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Dossier : 2011‑1435(EI)

ENTRE :

SAMQO TRANSPORT,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 27 mars 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Représentante de l’appelante :

Mme Amany Naguib

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Amin Njonkou Kouandou

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli et la décision que le ministre du Revenu national a rendue le 25 février 2011 en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi est modifiée conformément aux motifs du jugement ci‑joint.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2012.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


 

 

 

Référence : 2012 CCI 132

Date : 20120502

Dossier : 2011-1435(EI)

ENTRE :

SAMQO TRANSPORT,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge Boyle

 

[1]             En l’espèce, il faut rechercher si M. Mahmoud Nasser exerçait un emploi assurable pendant une partie des années 2009 et 2010 aux fins de la Loi sur l’assurance-emploi (la « LAE ») en ce qui concerne le travail qu’il a effectué pour l’appelante. L’entreprise de l’appelante, Samqo Transport (« Samqo ») était exploitée par M. El Haj. Le travail que M. Nasser effectuait pour Samqo consistait à aider M. El Haj à charger et à décharger des marchandises livrées par camion.

 

[2]             Il importe de noter que l’intimé a la charge de la preuve en l’espèce parce que, du moins selon sa réponse, la Couronne était d’avis que le travail effectué était un emploi assurable en vertu de l’alinéa 5(3)b) de la LAE, qui concerne les employés liés et la question de savoir si leur emploi constitue un emploi assurable. Les hypothèses sur lesquelles l’intimé s’est fondé allaient toutes dans le sens de cette qualification. À l’audience, l’avocat de l’intimé a reconnu que l’alinéa 5(3)b) de la LAE n’était pas pertinent et n’aidait pas à établir si le contrat était un contrat de travail, et que l’intimé avait la charge d’établir que M. Nasser était employé plutôt qu’entrepreneur indépendant.

 

 

I. Les faits

 

[3]             M. El Haj exploitait Samqo, une entreprise de livraison. Il possédait un camion dont il était l’unique chauffeur. Au cours de la période en question, Samqo effectuait des livraisons pour des établissements de détail tels que Sears, Ikea, Bureau en Gros et Xerox. Pour certains clients, tels que Sears, Samqo fournissait un camion et un chauffeur seulement. Le client devait charger le camion et le décharger au lieu de livraison. Pour d’autres clients, tels qu’Ikea, Samqo s’engageait à s’occuper des livraisons, et notamment à charger les marchandises chez le client et à les décharger chez le client final.

 

[4]             Les clients qui devaient avoir recours aux services de Samqo communiquaient avec M. El Haj le soir pour les livraisons à effectuer le lendemain. Lorsqu’il convenait de s’occuper du chargement et du déchargement, M. El Haj se renseignait auprès des clients de Samqo sur la nature des marchandises à livrer afin de déterminer si elles étaient suffisamment grosses pour qu’il soit nécessaire de faire appel à un assistant le lendemain. Lorsque Samqo devait charger et décharger de grosses marchandises comme des sofas et des appareils électroménagers, M. El Haj communiquait avec l’une de plusieurs personnes auxquelles il faisait appel à cette fin. En pareil cas, il appelait normalement M. Nasser en premier lieu, étant donné que celui‑ci possédait de l’expérience et qu’il était fiable et, de plus, qu’il était le frère de sa femme. M. El Haj offrait le travail du lendemain à M. Nasser, chez un client particulier à une heure donnée. L’heure à laquelle le travail prenait fin n’était pas prévisible et il n’y avait pas d’heure fixe. M. Nasser pouvait à son gré accepter ou refuser le travail qui lui était offert pour le lendemain. M. Nasser avait à maintes reprises refusé les offres de travail de M. El Haj. M. Nasser effectuait du travail pour d’autres clients et, de plus, il travaillait au restaurant de ses parents. M. Nasser avait fait enregistrer une entreprise sous le nom M.O. Transport pour les livraisons qu’il effectuait pour Samqo et pour d’autres.

 

[5]             Au cours des années en question, lorsque M. Nasser refusait le travail qui lui était offert, M. El Haj appelait parfois l’un des deux autres sous-traitants auxquels il avait recours à cette fin.

 

[6]             Samqo versait à M. Nasser un montant de huit dollars pour chaque livraison. Ce montant avait été fixé à la demande de M. Nasser, lorsqu’on lui avait offert d’être rémunéré à l’heure ou pour chaque livraison. M. Nasser n’avait pas droit à des avantages ou à une paie de vacances.

