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Référence : 2012 CCI 77

Date : 20120314

Dossier : 2008-1999(IT)G

ENTRE :

JOSÉE OUELLET,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge Favreau

 

[1]              L’appelante interjette appel à l’encontre d’une cotisation établie en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (la « Loi »), datée du 20 décembre 2005 et portant le numéro 35111. En vertu de cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») réclame à l’appelante une somme de 33 264,64 $. Lors de l’audience, le ministre a accepté de diminuer le montant cotisé à la somme de 20 622 $ pour des raisons d’équité, suite à un règlement hors cour intervenu entre l’appelante et les autorités fiscales québécoises concernant, notamment, l’application de l’article 14.4 de la Loi sur l’administration fiscale (« LAF ») (auparavant la Loi sur le ministère du Revenu), une disposition de recouvrement qui est l’équivalent provincial québécois de l’article 160 de la Loi.

 

[2]              En établissant et en confirmant la cotisation, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

 

a)         Selon les registres du ministre, l’appelante et monsieur Mario Gagnon (ci-après, le « conjoint »), sont mariés depuis 1990;

 

b)         Au cours des années d’imposition 2003, 2004 et 2005, le conjoint a effectué des transferts par dépôts bancaires dans le compte de l’appelante (ci-après, les  « biens »);

 

c)         Concernant les biens, le Ministre a déterminé qu’un avantage avait été conféré à l’appelante pour un montant de 60 480,87 $, calculé comme suit :

 

Description

 

Valeur des biens

   Montant

 

60 480,87 $

Contrepartie donnée

0 $

 

 

Avantage reçu

60 480,87 $

 

d)         En date du 20 décembre 2005, le conjoint avait une dette envers le ministre pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2004, pour un montant total de 33 264,64 $, se détaillant comme suit :

 

Description

 

Impôts

Pénalités

Intérêts

   Montant

 

18 321,95 $

6 631,44 $

8 311,25 $

 

e)         Le conjoint, l’auteur du transfert, ayant une obligation fiscale impayée au montant total de 33 264,64 $ (impôt, pénalités et intérêts), pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2004; ce en date du 20 décembre 2005, et l’appelante ayant reçu de celui-ci, un avantage au montant de 60 480,87 $, le ministre a déterminé que l’appelante et le conjoint étaient solidairement responsables de la dette de ce dernier pour un montant de 33 264,64 $.

 

Position de l’appelante

 

[3]              Lors de l’audience, l’appelante n’a pas contesté la validité des cotisations établies contre son conjoint pour les années d’imposition 2000, 2001 et 2004, ni le montant des sommes transférées par son conjoint dans ses comptes bancaires.

 

[4]              Par contre, l’appelante a formulé les allégations suivantes :

 

a)       le versement des fonds par son conjoint dans les comptes bancaires de l’appelante ne constitue pas un transfert au sens de l’article 160 de la Loi  puisque les fonds ont été versés dans ses comptes bancaires à titre de mandataire seulement parce que les comptes bancaires de son mari et les comptes conjoints du couple étaient sous saisie par les autorités fiscales fédérales et québécoises;

 

b)      son conjoint a transféré les fonds dans les comptes bancaires de l’appelante afin de remplir son obligation légale de contribuer aux charges du mariage. L’appelante n’a que des revenus modestes et sa famille compte quatre adolescents;

 

c)       l’appelante a fourni une contrepartie pour le versement des fonds par son conjoint, soit sa contribution aux charges de la famille en effectuant le travail ménager;

 

d)      il n’y a eu aucun enrichissement de l’appelante suite au versement des fonds par son conjoint;

 

e)       l’article  160 de la Loi viole l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et est, par conséquent, inconstitutionnelle. Selon l’avocat de l’appelante, l’article 160 de la Loi génère une double imposition des montants transférés par son effet conjonctif avec l’article 14.4 de la LAF, créant ainsi une inégalité entre les résidents du Québec et ceux des autres provinces quant à l’impôt fédéral payable.

 

Position de l’intimée

 

[5]              Le ministre a allégué, qu’en raison de la dette fiscale du conjoint de l’appelante et des montants que celle-ci a reçus de son conjoint, l’appelante est solidairement responsable, en vertu de l’article 160 de la Loi, de la dette de son conjoint pour un montant de 33 264,64 $.

 

[6]              Les avocats de l’intimée ont également soutenu que l’article 160 de la Loi ne viole pas l’article 15 de la Charte et n’est donc pas invalide.

 

Les témoignages

 

[7]              L’appelante et son conjoint, monsieur Mario Gagnon, ont témoigné à l’audience de même que monsieur Stéphane Georgeff de l’Agence du revenu du Canada (« l’ARC »).

