait d’autrui est inconnue en droit criminel. Comme le juge Estey l’a dit dans l’arrêt Canadian Dredge & Dock Co. à la p. 692 :

 

En droit pénal, une personne physique n’est responsable que des crimes dont elle est l’acteur principal soit effectivement, soit par autorisation expresse ou implicite. Dans le cas de la personne physique il n’existe pas, à proprement parler, de responsabilité du fait d’autrui.

 

Toutefois, l’intimée, tout en admettant que la doctrine respondeat superior ne s’applique pas, soutient que l’une ou l’autre des sousdoctrines de la délégation et de l’identification, ou les deux, devraient constituer la base de la condamnation des appelants pour outrage au tribunal. À mon avis, il y a au moins deux objections fatales à la position de l’intimée sur cette question.

 

26 Premièrement, il est admis depuis longtemps que le principe de la délégation, selon lequel une personne peut être tenue responsable au criminel des actes de son délégué, s’applique tout au plus dans des cas où la personne qui délègue est assujettie à une obligation légale précise qui a été violée par le délégué : voir A. W. Mewett et M. Manning, Criminal Law (2e éd. 1985), à la p. 64; Allen, précité, le lord juge en chef Hewart, à la p. 220; et R. v. Stevanovich (1983), 7 C.C.C. (3d) 307 (C.A. Ont.), le juge Dubin (maintenant Juge en chef), à la p. 315. Il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion sur la justesse de cette dérogation apparente à la règle générale qui exclut la responsabilité du fait d’autrui en droit criminel, puisqu’il suffit de faire remarquer que, dans les circonstances de l’espèce, les appelants ne sont pas assujettis à une obligation analogue.

 

27 Deuxièmement, la théorie de l’identification, selon laquelle une société peut être tenue responsable au criminel des actes de son âme dirigeante, ne s’applique pas, exceptionnellement, à des personnes physiques. Comme l’a expliqué le juge Estey dans l’arrêt Canadian Dredge & Dock Co., à la p. 693, la théorie de l’identification « a été conçue par les tribunaux afin qu’il y ait un rapport rationnel entre la responsabilité criminelle d’une personne morale et celle d’une personne physique ». Étant donné qu’une personne morale est dénuée d’esprit, il était nécessaire de choisir certains dirigeants responsables (l’âme dirigeante) dont l’esprit était identifié à celui de la société. Appliquer maintenant la théorie de l’identification à des personnes physiques reviendrait à inverser le principe. À mon avis, ce serait une application manifestement injuste à une personne d’une simple responsabilité du fait d’autrui déguisée.

 

28 Compte tenu de ces conclusions, il n’est pas nécessaire de se demander si une interprétation contraire des Règles de la Cour fédérale ou une conclusion de responsabilité criminelle du fait d’autrui constituerait une violation de l’art. 7 et de l’al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, il semble clair qu’un argument en faveur d’une telle responsabilité aurait beaucoup de difficultés à passer le test de l’arrêt de notre Cour sur le Renvoi:  Motor Vehicle Act de la C.B., [1985] 2 R.C.S.  486. (Voir également R. v. Burt, [1988] 1 W.W.R.
 385 (C.A. Sask.), le juge en chef Bayda.)

 

  • [51] Bien que la Cour suprême du Canada ait statué que, en général, la responsabilité du fait d’autrui ne s’appliquerait pas au droit criminel (y compris l’outrage), la Cour suprême du Canada a souligné qu’il n’était pas nécessaire d’exprimer une opinion sur l’exactitude du principe de délégation.

 

  • [52] L’autre personne identifiée par le requérant était l’Agence du revenu du Canada. Dans Ayangma c. Canada, [2002] A.C.F. no 108, 2002 CFPI 79 (confirmé en appel à la Cour d’appel fédérale, 2003 CAF 46), le juge MacKay a noté qu’un ministère fédéral n’était pas un bon intimé à une allégation d’outrage parce que le ministère n’est pas une personne. Cependant, l’Agence du revenu du Canada est une personne morale (paragraphe 4(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada) et est donc une personne. Par conséquent, les commentaires du juge MacKay concernant les ministères fédéraux ne s’appliqueraient pas à l’Agence du revenu du Canada et l’Agence du revenu du Canada est une personne qui pourrait répondre à une allégation d’outrage au tribunal.

 

  • [53] Puisque, comme cela est indiqué plus haut, le requérant n’a pas établi prima facie qu’un outrage relativement au jugement été commis. Sa requête visant à obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 22(2) des Règles exige que le ministre du Revenu national ou l’Agence du revenu du Canada comparaisse devant un juge de la Cour relativement à une allégation selon laquelle cette personne est coupable d’outrage au tribunal est rejetée avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de mars 1999.

 

 

 

« Wyman W. Webb »

Juge Webb


RÉFÉRENCE :  2012CCI62

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :  2006-1685(IT)I

 

INTITULÉ :  CARL CURRIE ET

  SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa, Canada

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 9 février 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  L’honorable juge Wyman W. Webb

 

DATE DE L’ORDONNANCE :  Le 5 mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat du requérant :

Me David W. Hooley

Me Robin Aiken

Avocate de l’intimée :

Me Cecil S. Woon

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

  Pour le requérant :

 

  Nom :  David W. Hooley

  Robin Aiken

  Cabinet :  Cox & Palmer

  Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

 

  Pour l’intimée :  Myles J. Kirvan

  Sous-procureur général du Canada

  Ottawa, Canada



[1] Bhatnager c. Canada, précité, au paragraphe 14.

[2] Il convient de noter que l’article 466 des Règles des Cours fédérales prévoit que :

 

466. Sous réserve de l’article 467 des Règles, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

 

[…]

 

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

 

Par conséquent il semble qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’intention coupable pour établir un outrage au tribunal relativement à une ordonnance de la Cour fédérale (Tele-Direct (Publications) Inc. c. Canadian Business Online Inc., 151 F.T.R. 271, [1998] F.C.J. No. 1306; Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc., 2003 CAF 234 (Demande d’autorisation d’interjeter appel à la Cour Suprême du Canada rejetée ([2003] S.C.C.A. No. 366)).

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