 

[7]             Aucun contrat écrit ne faisait état de ces dispositions. Un contrat verbal avait été conclu, selon lequel M. Nasser acceptait d’agir à titre de sous-traitant.

 

[8]             Le camion et le diable qui étaient utilisés appartenaient à Samqo et c’était Samqo qui en était responsable.

 

[9]             M. Nasser payait son propre uniforme de livreur, ses chaussures ainsi que les frais à supporter pour se rendre aux lieux du chargement. Il se rendait parfois au lieu du chargement dans le camion de Samqo, avec M. El Haj.

 

[10]        Au lieu de l’entreprise du client de Samqo, M. El Haj et M. Nasser chargeaient le camion ensemble. M. El Haj, qui était le chauffeur, décidait d’un horaire de livraison efficace en fonction des commandes qu’il venait de recevoir et de sa connaissance de la ville et des environs. Une fois le parcours établi, l’ordre de chargement était inversé, de façon que les dernières marchandises à livrer soient les premières à être chargées dans le camion.

 

[11]        Si des dommages étaient causés à la maison ou aux meubles du client au cours de la livraison, M. El Haj ou M. Nasser, selon celui des deux qui était responsable des dommages ou des bris, devait se charger des réparations nécessaires. Selon la preuve, M. Nasser avait à un moment donné endommagé un appareil d’éclairage d’un client et dans un autre cas, le plancher du client, et il avait été obligé de s’occuper des réparations ou du remplacement.

 

[12]        M. Nasser déclarait le revenu reçu de Samqo à titre de travailleur autonome aux fins de l’impôt sur le revenu. Samqo délivrait un feuillet T4A à M. Nasser en sa qualité de sous-traitant.

 

[13]        M. Nasser était rémunéré par chèque aux deux semaines. Le chèque était tiré sur un compte au nom d’Awni El-Haj/Samqo Transport et il était émis en faveur de Mahmoud Nasser, le nom M.O. Transport étant également inscrit au-dessus de la ligne du bénéficiaire. Ces chèques étaient émis en paiement des factures de M.O. Transport adressées à Samqo, lesquelles indiquaient le nombre de commandes, le montant total à payer et le numéro du chèque de Samqo utilisé aux fins du paiement. Aucun numéro d’inscrit aux fins de la TPS ou de la TVP ne figurait sur les chèques, mais en ce qui concerne la TPS du moins, la chose était peut-être attribuable au fait que M. Nasser était admissible à titre de petit fournisseur. Aucun élément de preuve allant dans un sens ou dans l’autre n’a été présenté sur ce point.

 

[14]        M. Nasser travaillait en moyenne au moins 20 jours par mois, pendant une partie de la journée du moins, mais cela pouvait varier de 9 à 27 jours par mois. Samqo effectuait des livraisons sept jours sur sept et acceptait le travail chaque fois qu’elle pouvait le faire. Samqo était particulièrement occupée pendant les fins de semaine, ce qui coïncidait avec les habitudes d’achat des consommateurs. On n’a présenté aucun élément de preuve clair au sujet du nombre de livraisons qui avaient été effectuées au cours de la période en question ou d’une partie de cette période, ou au sujet du montant que M. Nasser avait gagné en travaillant pour Samqo au cours de la période en question. La preuve établit que les journées étaient loin d’être toutes les mêmes étant donné qu’il n’y avait parfois que quelques marchandises à livrer, alors qu’à d’autres moments, il pouvait y avoir au moins 20 livraisons.

 

[15]        J’aimerais signaler que M. Nasser n’était vraiment pas porté sur les chiffres et les dates. Il a déclaré que, cela étant, il ne tenait pas de registres. Il a adopté une approche simple en choisissant de travailler uniquement pour les gens en qui il a confiance. Il comptait sur M. El Haj pour qu’il lui verse sa rémunération exacte.

 

[16]        Il ressort clairement des éléments de preuve que Samqo Transport/M. El Haj et M. Nasser voulaient entretenir une relation d’entrepreneur indépendant plutôt qu’une relation employeur-employé, qu’ils estimaient qu’il en était ainsi pour toute la période de travail et qu’ils déclaraient cette relation en tant que telle.

 

[17]        Il est clair que ni l’un ni l’autre ne s’était engagé envers l’autre à offrir le travail disponible ou à accepter le travail qui était offert.

