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Dossier : 2011-1950(GST)I

ENTRE :

9088-2945 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

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Appel entendu le 11 janvier 2013, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Edouard Robert

Avocat de l'intimée :

Me Pier-Olivier Julien

 

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JUGEMENT

        L’appel des cotisations établies relativement à la taxe sur les produits et services en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, pour des périodes allant du  1er mars 2005 au 31 août 2008, est accueilli en partie et les cotisations en litige seront renvoyées au ministre pour supprimer les pénalités, selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2013.

 

 

 

« B.Paris »

Juge Paris

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI  58

Date : 20130209 

Dossier : 2011-1950(GST)I

ENTRE :

9088-2945 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]             Il s’agit d’un appel selon la procédure informelle d’une série de cotisations établies en vertu de la Loi sur la taxe d’accise pour des périodes allant du 1er mars 2005 au 31 août 2008. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé à l’appelante des crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») de 7 790,21 $. Le ministre a aussi imposé des pénalités pour faute lourde en vertu de l’article 285 de la Loi.

 

[2]             En établissant les cotisations, le ministre a supposé que certains services pour lesquels l’appelante avait réclamé des CTI n’avaient pas été réellement fournis à l’appelante ou, s’ils avaient été fournis, qu’ils n’avaient pas été fournis par les sociétés apparaissant sur les factures remises à l’appelante. En bref, le ministre a supposé que les factures étaient des factures de complaisance faisant partie d’un stratagème d’évasion fiscale.

 

[3]             L’appelante exploite une entreprise de construction résidentielle à Sorel, au Québec. Selon monsieur Jean Cournoyer, administrateur de l’appelante, qui a témoigné à l’audition, son chiffre d’affaires annuel se situe entre 10 000 000 $ et 15 000 000 $.

 

[4]             En 2005, l’appelante cherchait un poseur de gypse pour travailler à un de ses projets. Monsieur Cournoyer a demandé à des connaissances dans le domaine s’ils pouvaient lui recommander quelqu’un. On lui a donné le nom de Yves Séguin, qui aurait travaillé pour au moins deux entreprises connues de monsieur Cournoyer.

 

[5]             En mars 2005, l’appelante a engagé la société de monsieur Séguin, Gypses et Joints P.D.M. (9123‑1704 Québec inc.). Monsieur Cournoyer s’est dit satisfait du travail de monsieur Séguin et son équipe, et a continué à engager cette société pour d’autres projets durant les mois suivants. Après un temps, monsieur Séguin a avisé monsieur Cournoyer qu’il utiliserait une autre société pour facturer le travail, prétextant qu’il était sur le point de se divorcer et qu’il voulait changer de société. Monsieur Séguin a affirmé que cette nouvelle société, Systèmes intérieurs Rocky inc., lui appartenait également.

 

[6]             Pendant à peu près trois ans et demi, de façon consécutive, monsieur Séguin s’est servi de cinq noms de sociétés différents pour facturer ses services. Selon monsieur Cournoyer, monsieur Séguin semblait avoir souvent des problèmes personnels qui le menaient à utiliser ces nouvelles sociétés et il avait toujours des explications plausibles pour ces changements. Monsieur Cournoyer a donné comme exemple que monsieur Séguin devait former une nouvelle société avec un associé parce qu’il manquait d’argent pour continuer à exploiter sa propre société.

 

[7]             Monsieur Cournoyer a souligné que la contrôleure de l’appelante, Sonia Leroux, vérifiait chaque fois auprès du ministre du Revenu national et auprès du ministre du Revenu du Québec (« MRQ ») que les numéros d’enregistrement donnés par monsieur Séguin pour ses sociétés étaient valides.

