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Dossier : 2010-1712(IT)G

 

ENTRE :

TAMMY COLBORNE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

________________________________________________________________

 

Appel entendu le 28 mai 2012, à Moncton (Nouveau‑Brunswick).

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelante :

L'appelante elle‑même

Avocat de l'intimée :

Me Marcel Prevost

________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu est accueilli et la cotisation est annulée conformément aux motifs du jugement ci‑joints. L'appelante a droit à ses dépens.

 

Signé ce 20e jour d'août 2012.

 

 

« François Angers »

Le juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de décembre 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


 

 

 

 

Référence : 2012 CCI 198

Date : 20120820

Dossier : 2010-1712(IT)G

 

ENTRE :

TAMMY COLBORNE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             Le 10 juin 2008, une cotisation de 84 499,89 $ a été établie à l'égard de l'appelante en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR ») et, le 24 février 2010, la cotisation a été ratifiée. La cotisation a été établie relativement à un transfert de biens qui ont été qualifiés de paiements comptant faits à l'appelante par la société 511432 NB Incorporated (ci‑après dénommée la « 511 ») du 1er janvier 2005 au 15 août 2006 (la « période »).

 

[2]             Durant cette période, l'appelante était une employée de la 511 à temps plein ou à temps partiel. Elle aidait le commis comptable et le comptable de la 511 et exerçait certaines fonctions de gestion. Elle vivait également, durant la période, en union de fait avec Ronald Poirier, qui était l'unique administrateur et actionnaire de la 511, une société qui exerçait ses activités dans le domaine des communications; plus précisément, la société faisait la vente de téléphones portables.

 

[3]             En 2004, la 511 éprouvait des difficultés financières et, pour augmenter ses revenus, elle avait acquis un « guichet bancaire générique », c'est‑à‑dire un guichet bancaire (le « guichet ») dont l'exploitation ne dépend pas des banques, qu'elle avait placé au motel Colonial Inn (ci‑après dénommé le « motel »), à Moncton, au Nouveau‑Brunswick.

 

[4]             Au cours de la période pertinente, la situation financière de la 511 ne s'était pas améliorée. La 511 était déjà fortement endettée envers sa banque et, afin de pouvoir payer ses salaires, elle avait ouvert un compte bancaire dans une autre banque, mais aucune ligne de crédit ne lui avait été accordée, sauf pour des montants négligeables.

 

[5]             Étant donné que la 511 n'avait pas accès au crédit, il lui était devenu difficile d'approvisionner suffisamment son guichet en argent comptant pour les clients qui l'utilisaient. La situation était encore plus difficile durant les fins de semaine, lorsque toutes les banques étaient fermées. Bien que la 511 eût une carte bancaire, elle ne pouvait retirer que de très petits montants et elle n'avait donc pas accès à de l'argent comptant pendant les fins de semaine.

 

[6]             L'appelante bénéficiait d'une autorisation de découvert de 2 000 $ sur son compte bancaire personnel. Ainsi, la 511 tirait un chèque payable à l'appelante que cette dernière pouvait déposer, et elle pouvait donc immédiatement retirer un montant allant jusqu'à 2 000 $. Elle déposait ensuite l'argent au guichet de la 511 pour qu'on puisse effectuer des retraits. Dans les 24 heures, l'argent retiré du guichet était automatiquement déposé à nouveau dans le compte bancaire de la 511 par un centre de traitement. Si les chèques payables à l'appelante étaient supérieurs à 2 000 $, celle‑ci ne retirait que 2 000 $; elle effectuait un autre retrait ultérieurement pour finalement couvrir tout le montant du chèque, de telle sorte que le montant total finissait par être versé au guichet et finalement déposé à nouveau dans le compte bancaire de la 511.

 

[7]             Durant la période en question, plus de 400 000 $ sont passés par le guichet et, de ce montant, 104 982,21 $ sont passés par le compte bancaire de l'appelante. De ce dernier montant, il a été déduit la paie nette de l'appelante pour la période, qui s'élevait à 20 482,32 $, le solde restant étant de 84 499,89 $, ce qui représente le montant de la cotisation.

 

[8]             La plupart des opérations effectuées par l'intermédiaire de l'appelante avaient pour but de couvrir les opérations de fin de semaine effectuées au guichet. Cela explique pourquoi, à certaines occasions, deux chèques aux montants identiques étaient tirés le même jour. Un autre dépôt pouvait être effectué durant la fin de semaine, s'il le fallait. Cela était nécessaire lorsqu'un congrès ou une autre activité était organisé au motel et qu'il y avait donc plus de retraits effectués que d'habitude. En fin de compte, tout l'argent retiré du guichet finissait par retourner dans le compte bancaire de la 511.

