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Dossier : 2010-3142(GST)I

ENTRE :

RUPEE BASHIR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

 

Appel entendu le 15 octobre 2012, à Montréal (Québec).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocate de l’appelante :

Me Virginie Falardeau

Avocate de l’intimée :

Me Jocelyne Mailloux‑Martin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel interjeté à l’égard d’une cotisation établie le 17 septembre 2009 en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise et portant le numéro PM‑15440 est rejeté, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2013.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de février 2013.

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


 

 

 

Référence : 2013CCI6

Date : 20130109

Dossier : 2010-3142(GST)I

ENTRE :

RUPEE BASHIR,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard d’une cotisation établie à l’endroit de l’appelante le 17 septembre 2009 et ratifiée le 28 juillet 2010 pour un montant de 26 707,92 $, eu égard à divers biens que le mari de l’appelante, Bashir Munshi (le cédant), a transférés à celle‑ci. Cette cotisation a été établie en vertu de l’article 325 de la Loi sur la taxe d’accise (la « Loi ») compte tenu du fait que, au moment où les biens en cause ont été transférés, le cédant était responsable du paiement de la somme que l’appelante est maintenant tenue de verser aux termes de la cotisation, et que, du fait de ce transfert, l’appelante et le cédant sont devenus solidairement responsables du paiement de cette somme.

 

[2]             Il n’est pas contesté que, le 18 février 2008, le cédant a transféré les biens suivants (les « quatre biens ») à l’appelante :

 

1 -   un bien situé sur la rue Woodland, à Montréal;

2 -   un bien situé sur la rue Saint-Charles, à Montréal;

3 -   la moitié indivise d’un bien situé sur la rue Workman, à Montréal (l’appelante était propriétaire de l’autre moitié);

4 -   la moitié indivise d’un bien situé sur la rue Lionel‑Groulx, à Montréal (l’appelante était propriétaire de l’autre moitié).

 

[3]             Il n’est pas non plus contesté que la dette du cédant selon la Loi était incluse dans le montant établi dans la cotisation, qui représentait proportionnellement 18 % de sa dette totale, tant au regard des lois fiscales du Québec que de la Loi, soit une somme de 145 706,59 $.

 

[4]             Le cédant exploitait un restaurant à Montréal et était inscrit pour l’application de la partie IX de la Loi. Son entreprise a fait l’objet d’une vérification fiscale en juin 2007, laquelle a porté sur toutes les périodes de déclaration en 2004, en 2005 et en 2006. Il a été établi que, pour toutes les ventes au comptant de l’entreprise effectuées pendant les périodes visées par la vérification, la taxe sur les produits et services (« TPS ») et la taxe de vente du Québec (« TVQ ») n’avaient pas été versées. Les ventes au comptant ont été reconstituées et, pour résumer, le vérificateur et le cédant ont finalement convenu de régler l’affaire à l’amiable. Le 24 août 2007, une entente a été signée avec Revenu Québec au sujet de la somme due au titre de la TVQ, et le même jour, une autre entente a été signée à l’égard de la TPS. Une autre entente a été signée le 5 novembre 2007 au sujet de l’impôt sur le revenu des particuliers du cédant pour les années d’imposition 2005 et 2006. Aux termes de cette dernière entente, le ministère du Revenu du Québec devait établir une nouvelle cotisation à l’égard du cédant relativement à un revenu d’entreprise non déclaré de 273 646 $ pour les deux années d’imposition. Aux fins de la conclusion de toutes ces ententes, le cédant a été aidé par son comptable.

 

[5]             D’après les documents qui ont été présentés en preuve, l’appelante a épousé le cédant le 3 août 1995 à Brahmanbaria, au Bangladesh, sous le régime légal de la société d’acquêts, étant donné que le cédant était domicilié dans la province de Québec à l’époque. Ils ont deux enfants : un garçon, né en 1998, et une fille, née en 2004.

