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Dossier : 2011-86(IT)I

ENTRE :

ALAIN CHÉNARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 30 avril 2012, à Ottawa (Ontario)

 

Devant : L'honorable juge Paul Bédard

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelant :

Me Richard Généreux

Avocats de l'intimée :

Me Martin Beaudry

Me Paul Klippenstein

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004 sont rejetés, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2012.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 


 

 

 

 

Référence : 2012CCI211

Date : 20120612

Dossier : 2011-86(IT)I

ENTRE :

ALAIN CHÉNARD,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Bédard

 

[1]              Lors de la production initiale de ses déclarations de revenus, l’appelant a déclaré pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000, 2003 et 2004 uniquement des revenus d’emploi et pour les années d’imposition 2001 et 2002 des revenus d’emploi et des retraits d’un régime d’épargne‑retraite (REER).

 

[2]              Le 19 décembre 2008, l’appelant a logé une demande de redressement pour les années d’imposition 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004, déclarant des pertes d’entreprise nettes de 49 237 $ pour l’année d’imposition 1998, de 53 776 $ pour l’année d’imposition 1999, de 49 555 $ pour l’année d’imposition 2000, de 48 421 $ pour l’année d’imposition 2001, de 51 222 $ pour l’année d’imposition 2002, de 62 875 $ pour l’année d’imposition 2003 et de 52 321 $ pour l’année d’imposition 2004.

 

[3]              Par avis de nouvelle cotisation datés du 27 juillet 2009, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé les demandes de redressement du 19 décembre 2008 et imposé conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») une pénalité pour faute lourde de 5 339,67 $ pour l’année d’imposition 1998, de 6 026,85 $ pour l’année d’imposition 1999, de 6 031,14 $ pour l’année d’imposition 2000, de 5 390,51 $ pour l’année d’imposition 2001, de 5 358,61 $ pour l’année d’imposition 2002, de 6 416,83 $ pour l’année d’imposition 2003 et de 5 134,48 $ pour l’année d’imposition 2004.

 

[4]              L’appelant interjette appel sous le régime de la procédure informelle à l’encontre des nouvelles cotisations dont les avis sont datés du 27 juillet 2009 uniquement à l’égard des pénalités imposées en application du paragraphe 163(2) de la Loi.

 

[5]              Les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour imposer les pénalités en cause en application du paragraphe 163(2) de la Loi sont exposés au paragraphe 16 de la réponse à l’avis d’appel, lequel est ainsi rédigé :

 

a)                  Au cours des années en litige, l’appelant n’a opéré d’aucune façon quelque entreprise que ce soit;

 

b)                  Les dépenses réclamées étaient toutes des dépenses personnelles de l’appelant;

 

c)                  Les demandes de redressements présentées par l’appelant ont été signées par celui‑ci;

 

d)                  Les pertes réclamées par l’appelant représentent 88% de ses revenus totaux pour l’année d’imposition 1998, 87% pour l’année d’imposition 1999, 81% pour les années d’imposition 2000 et 2001, 88% pour l’année d’imposition 2002 et 87% pour les années d’imposition 2003 et 2004;

 

e)                  Les pertes réclamées par l’appelant au cours des années en litige ont été réclamées dans le cadre d’un stratagème élaboré par le groupe « Fiscal Arbitrators »;

 

f)                    Compte tenu de la nature même et de l’ampleur des demandes de redressement, l’appelant savait ou aurait dû savoir que ces demandes étaient erronées;

 

g)                  L’appelant n’a jamais déclaré de revenus d’entreprise au cours des années précédentes.

 

[6]              En l’espèce, les témoins étaient les suivants : pour le compte de l’intimée, l’appelant et madame Louise Girard (l’agente des appels dans le dossier de l’appelant) et, pour le compte de l’appelant, monsieur Yves Lauzon, un ami de longue date de l’appelant.

 

[7]              Le témoignage de l’appelant pourrait se résumer ainsi :

 

a)                 L’appelant était à l’emploi de Bowater durant les années en litige;

 

b)                L’appelant n’a pas terminé son secondaire IV. Il travaille depuis l’âge de 16 ans;

 

c)                 La préparation de ses déclarations de revenus était normalement prise en charge par sa conjointe. À quelques reprises, l’appelant a aussi fait appel aux services d’un tiers pour préparer ses déclarations de revenus;

 

d)                L’appelant affirme ne jamais avoir réellement compris le contenu de ses déclarations de revenus. Il faisait confiance aux individus qui les préparaient pour lui. Il ne révisait donc pas ses déclarations avant d’y apposer sa signature;

 

e)                 La conjointe de l’appelant travaille à temps partiel comme commis dans une église;