 

[9]             Selon l'appelante, les montants de tous les chèques que la 511 avait tirés à son nom durant la période et qu'elle avait touchés étaient versés à nouveau dans le compte de la 511 dans les 24 heures suivant le retrait effectué par un client. Le guichet était alimenté en argent comptant lorsque le personnel du motel appelait la 511 pour l'aviser que le guichet ne pouvait plus faire d'opérations.

 

[10]        L'explication ci‑dessus a été fournie à l'agent de recouvrement de l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») lors de conversations qu'il avait eues avec Ronald Poirier. L'agent de recouvrement a plus tard écrit à l'appelante pour lui demander d'autres documents. On lui a par la suite fourni le grand livre général de la 511, où figurent tous les dépôts effectués au compte de la 511 par l'intermédiaire du centre de traitement, y compris certains dépôts qui étaient identifiés par le numéro du chèque payable à l'appelante. Les relevés bancaires personnels de l'appelante n'ont pas été fournis à l'agent de recouvrement, quoique, à l'audience, l'appelante a déclaré qu'elle croyait les avoir fournis.

 

[11]        Les critères dont dépend le déclenchement de l'application du paragraphe 160(1) de la LIR ont été énoncés dans de nombreuses décisions de la Cour et dans de nombreux arrêts de la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt R. c. Livingston, 2008 CAF 89, le juge Sexton a fait les observations suivantes au paragraphe 17 :

 

1)         L'auteur du transfert doit être tenu de payer des impôts en vertu de la Loi au moment de ce transfert.

 

2)         Il doit y avoir eu transfert direct ou indirect de biens au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon.

 

3)         Le bénéficiaire du transfert doit être :

 

i.          soit l'époux ou conjoint de fait de l'auteur du transfert au moment de celui‑ci, ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

 

ii.         soit une personne qui était âgée de moins de 18 ans au moment du transfert;

 

iii.        soit une personne avec laquelle l'auteur du transfert avait un lien de dépendance.

 

4)         La juste valeur marchande des biens transférés doit excéder la juste valeur marchande de la contrepartie donnée par le bénéficiaire du transfert.

 

[12]        Il est intéressant, je crois, de citer aussi les paragraphes 18 et 19 de l'arrêt Livingston pour mieux comprendre l'application du paragraphe 160(1) de la LIR :

 

L'application de ces critères dépend dans une mesure particulièrement importante de l'objet du paragraphe 160(1). Dans l'arrêt Medland c. Canada, 98 D.T.C. 6358 (C.A.F.) (Medland), notre Cour a conclu que l'objet et l'esprit de ce paragraphe « consistent à empêcher un contribuable de transférer ses biens à son conjoint [ou encore à un mineur ou à une personne avec qui il a un lien de dépendance] afin de faire échec aux efforts déployés par le ministre pour percevoir l'argent qui lui est dû ». Voir aussi le paragraphe 10 de Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. no 1608 (C.A.) [QL] (Heavyside). De façon encore plus pertinente pour la présente espèce, la Cour canadienne de l'impôt a posé en principe qu'il serait contraire à l'objet du paragraphe 160(1) que l'auteur d'un transfert permette au bénéficiaire de celui‑ci d'utiliser les sommes transférées pour payer les dettes dudit auteur en favorisant des créanciers déterminés aux dépens de l'ARC; voir le paragraphe 19 de Raphael c. Canada, 2000 D.T.C. 2434.

 

Comme il sera expliqué plus loin, étant donné l'objet du paragraphe 160(1), l'intention de l'auteur et du bénéficiaire du transfert de frustrer l'ARC en tant que créancier peut se révéler pertinente pour l'examen du caractère suffisant ou non de la contrepartie. Cependant, je ne voudrais pas que l'on en conclue qu'il doive y avoir intention de frustrer l'ARC pour déclencher l'application du paragraphe 160(1). En effet, ce paragraphe peut s'appliquer au bénéficiaire d'un transfert qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal principal à éviter de payer ses impôts; voir le paragraphe 3 de Wannan c. Canada, 2003 CAF 423.

 

[13]        En l'espèce, aucune preuve n'a été produite pour contester le fait que l'auteur du transfert, à savoir la 511, était tenu de payer de l'impôt en vertu de la LIR au moment des transferts. L'appelante a également admis qu'elle vivait en union de fait avec l'unique administrateur et actionnaire de la 511, ce qui faisait d'eux des personnes liées en vertu de la LIR. Quant à la question de savoir s'il y avait eu un transfert réel de fonds, la Cour d'appel fédérale a clairement établi, dans l'arrêt Livingston, précité, que le dépôt de sommes sur le compte bancaire d'une autre personne constitue un transfert de biens. Voici la teneur des observations de la cour au paragraphe 21 de cet arrêt :

 

Le dépôt de sommes sur le compte bancaire d'une autre personne constitue un transfert de biens. Rappelons, pour lever toute ambiguïté, que le dépôt de sommes par Mme Davies sur le compte de l'intimée permettait à cette dernière de les en retirer n'importe quand. Le bien transféré était le droit d'exiger de la banque qu'elle remette à l'intimée la totalité des sommes déposées. La valeur de ce droit était la valeur totale desdites sommes.