 

[8]             Il semble pourtant que les cinq sociétés qui ont facturé l’appelante n’appartenaient pas à monsieur Séguin et qu’il n’en était administrateur ou actionnaire d’aucune. Ce fait n’a pas été contesté par l’appelante, et monsieur Séguin n’a pas témoigné. L’appelante n’a pas présenté d’autre preuve non plus pour démontrer que monsieur Séguin avait un intérêt quelconque dans les cinq sociétés en question ou qu’il était lié de quelque façon que ce soit à ces sociétés.

 

[9]             J’en conclus que les affirmations de monsieur Séguin à monsieur Cournoyer que ces sociétés lui appartenaient étaient clairement fausses et que les sociétés dont les noms et les numéros d’enregistrement apparaissent sur les factures données à l’appelante par monsieur Séguin n’ont fourni aucun service à l’appelante.

 

[10]        Il est également clair du témoignage du vérificateur du MRQ, monsieur Guy Leclerc, que les cinq sociétés en question n’ont jamais remis de TPS ou de TVQ au fisc et n’ont jamais produit de déclaration de revenus. Monsieur Leclerc a aussi constaté que tous les chèques émis par l’appelante à ces sociétés ont été encaissés à des services d’encaissement de chèques.

 

[11]        L’avocat de l’intimée soutient que l’appelante n’a pas prouvé que monsieur Séguin ait lui‑même fourni des services à l’appelante et que toutes les factures en question étaient des factures de complaisance.

 

[12]        Pourtant, le témoignage de monsieur Cournoyer me convainc que monsieur Séguin et son équipe ont effectué tout le travail indiqué dans les factures. Monsieur Cournoyer m’a paru très crédible et sa crédibilité n’a pas été contestée par l’avocat de l’intimée. Rien n’a suggéré que l’appelante ou ses actionnaires aient reçu une part des paiements faits aux cinq sociétés, ou qu’ils aient profité de quelque manière que ce soit de ce stratagème. J’accepte que l’appelante était une victime et non pas une participante à ce stratagème. À mon avis, il n’est pas plausible qu’une société avec un chiffre d’affaires de 10 000 000 $ à 15 000 000 $ par année, et qui n’a jamais eu de problème avec les autorités fiscales, participe volontairement à une arnaque de 10 000 $ étalée sur une période de trois ans.

 

[13]        L’avocat de l’appelante prétend que si j’accepte que le travail avait réellement été fait, l’appelante devrait avoir droit aux CTI en question.

 

[14]        Malheureusement, à la lumière de la jurisprudence récente de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale, je ne peux accepter cet argument.

 

[15]        Dans la décision récente Comtronic Computer Inc. [1], où les faits étaient très semblables à ceux en l’espèce, le juge Boyle de cette Cour a décidé qu’il était obligatoire que le numéro d’inscription de TPS qui apparaît sur les factures soit celui attribué au fournisseur des services. Aux paragraphes 24 et suivants, il dit :

 

[24]      Le paragraphe 169(4) énonce clairement qu'un inscrit ne peut demander un CTI que s'il obtient les renseignements visés par règlement. L'article 3 du Règlement dit clairement que les renseignements visés par règlement doivent comprendre le nom ou le nom commercial du fournisseur et le numéro d'inscription attribué au fournisseur.

 

[25]      Dans l'arrêt Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, 2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74, la Cour d'appel fédérale a eu l'occasion de se pencher sur cette même question dans un cas où une demande de CTI avait été faite dans des circonstances malheureuses, semblables à celles en l'espèce, où, pour diverses raisons, les fournisseurs n'avaient pas de numéro d'inscription aux fins de la TPS valide. La Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit :

 

4 Nous sommes d'avis que la Loi exige que les personnes ayant versé des sommes au titre de la TPS à des fournisseurs veillent à fournir des numéros d'inscription des fournisseurs valides lorsqu'elles demandent un crédit de taxe sur les intrants.

 

[Je souligne.]

