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Dossier : 2007-662(IT)I

ENTRE :

ARLETTE VERREAULT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 10 mai 2012, à Québec (Québec).

 

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Sara Chaudhary

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

Les appels interjetés à l’égard des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement aux années d’imposition 1998 et 1999 de l’appelante sont rejetés conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’août 2012.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 

 


 

 

Référence : 2012 CCI 293

Date : 20120814

Dossier : 2007‑662(IT)I

ENTRE :

ARLETTE VERREAULT,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Boyle

 

[1]             Mme Arlette Verreault est une Autochtone qui, en 1998 et en 1999, a travaillé comme coordinatrice et comme directrice du Centre de formation autochtone en milieu urbain (le « Centre de formation ») du Centre d’amitié autochtone de La Tuque Inc. (le « Centre d’amitié »), en tant qu’employée de Native Leasing Services (« NLS »). La question à trancher dans la présente affaire entendue sous le régime de la procédure informelle est de savoir si le revenu tiré de ce travail par Mme Verreault était exonéré d’impôt en vertu de l’article 87 de la Loi sur les Indiens et du paragraphe 81(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »). Il s’agit uniquement d’établir, plus particulièrement, si ce revenu constitue, pour l’application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, des « biens meubles situés sur une réserve ». Pour décider de cette question, il convient d’examiner les facteurs de rattachement de ce revenu à une réserve.

 

[2]             Mme Verreault est une Innue de la réserve ou communauté de Mashteuiatsh, qui est située à au moins 200 km au nord de La Tuque, au Québec. Pendant les années en cause, elle a uniquement résidé à La Tuque, où elle travaillait comme directrice et coordinatrice du Centre de formation.

 

[3]             Le Centre de formation était un projet pilote du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec (le « Regroupement ») et du Centre d’amitié de La Tuque, auquel le gouvernement participait ou prêtait assistance.

 

[4]             Dans leur témoignage, Mme Verreault et le témoin de la Couronne, la directrice générale du Centre d’amitié de La Tuque qui siégeait également au conseil d’administration du Regroupement, ont décrit les liens existant entre le Centre de formation, le Regroupement et le Centre d’amitié. Mme Verreault a également été membre du conseil d’administration du Centre d’amitié de La Tuque avant d’être nommée directrice et coordinatrice du Centre de formation.

 

[5]             J’admets comme exact et véridique le témoignage de la directrice générale du Centre d’amitié de La Tuque, qui siégeait également au conseil d’administration du Regroupement et connaissait le mandat assigné à Mme Verreault au sein du Centre de formation, quant aux liens unissant le Centre de formation au Centre d’amitié et au Regroupement. La directrice générale du Centre d’amitié pendant les années en cause a travaillé pour cet organisme pendant 20 ans. Le mandat est décrit de manière générale dans le manuel des politiques de gestion – première ébauche – du projet des centres de formation autochtones en milieu urbain[1] (le « manuel ») produit en preuve. La rédaction du manuel des politiques de gestion a fait suite à une réunion à laquelle ont participé les coordinatrices des trois projets pilotes des centres de formation ainsi que les membres du conseil d’administration du Regroupement; Mme Verreault était présente à cette réunion à titre de coordinatrice. J’admets en même temps le témoignage de Mme Verreault, qui a déclaré avoir disposé en pratique d’une liberté considérable et qui a affirmé que, selon son point de vue, les choses ne se déroulaient pas toujours conformément aux attentes du Regroupement ou du Centre d’amitié.

 

[6]             On visait principalement, avec le projet de Centre de formation, à aider les Autochtones à obtenir, dans un délai de six mois, une attestation d’équivalence de secondaire 5. Dans le projet pour lequel Mme Verreault agissait comme directrice et coordinatrice, il fallait mettre sur pied et faire fonctionner un laboratoire informatique pour la formation. Dans le manuel des politiques de gestion, on décrit le Regroupement comme étant le promoteur du projet, responsable de sa gestion générale, ce qui comprend la vérification de l’évolution des budgets. Le Centre d’amitié est pour sa part décrit comme le parrain du Centre de formation, responsable des mesures prises par celui-ci pour offrir des services ainsi que de la gestion des installations et du personnel du Centre de formation. Le Centre de formation n’était pas une entité juridique distincte et, pour les années en cause, selon les documents déposés auprès du gouvernement du Québec par le Centre d’amitié de La Tuque, le Centre de formation était une autre désignation utilisée par le Centre d’amitié pour ses activités.

 

[7]             Le siège social et les locaux du Centre d’amitié étaient situés dans la ville de La Tuque, qui n’était pas une réserve. Le Centre de formation se trouvait, pour sa part, dans les locaux du Centre d’amitié, à La Tuque.

 

[8]             Mme Verreault a témoigné qu’à quelques exceptions près, les clients du Centre de formation étaient des Autochtones. Aucun des clients de Mme Verreault n’était un Innu comme elle, ni ne provenait de la réserve ou de la communauté de sa bande.

 

[9]             Comme son nom le laissait entendre, le Centre de formation avait pour clientèle cible principale les Autochtones vivant hors réserve. Certains des clients, toutefois, provenaient non pas de La Tuque mais d’endroits plus éloignés. Des renseignements précis n’ont pas été donnés, mais certains clients provenaient des réserves ou communautés de la nation des Attikameks d’Obedjiwan, de Wemotaci et de Manawan, à quatre heures de route ou plus de La Tuque. Il se peut que certains d’entre eux soient retournés dans leur réserve ou communauté une fois leur formation terminée.

 

[10]        Selon le manuel des politiques de gestion, la clientèle du Centre de formation devait être, en ordre de priorité : la clientèle autochtone vivant en milieu urbain; les organismes et les communautés autochtones; toutes les clientèles et entreprises du milieu.

