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Dossier : 2010-540(GST)I

ENTRE :

DANIEL ROUX,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 3 juillet 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

 

L’appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Éric Labbé

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l’avis porte le numéro BR 092002 et est daté du 14 mai 2009, est rejeté.

 

 

Signé ce 15e jour d'août 2012.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 249

Date : 20120815

Dossier : 2010-540(GST)I

ENTRE :

DANIEL ROUX,

appelant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             L'appelant, en sa qualité d'administrateur de la société Systèmes de traitement d'eau Rainsoft Rive‑Sud inc. (ci-après « Rainsoft »), a fait l’objet d’une cotisation en date du 14 mai 2009 d’un montant de 31 479,04 $ pour la période pendant laquelle il a été administrateur et plus précisément pour la période du 1er août 2005 jusqu'au 31 janvier 2007. L'appelant a démissionné de son poste d'administrateur chez Rainsoft le 1er mai 2008.

 

[2]             Rainsoft a commencé ses activités en 2004. C'est une société qui se spécialisait dans la vente de systèmes de traitement et d'adoucissement de l'eau. L'appelant détenait 50% des actions de Rainsoft et en était le vice-président. Rainsoft était inscrite aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS) et produisait sa déclaration trimestriellement.

 

[3]             Selon le rapport de vérification, Rainsoft, durant la période en litige, a déclaré un chiffre des ventes réduit de façon à ce que les montants de TPS et de taxe de vente du Québec (TVQ) dus soient, par le fait même, aussi réduits. L'appelant ne conteste pas cela. Il en résulte, par contre, que la différence entre les véritables ventes et celles déclarées par Rainsoft se traduit par un montant à payer de 72 856,63 $ au titre de la TVQ nette et de 60 951,55 $ au titre de la TPS nette.

 

[4]             Cette information a été divulguée aux autorités fiscales par voie de divulgation volontaire faite par Rainsoft le 5 mars 2007 pour la période en litige. Le 17 juillet 2007, Rainsoft signait une « entente de règlement et renonciation aux droits d'opposition et d'appel dans le cadre d'une divulgation volontaire » (pièce I‑3). Cette entente confirme que les montants de TPS et de TVQ payés par Rainsoft sont insuffisants eu égard aux véritables ventes effectuées par Rainsoft et précise que la somme due aux autorités fiscales est évaluée à 133 808,28 $. Rainsoft s'est engagée à payer la somme due sur une période de 18 mois, soit du 1er août 2007 au 1er janvier 2009, le montant des versements étant de 9 014 $.

 

[5]             L'appelant était dans les affaires avec madame Nathalie Laviolette, qui était la présidente de Rainsoft et détenait 50 % des actions de cette société. Ils ont convenu de mettre fin à leur relation d'affaires et, le 6 juin 2008, ils ont signé une entente de séparation. Cette entente, à laquelle Rainsoft était également partie, entrait en vigueur le 1er mai 2008, date où l'appelant démissionnait comme administrateur. Dans cette entente, l'appelant et madame Laviolette ont convenu que le solde dû par Rainsoft à la suite de l'entente de divulgation volontaire intervenue pour le paiement de l’arriéré de taxes à la consommation (TPS et TVQ), taxes dont l'appelant et madame Laviolette étaient aussi personnellement responsables, s'élevait à environ 65 000 $. En outre, madame Laviolette et Rainsoft se sont engagées à faire tout le nécessaire pour tenir leurs engagements de paiement reliés à la divulgation volontaire et à tenir l'appelant informé de tout ce qui pouvait affecter les engagements de paiement. L’entente de séparation donne à l'appelant un droit de recours contre Rainsoft et madame Laviolette pour récupérer tout ce que l'appelant pourrait être appelé à débourser au titre de l’entente de divulgation volontaire.

 

[6]             L'appelant soutient qu'avant son départ il s'est assuré que Rainsoft respecte ses engagements de paiement énoncés dans l'entente de séparation. Après le départ de l’appelant, Rainsoft n'a pas continué à honorer l’entente. Rainsoft a fait faillite le 24 novembre 2008 et madame Laviolette a déposé une cession en faillite à la même date.

 

[7]             Il s'agit donc de déterminer si l'appelant a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d'accise (« LTA ») que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

[8]             La responsabilité solidaire d'un administrateur d'une personne morale est engagée lorsque la personne morale, au moment où elle était tenue de verser un montant de taxe comme l'exigent les paragraphes 228(2) et (2.3) de la LTA, omet de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents. Je reproduis ci‑dessous les paragraphes pertinents de la LTA.

 

323.(1) Responsabilité des administrateursLes administrateurs d'une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l'exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l'exige l'article 230.1, un montant au titre d'un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d'une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

 

(2) Restrictions — L'administrateur n'encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

 

a)      un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l'article 316 et il y a eu défaut d'exécution totale ou partielle à l'égard de cette somme;

b)      la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l'objet d'une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c)      la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de faillite a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l'ordonnance.

 

(3) Diligence — L'administrateur n'encourt pas de responsabilité s'il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l'aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

 

. . .

 

(6) Montant recouvrable — Dans le cas du défaut d'exécution visé à l'alinéa (2)a), la somme à recouvrer d'un administrateur est celle qui demeure impayée après l'exécution.

 

[9]             La faillite de Rainsoft a eu lieu le 24 novembre 2008 et une preuve de réclamation a été déposée le 12 décembre 2008 (pièce I-6).