 

[8]              Monsieur Mario Gagnon, couvreur de son métier, travaillant à son compte et pour d’autres entrepreneurs, a expliqué qu’il a fait faillite le 1er septembre 2000. Il a confirmé que tous ses comptes bancaires ont été saisis depuis 2001 par les autorités fiscales fédérales et québécoises pour des dettes fiscales postérieures à la faillite. Pour remédier à la situation, deux comptes de banque furent ouverts au nom de l’appelante à la Caisse populaire Les Estacades: un compte pour le dépôt des chèques de monsieur Mario Gagnon et l’autre compte pour les transactions personnelles de l’appelante. Monsieur Mario Gagnon a expliqué que le compte dans lequel il déposait ses chèques, était utilisé pour payer l’épicerie, les effets scolaires des enfants, les dépenses familiales de tous genres et les paiements hypothécaires de la résidence familiale. Il a dit détenir une carte de guichet automatique sur ce compte lui permettant de retirer des fonds au besoin. Selon lui, l’appelante détenait elle aussi une carte de guichet automatique lui donnant accès aux deux comptes de banque de la Caisse populaire Les Estacades.

 

[9]              Monsieur Gagnon a confirmé avoir habité sans interruption la résidence familiale, sise au 2360, rue Notre-Dame à Sainte-Marthe-du-Cap-de-la-Madelaine. Monsieur Gagnon et l’appelante en ont fait l’acquisition le 19 septembre 1994 au prix de 49 500 $ qu’ils ont financé par des emprunts auprès de la Caisse populaire Notre-Dame portant un taux d’intérêt de 6,95% par année et garantis par des hypothèques principales totalisant 37 125 $ et par une hypothèque additionnelle de 7 425 $.

 

[10]         Selon monsieur Gagnon, l’appelante et lui ont contracté le 12 avril 1995 un emprunt de 20 000 $ auprès de monsieur Michel Mayrand afin d’effectuer des rénovations à la résidence, lequel emprunt portait un taux d’intérêt de 18% par année et était garanti par des hypothèques totalisant 20 000 $ et par une hypothèque additionnelle de 4 000 $.

 

[11]         Monsieur Gagnon a confirmé que sa conjointe et lui ont reçu , le 3 mai 2000, de monsieur Mayrand, un préavis d’exercice d’un droit hypothécaire (prise en paiement) alors que les débiteurs hypothécaires n’étaient en défaut d’exécuter leurs obligations que depuis le 1er mai 2000 alors que les arrérages dus et exigibles ne s’élevaient qu’à la somme de 410,77 $. Le solde de la créance au 30 avril 2000 s’élevait à un total de 17 691,92 $, soit 17 430,46 $ en capital et 261,46 $ en intérêts.

 

[12]         Monsieur Gagnon a reconnu qu’un jugement a été rendu par la Cour supérieur du Québec le 8 août 2000, ordonnant aux intimés monsieur Mario Gagnon et madame Josée Ouellet, de délaisser en faveur du requérant, monsieur Michel Mayrand, aux fins de prise en paiement, leur résidence et déclarant que le requérant a pris ledit immeuble en paiement et qu’il en est le seul et unique propriétaire, rétroactivement à compter de la date de l’enregistrement du préavis, soit le 12 mai 2000. Le 8 septembre 2000, l’avocat de monsieur Michel Mayrand a attesté le contenu du sommaire du jugement de la Cour supérieure et a signé les mentions ou déclarations requises par la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (L.R.Q., c. D-15.1) en indiquant notamment que le montant de la contrepartie était de 18 000 $ et que le montant constituant la base d’imposition du droit de mutation était de 115 600 $.

 

[13]         Monsieur Gagnon a reconnu avoir fait faillite le 1er septembre 2000 alors qu’il n’avait comme actif total que 21 500 $ dont 15 000 $ dans un Régime enregistré d’épargne retraite qui est insaisissable.

 

[14]         Monsieur Gagnon a également reconnu que, par un acte de vente daté du 21 novembre 2000, monsieur Mayrand a vendu la résidence familiale à l’appelante pour 58 625,04 $, payable à concurrence de 31 942,81 $ par le paiement à la Caisse populaire de Notre-Dame des Trois-Rivières du solde en capital dû au 11 novembre 2000 et, le solde du prix de vente de 26 682,23 $ portant un taux d’intérêt de 18%, payable par des versements mensuels égaux et consécutifs de 469,83 $ du 1er décembre 2000 au 1er novembre 2001. Le solde du prix de vente était garanti par des hypothèques sur la résidence. La base d’évaluation du droit de mutation était alors de 126 600 $ (résidence et terrain).