 

[11]        Cela était conforme aux objectifs du Centre d’amitié de La Tuque, énoncés dans ses lettres patentes et consistant notamment à ce qui suit : maintenir une politique permanente dans laquelle ou de laquelle les services transitionnels et programmes seront offerts aux personnes de descendance indienne, pour les assister à s’établir eux‑mêmes dans la communauté urbaine et promouvoir des activités sociales, sportives ou culturelles au bénéfice des Autochtones, mais avec la participation des non‑Autochtones, de façon à créer des liens sociaux entre tous ces individus et sensibiliser le public en général aux besoins spéciaux des Autochtones qui immigrent dans notre société et faciliter leur acceptation par la communauté.

 

[12]        On précisait dans le manuel des politiques de gestion qu’il incomberait au Centre d’amitié d’embaucher la coordinatrice du Centre de formation ou de confirmer son embauche, ainsi que de superviser le personnel du Centre de formation. Je prête foi au témoignage désintéressé de la directrice générale du Centre d’amitié selon lequel c’était ce centre qui avait nommé Mme Verreault au poste de directrice et coordinatrice, après consultation du Regroupement, sans que NLS ait pris part au processus. La preuve écrite déjà mentionnée confirme cette version des faits. C’est en tant que membre du conseil d’administration du Centre d’amitié que Mme Verreault a eu connaissance pour la première fois du poste à pourvoir au Centre de formation. Une fois nommée coordinatrice et directrice du Centre de formation, Mme Verreault a cessé d’être membre du conseil d’administration. Nul ne conteste que c’est en tant qu’employée de NLS que Mme Verreault a exercé ses fonctions au Centre de formation du Centre d’amitié. Ce n’est toutefois pas NLS qui l’a nommée au poste de coordinatrice et directrice.

 

[13]        C’est au laboratoire informatique de La Tuque que Mme Verreault s’est acquittée de ses fonctions de coordinatrice et directrice du Centre de formation. En outre, Mme Verreault rencontrait chaque mois à Québec des représentants du Regroupement ainsi que les coordinatrices des deux autres projets pilotes de centres de formation, l’un à Val‑d’Or et l’autre à Montréal. Un comité spécial du Regroupement se penchait sur les activités des trois centres de formation. De plus, Mme Verreault allait visiter des communautés autochtones un ou deux jours chaque mois pour faire la promotion du Centre de formation et tenter d’en augmenter la clientèle.

 

[14]        Il n’était pas décidé d’entrée de jeu que le Centre de formation occuperait des locaux du Centre d’amitié à La Tuque. Il était loisible à Mme Verreault de choisir un autre site, à La Tuque ou dans une autre ville. Bien qu’il y ait eu certaines divergences entre les témoignages des deux témoins, il semble peu probable qu’on aurait pu établir le Centre de formation, non pas dans un centre urbain, mais plutôt dans une réserve ou une communauté, étant donné les objectifs d’aide à l’intégration urbaine visés tant par le Centre d’amitié que par le Centre de formation. Quoi qu’il en soit, le Centre de formation est situé au Centre d’amitié à La Tuque. D’un point de vue pratique, le Centre de formation n’aurait pas pu être situé dans une réserve ou une communauté parce que l’accès à Internet haute vitesse était requis et ne pouvait être obtenu à l’époque hors des centres urbains.

 

[15]        À titre de coordinatrice et directrice du Centre de formation, Mme Verreault ne relevait pas dans les faits de la directrice générale du Centre d’amitié, mais plutôt essentiellement du conseil d’administration du Regroupement. La coordinatrice et directrice du Centre de formation rendait compte de plus au conseil d’administration du Centre d’amitié de La Tuque.

 

[16]        Pour pouvoir s’inscrire au programme du Centre de formation, ses clients devaient obtenir des centres d’emploi gouvernementaux les autorisations et les ressources financières requises.

 

[17]        Le Centre d’amitié réalisait sa mission au sein des communautés tant urbaines qu’autochtones. De même, autant des non‑Autochtones que des Autochtones participaient à ses activités.

 

 

I. Règles de droit applicables

 

[18]        Les paragraphes 87(1) et (2) de la Loi sur les Indiens prévoient ce qui suit :

 

TAXATION

87(1) Biens exempts de taxation — Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

a) le droit d’un Indien ou d’une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

 

(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti à une taxation concernant la propriété, l’occupation, la possession ou l’usage d’un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l’un de ces biens.

 

 

TAXATION

87(1) Property exempt from taxation — Notwithstanding any other Act of Parliament or any Act of the legislature of a province, but subject to section 83 and section 5 of the First Nations Fiscal and Statistical Management Act, the following property is exempt from taxation:

(a) the interest of an Indian or a band in reserve lands or surrendered lands; and

(b) the personal property of an Indian or a band situated on a reserve.

 

(2) No Indian or band is subject to taxation in respect of the ownership, occupation, possession or use of any property mentioned in paragraph (1)(a) or (b) or is otherwise subject to taxation in respect of any such property.

 

 

[19]        L’alinéa 81(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit pour sa part ce qui suit :

 

81(1) Sommes à exclure du revenu — Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

a) Exemptions prévues par une autre loi [incluant celles prévues dans un accord avec les Indiens] — une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

81(1) Amounts not included in income — There shall not be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year,

(a) Statutory exemptions [including Indians] — an amount that is declared to be exempt from income tax by any other enactment of Parliament, other than an amount received or receivable by an individual that is exempt by virtue of a provision contained in a tax convention or agreement with another country that has the force of law in Canada;

 

[20]        La Cour suprême du Canada a traité de la nature et de l’objet de l’exemption visée à l’article 87 dans l’arrêt Williams et a notamment écrit ce qui suit[2] :

 

A -- La nature et l’objet de l’exemption fiscale

 