 

 

II. Dispositions pertinentes et analyse

 

[18]        L’emploi assurable est défini ainsi à l’alinéa 5(1)a) de la LAE :

 

EMPLOI ASSURABLE

 

5(1) Sens de « emploi assurable » — Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

INSURABLE EMPLOYMENT

 

5(1) Type of insurance employment — Subject to subsection (2), insurable employment is

 

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

 

[19]        L’article 2085 du Code civil du Québec (le « Code civil ») définit le contrat de travail ainsi :

 

CHAPITRE SEPTIÈME

 

DU CONTRAT DE TRAVAIL

 

Art. 2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

CHAPTER VII

 

CONTRACT OF EMPLOYMENT

 

Art. 2085. A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes for a limited period to do work for remuneration, according to the instructions and under the direction or control of another person, the employer.

 

[20]        Par contre, l’article 2098 définit le contrat d’entreprise ou de service ainsi :

 

CHAPITRE HUITIÈME

 

DU CONTRACT D’ENTREPRISE OU DE SERVICE

 

SECTION 1

DE LA NATURE ET DE L’ÉTENDUE DU CONTRAT

 

Art. 2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

CHAPTER VIII

 

CONTRACT OF ENTERPRISE OR FOR SERVICES

 

SECTION I

NATURE AND SCOPE OF THE CONTRACT

 

Art. 2098. A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to carry out physical or intellectual work for another person, the client or to provide a service, for a price which the client binds himself to pay.

 

[21]        L’article 2099 dispose :

 

Art. 2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

Art. 2099. The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client in respect of such performance.

 

[22]        Il ressort de plusieurs arrêts de la Cour d’appel fédérale, et notamment de l’arrêt Le Livreur Plus Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2004 CAF 68, que les lignes de conduite ou les critères traditionnels de common law mentionnés dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 DTC 5025, sont des points de repère lorsqu’il s’agit de décider s’il existe entre les parties un lien de subordination qui est caractéristique d’un contrat de travail ou s’il existe plutôt un degré d’indépendance qui indique l’existence d’un contrat d’entreprise aux termes du Code civil. De plus, l’intention mutuelle ou la stipulation des parties quant à la nature de leur relations contractuelles doivent être prises en considération et peuvent s’avérer être un instrument utile d’interprétation de la nature du contrat aux fins de sa qualification en vertu du Code civil. Voir par exemple les décisions que la Cour d’appel fédérale a rendues dans les affaires D & J Driveway Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 453, et Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, 2009 DTC 5056, lesquelles enseignent que l’intention des parties constitue un facteur important à prendre en considération en qualifiant un contrat aux fins du Code civil.

 

[23]        Les lignes directrices ou critères traditionnels de common law relatifs au  contrat de louage de services ou au contrat de travail par opposition à un contrat d’entreprise ou d’entrepreneur indépendant sont bien établis. On établit l’emploi assurable en recherchant si l’intéressé exploite vraiment une entreprise à son compte. Voir les arrêts Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59, [2001] 2 R.C.S. 983, et Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, 87 DTC 5025.

 

[24]        Pour statuer, il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes ainsi que d’un certain nombre de critères ou de lignes directrices utiles, notamment : 1) l’intention des parties; 2) le contrôle exercé sur les activités; 3) la propriété des instruments de travail; 4) la possibilité de profit ou le risque de perte. Il n’existe aucune manière préétablie d’appliquer les facteurs pertinents; leur importance relative et leur pertinence dépendent des faits et des circonstances propres à chaque affaire.

 

[25]        La décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans l’affaire Royal Winnipeg Ballet c. Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 87, 2006 DTC 6323, ainsi que dans plusieurs affaires ultérieures indique jusqu’à quel point les intentions des parties et le critère du « contrôle » sont importants.

 

[26]        Aux paragraphes 27 à 46 de l’arrêt Grimard, et en particulier au paragraphe 43, la Cour d’appel fédérale expose en détail les différences en matière d’emploi assurable, aux fins de l’assurance‑emploi, entre le droit civil et la common law :

 

[33] Pour importante qu’elle soit, l’intention des parties n’est pas à elle seule déterminante de la qualification du contrat : voir D & J Driveway Inc. c. M.R.N., 2003 CAF 453; Dynamex Canada Inc. c. Canada, 2003 CAF 248. De fait, le comportement des parties dans l’exécution du contrat doit refléter et actualiser cette intention commune, sinon la qualification du contrat se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non de ce que prétendent les parties.