 

[15]         Le témoin a expliqué qu’il déposait la totalité de ses chèques dans les comptes de l’appelante et qu’il payait ses dépenses personnelles à l’aide des retraits effectués avec la carte de guichet automatique. Il a de plus précisé qu’il avait effectué des transferts de fonds dans trois comptes ouverts au nom de l’appelante. Le compte à la Caisse populaire Les Estacades a été ouvert le 31 octobre 2003 et les sommes suivantes y ont été déposées :

 

2003 =        5 467,15 $

2004 =      33 677,28 $

2005 =        3 867,04 $

 

[16]         Le compte à la Caisse populaire Laviolette a été ouvert le 26 juin 2003 et une somme de 10 459,77 $ y a été déposée par monsieur Gagnon en 2003. De 2000 à 2003, l’appelante et son conjoint avaient un compte conjoint à cette institution.

 

[17]         Le compte à la Banque de Montréal a été ouvert le 8 mai 2003 et monsieur Gagnon y a déposé les sommes suivantes :

 

2004 = 6 188,78 $

2005 = 1 434,00 $

 

[18]         Les sommes déposées par monsieur Gagnon dans ces trois comptes bancaires ont totalisées 61 094,02 $.

 

[19]         Selon monsieur Gagnon, l’appelante n’avait pas à lui demander la permission pour effectuer des retraits à même les comptes bancaires mentionnés au paragraphe précédent.

 

[20]         L’appelante a témoigné à l’audience. À compter de 2004, elle était monitrice pour les chauffeurs d’autobus pour handicapés. Elle était sur appel pour des périodes de deux heures les avant-midi ou les après-midi et elle gagnait 9 $ l’heure.

 

[21]         L’appelante a reconnu avoir eu des discussions avec monsieur Mayrand dans le cadre de la prise en paiement de la résidence. Elle ne voulait pas déménager sa famille. Elle a dit avoir payé un loyer à monsieur Mayrand pour pouvoir y demeurer jusqu’à ce qu’elle rachète ladite résidence. Selon elle, monsieur Mayrand n’était pas intéressé à garder la résidence parce qu’elle n’était pas en bon état.

 

[22]         Lors de son témoignage, elle a expliqué qu’elle avait un compte à elle seule à la Caisse populaire Les Estacades. Elle a dit avoir des économies de l’ordre de 7 000 $ provenant de ses allocations familiales et prestations fiscales pour enfants. Elle a également expliqué que les sommes déposées par son mari dans les comptes bancaires suffisaient à peine à payer les dépenses de la famille et, qu’en fin d’année, il ne restait rien dans lesdits comptes.

 

[23]         Selon elle, les transactions sur les comptes bancaires dans lesquels son mari déposait des sommes d’argent étaient effectuées selon les instructions de son mari.

 

[24]         Le troisième et dernier témoin entendu à l’audience était monsieur Stéphane Georgeff de l’ARC. Il a expliqué que monsieur Gagnon n’a pas produit de déclaration de revenus pour les années d’imposition 2000 et 2001 mais a produit une déclaration de revenus pour l’année 2004. Des cotisations arbitraires de l’ordre de 33 000 $ ont été établies à son endroit pour les années 2000, 2001 et 2004. Lors des procédures de collection, il s’est rendu compte que monsieur Gagnon avait transféré des sommes d’argent à l’appelante d’où la cotisation en vertu de l’article 160 de la Loi.

 

[25]         Monsieur Georgeff a indiqué que les dépôts effectués par le conjoint de l’appelante dans les comptes bancaires de l’appelante au cours des années d’imposition 2003, 2004 et 2005, soit au total 106 776,58 $, ont excédé les revenus nets déclarés par l’appelante (déductions faites de l’impôt fédéral retenu), soit au total 26 505 $ pour la même période, la différence étant de l’ordre de 80 000 $. Selon le témoin, ceci démontre que le conjoint de l’appelante a transféré dans les comptes bancaires de l’appelante des sommes supérieures à la somme de 61 094 ,02 $ utilisée par l’ARC aux fins de la cotisation émise à l’appelante.

 

Analyse

 

[26]         Les parties pertinentes du paragraphe 160(1) de la Loi sont libellées comme suit :

 

160(1) Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance. Lorsqu’une personne a […] transféré des biens, directement […], au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

 

a) son époux

 

[…]

 

Les règles suivantes s’appliquent :

 

[…]

 

e)         le bénéficiaires et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

 

(i)         l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

(ii)        le total des montants dont chacun représente un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l’année d’imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années;

 

aucune disposition du présent paragraphe n’est toutefois réputée limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

[27]         Dans l’arrêt Livingston v. R., [2008] 3 C.T.C. 203 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a énoncé quatre conditions nécessaires à l’application du paragraphe 160(1) :

 

17.       Étant donné la signification claire des termes du paragraphe 160(1), les critères dont dépend le déclenchement de son application se révèlent évidents :

 

1)         L’auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

 

2)         Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon.

