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Dossier : 2011-1963(IT)I

 

ENTRE :

763993 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2011-2036(IT)I

ET ENTRE :

1069616 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appels entendus sur preuve commune le 21 août 2012 à Grande Prairie (Alberta).

 

Devant : L’honorable juge J.E. Hershfield

Comparutions :

Représentant des appelantes :

M. Terry Steinkey

 

Avocate de l’intimée :

Me Mary Softley

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté par la société 763993 Alberta Ltd. (la « 763 ») à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour l’année d’imposition 2006 est accueilli, sans dépens, et la nouvelle cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que la vente du bien dont l’adresse municipale est le 9301‑99 Street, à Grande Prairie, constituait la vente d’une immobilisation comme l’avait déclaré la société, et il demeure entendu que la nouvelle cotisation établie à l’égard de la 763 pour son année d’imposition 2006 est, à tous autres égards, confirmée.

 

L’appel interjeté par la société 1069616 Alberta Ltd. à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi pour l’année d’imposition 2007 est rejeté, sans dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30jour d’août 2012.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12jour d’octobre 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


 

 

Référence : 2012 CCI 308

Date : 20120830

Dossier : 2011-1963(IT)I

 

ENTRE :

763993 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée;

 

Dossier : 2011-2036(IT)I

ET ENTRE :

1069616 ALBERTA LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Hershfield

 

[1]     Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé la déduction de dépenses de 15 730 $ que la société appelante 1069616 Alberta Ltd. (la « 106 ») avait demandée à l’égard de son année d’imposition 2007. De même, le ministre a refusé la déduction de dépenses de 25 050 $ que la société appelante 763993 Alberta Ltd. (la « 763 ») avait demandée pour son année d’imposition 2006. La 763 et la 106 (les « sociétés ») ont chacune effectué des paiements au titre de ces dépenses (collectivement appelées les « dépenses en question ») à deux de leurs actionnaires respectifs. Les paiements effectués par la 106 qui comprenaient les dépenses en question ont été faits à Mme Steinkey et à M. Steinkey. Les paiements effectués par la 763 qui comprenaient les dépenses en question ont été faits à Mme Steinkey et à un autre membre de la famille. Les bénéficiaires des paiements sont collectivement appelés dans les présents motifs « les actionnaires bénéficiaires ».

 

[2]     Le ministre a également refusé que le gain découlant de la vente, par la 763, de certains terrains dont l’adresse municipale est le 9301‑99 Street, à Grande Prairie, soit assujetti à l’impôt à titre de gain en capital, au motif que ces terrains étaient un élément d’inventaire de la société.

 

[3]     Mme Steinkey a témoigné et il a été admis à l’audience que son témoignage serait considéré comme déterminant quant au traitement à réserver à toutes les dépenses en question.

 

[4]     Mme Steinkey était actionnaire et administratrice des sociétés et elle y jouait également le rôle d’agente administrative et de directrice. Elle recevait des sociétés un revenu d’emploi pour les services rendus.

 

[5]     En outre, une entente, désignée comme étant une entente privée (agent indépendant) a été conclue, laquelle prévoyait que les sociétés devaient effectuer des paiements à Mme Steinkey pour des montants et des services non précisés. Selon la teneur générale de l’entente, elles acceptaient que les paiements soient versés en « contrepartie » de connaissances, d’expérience et de disponibilité.

 

[6]     Le témoignage de Mme Steinkey consiste essentiellement dans le fait qu’en tant que particulier, elle pouvait offrir aux sociétés des services de sous‑traitance en vertu d’une telle entente privée sans aucune attente de profit.

 

[7]     En outre, il a été affirmé que Mme Steinkey avait le droit de fournir, et qu’elle avait fourni, des services de sous‑traitance aux sociétés en plus des services pour lesquels elle était rémunérée en tant qu’employée. Ces autres services comprenaient, par exemple, la promotion des activités de chacune des sociétés.

 

[8]     Compte tenu de l’absence de toute mention du droit de Mme Steinkey à un revenu pour les services de sous‑traitance et de son intention de ne tirer aucun profit de ces services, Mme Steinkey semble avoir considéré que les montants qu’elle avait reçus, à savoir les paiements faits par les sociétés concernant les dépenses en question, ne pouvaient pas constituer un revenu pour elle, mais qu’ils pouvaient tout de même être déductibles par la société. L’intimée soutient que les dépenses en question étaient des dépenses personnelles de Mme Steinkey à titre d’actionnaire.