[...]

[36] Dans l’affaire Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396, notre collègue, le juge Décary, citait l’extrait suivant de feu Robert P. Gagnon tiré de son volume Le droit du travail du Québec, 5e éd. Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 67 et précisant le contenu de la notion de subordination en droit civil québécois :

            Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C. ; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[Je souligne]

[37] On retrouve dans cet extrait la notion de contrôle sur l’exécution du travail aussi présente dans les critères de la common law, à cette différence que la notion de contrôle est, en vertu du droit civil québécois, plus qu’un simple critère comme en common law. Elle est une caractéristique essentielle du contrat de travail : voir D & J Driveway, au paragraphe 16 de cette décision; et 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (ministre du Revenu national), 2005 CAF 334.

[38] Mais on peut également noter dans l’extrait de Me Gagnon que le concept juridique de subordination ou contrôle, pour que l’on puisse conclure à sa présence dans une relation de travail, fait aussi appel en pratique à ce que l’auteur appelle des indices d’encadrement, que notre Cour a qualifiés de points de repère dans l’affaire Livreur Plus Inc. c. MRN, 2004 CAF 68, au paragraphe 18; et Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, au paragraphe 3.

[39] Par exemple, l’intégration du travailleur dans l’entreprise apparaît en droit civil québécois comme un indice d’encadrement qu’il importe ou qu’il est utile de rechercher en pratique pour déterminer l’existence d’un lien de subordination juridique. N’est-ce pas là également un critère ou un facteur recherché en common law pour définir la nature juridique de la relation de travail existante?

[40] De même, en règle générale, un employeur, et non l’employé, encaisse les profits et subit les pertes de l’entreprise. En outre, l’employeur est responsable des faits et gestes de son employé. Ne sont-ce pas là des indices pratiques d’encadrement, révélateurs d’une subordination juridique aussi bien en droit civil québécois qu’en common law?

[41] Enfin, le critère de la propriété des instruments de travail, mis de l’avant par la common law, n’est-il pas aussi un indice d’encadrement qu’il convient d’examiner? Car, selon les circonstances, il peut révéler une intégration du travailleur à l’entreprise et son assujettissement ou sa dépendance à celle-ci. Il peut contribuer à établir l’existence d’un lien de subordination juridique. Plus souvent qu’autrement dans un contrat de travail, l’employeur fournit à l’employé les instruments nécessaires à l’exécution de son travail. Par contre, il m’apparaît beaucoup plus difficile de conclure à une intégration dans l’entreprise lorsque la personne qui exécute le travail possède son propre camion, par exemple, arborant de la publicité à son nom et quelque 200 000 $ d’outils pour accomplir les fonctions qu’il exerce et qu’il commercialise.

[42] Il va de soi, aussi bien en droit civil québécois qu’en common law, que ces indices d’encadrement (critères ou points de repère), lorsque chacun est pris isolément, ne sont pas nécessairement déterminants. Ainsi, par exemple, dans Vulcain Alarme Inc. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1999] F.C.J. No. 749, (1999), 249 N.R. 1, le fait que l’entrepreneur devait se servir d’un coûteux appareil spécial de détection fourni par le donneur d’ouvrage pour vérifier et calibrer des détecteurs de substances toxiques ne fut pas jugé suffisant en soi pour transformer ce qui était un contrat d’entreprise en un contrat de travail.

[43] En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail, exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise.

 

[27]        De même, la Cour d’appel fédérale s’était exprimée sur la question, aux paragraphes 18 à 20 de l’arrêt Livreur Plus Inc. :

 

[18] Dans ce contexte, les éléments du critère énoncé dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., 87 D.T.C. 5025, à savoir le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfices et les risques de pertes et enfin l’intégration, ne sont que des points de repère : Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) (1996), 207 N.R. 299, paragraphe 3. En présence d’un véritable contrat, il s’agit de déterminer si, entre les parties, existe un lien de subordination, caractéristique du contrat de travail, ou s’il n’y a pas, plutôt, un degré d’autonomie révélateur d’un contrat d’entreprise : ibidem.

