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Dossier : 2012-312(IT)I

ENTRE :

Succession de Suzie Brousseau,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

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Appel entendu le 31 octobre 2012, à Shawinigan (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Représentant de l'appelante :

Guy Plourde

Avocate de l'intimée :

Me Marie-France Dompierre

 

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JUGEMENT

          L’appel de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2004 est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de novembre 2012.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


 

 

 

Référence : 2012 CCI 390

Date : 20121107

Dossier : 2012-312(IT)I

ENTRE :

Succession de Suzie Brousseau,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

La juge Lamarre

 

[1]             L’appelante en appelle d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) pour l’année d’imposition 2004.

 

[2]             En produisant sa déclaration de revenu pour cette même année, madame Suzie Brousseau (décédée le 6 octobre 2010) a déclaré une perte finale de 16 500 $ suite à la disposition d’un immeuble locatif, de type triplex. Cet immeuble a été vendu pour 40 000 $ et elle a établi le produit de base rajusté (PBR) à 56 500 $.

 

[3]             Madame Brousseau avait acquis ce triplex conjointement avec son frère, de leur père, le 20 décembre 1990.

 

[4]             Le prix payé par eux s’élevait à 20 000 $ plus des droits de mutation et des frais notariés afférents à la transaction de 670 $, alors que l’évaluation municipale était de 36 700 $.

 

[5]             La transaction prévoyait que le vendeur (le père) pouvait occuper un des logements pendant une période de neuf ans sans verser de loyer.

 

[6]             Madame Brousseau et son frère ont par la suite, en 1993 et 1994, effectué des dépenses de nature capitale totalisant 18 347 $.

 

[7]             Le 7 janvier 1998, madame Brousseau a racheté la part de son frère pour un montant de 21 416,45 $ et déboursé 1 409 $ pour les frais afférents à la transaction.

 

[8]             Suite à la disposition de l’immeuble en 2004, le ministre a révisé à la baisse le PBR de 56 500 $ établi par l’appelante pour le ramener à 42 333 $, selon le calcul suivant :

 

Coût d’acquisition en 1990                                           20 000 $

+ frais afférents                                                                   670 $

                                                                                     

Dépenses de nature capitale, en 1993 + 1994                18 347 $  

 

Total                                                                              39 017 $

 

Part indivise de l’appelante (1/2)                                   19 508,50 $

 

Plus

 

Coût d’acquisition de la part indivise du frère en 1998 21 416,45 $

+frais afférents                                                                 1 409 $      

 

Coût total pour l’appelante                                           42 333,95 $

 

[9]             Quant à l’appelante, elle aurait établi le PBR ainsi, selon les informations recueillies par le ministre et le représentant de l’appelante :

 

Juste valeur marchande (JVM)                                      40 000 $

au moment de l’acquisition

 

Plus

 

Dépenses de nature courante sur logement du père

(qui n’ont pu être déduites du revenu locatif)                16 500 $

 

Total                                                                              56 500 $

 

[10]        Le représentant de l’appelante indique que le montant de 16 500 $ représente la partie annuelle des taxes foncières, intérêts sur hypothèque et assurances, attribuable au logement du père, depuis la date de l’acquisition jusqu’à la disposition. Lors d’une vérification pour les années 1990 et 1991, ces dépenses ont été refusées comme dépenses d’exploitation locatives et il semblerait que la fonctionnaire de Revenu Canada Impôt (l’Agence du revenu du Canada à l’époque), aurait considéré cette portion des dépenses engagées en 1991 comme un montant capitalisable (voir 2e page de la pièce A-1).

 

[11]        En fait, il ressort de la preuve que le montant total de ces dépenses que l’appelante voulait inclure dans le calcul du PBR s’élève à 18 278 $ plutôt qu’à 16 500 $ (pièce A-2 et réponse à l’avis d’appel, paragraphe 6 k).

 

[12]        L’appelante invoque que l’intimé se doit d’inclure ce montant des dépenses dans le calcul du PBR puisque la fonctionnaire leur avait dit que ce montant était « capitalisable ».

 

[13]        La question en litige est donc le calcul du PBR.

 

[14]        Le PBR est défini à l’article 54 de la LIR :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

Article 54 : Définitions.