 

[14]        Il ne fait donc aucun doute que le dépôt de chèques de la 511 sur le compte bancaire de l'appelante constituait un transfert de biens. Il reste donc à trancher la question de savoir si une contrepartie adéquate a été donnée au moment des transferts.

 

[15]        J'aimerais souligner le fait que l'appelante et Ronald Poirier ont tous deux témoigné avec franchise et que leur crédibilité n'est pas mise en cause en l'espèce. Je n'ai aucune raison de ne pas croire que l'unique but de toute l'opération était d'alimenter suffisamment le guichet de la 511 en argent comptant afin de satisfaire ses utilisateurs, et que les chèques tirés au nom de l'appelante durant la période l'avaient été à cette fin même. J'admets le témoignage de l'appelante selon lequel tout l'argent comptant provenant du dépôt des chèques tirés était déposé dans le guichet de la 511 et que ces fonds étaient versés à nouveau au compte bancaire de la 511 dans les 24 heures. La pièce A‑1 constitue un élément de preuve de ce mouvement de fonds dans le compte de la 511.

 

[16]        Il est vrai qu'il n'existe aucun document pour démontrer ou corroborer le dépôt réel de fonds dans le guichet, mais je n'ai aucune raison de ne pas croire l'explication de l'appelante et de Ronald Poirier selon laquelle l'objet de l'opération était de faire en sorte que la 511 ait suffisamment d'argent comptant pendant les fins de semaine pour alimenter le guichet. Étant donné que la 511 ne disposait pas de ligne de crédit, elle utilisait la ligne de crédit de l'appelante. Je n'ai pas non plus de raison de ne pas croire que tout l'argent provenant des dépôts était versé au guichet, et donc versé à nouveau dans le compte bancaire de la 511, et que les choses se passaient ainsi parce que la 511 avait épuisé la ligne de crédit qu'elle avait auprès de l'une de ses banques et qu'elle ne bénéficiait pas de ligne de crédit pour son nouveau compte à l'autre banque. Si l'argent provenant des chèques payables à l'appelante n'avait pas été versé à nouveau dans le compte bancaire de la 511, ce compte aurait fait l'objet d'un découvert substantiel. Compte tenu des difficultés financières de la 511, je ne crois pas que celle‑ci aurait autrement survécu durant toute la période. Pour exploiter un guichet, on n'a besoin que d'un montant minimal d'argent comptant dans le guichet, étant donné que c'est le même argent qui circule, par l'intermédiaire du centre de traitement, du guichet au compte du propriétaire du guichet et qui retourne encore au guichet. En l'espèce, le but de l'opération était de permettre à la 511 d'avoir accès à de l'argent comptant les fins de semaine, lorsqu'elle n'avait aucun autre moyen d'en obtenir. Je ne vois donc pas comment cette opération aurait pu produire 84 499,89 $, qui est le montant de la cotisation établie à l'égard de l'appelante, car il ne fait aucun doute qu'il s'agissait du même argent qui circulait.

 

[17]        Je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu'en l'espèce, un contrat valide existait entre l'appelante et la 511 en ce sens que l'argent transféré à l'appelante devait être utilisé uniquement dans l'intérêt de la 511, étant donné qu'il était déposé immédiatement ou dans un très court laps de temps au guichet de la 511. En déposant au guichet de la 511 le même montant que celui qu'elle avait reçu, l'appelante donnait à la 511 une contrepartie équivalente en valeur à celle du bien transféré; en d'autres termes, le même montant d'argent était à nouveau transféré à la 511. Par conséquent, l'appelante a donné une contrepartie complète pour les fonds transférés par la 511. Dans ces circonstances, je conclus que l'article 160 de la LIR ne s'applique pas. L'appel est accueilli et la cotisation est annulée. L'appelante a droit à ses dépens.

 

Signé ce 20e jour d'août 2012.

 

 

« François Angers »

Le juge Angers

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de décembre 2012.

 

 

 

Yves Bellefeuille, réviseur

 


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 198

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-1712(IT)G

 

INTITULÉ :                                      Tammy Colborne c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Moncton (Nouveau‑Brunswick)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 28 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 20 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelante :

 

L'appelante elle‑même

 

Pour l'intimée :

MMarcel Prevost

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

          Pour l'appelante :

         

                   Nom :        

                   Cabinet :

 

          Pour l'intimée :               Myles J. Kirvan

                                                 Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

 

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