Le juge La Forest a analysé en profondeur la question de l’objet des art. 87, 89 et 90 dans l’arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85. Il a conclu que ces articles visent à préserver les droits des Indiens sur leurs terres réservées et à assurer que la capacité des gouvernements d’imposer des taxes, ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de leurs biens situés sur leurs terres réservées. La conséquence de cette conclusion était que les articles en question ne visent pas à conférer un avantage économique général aux Indiens (aux pp. 130 et 131) :

 

Historiquement, les exemptions de taxe et de saisie ont protégé de deux façons la capacité des Indiens de profiter de cette propriété. Premièrement, elles empêchent qu’un palier de gouvernement, par l’imposition de taxes, puisse porter atteinte à l’intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes. Deuxièmement, la protection contre les saisies assure que l’exécution de jugements obtenus par des non‑Indiens en matière civile ne pourra entraver les Indiens dans la libre jouissance des avantages qu’ils ont acquis ou pourront acquérir conformément à l’exécution par la Couronne de ses obligations prévues par traité. Dans les faits, ces articles ont protégé les Indiens contre l’imposition d’obligations de nature civile qui pouvaient conduire, quoique indirectement, à l’aliénation de leurs terres à la suite de ventes forcées et par d’autres moyens semblables; voir l’examen par le juge Brennan du but des exemptions de taxe accordées aux Indiens en contexte américain dans l’arrêt Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976), à la p. 391.

 

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s’applique la présomption de l’art. 90, font partie d’un ensemble législatif qui fait état d’une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l’existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu’elle est tenue par l’honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non‑Indiens pour les déposséder des biens qu’ils possèdent en tant qu’Indiens, c’est‑à‑dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

 

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s’appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l’objet de la Loi n’est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d’acquérir, de posséder et d’aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l’extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

A -- The Nature and Purpose of the Exemption from Taxation

 

The question of the purpose of ss. 87, 89 and 90 has been thoroughly addressed by La Forest J. in the case of Mitchell v. Peguis Indian Band, [1990] 2 S.C.R. 85. La Forest J. expressed the view that the purpose of these sections was to preserve the entitlements of Indians to their reserve lands and to ensure that the use of their property on their reserve lands was not eroded by the ability of governments to tax, or creditors to seize. The corollary of this conclusion was that the purpose of the sections was not to confer a general economic benefit upon the Indians (at pp. 130-31):

 

The exemptions from taxation and distraint have historically protected the ability of Indians to benefit from this property in two ways. First, they guard against the possibility that one branch of government, through the imposition of taxes, could erode the full measure of the benefits given by that branch of government entrusted with the supervision of Indian affairs. Secondly, the protection against attachment ensures that the enforcement of civil judgments by non‑natives will not be allowed to hinder Indians in the untrammelled enjoyment of such advantages as they had retained or might acquire pursuant to the fulfillment by the Crown of its treaty obligations. In effect, these sections shield Indians from the imposition of the civil liabilities that could lead, albeit through an indirect route, to the alienation of the Indian land base through the medium of foreclosure sales and the like; see Brennan J.’s discussion of the purpose served by Indian tax immunities in the American context in Bryan v. Itasca County, 426 U.S. 373 (1976), at p. 391.

 

In summary, the historical record makes it clear that ss. 87 and 89 of the Indian Act, the sections to which the deeming provision of s. 90 applies, constitute part of a legislative “package” which bears the impress of an obligation to native peoples which the Crown has recognized at least since the signing of the Royal Proclamation of 1763. From that time on, the Crown has always acknowledged that it is honour-bound to shield Indians from any efforts by non-natives to dispossess Indians of the property which they hold qua Indians, i.e., their land base and the chattels on that land base.

 

It is also important to underscore the corollary to the conclusion I have just drawn. The fact that the modern-day legislation, like its historical counterparts, is so careful to underline that exemptions from taxation and distraint apply only in respect of personal property situated on reserves demonstrates that the purpose of the legislation is not to remedy the economically disadvantaged position of Indians by ensuring that Indians may acquire, hold, and deal with property in the commercial mainstream on different terms than their fellow citizens. An examination of the decisions bearing on these sections confirms that Indians who acquire and deal in property outside lands reserved for their use, deal with it on the same basis as all other Canadians.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]        Il découle de l’arrêt Williams c. Canada[3] de la Cour suprême du Canada que, pour décider si le revenu d’emploi d’un Autochtone constitue un bien meuble situé dans une réserve, il convient d’analyser et d’apprécier les facteurs de rattachement pertinents[4] :

 

La méthode qui tient le mieux compte de ces préoccupations est celle qui analyse la situation sous le rapport des catégories de biens et des types d’imposition. Par exemple, la pertinence des facteurs de rattachement peut varier selon qu’il s’agit de prestations d’assurance‑chômage, de revenu d’emploi ou de prestations de pension. Il faut d’abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d’identifier l’emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l’objet de l’exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l’imposition de ce bien. Il s’agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l’imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l’Indien à titre d’Indien sur une réserve.

The approach which best reflects these concerns is one which analyzes the matter in terms of categories of property and types of taxation. For instance, connecting factors may have different relevance with regard to unemployment insurance benefits than in respect of employment income, or pension benefits. The first step is to identify the various connecting factors which are potentially relevant. These factors should then be analyzed to determine what weight they should be given in identifying the location of the property, in light of three considerations: (1) the purpose of the exemption under the Indian Act; (2) the type of property in question; and (3) the nature of the taxation of that property. The question with regard to each connecting factor is therefore what weight should be given that factor in answering the question whether to tax that form of property in that manner would amount to the erosion of the entitlement of the Indian qua Indian on a reserve.

 

[22]        Les facteurs de rattachement pertinents quant au revenu d’emploi sont considérés être (i) l’emplacement de l’employeur, (ii) la résidence de l’employé, (iii) le lieu de travail et (iv) la nature du travail. On peut se reporter à cet égard au passage suivant de l’arrêt Sa Majesté la Reine c. Shilling, 2001 CAF 178[5] :

 

[29] Comme il en a déjà été fait mention, la Cour suprême n’a pas encore eu l’occasion d’appliquer au revenu d’emploi le critère des facteurs de rattachement qui a été énoncé dans l’arrêt Williams, précité. L’arrêt Williams lui-même se rapportait à l’emplacement de prestations d’assurance-chômage.