 

f)                  La fille de l’appelant travaille comme commis comptable. Elle a suivi des cours de comptabilité à l’éducation aux adultes. Elle était encore aux études lorsque l’appelant a commencé à faire affaire avec Fisccal Arbitrators (F.A.) en 2008;

 

g)                 L’appelant s’occupait de régler les charges du ménage : (compte d’électricité, chauffage, etc.);

 

h)                 Il a récemment vendu et procédé à l’achat d’une nouvelle maison sans l’aide d’un agent immobilier;

 

i)                   De plus, l’appelant possède deux terrains qu’il a aussi acquis sans l’aide d’un agent immobilier. Il s’est aussi chargé de réhypothéquer sa maison auprès de la banque;

 

j)                   L’appelant a complété seul toutes ses transactions, sans être représenté par un agent. Lorsque nécessaire, il s’est enquis de renseignements auprès de l’agent immobilier représentant l’autre partie;

 

k)                 De 1998 à 2004, durant la période en litige, l’appelant n’a pas gagné de revenus d’entreprise. Il confirme d’ailleurs ne jamais avoir eu d’entreprise;

 

l)                   L’appelant a été mis en contact avec F.A. par l’entreprise de monsieur Joannis;

 

m)              C’est d’abord son ami de longue date, monsieur Yves Lauzon, qui avait présenté monsieur Joannis à l’appelant;

 

n)                 Monsieur Lauzon avait recruté l’appelant afin de l’amener à investir dans un projets de monsieur Joannis qui consistait à acquérir des « kits » pour l’achat de maisons. L’appelant avait alors investi environ 2 000 $ dans l’aventure qui s’avéra être une échec. Il a perdu tout l’argent qu’il y avait investi;

 

o)                Sous les conseil de monsieur Joannis, l’appelant a ensuite investi environ 12,000 $ dans l’entreprise ICF. Cette entreprise investissait elle‑même dans les produits aurifères;

 

p)                L’appelant et monsieur Lauzon ont développé une relation d’amitié avec monsieur Joannis. Ils allaient à la pêche et à la chasse ensemble;

 

q)                Monsieur Joannis a alors propose à l’appelant de lui faire rencontrer les représentants de F.A. Monsieur Joannis avait recours aux services des fiscalistes de F.A. dans le cadre de ses projets d’affaire. Il offrait à l’appelant l’opportunité de les rencontrer et sauver des impôts;

 

r)                  Monsieur Joannis aurait laissé entendre à l’appelant que c’est en tant que client privilégié, et parce que ce avait investit dans ses entreprises, qu’il offrait la chance à l’appelant de rencontrer les spécialistes de chez F.A.;

 

s)                 L’appelant a donc assisté à une rencontre avec les spécialistes de chez F.A. Cette rencontre avait été convoquée pour lui, monsieur Lauzon et quelques autres personnes. La conjointe de l’appelant était aussi présente à la réunion;

 

t)                   La réunion s’est tenue en anglais. Puisque l’appelant ne maîtrise pas l’anglais, il s’en est remis à ses amis MM. Lauzon et Joannis afin de comprendre le contenu de la réunion;

 

u)                 C’est au cours de cette réunion que les représentants de F.A. ont fait part du plan grâce auquel l’appelant pourrait obtenir des remboursements d’impôts en réclamant des pertes d’entreprise. Les remboursements devaient permettre à l’appelant de récupérer l’ensemble des montants d’impôts payés durant les sept années en litige;

 

v)                 L’appelant pensait faire partie d’une « corporation ». Il pensait que c’était par l’entremise de cette « corporation » qu’il avait investi dans les projets de monsieur Joannis, Finds ADD et ICF;

 

w)               Ce statut de corporation légitimait, à son avis, la réclamation de pertes d’entreprises;

 

x)                 Toutefois, l’appelant a confirmé ne pas avoir compris le plan employé par F.A. pour arriver à réclamer les dépenses. Il n’a pas tenté de s’informer auprès d’autres personnes afin de comprendre plus en profondeur le plan proposé par F.A.;

 

y)                 Un des représentants de F.A. disait avoir travaillé pour l’ARC pendant de nombreuses années;

 

z)                 Les représentants de F.A. affirmaient que le plan était légal. Monsieur Lauzon a aussi montré à l’appelant le site internet de Fine Add sur lequel ils annonçaient que leur entreprise était « CRA approved »;

 

aa)             L’appelant a donc fait confiance aux représentants de F.A. puisque c’était des spécialistes;

 

bb)           L’appelant a consulté sa femme qui a remis la décision ultime de participer au projet sur les épaules de l’appelant. Il n’a pas consulté sa fille;