 

« Prix de base rajusté » — « prix de base rajusté » S’agissant du prix de base d’un bien quelconque pour un contribuable à un moment donné s’entend, sauf dispositions contraires :

 

a) lorsque le bien entre dans la catégorie des biens amortissables du contribuable, du coût en capital du bien, supporté par lui, à ce moment;

 

b) dans les autres cas, du coût du bien, pour le contribuable, rajusté à ce moment, conformément à l’article 53;

 

toutefois :

 

c) il demeure entendu que, lorsqu’un bien du contribuable (sauf une participation dans une entité intermédiaire, au sens du paragraphe 39.1(1), ou une action du capital-actions d’une telle entité, que le contribuable a acquise de nouveau pour la dernière fois par suite d’un choix fait selon le paragraphe 110.6(19)) est un bien qu’il a acquis de nouveau après en avoir disposé, le coût du bien pour lui, tel qu’il a été acquis de nouveau, ne peut faire l’objet du rajustement qui devait être fait à son égard en vertu de l’article 53 avant qu’il ne l’acquière de nouveau;

 

d) le prix de base rajusté d’un bien pour le contribuable à un moment donné ne peut, en aucun cas, être inférieur à zéro.

 

                                                                                               [Je souligne.]

 

[15]        Même si l’appelante n’a pas pris de déduction pour amortissement sur l’immeuble au cours des années, il s’agit tout de même d’un bien locatif qui entre dans la catégorie des biens amortissables (soit, un bien immeuble inclus dans la catégorie 1 de l’Annexe II du Règlement de l’impôt sur le revenu (Règlement), C.R.C., ch. 945) et paragraphe 1100(1) du Règlement). Le PBR de l’immeuble pour l’acquéreur est donc son coût en capital.

 

[16]        Le coût en capital n’est pas défini dans la LIR mais a été défini ainsi dans l’arrêt R. v. Stirling, [1985] 1 C.F. 342, (Cour d'appel fédérale), au paragraphe 3 :

 

3.   […] le mot « coût » qu’on trouve dans ces articles [l’ancien sous-alinéa 40(1)c)i) et l’article 54 de la LIR qui traitaient du calcul du gain en capital] signifie le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question.

 

[17]        Les dépenses de nature courante qu’on engage dans l’exploitation d’un immeuble locatif, dans le cadre d’une activité commerciale, sont déductibles en totalité comme dépenses d’exploitation dans l’année où elles sont engagées à l’encontre des revenus locatifs, aux termes du paragraphe 9(1) et de l’alinéa 18(1)a) de la LIR. Elles n’entrent pas dans le coût de la bâtisse.

 

[18]        Par opposition, une dépense de nature capitale, n’est pas déductible selon l’alinéa 18(1)b) de la LIR, mais s’ajoutera au coût en capital du bien et pourra être amortie sur plusieurs années selon le régime prévu à l’alinéa 20(1)a) de la LIR et du Règlement. C’est pourquoi l’on qualifie cette dépense de « capitalisable ». Ces dispositions se lisent comme suit :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

Sous-section b — Revenu ou perte provenant d’une entreprise ou d’un bien

 

Article 9 : Règles fondamentales

 

(1) Revenu — Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

 

[…]

 

Déductions

 

Article 18 : Exceptions d’ordre général.

 

(1)  Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles;

 

a)   Restriction générale — les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l’entreprise ou du bien;

 

b)   Dépenses ou perte en capital — une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie;

 

[…]

 

Article 20 : Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien.

 

(1)  Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

 

a)   Coût en capital des biens — la partie du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant au titre de ce coût ainsi supporté que le règlement autorise;

 

[19]        Une dépense courante peut être définie comme une dépense qui revient annuellement, ou régulièrement, et qui est reliée à l’exploitation de la bâtisse. Tel que mentionné plus haut, la LIR permet de la déduire en totalité des revenus, dans l’année pour laquelle elle a été engagée, dans la mesure où elle est raisonnable et qu’il ne s’agit pas d’une dépense personnelle. Dans le cas présent, l’appelante veut capitaliser (ou en d’autres termes inclure dans le coût de l’immeuble) des dépenses qui reviennent annuellement (taxes foncières, intérêts, assurances) qu’elle n’a pu déduire de ses revenus de location. Il est clair que ces dépenses, de par leur nature, ne sont pas capitalisables. D’autre part, elles n’auraient pas été déductibles puisqu’il s’agissait de dépenses personnelles, reliées à la portion de l’immeuble habitée par le père de l’appelante qui ne versait pas de loyer.

 

[20]        Par ailleurs, l’appelante ne pouvait pas retenir la juste valeur marchande du triplex au moment de son acquisition, comme étant le coût d’acquisition dans le calcul de son PBR.