 

[6]             L’appelante a affirmé que son mariage avait commencé à battre de l’aile dès son arrivée au Canada avec le cédant, et que les choses avaient empiré après la naissance de leur fille en 2004. Ils se sont finalement séparés et ont signé un accord de séparation (l’« accord ») le 4 novembre 2007.

 

[7]             L’accord a été signé en présence d’un consultant, comptable de profession, dont le nom n’a pas été divulgué. Le témoin de la signature du cédant est le beau‑frère de celui‑ci et le témoin de la signature de l’appelante un ami du beau‑frère en question. D’après l’appelante, l’entente a été conclue en présence de membres de la communauté, comme le veulent leurs traditions.

 

[8]             Aux termes de l’entente, les époux ont tous deux renoncé à demander une pension alimentaire. Le cédant a convenu de transférer les quatre biens à titre de paiement forfaitaire de pension alimentaire pour enfant pour ses deux enfants et de renoncer à tous ses droits sur ces biens, sur leur résidence principale ainsi que sur un autre bien, dont l’appelante était propriétaire. L’appelante s’est vu accorder la garde des enfants et le cédant des droits de visite.

 

[9]             Le transfert des quatre biens a été effectué le 18 février 2008. Le 22 janvier 2008, soit entre la date de l’entente et la date du transfert, l’appelante a hypothéqué les quatre biens. L’appelante a signé un document relatif à l’hypothèque (acte d’hypothèque) pour chacun des biens, et, dans chaque document, l’appelante est désignée comme étant le seul [traduction] « débiteur hypothécaire ». Dans les quatre documents relatifs à l’hypothèque, le cédant est désigné comme un conjoint non propriétaire qui se joint à la [traduction] « débitrice hypothécaire » pour les besoins de ces documents, qui confirme que les déclarations de la débitrice hypothécaire relatives à son état matrimonial sont exactes et qui donne également son consentement aux hypothèques. Dans les quatre documents relatifs à l’hypothèque, la clause relative à l’état matrimonial est ainsi rédigée :

 

[traduction]

 

8.2 ÉTAT MATRIMONIAL

 

a) La débitrice hypothécaire, la dénommée Rupee BASHIR, déclare par la présente être unie par un premier mariage à Bashir MUNSHI sous le régime légal de la société d’acquêts en vertu des lois de la province de Québec, où l’époux était domicilié au moment de leur mariage, qui a été célébré à Brahmanbaria, au Bangladesh, le 3e jour d’août 1995, mariage à la suite duquel les époux sont retournés dans la province de Québec, où ils ont résidé de façon permanente jusqu’à ce jour, et que ni son état civil ni son régime matrimonial n’a été modifié ou n’est en voie de l’être. En outre, la dénommée Rupee BASHIR déclare par la présente que le bien hypothéqué ne tient pas lieu, et ne tiendra jamais lieu, de résidence familiale aux époux.

 

b) Le co‑propriétaire (s’il y a lieu) : (Sans objet).

 

[10]        En outre, la clause 6.8 des quatre documents relatifs à l’hypothèque, intitulée [traduction] « Déclarations », est ainsi rédigée :

 

[traduction]

 

6.8 DÉCLARATIONS

 

Vous [l’appelante] déclarez devant nous que :

 

a)      vous êtes la propriétaire absolue et incontestée de votre bien;

 

[...]

 

e) votre état matrimonial, s’il y a lieu, est celui dont il est fait état à l’article 8.2 de l’acte d’hypothèque;

 

f) si vous êtes mariée, aucun changement n’est intervenu dans votre état matrimonial depuis votre mariage et aucune entente n’existe entre vous et votre époux en vue de changer votre régime matrimonial ou votre contrat de mariage, et aucune demande visant l’approbation d’une telle entente, une séparation de biens, une séparation de corps, l’annulation du mariage ou le divorce n’est en suspens.