[30] Toutefois, dans plusieurs cas, la présente Cour a eu à appliquer la jurisprudence de la Cour suprême afin de déterminer si le revenu d’emploi d’un Indien était situé dans une réserve et si, par conséquent, il était exempt d’impôt en vertu de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

[31] Ainsi, dans les arrêts Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269 (C.A.); et Bell c. Canada, [2000] 3 C.N.L.R. 32 (C.A.F.), on a dit que les facteurs suivants étaient peut-être pertinents lorsqu’il s’agissait de déterminer si le revenu d’emploi d’un Indien est situé dans une réserve: l’emplacement de l’employeur ou son lieu de résidence; la nature du travail, le lieu de travail et les circonstances dans lesquelles le travail est accompli par l’employé, et notamment la nature de tout avantage qu’en tire la réserve; le lieu de résidence de l’employé.

[32] Le lieu où l’employé était payé a également été considéré comme un facteur de rattachement qui pouvait être pertinent, même si l’on n’a pas accordé beaucoup d’importance à ce facteur : Bell c. Canada (1998), 98 DTC 1857 (C.C.I.), aux paragraphes 45 à 47. La décision du juge de la Cour de l’impôt a été confirmée en appel et son identification des facteurs de rattachement a été approuvée : [2000] 3 C.N.R.L. 32 (C.A.F.), au paragraphe 35.

[33] L’importance à accorder à l’un quelconque de ces facteurs peut varier selon les faits d’une affaire donnée, et ce, même si le bien en question (un revenu d’emploi) et l’impôt (un impôt sur le revenu) appartiennent à une même catégorie. Néanmoins, la jurisprudence donne à entendre qu’il faut prêter une attention particulière à la nature du travail accompli par l’employé et aux circonstances y afférentes. Comme le juge Linden l’a expliqué dans l’arrêt Folster, précité, au paragraphe 27 :

À mon avis, étant donné le but poursuivi par le législateur en créant l’exemption d’impôt et le genre de bien meuble en cause, l’analyse doit porter sur la nature de l’emploi de l’appelante et les circonstances qui s’y rapportent. Le genre de bien meuble en cause, c’est‑à‑dire le revenu d’emploi, est tel qu’on ne peut juger de sa nature sans se référer aux circonstances dans lesquelles il a été gagné. De même que le situs des prestations d’assurance-chômage doit être déterminé par rapport à l’emploi ouvrant droit aux prestations, de même l’analyse de l’emplacement du revenu d’emploi est subordonnée à un examen de toutes les circonstances qui ont donné lieu à l’emploi.

[29] As we have already noted, the Supreme Court has not yet had occasion to apply to employment income the connecting factors test formulated in Williams, supra. Williams itself concerned the location of unemployment insurance benefits.

[30] However, in several cases this Court has been called upon to apply the Supreme Court’s jurisprudence in order to determine whether an Indian’s employment income was situated on a reserve and thus exempt from income tax by virtue of paragraph 87(1)(b) of the Indian Act.

[31] Thus, in Canada v. Folster, [1997] 3 F.C. 269 (C.A.); and Bell v. Canada, [2000] 3 C.N.L.R. 32 (F.C.A.), the following factors were said to be potentially relevant in determining whether an Indian’s employment income is situated on a reserve: the location or residence of the employer; the nature, location and surrounding circumstances of the work performed by the employee, including the nature of any benefit that accrued to the reserve from it; and the residence of the employee.

[32] The place where the employee was paid has also been considered a potentially relevant connecting factor, although not one that has been given much weight: Bell v. Canada (1998), 98 DTC 1857 (T.C.C.), at paragraphs 45-47. The Tax Court Judge’s decision was upheld on appeal and his identification of the connecting factors approved: [2000] 3 C.N.L.R. 32 (F.C.A.), at paragraph 35.

[33] The weight to be assigned to any of these factors may vary according to the facts of any given case, even when the category of property in question (employment income) and the nature of the tax (income tax) are the same. Nonetheless, the case law suggests that particular attention should be given to the nature of the work performed by the employee, and the circumstances surrounding it. As Linden J.A. explained in Folster, supra, at paragraph 27:

In my view, having regard for the legislative purpose of the tax exemption and the type of personal property in question, the analysis must focus on the nature of the appellant’s employment and the circumstances surrounding it. The type of personal property at issue, employment income, is such that its character cannot be appreciated without reference to the circumstances in which it was earned. Just as the situs of unemployment insurance benefits must be determined with reference to its qualifying employment, an inquiry into the location of employment income is equally dependent upon an examination of all the circumstances giving rise to that employment

 

 

II. Analyse des facteurs de rattachement

 

A. Emplacement de l’employeur

 

[23]        L’employeur de Mme Verreault, Native Leasing Services, est une entreprise exploitée par un Autochtone dans la réserve des Six nations, en Ontario. L’importance de ce facteur de rattachement est relativement restreinte, comme NLS n’a aucunement participé à la nomination de Mme Verreault à son poste au Centre de formation non plus qu’à l’exercice des activités de ce centre ou du Centre d’amitié, et semble n’avoir été que l’intermédiaire par lequel Mme Verreault était rémunérée pour ses services fournis au Centre de formation. NLS avait joué un rôle semblable dans l’affaire Shilling, et la Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

 

45 Il importe de faire une autre remarque au sujet de l’emplacement de l’employeur. Le fait que l’intimée a été amenée à avoir une relation d’emploi avec NLS pour des raisons de planification fiscale importe peu s’il n’est pas allégué que l’opération est factice, ou que la règle générale anti‑évitement énoncée à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu s’applique. Or, Sa Majesté n’a fait aucune allégation de ce genre dans ce cas‑ci. Comme le juge de première instance l’a conclu, on ne devrait pas accorder une importance réduite au fait que l’employeur est situé dans une réserve du simple fait que des raisons de planification fiscale et le désir d’éviter d’avoir à payer l’impôt sur le revenu avaient amené l’intimée à exercer l’emploi en question. Voir Neuman c. Ministre du Revenu national, [1998] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 39. D’autre part, en l’absence d’éléments de preuve étayant l’importance accrue à accorder à ce facteur de rattachement, le fait d’avoir passé un contrat avec un employeur situé dans une réserve ne se verra accorder qu’une importance restreinte, et ce, indépendamment de la question de savoir si des raisons de planification fiscale étaient à l’origine du contrat.