 

[26]      Compte tenu du libellé de l'alinéa 169(4)a), ainsi que des motifs du jugement du juge Archambault de la Cour de l'impôt (2006 CCI 277, [2006] G.S.T.C. 120), qui avait siégé en première instance, motifs auxquels la Cour d'appel fédérale a souscrit, j'estime qu'en parlant de "numéros d'inscription des fournisseurs valides", la Cour d'appel a voulu dire des numéros d'inscription aux fins de la TPS qui avaient été valablement attribués à ces fournisseurs.

 

[16]        Je suis d’accord avec le juge Boyle que le numéro de TPS qui apparaît sur une facture doit être valablement attribué à ce fournisseur afin de donner droit à un CTI. Par conséquent, l’appelante n’a pas droit aux CTI demandés. Le juge Boyle a reconnu que cette exigence pouvait mener à des injustices, mais que la question de l’injustice devait être examiné par le législateur et non pas la Cour.

 

[29]      […] Je dois toutefois souligner que (comme l'a fait remarquer mon collègue le juge Archambault, qui a statué sur l'affaire Systematix en première instance) cette approche stricte est une source potentielle d'injustice pour l'acheteur qui paye la TPS de bonne foi. Elle a pour conséquence que les entreprises canadiennes doivent supporter le risque lié à la fraude, au vol d'identité et aux actes illicites, et les oblige dans les faits à mettre en place des mesures de gestion du risque dans leurs relations tant avec leurs nouveaux fournisseurs qu'avec leurs fournisseurs existants de manière à déterminer quels renseignements fournis par les fournisseurs peuvent nécessiter qu'elles fassent des recherches plus approfondies. Un tel résultat peut s'avérer sévère et injuste, mais il est loisible au législateur fédéral d'instaurer un tel régime et je suis tenu d'appliquer les dispositions législatives telles qu'elles ont déjà été interprétées par la Cour d'appel fédérale.

 

[17]        La deuxième question en litige est de savoir si le ministre avait raison d’imposer une pénalité en vertu de l’article 285 de la Loi. Cet article s’applique lorsqu’une personne « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse ».

 

[18]        Le fardeau de la preuve à l’égard de la pénalité incombe à l’intimée. À mon avis, elle ne s’est pas déchargée de son fardeau. D’abord, la preuve me convainc, comme je l’ai déjà dit, que l’appelante était victime d’un stratagème perpétré par monsieur Séguin et d’autres individus inconnus. La preuve démontre aussi que la contrôleure de l’appelante a vérifié chacun des numéros d’enregistrement fournis par monsieur Séguin, et s’est assurée que tous étaient valides. Dans les circonstances, puisque les personnes qui ont recommandé monsieur Séguin étaient des personnes que monsieur Cournoyer connaissait et qui avaient elles-mêmes engagé monsieur Séguin sans problème, je ne crois pas que l’appelante devait faire plus pour établir un lien entre monsieur Séguin et les sociétés dont il se servait pour facturer ses services. Dans ces circonstances, je ne peux conclure que le comportement de l’appelante démontre une indifférence au respect de la Loi qui entraînerait les pénalités pour faute lourde (voir Venne c. La Reine[2]). Il est vrai que le fait que monsieur Séguin se soit servi de cinq sociétés de suite aurait pu éveiller les soupçons, et monsieur Cournoyer a admis qu’il commençait à poser plus de questions à monsieur Séguin à cet égard. Mais il a aussi dit que les motifs fournis par monsieur Séguin étaient toujours plausibles. Ce témoignage n’a pas été contredit.

 

[19]        Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli en partie et les cotisations en litige seront renvoyées au ministre pour supprimer les pénalités.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de février 2013.

 

 

 

« B.Paris »

Juge Paris


 

 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 58

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1950(GST)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9088-2945 QUÉBEC INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 11 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 19 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Edouard Robert

Avocat de l'intimée :

Me Pier-Olivier Julien

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                           Me Edouard Robert

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 



[1]           2010 CCI 55.

[2]           84 D.T.C. 6247, par. 37.

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