 

[10]        L'appelant soutient qu'aucune responsabilité ne peut lui être imputée à l’égard de sommes dues après sa démission à titre d'administrateur puisque Rainsoft n'était pas tenue de verser à l'intimée plus que ce qui avait été convenu dans l'entente de paiement, et que seule l'administratrice restante de Rainsoft est responsable. L'appelant fait valoir qu’après sa démission il n'avait plus à exercer une diligence raisonnable pour s'assurer que les paiements convenus se faisaient. Il prétend que, lorsqu'il était administrateur de Rainsoft, il a agi avec diligence afin de s'assurer que Rainsoft respecte son engagement de paiement.

 

[11]        La Cour d'appel fédérale a énoncé dans l'arrêt Canada c. Buckingham, 2011  CAF 142, la norme applicable en l'espèce. Je reproduis ci‑dessous les paragraphes 37, 38 et 39 de l’arrêt.

 

[37] Par conséquent, je conclus que la norme de soin, de diligence et d'habileté exigée au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise est une norme objective comme l'a énoncé la Cour suprême du Canada dans Magasins à rayons Peoples.

 

[38] Cette norme objective écarte le principe de common law selon lequel la gestion d'une société par un administrateur doit être jugée suivant les compétences, les connaissances et les aptitudes personnelles de celui-ci : Magasins à rayons Peoples, aux paragraphes 59 à 62. Si l'on qualifie cette norme d'objective, il devient évident que ce sont les éléments factuels du contexte dans lequel agissent l'administrateur qui sont importants, plutôt que les motifs subjectifs de ces derniers : Magasins à rayons, au paragraphe 63. L'apparition de normes plus strictes force les sociétés à améliorer la qualité des décisions des conseils d'administration au moyen de l'établissement de bonnes règles de régie d'entreprise : Magasins à rayons Peoples, au paragraphe 64. Des normes plus strictes empêchent aussi la nomination d'administrateurs inactifs choisis pour l'apparence ou qui ne remplissent pas leurs obligations d'administrateurs en laissant aux administrateurs actifs le soin de prendre les décisions. Par conséquent, une personne nommée administrateur doit activement s'acquitter des devoirs qui s'attachent à sa fonction, et il ne lui sera pas permis de se défendre contre une allégation de malfaisance dans l'exécution de ses obligations en invoquant son inaction : Kevin P. McGuinness, Canadian Business Corporations Law, 2e édition (Markham, Ontario: LexisNexis Canada, 2007), à la page 11.9.

 

[39] Une norme objective ne signifie toutefois pas qu'il ne doit pas être tenu compte des circonstances propres à un administrateur. Ces circonstances doivent être prises en compte, mais elles doivent être considérés [sic] au regard de la norme objective d'une "personne raisonnablement prudente". Comme l'a souligné la Cour dans Magasins à rayons Peoples au paragraphe 62 :

 

Le texte de l'al. 122(1)b) de la LCSA qui énonce l'obligation de diligence reprend presque mot à mot celui que propose le Rapport Dickerson. La principale différence réside dans le fait que la version qui a été adoptée comprend les mots "en pareilles circonstances", ce qui modifie la norme légale en exigeant qu'il soit tenu compte du contexte dans lequel une décision donnée a été prise. Le législateur n'a pas introduit un élément subjectif relatif à la compétence de l'administrateur, mais plutôt un élément contextuel dans la norme de diligence prévue par la loi. Il est clair que l'al. 122(1)b) est plus exigeant à l'égard des administrateurs et des dirigeants que la norme traditionnelle de diligence prévue par la common law et expliquée, par exemple, dans la décision Re City Equitable Fire Insurance, précitée. [[1925] 1 Ch. 407]

 

[12]        Il est important en l'espèce de préciser que, suivant les paragraphes 228(1) et (2) de la LTA, Rainsoft était tenue de produire des déclarations et de verser la taxe nette due relativement aux biens vendus et aux services fournis par elle, et ce, durant la période en litige, soit du 1er août 2005 au 31 janvier 2007. L'obligation de diligence prévue au paragraphe 323(3) de la LTA vise expressément à empêcher une société (en l’occurrence, Rainsoft) de manquer à l’obligation de verser la taxe nette, et l’administrateur (en l'occurrence, l'appelant) doit établir qu'il a agi avec le degré requis de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement. Il est donc clair que l'objectif visé par les dispositions de la LTA est de prévenir le non‑versement.

 

[13]        En l'espèce, et de l'aveu même de l'appelant, Rainsoft a omis de déclarer et de verser la taxe nette durant la période en cause. L’appelant est celui à qui, en sa qualité d'administrateur de Rainsoft, incombait la responsabilité de veiller à ce que ces choses se fassent et il le reconnaît. Rainsoft, avec le concours de l'appelant, a fait précisément ce que l'article 323 vise à éviter, soit qu'une société affecte les sommes dues à la Couronne à d'autres fins. Il devient donc impossible pour l'appelant, dans de telles circonstances, d'invoquer le moyen de défense prévu au paragraphe 323(3) de la LTA puisqu'il n'a fait aucun effort durant la période en cause pour éviter les manquements à l’obligation d’effectuer les versements.

 

[14]        Le moyen de défense de diligence invoqué par l'appelant du fait de la divulgation volontaire de Rainsoft et de sa démission de ses fonctions d'administrateur n'a rien à voir avec les obligations prévues dans la LTA. Ce n'est pas parce qu'il y a eu divulgation volontaire que la défense de diligence s'applique aux efforts de l'appelant pour s'assurer que l'engagement de paiement était respecté par Rainsoft. Il n'y a aucun lien entre une divulgation volontaire et la défense de diligence prévue au paragraphe 323(3) de la LTA.

 

[15]        Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

 

 

Signé ce 15e jour d'août 2012.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 249

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-540(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Daniel Roux c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 juillet 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 15 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

 

L’appelant lui-même

Avocat de l'intimée :

Me Éric Labbé

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                          

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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