45 One other issue respecting the location of the employer requires comment. That tax planning was the motivation for the respondent to enter into an employment relationship with NLS is not a concern in the absence of an allegation that either the transaction is a sham, or that the general anti‑avoidance rule in section 245 of the Income Tax Act is applicable. The Crown has made no such allegation in this case. As the Trial Judge found, there should be no discounting of the weight to be accorded the on‑reserve location of the employer because the employment by that employer was motivated by tax planning and a desire to avoid the payment of income tax. See Neuman v. Minister of National Revenue, [1998] 1 S.C.R. 770, at paragraph 39. On the other hand, in the absence of evidence which would support giving additional weight to this connecting factor, contracting with an on‑reserve employer, whether motivated by tax planning or not, will be given only limited weight.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[24]        Dans la décision Horn c. Canada[6] où NLS avait encore une fois joué un rôle semblable, le juge M.L. Phelan de la Cour fédérale a formulé les commentaires suivants :

 

97 Par conséquent, si NLS est située dans la réserve des Six Nations, ces autres circonstances indiquent que ce facteur n’est pas particulièrement important. Il est presque sans importance pour Horn, puisqu’elle n’est pas membre des Six Nations et que sa bande de Kahnawake ne tire aucun avantage direct du fait que NLS est située dans la réserve des Six Nations.

97 Therefore, while NLS’s location is on the Six Nations Reserve, these other circumstances indicate that this factor is not particularly weighty. It is of almost little weight to Horn as she is not a member of the Six Nations nor does her band at Kahnawake receive any direct benefits from NLS’s location on the Six Nations Reserve.

 

[25]        Dans l’arrêt Canada c. Folster, de façon similaire, la Cour d’appel fédérale a estimé qu’il ne fallait pas attacher beaucoup d’importance, en soi, à l’endroit où les chèques de paie de l’employée étaient émis (paragraphe 26).

 

[26]        La juge Sheridan de notre cour a aussi traité du rôle joué par NLS et de la pertinence du fait que ses bureaux étaient situés dans la réserve des Six Nations dans la décision McIvor c. La Reine[7]; elle a écrit ce qui suit :

 

84 Il est certain que les bureaux principaux de NLS et d’O.I. Inc. étaient situés dans la réserve des Six Nations. L’exploitation de NLS et d’O.I. Inc. offrait certains avantages à la réserve des Six Nations : les fournitures et les services étaient achetés de sources situées dans la réserve, les locaux à bureaux étaient loués de la bande et des emplois et de la formation étaient fournis au personnel administratif dans la réserve.

 

85 Toutefois, il faut soupeser cette conclusion en fonction des faits suivants, qui atténuent le poids à accorder à ce facteur de rattachement : premièrement, l’avantage financier accordé à la réserve des Six Nations représentait une fraction bien faible de l’ensemble des revenus de NLS et d’O.I. Inc. En outre, ces revenus provenaient des frais de service qui étaient déduits de la rémunération de chacun des employés dont les services étaient loués auprès de leurs organismes de placement respectifs, dont aucun n’était situé dans la réserve des Six Nations ou dans une autre réserve. Enfin, le personnel administratif de NLS et d’O.I. Inc. dans la réserve des Six Nations se contentait d’agir comme intermédiaire entre les organismes de placement hors réserve, qui enregistraient et déclaraient les heures de travail des employés dont les services étaient loués, et les services de paye hors réserve qui traitaient les chèques de paye.

84 There is no question that NLS and O.I. Inc. headquarters were located on the Six Nations Reserve. By purchasing supplies and services from on‑reserve sources, renting office space from the band and providing jobs and training to the on‑reserve administrative staff, the business operation of NLS/O.I. Inc. provided some benefit to the Six Nations Reserve.

 

 

85 Against this finding, however, must be balanced the following facts which reduce the weight to be given this connecting factor: first, the financial benefit to the Six Nations Reserve represented but a modest portion of the total revenues of NLS and O.I. Inc. Further, the source of such revenues were the service fees deducted from the employment earnings of each of the leased employees at their respective Placement Organizations, none of which was located on the Six Nations Reserve or any other reserve. Finally, the NLS/O.I. Inc. administrative staff on the Six Nations Reserve did little more than act as a conduit between the off‑reserve Placement Organizations who maintained and reported records of the leased employees’ hours of work, and the off-reserve payroll services that processed their pay cheques.

 

[27]        De manière semblable, le juge en chef adjoint Rossiter de notre cour s’est exprimé ainsi dans Googoo c. La Reine[8], au paragraphe 98, quant à l’importance à accorder à la résidence de NLS dans la réserve des Six nations :

 

98 Dans l’arrêt Canada v. Monias, précité, la Cour d’appel fédérale a fait observer que, même si l’emplacement de l’employeur est considéré comme un facteur de rattachement dans l’analyse prévue par l’arrêt Williams, il faut néanmoins qu’il y ait des éléments de preuve au sujet de l’importance des activités de l’employeur dans la réserve ou d’un bénéfice pour la réserve du fait de la présence de l’employeur, à défaut de quoi il n’y a pas lieu d’accorder beaucoup de poids à ce facteur.