 

[9]     En ce qui concerne l’établissement de la cotisation en fonction du fait que la vente de la parcelle de terrain en question avait généré un revenu ordinaire pour la 763, Mme Steinkey a témoigné que la parcelle avait été acquise pour être utilisée dans l’exercice des activités de la société. Avant son acquisition, la parcelle avait été utilisée comme lieu d’entreposage en vertu d’une entente avec son propriétaire pour le compte duquel la 106 exécutait des travaux de construction. La Couronne n’a soulevé aucune question quant au fait que cette utilisation antérieure à l’acquisition constituait, pour la 763, une utilisation dans l’exercice des activités de la société. Les terrains étaient bien situés pour l’entreposage des matériaux, des fournitures et de l’équipement des deux sociétés, à savoir la 106 et la 763. En tant qu’installation d’entreposage, la parcelle de terrain répondait aux besoins de plusieurs projets auxquels les sociétés participaient. Un travailleur au service d’une des sociétés a témoigné qu’il savait personnellement que la parcelle en question était utilisée pour l’entreposage aussi bien avant qu’après l’acquisition.

 

[10]   La position de l’intimée en ce qui concerne le fait que la parcelle en question est un élément d’inventaire est fondée, au moins en partie, sur la revente rapide du bien. L’acquisition du terrain en question n’a été réalisée que six mois avant sa disposition. En revanche, il y avait une preuve selon laquelle l’achat du terrain avait été en réalité conclu quelque 14 mois avant la disposition. Le délai de huit mois découlait du temps mis pour séparer ou subdiviser les parcelles qui seraient acquises de celles qui ne le seraient pas. En outre, comme cela a été mentionné, l’utilisation de la parcelle en question en tant que lieu d’entreposage n’a pas été interrompue entre le moment où cette utilisation a commencé (moment qui était bien avant son achat) et le moment où la parcelle a fait l’objet d’une disposition.

 

[11]   Revenons à la question de la déductibilité des dépenses en question. Je tiens à souligner que les sociétés effectuaient une très bonne tenue des livres comptables en ce qui concerne leurs dépenses. Lorsque des paiements étaient faits à l’un ou l’autre des actionnaires bénéficiaires, une écriture désignant la nature du paiement était passée dans le grand livre et une écriture de débit était portée soit au compte de prêt à l’actionnaire soit au compte d’attente. À la fin de l’exercice, les sommes figurant à de tels postes qui n’étaient pas incluses dans une catégorie de rémunération à l’égard des services de l’employé étaient utilisées pour compenser des montants dus pour des services de sous‑traitance et étaient traitées comme des dépenses déductibles dans la déclaration de revenus. Il n’y a pas eu de factures pour des services précis, bien que le montant total des dépenses en question pour la 763 ait été facturé à la fin de l’année [traduction] « pour solder le compte d’attente ». Aucun des paiements concernant les dépenses en question n’a été inclus dans le revenu des actionnaires bénéficiaires. Ces montants ont toutefois été considérés comme des avantages conférés à un actionnaire dans la cotisation établie.

 

[12]   Je signale également qu’en l’espèce, il a été produit à l’audience une répartition, tirée des livres comptables des sociétés, faisant état de la manière dont le paiement des dépenses en question a été effectué au moment où ces dépenses ont été faites et inscrites pour la première fois. Elles comprenaient, par exemple, le paiement des frais médicaux des actionnaires bénéficiaires et des dépenses liées à leur résidence personnelle.

 

[13]   À l’audience, les parties ont été informées du fait que les appels concernant la déduction des dépenses en question seraient rejetés, mais que l’appel interjeté par la 763 à l’égard du traitement des terrains en question en tant qu’élément d’inventaire serait accueilli.

 

[14]   Les motifs, brièvement présentés à l’audience, consistaient dans le fait qu’il s’agissait d’une tentative rusée et plutôt adroite pour éviter le paiement d’impôt sur la rémunération reçue pour des services rendus, ou, plus particulièrement, en l’espèce, pour éviter le paiement d’impôt sur une distribution des gains de la société aux actionnaires, et cette tentative ne pouvait tout simplement pas fonctionner. Les dépenses d’une société qui sont déductibles sont celles supportées pour gagner un revenu. De toute évidence, l’entente privée avait essentiellement pour but de faire en sorte que les sociétés n’aient aucune obligation légale de payer quelque montant que ce soit aux bénéficiaires pour les services rendus. Cela veut dire que les sociétés, en l’espèce, n’avaient aucune obligation de payer des services autres que ceux qu’il était convenu de payer à titre de rémunération pour les services rendus en tant qu’employé. En effet, je n’admets pas qu’il y a eu des services supplémentaires qui ont été rendus. Le témoignage de M. Steinkey sur ce point n’était pas crédible. Le paiement des dépenses en question était fait de façon discrétionnaire.