 

3)         Le bénéficiaire du transfert doit être :

 

            i. soit l’époux ou conjoint de fait de l’auteur du transfert au moment de clui-ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

            ii. soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

            iii. soit une personne avec laquelle l’auteur du transfert avait un lien de dépendance.

 

4)         La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[28]         Dans la présente affaire, la responsabilité de monsieur Gagnon de payer des impôts en vertu de la Loi au moment des transferts d’argent, a été admise et les cotisations établies à son endroit n’ont pas été contestées et ont été reconnues valides.

 

[29]         La deuxième condition est qu’il doit y avoir eu des transferts de biens. Le montant total des transferts, soit 61 094,02 $, a été admis et il a été clairement établi dans l’arrêt Livingston précité que « le dépôt de sommes sur le compte bancaire d’une autre personne constitue un transfert de biens » (par.21).

 

[30]         Dans l’arrêt Medland c. Canada, 98 D.T.C. 6358 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a conclu que l’objet et l’esprit du paragraphe 160(1) « consiste à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint […] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l’argent qui lui est dû ». À cet égard, il faut retenir de la preuve, les éléments suivants :

 

a)       le montant total (environ 80 000 $) des dépôts effectués par le conjoint de l’appelante dans les comptes bancaires de l’appelante était supérieur au montant de 61 094,02 $ admis par l’appelante;

 

b)      le patrimoine du conjoint de l’appelante a été appauvri dans les mois précédents sa faillite du seul actif saisissable suite à la prise en paiement de la résidence pour un retard de paiement d’une somme de 410,77 $ sur une dette totale de 17 691,91 $ et à l’acquisition de ladite résidence par l’appelante pour une somme de 58 625,04 $ sans aucun déboursé, alors qu’elle en valait au moins 126 600 $;

 

c)       l’admission, selon les témoignages de l’appelante et de son conjoint, que les comptes bancaires avaient été ouverts en 2003 parce que les comptes de banque de monsieur Gagnon étaient sous saisie par les autorités fiscales fédérales et québécoises et que, par conséquent, ils ont été ouverts au détriment des créanciers;

 

d)      selon les témoignages de l’appelante et de son conjoint, l’ensemble des fonds transférés servaient aux obligations familiales et au paiement de l’hypothèque sur la résidence. L’appelante utilisait les trois comptes bancaires et elle y avait accès par deux cartes de guichet automatique et elle y faisait même des dépôts à l’occasion. Les comptes bancaires étaient utilisés par les deux conjoints sauf pour celui de la Banque de Montréal dans lequel le conjoint de l’appelante ne pouvait effectuer de retraits.

 

[31]         La troisième condition d’application du paragraphe 160(1) est rencontrée dans la présente affaire, vu que la bénéficiaire des transferts de fonds était la conjointe de monsieur Gagnon. L’appelante et son conjoint étaient mariés depuis 1990 sous le régime de la société d’acquêts.

 

[32]         La quatrième et dernière condition consiste à déterminer si la bénéficiaire du transfert de biens a fourni une contrepartie suffisante à l’auteur du transfert. Dans l’arrêt Yates c. Canada, 2009 CAF 50, la Cour d’appel fédérale a effectué un renversement du courant jurisprudentiel ayant trait à l’obligation de subvenir aux besoins de la famille en ces termes :

 

16        Il appert clairement de la lecture de l’article 160 que la seule exception prévue par la Loi est celle du paragraphe 160(4).

 

17        Le courant jurisprudentiel qui se dégage des décisions Michaud c. Canada, [1998] A.C.I. no 908 (QL); Ferracuti c. Canada, [1998] A.C.I. no 883 (QL), Laframboise c. Canada, [2002] A.C.I. no 628 (QL), et selon lequel les paiements faits par un conjoint à l’autre pour satisfaire à son obligation de subvenir aux besoins de sa famille ne tombent pas sous le coup de l’article 160, ne trouve pas appui dans la loi.

 

[33]         Les obligations familiales existent mais elles ne peuvent constituer un fondement juridique pour éviter l’application de l’article 160.

 

[34]         Dans l’arrêt Waugh c. Canada, [2008] A.C.F. no 669 (QL), la Cour d’appel fédérale a affirmé de nouveau ce qu’elle a dit dans l’arrêt Machtinger c. Canada, 2001 D.T.C. 5054, concernant le fardeau d’établir la juste valeur marchande de toute contrepartie versée en échange des biens transférés :

 

[…] la Cour a statué que lorsque le ministre tient pour acquis qu’aucune contrepartie n’a été versée lors d’un transfert de biens, tel que l’envisage le paragraphe 160(1) de la LIR, le bénéficiaire a le fardeau d’établir la juste valeur marchande de toute contrepartie qui aurait été versée en échange des biens transférés.