 

[11]        Ces actes d’hypothèque, tout comme l’acte de transfert daté du 18 février 2008, ont été signés devant Me Igor Pryszlak, notaire. Dans l’acte de transfert, l’adresse du cédant et de l’appelante est la même. Cet acte fait état des quatre biens et stipule que la contrepartie du transfert est la somme de 1 $ et autre contrepartie valable que le cédant reconnaît avoir reçue de la cessionnaire. Il n’y est pas fait mention d’un paiement forfaitaire tenant lieu de pension alimentaire pour enfant. Bien que l’appelante et le cédant aient été séparés depuis le 4 novembre 2007, l’acte de transfert contient encore une clause relative à l’état civil et au régime matrimonial qui est rédigée de la manière suivante :

 

[traduction]

 

ÉTAT CIVIL ET RÉGIME MATRIMONIAL

 

Les soussignés Bashir Miah MUNSHI, cédant, et Rupee BASHIR, cessionnaire, déclarent par la présente, nonobstant toute autre déclaration antérieure relative à d’anciens titres de propriété, être unis par un premier mariage sous le régime légal de la société d’acquêts en vertu des lois de la province de Québec, où l’époux était domicilié au moment de leur mariage, qui a été célébré à Brahmanbaria, au Bangladesh, le 3e jour d’août 1995, les époux étant ensuite retournés vivre dans la province de Québec, où ils ont résidé de façon permanente jusqu’à ce jour, et que ni leur état civil ni leur régime matrimonial n’a été modifié ni n’est en voie de l’être.

 

[12]        Quand on lui a demandé pourquoi le transfert avait eu lieu trois mois après la conclusion de l’accord de séparation, l’appelante a répondu qu’elle n’allait pas bien sur le plan psychologique à l’époque et qu’elle avait dû se rendre à la banque pour les hypothèques. Lors du contre‑interrogatoire, elle a affirmé qu’elle avait procédé au refinancement des biens pour être en mesure de rembourser la dette du cédant et que ce dernier aurait gardé l’argent à cette fin. L’appelante a été incapable d’expliquer pourquoi il était indiqué sur l’acte de transfert qu’elle et le cédant résidaient à la même adresse; elle a seulement pu dire que le cédant vivait avec sa sœur depuis novembre 2007. La preuve montre également que l’adresse figurant sur la correspondance que le cédant a reçue de Revenu Québec et de l’Agence du revenu du Canada après le 14 mai 2008 est bien celle de la sœur du cédant, et que dans un document compris dans cette correspondance, il est indiqué que son état matrimonial est [traduction] « séparé ». Le cédant a expliqué le décalage existant entre la date de l’accord et celle de l’acte de transfert par le fait qu’ils avaient dû prendre des dispositions relatives aux hypothèques. La seule explication qu’il a donnée au fait qu’il était indiqué sur l’acte de transfert que sa femme et lui résidaient à la même adresse était qu’il connaissait le notaire, et que bien qu’il soit fait état de la même adresse sur l’acte de transfert, il vivait en fait avec sa sœur depuis novembre 2007. L’appelante a déclaré qu’elle ne savait pas que le cédant avait fait l’objet d’une vérification fiscale, et le cédant a déclaré que, pendant la période en cause, il n’avait jamais parlé à sa femme de ses dettes fiscales.

 

[13]        Ni l’appelante ni le cédant n’ont entamé de procédure devant les tribunaux du Québec relativement à leur séparation ou à un divorce.

 

[14]        Le 10 juin 2009, l’appelante a acquis un autre bien dans la région de Montréal. Le cédant est intervenu dans cette transaction pour y consentir et confirmer la déclaration relative à l’état civil et au régime matrimonial, lesquels ont été décrits dans les mêmes termes que dans l’acte de transfert des quatre biens ainsi que dans les quatre documents relatifs à l’hypothèque susmentionnés. L’appelante a déclaré n’avoir jamais lu le document, ajoutant qu’elle avait compris que le cédant devait signer le document afin de confirmer le régime matrimonial. Pour sa part, le cédant a déclaré qu’il avait dû signer la convention d’achat parce que sa femme n’aurait pas été en mesure d’obtenir un prêt autrement. Il est intéressant de noter que, le lendemain, le cédant a fait une proposition à ses créanciers.