 

[15]   De même, je tiens à signaler que l’argument selon lequel les bénéficiaires n’avaient aucune intention de réaliser un profit n’était pas compatible avec leur intention manifeste de recevoir l’argent qu’ils ont effectivement reçu. Ils ont invoqué l’arrêt Stewart c. Canada[1] de la Cour suprême du Canada pour dire qu’il s’agissait d’une activité personnelle de leur part, qui ne représentait pas un revenu d’entreprise. En revanche, étant donné que les sociétés ont bénéficié de leurs services, il a été soutenu qu’elles avaient le droit de déduire la dépense.

 

[16]   Il ressort clairement de l’arrêt Stewart que l’intention de gagner un revenu n’est pas simplement un critère subjectif. Dans cette affaire, les affirmations subjectives selon lesquelles il n’y avait aucune intention d’obtenir une rétribution pour les services rendus, ne sont pas, objectivement, des affirmations très crédibles, mais tout de même, en l’espèce, je suis convaincu que les paiements des dépenses en question étaient des paiements entièrement discrétionnaires faits dans l’intérêt personnel de particuliers en leur qualité d’actionnaires. De tels paiements ne sont pas déductibles. La cotisation établie par l’Agence du revenu du Canada (l’ « ARC ») à l’égard de la société et des particuliers me semble tout à fait fondée.

 

[17]   De même, à l’audience, j’ai fait observer que dans des sociétés à actionnariat restreint comme en l’espèce, inévitablement, les situations comme celle qui nous occupe dans lesquelles il est question de paiements purement discrétionnaires demandent une conclusion selon laquelle le traitement de la dépense par la société doit correspondre au traitement du montant reçu dans les déclarations de revenus.

 

[18]   Finalement, j’admets la position de l’intimée fondée sur des principes bien reconnus qui n’autoriseraient pas la déduction de dépenses en l’absence de pièces justificatives pour étayer les écritures comptables. En l’espèce, l’absence de factures jugées acceptables pour des biens ou des services précis ou discernables pouvait, en soi, être fatale à une demande de déduction. Toutefois, en l’espèce, les cotisations n’ont pas été fondées sur l’absence de factures. Elles ont été fondées sur le fait que les dépenses étaient des dépenses personnelles des actionnaires. Je souscris à cette position, quoique, dans des cas comme l’espèce, l’absence de documents justificatifs faisant état d’une obligation de payer un montant précis pour un service précis, étant donné que le montant et le service sont des renseignements qui sont censés rester confidentiels en vertu d’une entente privée, semble compromettre la déduction de la dépense dès le début.

 

[19]   Par conséquent, pour tous les motifs exposés ci‑dessus, les appels concernant la déduction des dépenses en question sont rejetés.

 

[20]   En ce qui concerne le traitement du gain découlant de la vente de la parcelle en question en tant que gain en capital ou en tant que revenu attribuable à un élément d’inventaire, comme je l’ai mentionné à l’audience, l’appel doit être accueilli. Je suis convaincu, compte tenu de la preuve, que le bien a été acquis dans le but d’être utilisé dans l’exercice des activités de la société. Quoique la vente du bien soit liée à une opération de revente plutôt rapide qui soulève bel et bien des inquiétudes quant à l’intention des parties, je suis convaincu que le bien était destiné à un usage commercial et qu’il n’avait été vendu que par suite de la réception d’une offre exceptionnelle. Il n’y a aucune preuve d’un historique de vente et la preuve indépendante qui corrobore l’utilisation du bien emporte ma conviction quant au fait que l’appel doit être accueilli à l’égard de cette question.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 30jour d’août 2012.

 

 

« J.E. Hershfield »

Juge Hershfield

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 12jour d’octobre 2012.

 

Espérance Mabushi, M.A.Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 308

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :        2011-1963(IT)I; 2011-2036(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      763993 ALBERTA LTD c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE; ET ENTRE

                                                          1069616 ALBERTA LTD c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Grande Prairie (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 août 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge J.E. Hershfield

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 30 août 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant des appelantes :

 

M. Terry Steinkey

 

Avocate de l’intimée :

MMary Softley

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

      

             Nom :                                  

 

             Cabinet :                             

                                                         

       Pour l’intimée :                          Myles J. Kirvan

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 



[1] 2002 CSC 46.

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