 

cc)            F.A. demandait des frais de base de 500 $. Ils demandaient aussi à ce que les participants remettent à F.A. 10 % des remboursements d’impôts obtenus;

 

dd)           L’appelant a été tenu de signer une entente par laquelle il s’engageait è ne plus communiquer avec l’ARC. Toute correspondance avec l’ARC se ferait en anglais et serait transmise à F.A.;

 

ee)             L’appelant a donc signé toutes les demandes de redressements préparé par F.A.;

 

ff)               L’appelant n’a pas reçu jamais de remboursements;

 

gg)            Un agent de l’ARC a contacté l’appelant pour discuter de son dossier. À chaque appel, l’appelant exigeait que toutes communications lui soient transmises par écrit, en anglais. Il transmettait ensuite la correspondance à F.A.

 

[8]              Lors de son témoignage, monsieur Lauzon a essentiellement corroboré le témoignage de l’appelant à l’égard des éléments mentionnés aux paragraphes 6l), 6m), 6n), 6o), 6p), 6s), 6t), 6u), 6y), 6z). Monsieur Lauzon a ajouté que :

 

i)                    il avait tout comme l’appelant investi dans Fine Add et ICF;

 

ii)                   ses placements dans Fine Add et ICF se sont avérés des échecs;

 

iii)                 tout comme l’appelant, il avait réclamé des pertes d’entreprise et il avait cru que le plan proposé par F.A. était « CRA Approved »;

 

iv)                 ce n’est que récemment qu’il avait réalisé qu’il s’était fait arnaquer par Joannis et les représentants de F.A. Monsieur Lauzon a expliqué que monsieur Joannis et les représentants de F.A. avaient abusé de sa bonne foi, de sa naïveté et de son inexpérience en affaires. En d’autres termes, monsieur Lauzon se dit une victime dans cette arnaque préparée avec soin par les représentants de F.A.

 

 

Question en litige

 

[9]              La seule question en litige consiste à déterminer si l’imposition de la pénalité prévue au paragraphe 163(2) de la Loi pour les années 1998 à 2004 était justifiée.

 

[10]         Le paragraphe 163(2) de la Loi dispose comme suit :

 

[…]

 

Faux énoncés ou omissions -- Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d'imposition pour l'application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d'une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants :

 

[…]

 

[11]         Cette disposition ne peut s’appliquer que s’il est démontré que le contribuable a fait « sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde », un « faux énoncé » dans une déclaration, ou a participé à cet énoncé. En vertu du paragraphe 163(3) de la Loi « la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité » incombe au ministre.

 

 

Thèse de l’appelant

 

[12]         La thèse de l’appelant pourrait se résumer ainsi :

 

i)                   L’intimée ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve;

 

ii)                 L’appelant n’a pas sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé tel que l’exige le paragraphe 163(2) de la Loi;

 

iii)               L’appelant allègue avoir été victime d’une arnaque bien orchestrée par les représentants de F.A. qui ont abusé de sa bonne foi, de sa naïveté et de son inexpérience en affaires, de son peu d’éducation et, finalement, de son ignorance du domaine de la fiscalité;

 

iv)               L’appelant n’a pas tiré d’avantage fiscal lié aux demandes de redressement préparées par F.A.

 

[13]         Il me semble évident à la lumière de la preuve soumise par les parties que l’appelant a commis une faute en signant sa déclaration de revenus qui contenait de faux énoncés. Notre analyse doit plutôt porter sur la question suivante : est‑ce que la faute commise par l’appelant était assez grave pour justifier l’épithète « lourde »?

 

 

La notion de faute lourde

 

[14]         Dans la décision Venne v. The Queen, [1984] C.T.C. 223, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst.), le juge Strayer a fait le commentaire suivant au sujet de la signification du terme « faute lourde » aux fins de l’imposition de pénalités en application du paragraphe 163(2) de la Loi :

 

[…] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré d’important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi. […]

 

[15]         Dans la décision DeCosta v. The Queen, 2005 DTC 1436 (C.C.I., procédure informelle), le juge en chef Bowman a renvoyé à la décision Udell v. M.N.R., [1969] C.T.C. 704, 70 DTC 6019 (Cour de l'Échiquier), ainsi qu'à deux décisions du juge Rip de la Cour (maintenant juge en chef), et il a formulé les commentaires suivants :

 

[9]        Je n'ai aucune difficulté à concilier la décision du juge Cattanach avec celles du juge Rip. Elles découlent toutes d'une conclusion de fait tirée par la cour concernant le rôle joué par les contribuables. Les questions qui se posent dans chaque cas, si on fait abstraction de la question de la préméditation qui n'est pas pertinente en l'espèce, sont les suivantes :

 

a)         "le contribuable a-t-il commis une faute en faisant un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus?"