 

[15]        La sœur du cédant et le mari de celle‑ci ont tous deux témoigné que le cédant vivait avec eux depuis 2007.

 

[16]        Mme Estelle Darbouze était agente de recouvrement auprès de Revenu Québec. Elle a avisé l’appelante de son intention d’établir une cotisation à son égard par suite des transferts susmentionnés, et elle lui a demandé de lui fournir des éléments de preuve relatifs à sa séparation. L’appelante ne lui en a fourni aucun, et Mme Darbouze n’a vu l’accord pour la première fois que deux semaines avant le procès. L’agent des appels de Revenu Québec aussi n’a vu l’accord que deux semaines avant le procès. Dans l’avis d’opposition de l’appelante daté du 20 octobre 2009, il était fait mention de l’existence d’un accord écrit de séparation, mais aucune copie de cet accord n’a été jointe à l’avis ou envoyée à l’époque.

 

[17]        L’article 325 de la Loi est ainsi rédigé :

 

(1) Transfert entre personnes ayant un lien de dépendance – La personne qui transfère un bien, directement ou indirectement, par le biais d’une fiducie ou par tout autre moyen, à son époux ou conjoint de fait, ou à un particulier qui l’est devenu depuis, à un particulier de moins de 18 ans ou à une personne avec laquelle elle a un lien de dépendance, est solidairement tenue, avec le cessionnaire, de payer en application de la présente partie le moins élevé des montants suivants :

 

a) le résultat du calcul suivant :

A - B

où :

A         représente l’excédent éventuel de la juste valeur marchande du bien au moment du transfert sur la juste valeur marchande, à ce moment, de la contrepartie payée par le cessionnaire pour le transfert du bien,

 

B         l’excédent éventuel du montant de la cotisation établie à l’égard du cessionnaire en application du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement au bien sur la somme payée par le cédant relativement à ce montant;

 

b) le total des montants représentant chacun :

 

(i) le montant dont le cédant est redevable en vertu de la présente partie pour sa période de déclaration qui comprend le moment du transfert ou pour ses périodes de déclaration antérieures,

 

(ii) les intérêts ou les pénalités dont le cédant est redevable à ce moment.

 

Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien la responsabilité du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

 

(1.1) Juste valeur marchande d’un droit indivis – Pour l’application du présent article, la juste valeur marchande, à un moment donné, d’un droit indivis sur un bien, exprimé sous forme d’un droit proportionnel sur ce bien, est réputée être égale, sous réserve du paragraphe (4), à la proportion correspondante de la juste valeur marchande du bien à ce moment.

 

(2) Cotisation – Le ministre peut établir une cotisation à l’égard d’un cessionnaire pour un montant payable en application du présent article. Dès lors, les articles 296 à 311 s’appliquent, compte tenu des adaptations de circonstance.

 

(3) Règles applicables – Dans le cas où le cédant et le [cessionnaire] sont solidairement responsables de tout ou partie d’une obligation du cédant en vertu de la présente partie, les règles suivantes s’appliquent :

 

a) un paiement fait par le cessionnaire au titre de son obligation éteint d’autant l’obligation solidaire;

 

b) un paiement fait par le cédant au titre de son obligation n’éteint l’obligation du cessionnaire que dans la mesure où il sert à ramener l’obligation du cédant à un montant inférieur à celui dont le paragraphe (1) a rendu le cessionnaire solidairement responsable.

