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Dossier : 2010-2264(IT)G

ENTRE :

PEI PEI ZHENG,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 mars 2012 à Toronto (Ontario)

 

Devant : L’honorable juge J. E. Hershfield

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

Avocat de l’intimée :

Me Ernesto Caceres

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci‑joints, les appels à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003, 2004 et 2005 sont accueillis sans frais, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis ce qui suit :

 

·        en ce qui concerne 2003, le montant de revenu non déclaré doit être réduit de 16 961 $ pour être ramené à zéro;

 

·        en ce qui concerne 2004, le montant de revenu non déclaré doit être réduit de 63 000 $ pour être ramené à 5 714 $;

 

·        en ce qui concerne 2005, le montant de revenu non déclaré doit être réduit de 54 878 $ pour être ramené à 39 284 $.

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’avril 2012.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de juin 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

 

Référence : 2012 CCI 103

Date : 20120402

Dossier : 2010-2264(IT)G

 

ENTRE :

PEI PEI ZHENG,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hershfield

 

[1]     L’appelante interjette appel des cotisations portant sur ses années d’imposition 2003, 2004 et 2005.

 

[2]     L’appelante a produit ses déclarations de revenus générales T1 pour 2003, 2004 et 2005 le 15 mai 2007 ou vers cette date, dans lesquelles elle a déclaré ce qui suit :

 

 

2003

2004

2005

Revenus de location

11 496 $

13 800 $

21 073 $

Revenus d’emploi de Cara Operations Limited

8 572 $

8 959 $

11 441 $

Autres revenus

2 709 $

1 380 $

2 087 $

Total

22 776 $

24 139 $

34 601 $

 

[3]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour chacune de ces années d’imposition afin d’inclure le revenu d’entreprise non déclaré et les pénalités pour faute lourde.

[4]     L’appelante s’est opposée aux nouvelles cotisations et, en se fondant sur les observations présentées à la section d’appel de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante afin de réduire le montant du revenu non déclaré, ce qui a entraîné l’inclusion des montants suivants :

 

·        16 961 $ en 2003

·        69 120 $ en 2004

·        94 162 $ en 2005.

Les pénalités pour faute lourde ont également été réduites en conséquence.

[5]     L’appelante interjette appel de ces nouvelles cotisations en fonction d’un certain nombre de mauvais calculs allégués et d’informations erronées sur lesquelles le ministre s’est fondé pour les établir.

 

[6]     La réponse à l’avis d’appel (la « réponse ») indique que les nouvelles cotisations étaient fondées sur une méthode communément appelée l’établissement des cotisations selon l’avoir net. Le ministre a établi que le revenu déclaré de l’appelante ne lui permettrait pas de maintenir son train de vie, qu’elle avait gagné un revenu d’entreprise tiré de ce que l’on pourrait décrire comme une activité criminelle et qu’elle n’avait pas tenu de registres indiquant la source et le montant véritables de son revenu pour les années en cause.

 

[7]     La réponse expose en outre en détail de quelle façon une analyse comparative de son actif net révélait des augmentations de 2002 (l’année de référence) à 2003, puis à 2004 et à 2005.

 

[8]     L’appelante a témoigné à l’audience. En général, sur la foi de son témoignage, je crois que la méthode utilisée par le ministre a entraîné une surestimation du revenu non déclaré de l’appelante. Par contre, l’absence de registres et d’éléments de preuve corroborants dans la plupart des cas qui auraient pu étayer la majeure partie de son témoignage intéressé a fait en sorte qu’il était difficile de quantifier avec certitude le montant du revenu non déclaré pour les années en question. Certains rajustements sont quand même justifiés.

 

[9]     La jurisprudence dans ce domaine n’exige pas que le ministre établisse l’existence d’une entreprise alléguée ou d’une autre source de revenu non déclaré[1]; cependant, il convient de souligner que l’appelante a nié fermement avoir été impliquée dans quelque entreprise ou activité de la nature de celle qui est décrite dans la réponse.

 

[10]    J’accepte son témoignage à ce sujet. À mon avis, il est improbable que, dans les faits, l’appelante ait été impliquée personnellement dans l’activité alléguée. De plus, je constate que, d’après le témoin de l’intimée, le fondement de l’hypothèse d’une activité criminelle n’était rien de plus qu’un renseignement dont on semble avoir assuré le suivi seulement en faisant en sorte qu’il donne lieu à la cotisation portée en appel. Dans la présente affaire, je ne peux m’empêcher de douter de la fiabilité d’un tel renseignement. Il est troublant de constater que l’on a agi, dans la présente affaire, en se fondant sur ce qui pourrait être un renseignement non étayé pour imposer à un contribuable le fardeau exigeant et difficile de se défendre contre l’établissement d’une cotisation de l’avoir net. Il demeure qu’une fois que la cotisation est établie et que le fondement du calcul du revenu non déclaré est détaillé, le contribuable doit prouver les erreurs dans la méthode utilisée ou les erreurs relatives aux éléments inclus dans le détail du calcul de la croissance de l’actif et à certaines dépenses ou bien les erreurs dans l’hypothèse selon laquelle la croissance de l’actif et ces dépenses ont été financées au moyen d’un revenu non déclaré.