 

b)         "la faute était-elle assez grave pour justifier l'utilisation de l'épithète "lourde" qui est quelque peu péjorative?"

 

Selon moi, ces questions rejoignent le principe énoncé par le juge Strayer dans la décision Venne v. The Queen, 84 DTC 6247.

 

[...]

 

[11]      Pour établir la distinction entre la faute "ordinaire" ou la négligence et la faute "lourde", il faut examiner plusieurs facteurs. Un de ces facteurs est bien entendu l'importance de l'omission relative au revenu déclaré. Il y a aussi la faculté du contribuable de découvrir l'erreur, ainsi que le niveau d'instruction du contribuable et son intelligence apparente. Il n'existe aucun facteur qui soit prédominant. Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu'il convient dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

 

[12]      Qu'en est-il ici? Un homme fort intelligent qui déclare un revenu d'emploi de 30 000 $ et qui omet de déclarer des ventes brutes d'environ 134 000 $ et des bénéfices nets de 54 000 $. Même si son comptable doit assumer une certaine part de responsabilité, je ne crois pas que l'on peut dire que l'appelant peut signer nonchalamment sa déclaration et passer outre à l'omission d'un montant qui représente presque le double du montant qu'il a déclaré. Une attitude aussi cavalière va au-delà du simple manque d'attention.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

Analyse et conclusion

 

[16]         L’appelant a témoigné qu’il était peu instruit et qu’il n’avait jamais réellement compris le contenu de ses déclarations de revenus. C’est pourquoi il avait toujours délégué à sa conjointe ou à un tiers la responsabilité de faire ses déclarations. L’appelant faisait confiance aux gens qui s’occupaient de ses déclarations et s’était toujours contenté de les signer sans les examiner.

 

[17]         De plus, l’appelant ne maîtrisait pas l’anglais. Pourtant, la rencontre organisée par « Fiscal Arbitrators » et à laquelle l’appelant a assisté, s’est déroulée entièrement en anglais. C’est lors de cette rencontre que les représentants de « Fiscal Arbitrators » ont fait la promotion de leur stratagème permettant aux participants de faire d’importantes économies d’impôts.

 

[18]         L’appelant a choisi de faire confiance aux représentants de « Fiscal Arbitrators » parce qu’ils lui avaient été référés par des amis, messieurs Lauzon et Joannis, parce que ces représentants se disaient être des spécialistes dans leur domaine et, finalement, parce que le stratagème lui avait été présenté comme étant conforme aux lois fiscales. L’appelant allègue qu’il fut victime d’une arnaque et, pour toutes ces raisons, on ne devrait pas lui imputer une « faute lourde ».

 

[19]         Lorsqu’un contribuable choisit de faire confiance à un tiers et que ce dernier fait un faux énoncé ou une omission dans la déclaration de revenus du contribuable, il faut chercher à savoir si le faux énoncé ou l’omission peut être imputé au contribuable. Comme c’est le cas dans la présente affaire, il faut alors chercher à savoir si, dans les circonstances, l’appelant a fait preuve d’un degré important de négligence ou d’un aveuglement volontaire assimilable à la faute lourde en choisissant de faire confiance aux représentants de « Fiscal Arbitrators ».

 

[20]         J’estime que les faits présentés démontrent que l’appelant aurait dû faire preuve davantage de prudence et que sa conduite dénote un degré si élevé de négligence ou d’aveuglement volontaire qu’elle peut être qualifiée de faute lourde.

 

[21]         Tout d’abord, parmi les facteurs prédominants dans cette affaire, il y a les pertes d’entreprise déclarées rétroactivement par l’appelant. Comme le fait valoir l’intimée, ces montants équivalaient à plus de 80 % des revenus totaux de l’appelant pour chacune des sept années en question. Ces pertes auraient permis à l’appelant de recevoir un remboursement complet de tous les montants d’impôts payés au cours des années en question (témoignage de madame Girard, agente des appels à l’Agence du revenu du Canada). L’ampleur des pertes d’entreprise déclarées est ici un facteur accablant dans la mesure où, même avec un très faible niveau d’instruction et même sans aucune compréhension de notre système fiscal, une personne raisonnable aurait pu aisément douter de la légitimité de ces pertes.