 

[19] Ceci dit, il ne faut pas, au plan du contrôle, confondre le contrôle du résultat ou de la qualité des travaux avec le contrôle de leur exécution par l’ouvrier chargé de les réaliser : Vulcain Alarme Inc. c. Le ministre du Revenu national, A-376-98, 11 mai 1999, paragraphe 10, (C.A.F.); D & J Driveway Inc. c. Le ministre du Revenu national, précité, au paragraphe 9. Comme le disait notre collègue le juge Décary dans l’affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), précitée, suivie dans l’arrêt Jaillet c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), 2002 F.C.A. 394, « rares sont les donneurs d’ouvrage qui ne s’assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur ».

 

[20] Je suis d’accord avec les prétentions de la demanderesse. Un sous‑entrepreneur n’est pas une personne libre de toute contrainte qui travaille à son gré, selon ses inclinations et sans la moindre préoccupation pour ses collègues co‑contractants et les tiers. Ce n’est pas un dilettante à l’attitude cavalière, voire irrespectueuse, capricieuse ou irresponsable. Il œuvre dans un cadre défini, mais il le fait avec autonomie et à l’extérieur de celui de l’entreprise de l’entrepreneur général. Le contrat de sous-traitance revêt souvent un caractère léonin dicté par les obligations de l’entrepreneur général : il est à prendre ou à laisser. Mais sa nature n’en est pas altérée pour autant. Et l’entrepreneur général ne perd pas son droit de regard sur le résultat et la qualité des travaux puisqu’il en assume la seule et entière responsabilité vis-à-vis ses clients.

 

 

[28]        De même, la Cour d’appel fédérale a fait les observations suivantes dans l’arrêt D & J Driveway Inc. :

 

2          Nous reconnaissons d’emblée que la stipulation des parties quant à la nature de leurs relations contractuelles n’est pas nécessairement déterminante et que la cour chargée d’examiner cette question peut en arriver à une détermination contraire sur la foi de la preuve qui lui est soumise : Dynamex Canada inc. c. Canada, [2003] 305 N.R. 295 (C.A.F.). Mais cette stipulation ou l’interrogatoire des parties sur la question peuvent s’avérer un instrument utile d’interprétation de la nature du contrat intervenu entre les participants.

 

[29]        Dans l’arrêt D & J Driveway Inc., la cour a ensuite reconnu, au paragraphe 4, qu’il est possible de se référer aux critères de l’arrêt Wiebe Door Services en appréciant l’existence d’un lien de subordination en vertu du Code civil.

 

 

III. Le contrôle

 

[30]        De toute évidence, la question de l’étendue du contrôle du payeur sur le travailleur est importante lorsqu’il s’agit de rechercher s’il existe une relation employeur‑employé en raison de la subordination. Le Code civil envisage une obligation ou un engagement du travailleur de faire le travail conformément aux instructions et sous la direction ou le contrôle de l’autre personne.

 

[31]        Selon la thèse de l’intimé, chaque jour où M. Nasser travaillait pour Samqo, après avoir accepté de travailler la veille au soir, constituait un emploi distinct d’une journée. Il est possible d’être employé pour un seul jour, mais cela serait certes inhabituel et cela sortirait de l’ordinaire. Je rechercherai également si M. Nasser exerçait un emploi, sous une forme ou une autre, au cours de la période en question.

 

[32]        Il ressort clairement des éléments de preuve que Samqo et M. El Haj ne pouvaient obliger M. Nasser à travailler un jour donné. M. Nasser exerçait un contrôle absolu sur ses journées de travail et il avait le droit d’accepter ou de refuser de travailler le lendemain lorsqu’un travail lui était offert la veille au soir. M. Nasser n’avait pas à effectuer certaines heures obligatoires ou à être disponible à certains moments.

 

[33]        D’autre part, une fois qu’il avait convenu de travailler un jour donné, c’était M. El Haj, le chauffeur, qui établissait le parcours et qui décidait donc de l’ordre dans lequel les marchandises devaient être chargées dans le camion et ensuite déchargées au lieu de destination. Le travail était un travail manuel, soit le chargement et le déchargement de marchandises. Ce travail répétitif n’exige pas vraiment de direction ou de contrôle en ce qui concerne chaque marchandise particulière qui est chargée et déchargée.

 

[34]        Selon les éléments de preuve, les jours où M. Nasser travaillait, M. El Haj et lui-même se répartissaient le travail également d’une façon évidente et, de fait, un grand nombre de personnes chez qui les marchandises étaient livrées traitaient avec M. Nasser comme si c’était lui qui était la personne responsable, M. El Haj intervenait simplement à titre de chauffeur.