 

[11]    Par conséquent, même si je conclus que la source de revenu d’entreprise qu’allègue l’intimée a été réfutée, l’appelante n’est pas pour autant dégagée de sa responsabilité de justifier les augmentations de son avoir net de manière à établir qu’elles ne proviennent pas, selon la prépondérance de la preuve, d’une source imposable. De fait, l’appelante ne nie pas qu’elle n’a pas déclaré certains revenus. Elle fait plutôt valoir que la méthode utilisée pour établir la cotisation est remplie d’hypothèses erronées relativement aux dépenses rattachées à son mode de vie et aux sources de ses revenus. Elle a témoigné avec émotion que, depuis son arrivée au pays, elle a travaillé très fort dans plusieurs emplois pour améliorer son sort. Sa mère et son frère sont décédés, ce qui fait qu’elle pouvait présenter très peu d’éléments de preuve de leur contribution à son bien-être financier apparent. Son témoignage, qui m’a généralement semblé digne de foi, donne l’impression que les augmentations de l’avoir net dans cette affaire pourraient bien être attribuables au revenu non déclaré provenant de très longues heures de travail additionnelles, au regroupement des ressources familiales qui ont pu inclure des revenus non déclarés d’autres membres de la famille et au mode de vie modeste et à la gestion judicieuse des affaires financières de sa famille. Néanmoins, ces impressions générales ne font pas disparaître ce fardeau qui repose sur les épaules de l’appelante. Il ne suffit pas que l’appelante ait convaincu la Cour que la cotisation est vraisemblablement erronée. Elle doit présenter des éléments de preuve qui réfutent des hypothèses et des calculs précis.

 

[12]    Les trois éléments principaux au sujet desquels l’appelante a expressément soulevé une objection sont les suivants :

 

·        Bien que l’achat en 2004 d’un véhicule Audi 2003 au coût de 25 000 $ ait été immatriculé au nom de l’appelante, il a été fait par son frère avec l’argent de ce dernier.

 

·        Un montant de 25 000 $ sur les 33 425 $ consacrés à l’achat d’un véhicule Lexus en 2005 était un prêt de son frère.

 

·        Au cours des années en question, elle a prêté beaucoup d’argent à des personnes qu’elle a nommées à l’audience. Elle a témoigné que ces prêts ont été remboursés et qu’ils ne devraient donc pas être inclus dans son revenu. Elle a mentionné un prêt de 10 000 $ consenti à son frère, un prêt de 12 000 $ accordé à un ami en Chine, ainsi qu’un prêt de 6 000 $ au cousin de son ami se trouvant à Terre-Neuve. Elle a également consenti des avances à sa mère et à sa sœur s’élevant au total à environ 6 400 $ et donné une somme de 26 000 $ à son ex-époux.

 

[13]    En ce qui concerne les prêts et les remboursements, je ne suis pas convaincu, au vu de la preuve présentée, que les remboursements devaient être considérés comme des éléments faisant partie des calculs de l’avoir net au cours des années en cause. De fait, il semble que les remboursements allégués ont tous eu lieu bien après 2005. Dans ces conditions, je ne peux apporter de rajustements aux cotisations en me fondant sur ce volet du témoignage de l’appelante. En outre, je constate que le remboursement des prêts consentis à son ex-époux, au sujet duquel l’appelante a témoigné, a pris la forme de services qu’il a exécutés dans les immeubles locatifs qui appartenaient à cette dernière ou qui leur appartenaient, et que ce remboursement n’aurait pas pu être inclus dans les augmentations de son avoir net tel qu’il a été établi par le ministre et ne peut donc pas être soustrait.

 

[14]    En ce qui a trait à la provenance des fonds ayant servi à acheter le véhicule Audi 2003, je conclus que les 25 000 $ provenaient selon toute vraisemblance de son frère et que le véhicule n’a été immatriculé au nom de l’appelante que par souci de commodité. Des documents d’assurance corroboraient que la voiture n’était pas sur la route pendant de longues périodes qui, selon le témoignage de l’appelante, coïncidaient avec les présences de son frère en Chine. De plus, certains éléments de preuve (qui portaient cependant à confusion et étaient intéressés) m’ont convaincu selon la prépondérance des probabilités que la voiture a été cédée au fils de son frère au décès du frère en question. En outre, elle possédait sa propre voiture lors de l’achat du véhicule Audi et elle a continué de posséder et d’utiliser sa voiture jusqu’à ce qu’elle fasse l’acquisition du véhicule de marque Lexus.

 

[15]    Par ailleurs, son témoignage selon lequel son frère lui a prêté 25 000 $ pour acheter le véhicule Lexus n’est aucunement corroboré. De fait, il semble contredire dans une certaine mesure le témoignage de l’appelante selon lequel elle avait prêté 10 000 $ à son frère au cours de la même année.