 

[22]         L’appelant a aussi avoué n’avoir jamais exploité d’une entreprise. Toutefois, même s’il pensait faire partie d’une « corporation », par l’entremise de laquelle il avait investi dans les projets d’affaire de monsieur Joannis, le montant des pertes déclarées ne concordait aucunement avec la réalité. Les concepts d’entreprise et de perte ne sont pas des concepts assez obscurs pour laisser une personne raisonnable penser qu’il est conforme aux lois fiscales de déclarer des pertes d’entreprise dont les montants ne correspondent pas à la réalité.

 

[23]         Finalement, l’appelant s’appuie sur la décision du juge Tardif de la Cour canadienne de l’impôt dans Therrien c. R. (2002 CarswellNat 87, [2002] 3 C.T.C. 2141 (C.C.I. [procédure informelle]). Dans cette affaire, le contribuable s’était aussi laissé entraîner dans un stratagème orchestré par une compagnie du nom de Highway. La Cour s’était rangée du côté de l’appelant en refusant d’appliquer la pénalité.

 

[24]         Selon le juge Tardif, bien que le contribuable ait été négligent, imprudent, voire même naïf, la preuve présentée n’avait pas fait ressortir une incurie, une témérité, une insouciance ou une indifférence telle qu’il s’agissait d’une faute lourde. La Cour a même jugé qu’au contraire, la prépondérance de la preuve avait établi que l’appelant avait été circonspect et préoccupé par l’honnêteté du procédé. Dans le cas présent, la preuve soumise par l’intimée démontre que l’appelant se souciait peu de l’honnêteté du procédé.

 

[25]         L’intimée a démontré que, malgré son faible niveau de scolarité, l’appelant était responsable d’acquitter les comptes du ménage. Il avait vendu sa résidence et acheté une nouvelle résidence ainsi que des terrains, et le tout sans l’aide d’un agent immobilier. L’appelant s’était chargé d’hypothéquer de nouveau sa résidence avec la banque. Il avait aussi investi près de 20 000 $ dans les projets d’affaires de monsieur Joannis, mais toujours à perte. L’appelant était donc en mesure de comprendre les notions de profit et de perte. Il était assez à l’aise avec les chiffres pour entreprendre les transactions décrites.

 

[26]         L’appelant ne parlait pas anglais. Or, la réunion organisée par « Fiscal Arbitrators » s’était déroulée entièrement en anglais. Ayant de la difficulté à comprendre l’information qui lui était transmise, l’appelant s’en est remis à ses amis, messieurs Lauzon et Joannis, qui lui ont assuré que le plan était conforme aux lois fiscales. Au‑delà de cette assurance, l’appelant ne comprenait pas le plan qui lui était proposé. Ceci ne l’a pas empêché d’y participer.

 

[27]         La preuve avancée par l’intimée démontre que l’appelant était téméraire au point d’être insouciant et que son comportement justifie l’imputation d’une faute lourde. L’appelant n’avait jamais exploité d’entreprise et, bien qu’il croyait peut‑être faire partie d’une société, jamais dans le cadre de celle-ci n’avait-il subi de pertes substantielles. Il ne parlait pas anglais, langue dans laquelle on lui avait fait part du stratagème. Il ne comprenait pas comment il pouvait avoir droit à de tels remboursements d’impôt mais a choisi de croire les personnes qui les lui proposaient, puisque c’étaient des spécialistes.

 

[28]         L’appelant aurait dû faire un effort en vue de s’informer auprès d’autres personnes que celles qui lui proposaient le plan. Dans l’affaire Therrien, précitée, quelques-uns des participants au plan proposé par Highway avaient communiqué avec Revenu Canada, Revenu Québec et l’Office de la protection du consommateur pour vérifier si le plan qu’on leur proposait était légal, s’il s’agissait d’un concept faisant l’objet d’une enquête ou s’il était connu comme étant susceptible de créer des embêtements. Toutes les démarches initiées par les participants s’étaient soldées par des résultats négatifs qui ne laissaient voir aucune irrégularité pouvant mettre en doute la légitimité du plan proposé. Ce n’est pas le cas ici. L’appelant n’a entrepris aucune démarche similaire pour tenter de vérifier la légitimité du processus.

 

[29]         Le comportement de l’appelant témoigne d’une conduite insouciante et d’une témérité telles que la faute de l’appelant devrait être qualifiée de lourde. Pour cette raison, l’appel devrait être rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2012.

 

 

 

« Paul Bédard »

Juge Bédard

 

 


RÉFÉRENCE :                                  2012CCI211

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :      2011-86(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :              ALAIN CHÉNARD ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 le 30 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :       L'honorable juge Paul Bédard

 

DATE DU JUGEMENT :                   le 12 juin 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Richard Généreux

Avocats de l'intimée :

Me Martin Beaudry

Me Paul Klippenstein

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                            Me Richard Généreux

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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