98 In Canada v. Monias, supra, it was noted that although the location of the employer has been regarded as a connecting factor under the analysis mandated by Williams, there must nonetheless be some evidence of the scope of the employer’s activities on the reserve or of some benefit flowing to the reserve from the presence of the employer. Otherwise it cannot be a factor upon which much weight will be assigned.

 

[28]        Il découle clairement des faits en l’espèce que l’emplacement de NLS dans la réserve des Six nations en Ontario n’a eu aucune incidence sur les activités menées à La Tuque par le Centre de formation ou le Centre d’amitié. Aucun élément de preuve n’a non plus été présenté au sujet du rôle que NLS aurait pu exercer dans la réserve des Six Nations au bénéfice de ses résidents. Cela étant, je suis d’avis qu’il convient d’accorder peu de poids dans le cas de Mme Verreault à ce facteur de rattachement restreint. Le seul rôle joué par NLS a été d’augmenter quelque peu les chances de voir accepter la demande d’exemption fondée sur l’article 87 de Mme Verreault, par l’ajout d’un facteur de rattachement additionnel. Tel qu’il ressort clairement des décisions précitées, cet élément seul est peu pertinent ou utile et ne mérite pas qu’on lui accorde beaucoup de poids.

 

B. La résidence de l’appelante

 

[29]        Mme Verreault a vécu dans la ville de La Tuque pendant les années en cause. Elle ne vivait pas dans la réserve. La preuve ne permet pas vraiment de savoir non plus quand, le cas échéant, elle a vécu dans une réserve, que ce soit avant ou après ces années-là.

 

[30]        L’absence de ce facteur de rattachement ne donne d’aucune manière un coup fatal à la demande de Mme Verreault. L’article 87 de la Loi sur les Indiens n’exige pas que la propriétaire du bien meuble concerné réside dans une réserve. Ce que l’article 87 exige, c’est que le bien soit situé dans une réserve. La Cour a écrit ce qui suit sur le sujet dans l’arrêt Williams[9] :

 

Compte tenu de l’importance de l’emplacement du revenu d’emploi donnant droit aux prestations en tant que facteur dont il faut tenir compte pour identifier l’emplacement des prestations d’assurance‑chômage, le facteur restant, c’est‑à‑dire la résidence de la personne qui reçoit les prestations au moment de leur réception, ne peut avoir d’importance que s’il indique un emplacement différent de celui de l’emploi qui a rendu admissible aux prestations.

Having regard to the importance of the location of the qualifying employment income as a factor in identifying the location of the unemployment insurance benefits, the remaining factor of the residence of the recipient of the benefits at the time of their receipt is only potentially significant if it points to a location different from that of the qualifying employment.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]        Dans la décision Horn[10], tout en faisant remarquer qu’une des appelantes résidait dans une réserve, le juge M.L. Phelan a écrit ce qui suit :

 

104 Quant à Williams, elle réside dans la réserve des Six Nations. Elle entretient des liens solides avec la collectivité, tant physiques que sociaux et émotionnels. Toutefois, les avantages que tire la réserve de son emploi, mis à part les clients du Refuge qui viennent de la réserve, tiennent principalement au fait qu’elle consacre son revenu à ses frais de subsistance. Il ne s’agit pas d’un facteur de rattachement important en soi, ainsi qu’il a été conclu dans l’arrêt Bell.

104 As regards Williams, she is a resident of the Six Nations Reserve. She has strong ties to the community, both physical, social and emotional. However, the benefits to the Reserve of her employment, aside from those clients of the Shelter who come from the Reserve, is largely that of her spending income on living expenses. This is not a significant connecting factor, per se, as held in Bell.

 

[32]        Compte tenu de ces commentaires tirés de l’arrêt Williams et de la décision Horn, même si Mme Verreault avait vécu dans une réserve, ce facteur de rattachement n’aurait été véritablement important et de grand poids que si la résidence dans la réserve avait eu une incidence significative sur le travail ayant généré le revenu en question.

 

[33]        C’est donc là au mieux, dans les circonstances, un élément neutre dans mon analyse des facteurs de rattachement, qui n’aide en rien à démontrer que le revenu de Mme Verreault est un bien situé dans une réserve.

 

[34]        Si l’on voulait établir que le revenu de Mme Verreault est un bien situé dans une réserve, aucun fondement factuel ne permet d’estimer que c’est un bien situé dans sa réserve innue comme Mme Verreault n’y résidait pas et comme ni le Centre de formation ni le Centre d’amitié n’y étaient liés de quelque manière que ce soit.

 

[35]        Les trois réserves Attikamek d’Obedjiwan, de Wemotaci et de Manawan, dont bon nombre des clients du Centre d’amitié et du Centre de formation étaient membres et provenaient – et dont ils ont peut-être continué à être membres pendant qu’ils vivaient à La Tuque, en fréquentant le Centre de formation ou autrement – n’avaient pas un lien suffisant avec le travail de Mme Verreault à ce dernier centre pour qu’on puisse en conclure que le revenu tiré de ce travail était situé dans l’une ou l’autre de ces réserves. Selon Mme Verreault, celle‑ci devait quitter La Tuque pour se rendre un jour ou deux par mois dans l’une de ces réserves, en moyenne, pour y exercer ses activités de promotion. Notons que, d’après la preuve, l’aller-retour entre La Tuque et une réserve aurait nécessité une longue journée à lui seul.

 

[36]        Compte tenu de ces faits, la seule autre réserve où Mme Verreault pourrait prétendre que le revenu tiré de son travail au Centre de formation était situé, c’était la réserve des Six nations, en Ontario. Or, comme je l’ai dit dans la première partie de mon analyse, cette réserve et NLS qui y est située n’avaient aucun lien intrinsèque ou important avec le travail accompli au Centre d’amitié à La Tuque, non plus qu’à son Centre de formation, et le seul rôle joué par elles se limitait à celui d’une sorte d’agence de placement de leur employée Arlette Verreault.