 

[21]        L’appelante a acquis sa part indivise du triplex de son père en deçà de la juste valeur marchande. Cela a un impact sur le produit de disposition présumé du père, mais aucun impact sur le coût supporté par elle.

 

[22]        C’est l’article 69 de la LIR qui prévoit des ajustements au calcul du produit de disposition ou d’acquisition dans le cas de contreparties insuffisantes. L’article 69 se lit comme suit :

 

Loi de l’impôt sur le revenu

 

Article 69 : Contreparties insuffisantes.

 

(1) Sauf disposition contraire expresse de la présente loi :

 

a) le contribuable qui a acquis un bien auprès d’une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance pour une somme supérieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de son acquisition est réputé l’avoir acquis pour une somme égale à cette juste valeur marchande;

 

b) le contribuable qui a disposé d’un bien en faveur :

 

(i) soit d’une personne avec laquelle il avait un lien de dépendance sans contrepartie ou moyennant une contrepartie inférieure à la juste valeur marchande de ce bien au moment de la disposition,

 

(ii) soit d’une personne au moyen d’une donation entre vifs,

 

(iii) soit d’une fiducie par suite de la disposition d’un bien qui n’a pas pour effet de changer la propriété effective du bien;

 

est réputé avoir reçu par suite de la disposition une contrepartie égale à cette juste valeur marchande;

 

c) le contribuable qui acquiert un bien par donation, legs ou succession ou par suite d’une disposition qui n’a pas pour effet de changer la propriété effective du bien est réputé acquérir le bien à sa juste valeur marchande.

 

[23]        Ainsi, si l’acquéreur n’acquiert pas le bien par donation, legs, etc. mais l’acquiert pour une considération en deçà de la juste valeur marchande, c’est le prix réellement payé dont on tiendra compte dans le calcul de son PBR (voir notes David Sherman, sous l’article 69 dans l’édition Carswell de la LIR, 2012 – 6e édition).

 

[24]        Pour conclure, le PBR tel que calculé par l’appelante est définitivement erroné. Le calcul effectué par le ministre est le bon et c’est le montant que l’on doit retenir.

 

[25]        Quant à l’argument de l’appelante où elle soutient qu’elle a calculé le PBR en tenant compte de la position prise par la fonctionnaire de Revenu Canada lors de la vérification faite pour les années 1990 et 1991, je ne peux accepter cet argument. Selon le document déposé en preuve, sous la cote A-1, je constate que la portion des dépenses se rattachant au logement occupé par le père, n’a pas été acceptée comme dépense d’exploitation. Il s’agissait clairement de dépenses personnelles non déductibles (voir Stewart v. R., 2002 CarswellNat 1071, 2002 CSC 46, aux paragraphes 56 et 57).

 

[26]        Le fait que la fonctionnaire ait indiqué qu’il s’agissait d’un montant capitalisable, n’est aucunement fondé juridiquement pour les raisons indiquées plus haut. Notre cour n’est pas liée par des propos tenus par des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (ARC) ou de Revenu Canada à l’époque, si ces propos ne se justifient pas aux termes de la LIR. Notre cour a juridiction pour décider du bien-fondé d’une cotisation, et ne peut l’annuler parce qu’elle peut constituer un abus de procédure ou de pouvoir, comme tente de l’invoquer l’appelante (voir Roitman c. R., 2006 CarswellNat 3587, 2006 CAF 266 (Cour d'appel fédérale)).

 

[27]        Toutefois, je constate que l’appelante a fort probablement été induite en erreur par la mention « montant capitalisable » associée aux dépenses rattachées au logement du père dans le document déposé sous la cote A-1.

 

[28]        Il m’apparaît, et cela semble être également l’opinion de l’avocate de l’intimé, que ceci est un motif sérieux à considérer par l’ARC dans une demande de renonciation aux intérêts, que l’appelant peut lui présenter aux termes du paragraphe 220(3.1) de la LIR. Je souligne toutefois que cette demande doit être faite au ministre sur qui repose la discrétion d’accorder cette renonciation. Notre cour n’a aucune juridiction à cet égard.

 

[29]        Pour ces motifs, l’appel est rejeté.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de novembre 2012.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


RÉFÉRENCE :                                 2012 CCI 390

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-312(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Succession de Suzie Brousseau c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Shawinigan (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 31 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 7 novembre 2012

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l'appelante :

Guy Plourde

Avocate de l'intimée :

Me Marie-France Dompierre

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                          

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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