 

[35]         Dans la présente affaire, il n’existe aucune preuve permettant de conclure à l’existence d’un mandat clair et explicite démontrant que les sommes remises par monsieur Gagnon auraient été détenues par l’appelante à titre de mandataire de son mari ou que monsieur Gagnon a reçu lors des transferts de biens, une contrepartie dont la juste valeur marchande était équivalente à la valeur des biens transférés.

 

[36]         Il n’y a pas de preuve au dossier établissant une corrélation entre la valeur de la contribution de l’appelante et la juste valeur marchande des sommes déposées dans les comptes bancaires.

 

[37]         La question de savoir si l’appelante s’est enrichie ou a obtenu un avantage quelconque suite aux transferts de biens est, selon la Cour d’appel fédérale, dénuée de pertinence pour l’application du paragraphe 160(1) de la Loi (voir l’arrêt Livingston précité au paragraphe 24).

 

[38]         De toute façon, il me semble évident que les sommes ayant servi à rembourser le prêt hypothécaire sur la résidence familiale sont passées du patrimoine de monsieur Gagnon pour entrer dans celui de l’appelante sans qu’il n’y ait eu de contrepartie donnée pour le bien.

 

L’article 160 viole-t-il l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

 

Faits propres à cette question

 

[39]         Les faits propres à cette question, tels qu’énoncés dans l’avis de question constitutionnelle (formule 69) en date du 30 août 2010, sont les suivants :

 

1.         L’appelante expose les faits sans reconnaissance des droits du MNR, certains allégués étaient faits sans admission de l’exactitude des cotisations;

 

2.         L’appelante est la conjointe d’un contribuable cotisé par le Ministère National du Revenu;

 

3.         L’appelante a été cotisée en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu et l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise;

 

4.         L’appelante avait préalablement été cotisée par le Ministère du revenu du Québec en application de l’article 14.4 de la Loi sur le ministère du Revenu;

 

5.         Pour l’essentiel, les articles 14.4 de la Loi sur le ministère du revenu, l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise et 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, sont des versions pratiquement identiques au niveau du libellé et de l’intention du législateur, c’est-à-dire la solidarité du paiement des dettes fiscales du débiteur principal, appelé « cédant », par le « cessionnaire », en l’occurrence le contribuable cotisé sous ces articles;

 

6.         Josée Ouellet, appelante, a effectivement été cotisée sous 14.4 de la Loi sur le ministère du Revenu pour un montant de 59 394,02 $ quant à des versements hypothécaires payés par son conjoint, Mario Gagnon;

 

7.         Josée Ouellet a été ensuite cotisée sous l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise, compte tenu du fait que la somme de 59 394,02 $ avait été transférée sans contrepartie à son compte par son conjoint, cette cotisation s’élevant à 11 152,32 $, le tout représenté dans le dossier 2007‑4954(GST)I;

 

8.         Josée Ouellet a été ensuite cotisée sous l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, compte tenu du fait que la somme de 59 394,02 $ avait été transférée sans contrepartie à son compte par son conjoint, cette cotisation s’élevant à 11 152,32 $, le tout représenté dans le dossier 2007‑4954(GST)I;

 

9.         Il est aisé de constater que si Josée Ouellet avait payé toutes les cotisations reçues, elle aurait dû débourser le double des montants prétendument reçus par le biais de son conjoint;

 

10.       Josée Ouellet a payé a Revenu Québec une somme de 39 858,34 $ en vertu de l’application de l’article 14.4 LMR, par transaction, le ou vers le 22 décembre 2008;

 

11.       Lors de l’avis d’audience sur la gestion d’instance du 28 octobre 2009, le procureur de Sa Majesté, Me Vlad Zolia, a représenté à la Cour canadienne que sa Majesté considérait le montant versé au provincial par Josée Ouellet, soit 39 858,34 $, serait retranché des montants que Sa Majesté tente de recouvrer auprès de Josée Ouellet dans le dossier cité en rubrique;

 

12.       Dans ce contexte, malgré un libellé clair de l’article 160 et des allégués à l’effet que la cotisation sous opposition et appel est due, le représentant de Sa Majesté admet que administrativement, il n’appliquera pas la Loi;

 

13.       Le comportement de Sa Majesté va à l’encontre de l’objectif de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est de procéder à la collecte de deniers pour le trésor public;

 

14.       Or, la Loi doit s’appliquer à tous également; si Sa Majesté renonce à l’appliquer, c’est qu’elle reconnaît que l’effet de la Loi est injuste et inéquitable pour les résidents du Québec, notamment l’appelante, et à ce compte, reconnaît implicitement que l’article 160 LIR est affecté d’un vice important;

 

Fondement juridique de la question constitutionnelle

 