 

(4) Transferts à l’époux ou au conjoint de fait – Malgré le paragraphe (1), dans le cas où un particulier transfère un bien à son époux ou conjoint de fait – dont il vit séparé au moment du transfert pour cause d’échec du mariage ou de l’union de fait au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu – en vertu d’un décret, d’une ordonnance ou d’un jugement rendu par un tribunal compétent ou en vertu d’un accord écrit de séparation, la juste valeur marchande du bien au moment du transfert est réputée nulle pour l’application de l’alinéa (1)a). Toutefois, le présent paragraphe ne limite en rien l’obligation du cédant découlant d’une autre disposition de la présente partie.

 

[…]

 

[18]        L’avocate de l’appelante affirme que le paragraphe 325(4) de la Loi s’applique en l’espèce : le transfert des quatre biens a été effectué en vertu d’un accord écrit de séparation, et l’appelante et le cédant (le mari) vivaient séparés au moment du transfert pour cause d’échec de leur mariage. À titre subsidiaire, l’avocate de l’appelante soutient que sa cliente a donné une contrepartie, en ce sens qu’elle a renoncé à son droit à une pension alimentaire pour ses enfants, qui étaient alors âgés de quatre et dix ans. Bien que ce fait n’ait pas été établi par la preuve, l’avocate de l’appelante affirme qu’une pension alimentaire pour les deux enfants s’élèverait à 25 000 $ par année, ce qui représente une contrepartie suffisante pour le transfert.

 

[19]        L’avocate de l’intimée remet en question le moment où l’accord de séparation a été conclu, vu que cet accord a été signé la veille du jour où le cédant a signé une entente avec Revenu Québec relativement à son impôt sur le revenu des particuliers et un peu plus de deux mois après qu’il a signé une autre entente avec Revenu Québec concernant la TPS qu’il devait. L’avocate de l’intimée ajoute qu’il n’est fait aucune mention de la séparation dans l’acte de transfert des quatre biens et qu’on peut y lire que l’appelante et le cédant résidaient à la même adresse plus de trois mois après la date à laquelle ils affirment s’être séparés. À titre d’argument subsidiaire, l’avocate de l’intimée fait valoir que la seule exception à l’application de l’article 325 est celle qui est prévue au paragraphe 325(4) de la Loi, et cette exception s’applique à tous les paiements effectués au titre de la pension alimentaire pour enfant. Pour se soustraire à l’application de l’article 325 de la Loi, il faut donc satisfaire aux exigences du paragraphe 325(4); par conséquent, la question de la contrepartie donnée et de la juste valeur marchande des biens qui ont fait l’objet du transfert n’est plus pertinente.

 

[20]        Il ne fait aucun doute que les faits de l’espèce laissent beaucoup de questions sans réponse. De nombreux faits et situations qui ont été évoqués soulèvent des doutes, particulièrement en ce qui a trait à la chronologie des évènements et aux raisons données pour expliquer les gestes qui ont été posés. Il me semble étrange que le cédant n’ait jamais parlé à sa femme de ses problèmes fiscaux avant que les transferts aient lieu. Il me semble aussi étrange que l’appelante n’ait jamais été avisée du fait que le restaurant de son mari faisait l’objet d’une vérification fiscale. Elle a pourtant déclaré avoir hypothéqué les quatre biens en janvier 2008 en vue de payer les dettes de son mari. Elle n’a pas précisé de quelles dettes il s’agissait et je suppose qu’on pourrait conclure que ces dettes n’incluaient pas la dette fiscale, considérant qu’aucun remboursement de cette dette fiscale n’a été effectué. Nous ne savons pas quelles dettes devaient être remboursées. Nous ne savons pas comment l’appelante a pu hypothéquer les quatre biens le 22 janvier 2008 alors que, dans les faits, elle n’en est devenue propriétaire que le 18 février 2008, près d’un mois plus tard.