 

[35]        Je ne puis conclure que ce degré de contrôle est suffisant à lui seul pour constituer le type de direction et de contrôle visé par l’article 2085 du Code civil. Cet aspect, considéré isolément, semble être mieux décrit à l’article 2098 comme se rapportant à un entrepreneur réalisant un ouvrage matériel pour une autre personne moyennant un prix donné, sans qu’il existe de lien de subordination au sens de l’article 2099.

 

 

IV. L’intention

 

[36]        Il est clair que les deux parties ont toujours eu l’intention d’entretenir une relation d’entrepreneur indépendant et qu’elles considéraient ainsi leur relation. Telles étaient les dispositions de leur contrat verbal. Samqo délivrait un feuillet T4A et M. Nasser déclarait ce revenu à titre de travailleur autonome. Les parties n’ont rien fait qui soit incompatible avec la qualification d’un contrat d’entreprise. Cela ne veut pas pour autant dire que, dans l’ensemble, une fois tous les indices pertinents examinés, il n’y avait peut-être pas un degré général de direction et de contrôle ou de subordination suffisant pour qu’un emploi soit exercé.

 

[37]        Je tiens à faire remarquer que, dans ce cas-ci, le contrôle qui était exercé semble moins rigoureux que celui que le Royal Winnipeg Ballet exerçait sur ses danseurs dans son entreprise, étant donné que M. Nasser pouvait toujours refuser le travail offert pour le lendemain. Il ne s’agirait donc pas d’un degré de contrôle qui empêcherait M. Nasser d’avoir le statut d’entrepreneur indépendant, ou qui serait nécessairement incompatible avec ce statut, compte tenu de l’analyse de common law effectuée dans l’arrêt Wiebe Door.

 

 

V. La propriété des instruments de travail

 

[38]        En l’espèce, le camion et le diable appartenaient à Samqo et à M. El Haj et ils étaient responsables de l’entretien et du fonctionnement du camion. Étant donné que M. Nasser était simplement embauché pour s’occuper du chargement et du déchargement, la question de la propriété du camion n’est pas particulièrement pertinente ou utile d’une façon ou de l’autre.

 

[39]        Selon les éléments de preuve, M. Nasser devait acheter son uniforme et ses chaussures et il devait payer ce qu’il en coûtait pour se rendre chaque matin au point de chargement, et ce, bien qu’il se soit parfois entendu avec M. El Haj pour voyager avec celui‑ci. Cela est compatible avec une relation d’entrepreneur indépendant.

 

 

VI. La possibilité de profit; le risque de perte; le rendement financier

 

[40]        Dans ce cas-ci, il n’y avait aucune garantie pour M. Nasser de gagner un revenu régulier ou d’avoir un travail régulier. M. Nasser gagnait simplement huit dollars par livraison, les jours où on lui offrait du travail et où il acceptait de travailler. M. Nasser ne risquait pas de subir des pertes réelles, mais il risquait de réaliser un revenu minime ou de n’en réaliser aucun. M. Nasser s’exposait également à un risque, sur le plan financier, s’il causait des dommages en effectuant les livraisons, risque pour lequel il avait parfois dû supporter des coûts.

 

 

VII. Conclusion

 

[41]        Après examen de tous les faits pertinents tels qu’ils se rapportent aux indices de subordination, je ne puis conclure que l’intimé a réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombait dans ce cas‑ci lorsqu’il s’agissait d’établir selon la prépondérance des probabilités que M. Nasser était l’employé de Samqo. En arrivant à cette conclusion, je n’oublie pas les observations que la Cour d’appel fédérale a faites dans l’arrêt D & J Driveway Inc., lorsqu’elle a conclu qu’« il est légalement erroné de conclure à l’existence d’un lien de subordination et, en conséquence, à l’existence d’un contrat de travail, lorsque la relation entre les parties consiste en des appels sporadiques aux services de personnes qui ne sont aucunement tenues de les pourvoir et peuvent les refuser à leur guise ».

 

[42]        L’appel est accueilli.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de mai 2012.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

 

François Brunet, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 132

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1435(EI)

 

INTITULÉ :                                      SAMQO TRANSPORT

                                                          c.

                                                          MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 2 mai 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentante de l’appelante :

Mme Amany Naguib

 

 

Avocat de l’intimé :

Me Amin Njonkou Kouandou

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                   Nom :                            

 

                   Cabinet :                       

 

       Pour l’intimé :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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