 

[37]        La conclusion à tirer, par conséquent, de l’analyse du facteur de rattachement de la résidence de l’appelante est que le revenu tiré en l’espèce par Mme Verreault n’est pas un bien situé dans l’une ou l’autre des réserves en cause.

 

C. Lieu de travail

 

[38]        Le Centre de formation dont Mme Verreault était la directrice et coordinatrice et son laboratoire informatique se trouvaient dans les locaux du Centre d’amitié, à La Tuque, et non dans une réserve. À quelques exceptions près, fort restreintes, tout le travail de Mme Verreault était réalisé à La Tuque. Il est vrai que Mme Verreault se rendait à Québec une journée par mois pour une réunion à laquelle participaient les trois coordinatrices et les membres du conseil d’administration du Regroupement. Mme Verreault passait en outre une ou deux journées par mois en moyenne dans l’une des trois réserves Attikamek pour y promouvoir le projet du Centre de formation de La Tuque. Selon sa preuve, chacune de ces réserves se trouvait à une distance de route de deux à cinq heures de La Tuque. Il n’y a aucune raison de croire que des clients du Centre de formation résidaient dans les réserves pendant qu’ils suivaient leurs cours. Il est manifeste que l’objectif premier tant du Centre d’amitié que du Centre de formation était de prêter assistance aux Autochtones vivant dans des centres urbains. On n’a pas par ailleurs démontré que la promotion par Mme Verreault de son projet dans les réserves constituait une partie primordiale ou importante de ses fonctions de directrice et de coordinatrice du Centre de formation.

 

[39]        Des affaires telles que les affaires Folster[11] et Amos[12] sont des exemples de situations où le travail hors réserve d’un Autochtone peut donner droit à l’exemption prévue à l’article 87. Dans ces deux affaires, le lieu de travail de l’Autochtone concerné avait des liens historiques avec une réserve et avait été situé à certains moments, du moins en partie, dans cette réserve, même si l’employé ne travaillait pas dans celle‑ci pendant l’année visée. Dans les deux affaires, les appelants vivaient dans la réserve en cause. En ce qui concerne Mme Verreault, il n’y avait pas d’importants liens historiques ou concrets, de la nature de ceux présents dans Folster et Amos, entre l’emplacement hors de la réserve du Centre de formation où elle travaillait et l’une ou l’autre des réserves concernées.

 

[40]        Le rattachement à une réserve était très faible dans le cas de Mme Verreault, compte tenu du fait que son lieu de travail se trouvait à La Tuque et non dans une réserve, qu’elle passait peu de temps dans l’une ou l’autre réserve en cause et qu’il n’y avait aucun lien historique entre son laboratoire informatique à La Tuque et quelque réserve que ce soit.

 

D. Nature du travail

 

[41]        Tout ce qui rattache la nature du travail de Mme Verreault et la formation et les services offerts dans le cadre du projet de laboratoire informatique à une quelconque réserve, c’est le fait que les clients étaient majoritairement des Autochtones qui, croit-on, provenaient des trois réserves Attikamek susmentionnées, certains d’entre eux y étant peut-être retournés. Vu la distance de route entre La Tuque et les réserves, l’on présume qu’aucun des clients ne résidait dans celles-ci pendant sa formation de six mois dans cette ville.

 

[42]        On s’est penché sur ce facteur dans l’arrêt Shilling (aux paragraphes 49 et suivants)[13] :

 

49 En l’espèce, l’intimée travaille à Toronto. Ce facteur tendrait à montrer que le revenu d’emploi est situé en dehors d’une réserve. Toutefois, selon l’analyse se rapportant aux facteurs de rattachement, le lieu du travail à lui seul n’est pas concluant. Normalement, il faut tenir compte de la nature de l’emploi dans son ensemble et des circonstances y afférentes en vue de déterminer quel lien existe, le cas échéant, entre l’emploi exercé en dehors d’une réserve et une réserve.

 

[…]

 

51 AHT semble être une organisation de services sociaux qui s’occupe de soins de santé préventifs et fournit de l’aide, à Toronto, aux autochtones qui ne sont pas dans une réserve. AHT et sa clientèle hors réserve tirent bénéfice du travail de l’intimée, contrairement à ce qui se produisait dans l’affaire Folster, où les patients de l’hôpital habitaient presque tous dans la réserve. Comme le juge de première instance l’a conclu, l’emploi n’est pas rattaché à une réserve indienne au sens physique du terme du simple fait que la nature de l’emploi consiste à fournir des services à des Indiens.

 

52 En concluant que la nature des tâches de l’intimée ne constitue pas un facteur de rattachement avec une réserve, nous n’omettons pas de tenir compte du fait que les services fournis sont des services sociaux à l’intention des autochtones, par opposition à un emploi exercé dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise à but lucratif. Toutefois, il existe dans les villes canadiennes un grand nombre d’organisations à but non lucratif offrant des services sociaux. Les employés de pareilles organisations ne sont pas exemptés de l’impôt sur le revenu. Compte tenu du but restreint de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, le fait que l’emploi en question se rapporte à la prestation de services sociaux à des autochtones en dehors d’une réserve ne confère pas pour autant un traitement fiscal privilégié en vertu de cette disposition.

49 In this case, the respondent’s place of employment was in Toronto. This is a factor that would tend to locate her employment income off-reserve. However, under the connecting factors analysis, location of employment alone will not be conclusive. Normally, regard must be had to the nature of the employment as a whole and the surrounding circumstances to determine what connection, if any, the off-reserve employment has to a reserve.

 

. . . 

 

51 AHT appears to be a social services organization involved in preventative health care and other social assistance for off‑reserve Native people in Toronto. The respondent’s work benefits AHT and its off-reserve clientele. This is in stark contrast to Folster where the hospital’s patients mostly lived on‑reserve. As the Trial Judge found, merely because the nature of employment is to provide services to Indians does not connect that employment to an Indian reserve as a physical place.