 

[16]    Au dire de l’appelante, certaines dépenses personnelles comprises dans le calcul de l’avoir net étaient excessives. Toutefois, les écarts étaient mineurs et n’expliquent pas l’ampleur de l’excédent qu’elle a fait valoir en ce qui concerne les décisions du ministre.

 

[17]    Le fait que l’appelante semble être la personne-ressource de sa famille sur le plan de la gestion des affaires financières de chacun rend encore plus difficile la tâche de trouver clairement un fondement rationnel permettant de déterminer quelles sont les inclusions excessives. Elle avait accès à l’argent de sa mère, et son frère ainsi que son ex‑époux semblaient tous deux la traiter comme le chef de famille, ce qui a engendré un flou dans les affaires financières de chacun.

 

[18]    Toutefois, la mesure dans laquelle la situation financière de la famille est embrouillée constitue un problème dont elle doit assumer la responsabilité. L’appelante n’a pas de lacunes sur le plan des connaissances financières. Elle a investi dans des immeubles locatifs dont elle a structuré le financement et dont elle assurait la gestion. Il est donc difficile d’accepter que l’absence de registres qui documenteraient ses sources de financement soit imputable à l’ignorance.

 

[19]    Cela dit, dans la présente affaire, la détermination de l’avoir net est problématique. Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’intimée a appelé un témoin afin qu’il rende compte de la méthode d’établissement de la cotisation. Ce témoin était le vérificateur qui a établi la cotisation initiale. L’agent des appels qui a établi la cotisation en litige n’a pas été appelé à témoigner.

 

[20]    Je n’étais pas très à l’aise avec le témoignage du vérificateur quant à l’utilisation qu’il a fait des données de Statistique Canada pour établir les dépenses personnelles de l’appelante dans certaines catégories, mais je dispose de peu de renseignements pour apporter des rajustements à cet égard. Toutefois, il convient d’examiner une catégorie de dépenses personnelles dans chacune des années en cause, à savoir l’inclusion des prêts consentis par l’appelante.

 

[21]    Le vérificateur a reconnu l’existence d’une lacune possible dans la méthode utilisée pour déterminer le montant du revenu non déclaré en incluant les prêts consentis par l’appelante à titre de dépenses personnelles. Il a admis la possibilité, voire la probabilité, que cette inclusion ait donné lieu à une double comptabilisation.

 

[22]    Plus précisément, le vérificateur a reconnu l’ajout des montants suivants comme dépenses personnelles :

 

 2003

 2004

 2005

26 949 $

38 406 $

54 876 $

 

[23]    Le vérificateur a admis que ces montants reflétaient le total des montants des retraits (après les rajustements de l’agent des appels) qui, selon lui, constituaient des prêts consentis par l’appelante d’après les renseignements et les registres produits par cette dernière. Il a reconnu que ces inclusions constitueraient une double comptabilisation si, dans les faits, la source de ces prêts était les montants du revenu non déclaré qu’il avait déjà ajouté à son revenu sur la base des augmentations de l’avoir net au cours des années en cause.

 

[24]    Le fait d’ajouter des fonds qui représentent des rentrées et de les ajouter de nouveau lorsqu’ils constituent des sorties impose à l’appelante un double fardeau qui, à mon avis, est inacceptable. Une seule utilisation d’un instrument rudimentaire suffit, du moins dans la présente affaire.  

 

[25]    Je m’appuie donc sur la présence d’une lacune dans la méthode qui, dans la présente affaire, compromet très largement la cotisation établie. En 2003, la possibilité de double comptabilisation s’établit à 26 949 $. Toutefois, le montant de la réduction du revenu non déclaré requis en l’espèce est limité aux 16 961 $ de la cotisation. Le montant de la réduction pour les années 2004 et 2005 n’est pas aussi limité. La réduction du revenu non déclaré pour 2004 est donc de 38 406 $ et celle de 2005 s’établit à 54 876 $. Toutes ces réductions se fondent sur la reconnaissance de la double comptabilisation par le vérificateur et sur le fait que j’accepte, dans la présente affaire, que les cotisations selon l’avoir net qui sont en litige excédent considérablement selon toute vraisemblance les montants de revenu non déclaré pour chacune des années en cause.

 

[26]    J’accueille l’appel pour ce motif. De plus, tel qu’il a été mentionné précédemment, le revenu non déclaré pour l’année 2004 doit être réduit de 25 000 $ supplémentaires parce que l’appelante n’est pas la propriétaire du véhicule Audi de 2003 et ne l’a pas payé.

 

 [27]   Les appels sont par conséquent accueillis sans frais.

 

 

          Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour d’avril 2012.

 

 

« J. E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de juin 2012.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :                                  2012 CCI 103

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :     2010-2264(IT)G

 

INTITULÉ :                                       PEI PEI ZHENG c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                 Le 12 mars 2012

 

MOTIFS DE JUGEMENT :                L’honorable juge J. E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                   Le 2 avril 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Ernesto Caceres

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                           Nom :                     

 

                       Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                            Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Voir l’arrêt Hsu c. R., 2001 DTC 5459 (C.A.F.), par. 29; décision appliquée dans la décision Dao c. Canada, 2010 DTC 1086 (C.C.I.).

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