 

[21]        Les avances de fonds consenties aux termes des quatre hypothèques s’élevaient à un million deux cent quatre-vingt-dix mille dollars. Dans une lettre datée du 31 juillet 2009 adressée à Revenu Québec par la Banque Royale du Canada, le solde dû sur les hypothèques détenues par la banque sur les quatre biens en question est calculé au 21 janvier 2008, soit un jour avant les hypothèques du 22 janvier 2008, et au 18 février 2008, soit le jour du transfert. Les sommes inscrites comme étant dues sont essentiellement les mêmes pour les deux dates, sauf dans le cas du bien de la rue Woodland, pour lequel il est fait état d’un nouveau solde de 134 090,61 $ le 18 février 2008, alors qu’il n’est fait état d’aucun solde au 21 janvier 2008. La lettre précise également qu’il s’agit de prêts hypothécaires conjoints, alors que, selon les quatre documents relatifs à l’hypothèque qui ont été produits en preuve, l’appelante est la débitrice hypothécaire. Je reproduis ci‑dessous, sans les numéros de compte, les informations dont il était fait état dans la lettre du 31 juillet 2009 :

 

Renseignements sur le compte :

 

Description

Propriété

No de compte

Solde

 

 

 

21/01/2008

18/02/2008

Hypothèque conjointe

Workman

XXXXXX

150 976,13 $

150 599,84 $

Hypothèque conjointe

Woodland

XXXXXX

s.o.

134 090,61 $

Hypothèque conjointe

St-Charles

XXXXXX

76 906,41 $

76 500,46 $

Hypothèque conjointe

Lionel-Groulx

XXXXXX

205 868,50 $

204 909,39 $

 

[22]        La preuve qui a été produite ne me permet pas de comprendre comment le solde impayé sur quatre hypothèques s’élevant à plus d’un million de dollars en janvier 2008 peut être identique un mois plus tard, exception faite du bien de la rue Woodland, au solde précédant la signature de ces quatre hypothèques.

 

[23]        L’autre incohérence relative à ces quatre hypothèques a trait au fait que l’appelante a déclaré avoir hypothéqué les quatre biens en vue de permettre au cédant de payer ses dettes, alors que l’entente établit que les transferts sont effectués à titre de pension alimentaire pour enfant. Il me semble que la somme pour laquelle ces biens ont été hypothéqués laisse peu de place à une pension alimentaire pour enfant, en ce sens que le revenu tiré des loyers servirait nécessairement au remboursement des hypothèques, et que, dans le cas où les biens seraient vendus, la valeur nette des quatre biens serait presque nulle si on compare le montant des hypothèques à la valeur des biens calculée pour l’établissement de l’impôt foncier.

 

[24]        Le paragraphe 325(4) de la Loi établit clairement que le transfert doit être effectué en vertu d’un accord écrit de séparation. En l’espèce, il n’y a aucune explication apparente au fait que le transfert a été effectué le 18 février 2008, en dehors du fait qu’on visait à hypothéquer les quatre biens, et l’acte de transfert ne mentionne pas l’existence d’un accord de séparation. En fait, non seulement l’acte de transfert ne mentionne ni l’accord ni la séparation présumée, mais il ne mentionne nulle part que la contrepartie de 1 $ et autre contrepartie valable est versée au titre de la pension alimentaire pour enfant.

 

[25]        Dans l’acte de transfert du 18 février 2008, on peut voir que l’adresse du cédant est la même que celle de l’appelante, et l’explication que le cédant a donnée à ce sujet est qu’il connaissait le notaire. Je n’accorde pas plus de crédit à cette explication qu’aux raisons données pour expliquer pourquoi le transfert des quatre biens ne s’est fait que trois mois après la séparation. La même soi-disant erreur relative aux adresses apparaît aussi dans les quatre documents relatifs aux hypothèques, à la page 19, où il est précisé que le conjoint de la débitrice hypothécaire vit [traduction] « à la même adresse », ainsi que dans la convention d’achat d’un autre bien que l’appelante a signé le 10 juin 2009, dans lequel il est précisé que son mari, qui est intervenu dans la transaction, vit [traduction] « à la même adresse ».