 

 

 

52 In finding that the nature of the respondent’s duties are not a connecting factor to a reserve, we do not overlook the fact that the services provided are social services to Native people as opposed to employment in a for‑profit enterprise. However, many not‑for‑profit social service organizations exist in Canadian cities. Employees of such organizations are not exempt from income tax. Given the limited purpose of paragraph 87(1)(b) of the Indian Act, the fact that the employment at issue involves providing social services to off‑reserve Native people, is no reason for conferring preferred tax treatment under that provision.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[43]        Le juge Evans de la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit sur le même sujet, dans l’arrêt Monias[14] :

 

66 Le fait que le travail qui donne lieu au revenu d’emploi soit au bénéfice des Indiens dans les réserves et qu’il puisse être essentiel au maintien des réserves comme groupes sociaux viables, n’est pas en soi suffisant pour situer le revenu d’emploi dans les réserves. La politique qui sous-tend l’alinéa 87(1)b) n’a pas pour but d’offrir une subvention fiscale aux services fournis aux réserves. Il s’agit plutôt de protéger la propriété que les Indiens peuvent acquérir, conserver et utiliser dans une réserve, de toute atteinte par le biais de l’impôt, bien que dans le cas d’un bien incorporel, comme le revenu d’emploi, c’est le situs de son acquisition qui est particulièrement important.

66 That the work from which employment income is earned benefits Indians on reserves, and indeed may be integral to maintaining the reserves as viable social units, is not in itself sufficient to situate the employment income there. It is not the policy of paragraph 87(1)(b) to provide a tax subsidy for services provided to and for the benefit of reserves. Rather, it is to protect from erosion by taxation the property of individual Indians that they acquire, hold and use on a reserve, although in the case of an intangible, such as employment income, it is the situs of its acquisition that is particularly important.

 

[44]        Il ressort clairement de ces commentaires de la Cour d’appel fédérale que le fait, pour les clients de l’organisme où travaille Mme Verreault, d’être des Indiens inscrits ne constitue pas un facteur marquant de rattachement.

 

[45]        Rien d’autre dans la nature du travail de Mme Verreault ne dénoterait un rattachement à l’une quelconque des réserves.

 

III. Conclusion

 

[46]        La Cour est sensible aux conséquences financières pour Mme Verreault de l’inadmissibilité de son revenu à l’exonération fiscale, comme NLS n’a pas retenu l’impôt sur le revenu sur son salaire. La Cour est toutefois tenue d’appliquer la loi telle qu’elle est formulée à l’alinéa 81(1)a) de la LIR et à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et de se conformer à l’analyse prescrite par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale pour l’application de l’exemption prévue à l’article 87. Cela m’oblige, malheureusement pour elle, à rejeter son appel. Celle-ci, dans son témoignage, s’est dite fort en colère contre NLS pour ne pas avoir retenu d’impôt et l’avoir mise dans pareille situation. La Cour n’a pas compétence à l’égard d’une telle plainte. Si Mme Verreault souhaite engager une poursuite contre NLS, elle doit le faire devant une cour autre que la Cour canadienne de l’impôt.

 

[47]        Ce dont Mme Verreault s’est également plainte dans son témoignage, c’est qu’elle ne comprenait pas pourquoi l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») lui avait accordé sans contestation l’exemption de l’article 87 à l’égard du travail qu’elle avait effectué les années antérieures à La Tuque auprès de nombreuses organisations liées aux Autochtones, alors qu’elle a contesté l’exemption pour du travail semblable accompli au Centre de formation, à titre d’employée de NLS, pendant les années en cause. Elle a fait remarquer que la seule différence importante lui semblant exister entre les deux situations, c’était le rôle joué par NLS. La Cour canadienne de l’impôt n’a aucune connaissance particulière des pensées ou des rouages de l’ARC en regard des autres années d’imposition de Mme Verreault, mais il se peut bien que le rôle joué par NLS dans son travail au Centre de formation pendant les années en cause ait incité l’ARC à soumettre cet emploi à un examen et une vérification, alors que cela n’avait jamais été fait pour le travail accompli les années précédentes auprès d’autres organisations. Quoi qu’il en soit, ces considérations ne m’autorisent pas à déroger à l’application correcte de la loi à l’appel dont je suis saisi et qui porte uniquement sur la demande d’exonération fiscale de Mme Verreault pour les années 1998 et 1999, en application de l’article 87, pour le revenu tiré de son emploi au Centre de formation.

 

[48]        Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’août 2012.

 

 

 

 

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 293

 

N° DU DOSSIER DE LA COUR :   2007-662(IT)I

 

INTITULÉ :                                      ARLETTE VERREAULT c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Patrick Boyle

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 14 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

 

 

Avocate de l’intimée :

Me Sara Chaudhary

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                             Nom :                  

 

                             Cabinet :                       

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] Pièce I‑2.

[2] Précité, note 2, pages 885 et 886.

[3] [1992] 1 R.C.S. 877 [Williams].

[4] Ibidem, par. 37, pages 892 et 893.

[5] 2001 CAF 178 [Shilling].

[6] 2007 CF 1052, 2007 D.T.C. 5589 [Horn].

[7] McIvor c. La Reine, 2009 CCI 469, 2009 D.T.C. 1330 [McIvor].

[8] 2008 CCI 589, 2009 D.T.C. 1061.

[9] Précité, note 2, page 897.

[10] Précitée, note 5.

[11] Folster c. Canada, [1997] 3 C.F. 269, 97 D.T.C. 5315 [Folster].

[12] Amos v. The Queen, 99 D.T.C. 5333, [2000] 3 C.N.L.R. 1 [Amos].

[13] Précitée, note 4.

[14] Canada c. Monias, 2001 CAF 239, 2001 D.T.C. 5450 [Monias].

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