[40]         Le fondement juridique de la question constitutionnelle, tel qu’énoncé dans l’avis de question constitutionnelle, est le suivant :

 

A)        L’article 160 LIR est inconstitutionnel, en ce qu’il viole les articles 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne;

 

B)        Qui plus est, la conjonction des articles 14.4 de la Loi sur le ministère du Revenu, l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise et 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu va à l’encontre des principes de primauté du droit, en ce que la Loi ne s’applique pas également à tous, puisque pour le même transfert de bien, une personne cotisée partout ailleurs au Canada est susceptible de payer uniquement le montant du transfert, mais qu’une personne résidant au Québec est susceptible de payer le double;

 

C)        En effet, l’article 160 LIR crée une double imposition des montants des transferts entre personnes liées par son effet conjonctif avec l’article 14.4 LMR, ainsi que l’effet conjonctif de l’article 325 LTA;

 

D)        Ce faisant, il crée une inégalité entre les résidents du Québec ainsi que ceux des autres provinces quant à l’impôt payable sur un transfert (par voie de solidarité de paiement);

 

E)         Dans la mesure où le montant d’impôt dû par le cédant excède le montant du transfert au sens de l’article 160 LIR, tous les résidents du Québec cotisés en vertu de 160 LIR ou de 14.4 LMR ou de 325 LTA sont susceptibles de payer plus en responsabilité solidaire de paiement d’impôt que le montant du transfert qui est à l’origine de la cotisation;

 

F)         La possibilité que le législateur détient de créer un crédit d’impôt provincial-fédéral propre aux résidents du Québec, ou encore une application proportionnelle de points de pourcentages d’imposition fait en sorte que résoudre le problème potentiel de double imposition pourrait être un exercice simple et rapide.

 

La question de la double imposition

 

[41]         L’appelante remet en question la validité de l’article 160 de la Loi en alléguant que l’effet combiné des articles 160 de la Loi et 14.4 de la LAF engendre une « double imposition » que seuls les contribuables québécois ont le fardeau de supporter. Le problème de « double imposition » est bien réel et il survient lorsque les autorités fiscales fédérales et québécoises cotisent distinctivement le bénéficiaire du transfert de biens pour le plein montant d’un même transfert, alors que les dettes fiscales de l’auteur du transfert envers l’ARC et le ministère du Revenu du Québec sont toutes les deux supérieures à la valeur des biens transférés.

 

[42]         Malgré l’absence de mesures législatives claires pour éliminer ce problème, les autorités fiscales compétentes ont tendance à se montrer empathiques envers les contribuables qui font l’objet d’une « double imposition » dans de telles circonstances. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit dans le cas de l’appelante. Le ministre a convenu, pour des raisons d’équité, de diminuer le montant cotisé en vertu de l’article 160 à la somme de 20 622,53 $, ce qui correspond à la différence entre la valeur des biens transférés (60 480,87 $) et le montant payé aux autorités fiscales québécoises en vertu des cotisations établies au nom de l’appelante en vertu de l’article 14.4 de la LAF (39 858,34 $).

 

[43]         Le même problème existe également au niveau fédéral à travers l’effet combiné des articles 160 de la Loi et 325 de la LTA. L’article 325 est en tous points semblable à l’article 160 à la différence près que les montants déjà cotisés relativement à un transfert en vertu de l’article 160 doivent être déduits des montants qui peuvent être réclamés au bénéficiaire du transfert en vertu de l’article 325 de la LTA. Il s’agit d’une solution partielle parce que les montants cotisés en premier lieur en vertu de l’article 325 de la LTA ne peuvent faire échec à une cotisation subséquente en vertu de l’article 160 de la Loi.

 

La Charte canadienne des droits et libertés

 

[44]         Selon l’appelante, l’article 160 est inconstitutionnel en ce qu’il viole le droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte, qui se lit comme suit :

 

15(1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

 

[45]         Le paragraphe 15(1) de la Charte assure le droit à l'égalité devant la Loi et dans l'application de la loi, de même qu'un droit égal aux bénéfices de la loi et à sa protection (Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 R.C.S. 989, paragraphes 25 à 27). Le paragraphe 15(1) de la Charte atteint cet objectif en protégeant contre la discrimination sur la base d'un des motifs énumérés à l'article  15 ou sur la base d'un motif analogue.

 

[46]         Dans l'arrêt R. c.. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, 2008 CSC 41, la Cour Suprême du Canada a précisé au paragraphe 16 que : « Le paragraphe 15(1) vise à empêcher les distinctions discriminatoires ayant un effet négatif sur les membres des groupes caractérisés par les motifs énumérés à l'article 15 ou par des motifs analogues ».