 

[26]        Aucun de ces documents ne mentionne le fait que l’appelante est séparée de son mari. En fait, l’acte de transfert ne mentionne même pas la contrepartie dont il est question dans l’accord de séparation. Il fait plutôt état du fait que la contrepartie s’élève à 1 $ et autre contrepartie valable. Les clauses relatives à l’état civil et au régime matrimonial ou les clauses relatives à l’état matrimonial contenues dans tous les documents susmentionnés établissent que ni l’état civil ni le régime matrimonial des époux n’a été modifié, pas plus qu’ils ne sont en voie de l’être. Je peux comprendre qu’une telle affirmation ait été faite en ce qui a trait à leur régime matrimonial, mais pas en ce qui concerne leur état civil, même s’ils sont toujours mariés aux yeux de la loi.

 

[27]        Il n’est vraiment pas logique de ne trouver aucune mention de l’accord ou de la séparation présumée dans les documents, pas plus qu’une mention du fait que l’acte de transfert a été exécuté en vertu de l’accord. La déclaration contenue dans l’acte de transfert selon laquelle l’appelante et son mari résidaient à la même adresse ne doit pas être prise à la légère, et comme le défunt juge Dussault l’a déclaré dans la décision Yeramiyan c. Canada, [1997] A.C.I. n1393 (QL), au paragraphe 20 :

 

Les déclarations des parties dans un tel acte [notarié] – qui est authentique de par sa nature même – ne doivent pas être prises à la légère.

 

[28]        Il me semble que le notaire qui a rédigé à la fois les actes de transfert et les quatre documents relatifs aux hypothèques aurait pu jeter quelque lumière sur la situation de l’appelante et de son mari ainsi que sur l’état de leurs affaires. Le fait que le cédant n’ait pas été cité à comparaître m’amène à conclure que son témoignage n’aurait pas été favorable à l’appelante.

 

[29]        Il est également étrange que l’appelante et le cédant aient signé leur accord de séparation juste un jour avant que ce dernier conclue une entente avec Revenu Québec au sujet de sa dette au titre de l’impôt sur le revenu des particuliers.

 

[30]        Au vu de l’ensemble de la preuve et de ses nombreuses incohérences, je conclus également que le témoignage de la sœur du cédant et celui du mari de celle‑ci contredisent la preuve documentaire et soulèvent d’autres questions restées sans réponse; je ne peux donc accorder aucun poids à leur témoignage.

 

[31]        Afin de se décharger du fardeau de la preuve, l’appelante doit convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que nous sommes en présence d’une des exceptions prévues au paragraphe 325(4) de la Loi. Je ne suis pas convaincu que la preuve qui a été produite me permet de conclure que, quand le transfert a été effectué ou quand l’accord a été signé, le mariage avait pris fin en ce sens que l’appelante et le cédant vivaient séparés, pas plus que je ne puis conclure que l’acte de transfert était une prolongation logique de l’accord.

 

[32]        En ce qui concerne l’argument subsidiaire avancé par l’avocate de l’appelante selon lequel une contrepartie valable aurait été versée, je conclus que les faits de l’espèce ne vont pas dans le sens d’un tel argument, étant donné que la seule exception à l’application de l’article 325 est celle qui est prévue au paragraphe 325(4) de la Loi (voir l’arrêt Yates c. Canada, 2009 CAF 50).

 

[33]        L’appel est rejeté, avec dépens.

 

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2013.

 

« François Angers »

Juge Angers

 

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de février 2013.

 

Alya Kaddour‑Lord, traductrice


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 6

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :   2010-3142(GST)I

 

INTITULÉ :                                      Rupee Bashir c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 9 janvier 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l’appelante :

 

Me Virginie Falardeau

Avocate de l’intimée :

Me Jocelyne Mailloux‑Martin

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

               Nom :                                Virginie Falardeau

               Cabinet :                            Starnino Mostovac

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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