 

[47]         Dans l'arrêt R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, le juge Wilson a formulé le commentaire suivant au nom de la Cour Suprême du Canada :

 

La réserve intrinsèque de l'art. 15 portant que la différence de traitement doit se faire « indépendamment de toute discrimination » est déterminante quant à savoir s'il y a eu violation de l'article. Ce n'est que si l'un des quatre droits à l'égalité a été violé de manière discriminatoire que les valeurs protégées par l'art. 15 sont menacées et que le rôle légitime de la cour à titre de protecteur de ces valeurs entre en jeu.

 

[48]         Dans l'arrêt Law c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour Suprême du Canada a précisé qu'il y a discrimination au sens du paragraphe 15(1) lorsqu'une différence de traitement, s'il y en a une, viole la dignité humaine ou la liberté d'une personne ou d'un groupe. Voici comment s'est exprimé le juge Iacobucci au paragraphe 51 de ladite décision :

 

. . . On pourrait affirmer que le par. 15(1) a pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux, et de favoriser l'existence d'une société où tous sont reconnus par la loi comme des êtres humains égaux ou comme des membres égaux de la société canadienne, tous aussi capables, et méritant le même intérêt, le même respect, et la même considération. Une disposition législative qui produit une différence de traitement entre des personnes ou des groupes est contraire à cet objectif fondamental si ceux qui font l'objet de la différence de traitement sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues et si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou que, par ailleurs, elle perpétue ou favorise l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne. Subsidiairement, une différence de traitement ne constituera vraisemblablement pas de la discrimination au sens du par. 15(1) si elle ne viole pas la dignité humaine ou la liberté d'une personne ou d'un groupe de cette façon, surtout si la différence de traitement contribue à l'amélioration de la situation des défavorisés au sein de la société canadienne.

 

[49]         Tel que rédigé, l'article 160 de la Loi ne crée pas de distinction entre les contribuables canadiens et il s'applique également à tous. L'article 160 de la Loi ne renferme aucun indice de discrimination et ne réfère à aucune caractéristique personnelle permettant de croire que les résidents du Québec reçoivent un traitement différent de ceux des autres provinces ou peuvent être assimilés à un groupe préjudicié.

 

[50]         La différence de traitement des résidents du Québec découle de la disposition législative québécoise, soit l'article 14.4 de la LAF, et non de l'article 160 de la Loi qui, en soi, n'est pas discriminatoire.

 

[51]         Dans ce contexte, il y a lieu de considérer si la province de résidence peut constituer un motif analogue de discrimination en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour Suprême du Canada a eu à se pencher sur cette question à quelques occasions et a rarement concédé ou reconnu que la province de résidence constituait un motif analogue de discrimination.

 

[52]         Dans l'arrêt R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254, la Cour Suprême du Canada a rejeté l'argument selon lequel l'omission de la province de l'Ontario d'autoriser un « programme de mesures de rechange » aux fins de l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants contrevenait au droit à l'égalité protégé par l'article 15 de la Charte en raison du fait qu'il existait à l'intention des jeunes contrevenants des programmes semblables dans toutes les autres provinces canadiennes. Le juge en chef Dickson s'est exprimé en ces termes au paragraphe 44 de la décision :

 

. . . une fois qu'on décide qu'il n'incombe au procureur général de l'Ontario aucune obligation de mettre en (oe)uvre un programme de mesures de rechange, le non-exercice du pouvoir discrétionnaire ne peut, du seul fait qu'il engendre des différences entre les provinces, donner prise à une attaque fondée sur la Constitution. La conclusion contraire pourrait avoir pour conséquence d'exposer à l'examen en vertu de la Charte tout exercice par une province d'un pouvoir relevant de sa compétence, examen dont l'unique fondement serait que cet exercice crée une distinction quant au traitement accordé aux particuliers dans différentes provinces.  . . .

 

[53]         Le juge en chef Dickson s'est de plus exprimé de la façon suivante au paragraphe 47 de ladite décision :

 

De toute évidence, le système fédéral de gouvernement lui-même exige qu'on ne donne pas aux valeurs sous-tendant le par. 15(1) une portée illimitée. Non seulement le partage des compétences permet un traitement différent selon la province de résidence, mais il autorise et encourage des distinctions d'ordre géographique. Il ne fait donc aucun doute que le traitement inégal qui résulte uniquement de l'exercice par les législateurs provinciaux de leurs compétences légitimes ne saurait, du seul fait qu'il crée des distinctions fondées sur la province de résidence, être attaqué sur le fondement du par. 15(1).

 

[54]         Dans l'arrêt Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, la Cour Suprême du Canada a eu à trancher la question de savoir si le fait de restreindre le droit de vote lors d'un référendum québécois aux seules personnes qui soient installées au Québec depuis plus de six mois constituait une forme de discrimination fondée sur un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. La Cour a tranché la question en ces termes au paragraphe 92 :

 

Dans cette foulée, les appelants font valoir que le lieu de résidence d'une personne peut constituer une caractéristique personnelle analogue aux motifs prohibés énumérés au par. 15(1). Il peut bien en être ainsi dans certaines circonstances, mais ces circonstances n'existent pas en l'espèce. Ce serait fantaisiste au plus haut degré de conclure que les personnes qui déménagent au Québec moins de six mois avant la date d'un référendum sont assimilables aux victimes d'une discrimination fondée sur la race, la religion ou le sexe. Les personnes qui s'installent au Québec moins de six mois avant la date d'un référendum ne souffrent ni de stéréotypage ni de préjugés sociaux. Quoique ses membres n'aient pu voter au référendum québécois, le groupe en question n'est pas de ceux qui ont subi des désavantages historiques ou des préjugés politiques. Il ne semble pas s'agir non plus d'un groupe "distinct et séparé". Sa composition est hautement changeante: des gens s'y ajoutent constamment puis cessent d'en faire partie dès qu'ils satisfont aux exigences posées par le Québec en matière de résidence. Puisqu'ils ne manifestent aucun des signes traditionnels de discrimination, je ne puis conclure que les nouveaux résidents d'une province forment un groupe pour lequel il convient de créer une nouvelle catégorie relevant du par. 15(1).

 

[55]         La Cour Suprême du Canada a de plus formulé le commentaire suivant concernant les différences de traitement qui peuvent survenir dans un système politique fédéral comme le nôtre (paragraphe 98 de l'arrêt Haig, précité).

 

Manifestement, dans un système fédéral, les distinctions entre les provinces ne donnent pas automatiquement naissance à une présomption de discrimination. Le paragraphe 15(1) de la Charte, bien qu'interdisant la discrimination, n'apporte [page 1047] aucune modification au partage des pouvoirs entre les gouvernements ni n'exige que toutes les lois fédérales s'appliquent toujours de façon uniforme à toutes les provinces. Il convient de souligner que, comme le fait remarquer le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. S. (S.), précité, aux pp. 289 à 292, des différences dans l'application d'une loi fédérale d'une province à l'autre peuvent représenter un moyen légitime de promouvoir les valeurs propres à un système fédéral. Les différences existant entre les provinces font rationnellement partie de la réalité politique d'un régime fédéral. Ce sont deux concepts distincts que ceux de différence et de discrimination et la première n'emporte pas inéluctablement la seconde.

 

[56]         Sur la base des arrêts précités de la Cour Suprême du Canada, il n'est pas évident que la province de résidence des contribuables puisse être un motif analogue de discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. Chaque cas étant naturellement un cas d'espèce.

 

[57]         Dans le présent appel, l'appelante n'a pas établi :

 

a)  qu'elle appartient à une minorité distincte et séparée;

b)  que cette minorité se définit par des caractéristiques analogues aux motifs de discrimination énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte; et

c)  que la Loi en question porte préjudice à cette minorité.

 

[58]         Dans les faits, la question constitutionnelle posée par l'appelante est purement hypothétique puisqu'elle n'est pas sujette à une « double imposition » suite à l'application conjointe de l'article 160 de la Loi et de l'article 14.4 de la LAF. La concession faite par les avocats de l'intimée à l'ouverture de l'audition de la cause avait justement pour but d'éviter la « double imposition » résultant de l'application conjointe de l'article 160 de la Loi et de l'article 14.4 de la LAF. D'ailleurs, il y a lieu de rappeler ici que la « double imposition » pouvant affecter les résidents du Québec n'est pas automatique et qu'elle n'est potentiellement présente que dans les cas où les dettes fiscales de l'auteur du transfert envers l'ARC et le ministère de Revenu du Québec sont toutes deux supérieures à la valeur des biens transférés.

 

[59]         La primauté du droit et l'article 10 de la Charte n'ont pas été plaidés à l'audience par l'avocat de l'appelante.

 

[60]         Pour ces raisons, l'appel à l'encontre de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi en date du 20 décembre 2005 est admis et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation afin de tenir compte de la concession faite par le ministre pour des raisons d'équité de diminuer le montant cotisé à la somme de 20 622,53 $. L'article 160 ne viole pas le paragraphe 15(1) de la Charte. Les dépens sont adjugés en faveur de l'intimée.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2012.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 77

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2008-1999(IT)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Josée Ouellet c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Shawinigan (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 17 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU MOTIFS DU

JUGEMENT MODIFIÉS :             le 23 mars 2012

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 14 mars 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me François Daigle

 

Avocats de l'intimée :

Me Vlad Zolia

Me Simon Vincent

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me François Daigle

 

                 Cabinet :                           Lacoursière Lebrun senc., avocats

                                                          Trois-Rivières (Québec)

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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