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Dossier : 2011-3663(EI)

ENTRE :

GUY CHARBONNEAU,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

DIDIER GIRARD,

intervenant.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 7 février 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable Jean-Louis Batiot, Juge suppléant

 

Comparutions :

 

Avocate de l'appelant :

Me France Charbonneau

Avocate de l'intimé :

Me Marie-France Camiré

Pour l'intervenant:

L'intervenant lui-même

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JUGEMENT

          L'appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance‑emploi (la « Loi») est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national en date du 9 septembre 2011, en vertu de l'article 91 de la Loi, est confirmée en tenant pour acquis que l'appelant n'occupait pas un emploi assurable durant la période du 1er janvier au 18 août 2010, en vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi.

 

Signé à Annapolis Royal, Nouvelle Écosse, ce 21e jour de février 2013.

 

« J.-L. Batiot »

Juge suppléant Batiot


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 55

Date : 20130221

Dossier : 2011-3663(EI)

ENTRE :

GUY CHARBONNEAU,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

 

DIDIER GIRARD,

intervenant.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

Le juge suppléant Batiot

[1]             L’appelant, Guy Charbonneau, interjette appel d’une décision de l’Agence du revenu du Canada (l'« ARC »). L’intimé avait infirmé sa décision après avoir considéré tous les faits pertinents, y compris les représentations de M. Didier Girard, le payeur et intervenant. L’appelant prétend qu’il était admissible à l’assurance-emploi alors qu’il travaillait avec le payeur; l’intimé l’a déclaré non admissible.

 

LE CONTRAT

 

[2]             Se connaissant déjà depuis plusieurs années, l’appelant approche le payeur, ébéniste de son état, et ils discutent des possibilités de travailler ensemble. L’appelant avait eu, il y a 20 ans, une certaine expérience dans ce métier. Ils s’entendent sur les points suivants :

 

-       L’appelant viendra travailler dans l’atelier du payeur et se servira des outils qui s’y trouvent;

-       L’appelant présentera ses factures pour le travail fait;

-       L’appelant conservera son indépendance et travaillera à ses heures;

-       Le payeur lui montrera le travail à faire et payera les factures qui lui seront présentées.

 

LE CONTEXTE LÉGAL

 

[3]             L’appelant et le payeur s’étaient-ils donc engagés dans un contrat de service (employé) ou un contrat d’entreprise (travailleur autonome)?

 

[4]             Cette question doit être résolue, au Québec, en tenant compte du Code civil du Québec, LRQ, c.C‑1991 (« C.c.Q. ») (voir Garneau c. M.R.N., 2006 CCI 160), un droit complémentaire à la common law sur ce sujet (Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R., 87 D.T.C. 5025); Grimard c. Canada, 2009 CAF 47). Les articles du C.c.Q suivants sont pertinents :

 

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

 

1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

 

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

 

2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

 

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

 

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

 

LA PRATIQUE

 

[5]             Cet arrangement est mis en pratique. Le payeur, dont la spécialité est la construction d’escaliers en bois massif pour ses propres clients, montre à l’appelant comment il prépare le bois pour les pièces du projet (tel que les marches et contremarches), mais c’est à l’appelant de le faire à sa manière. L’important est le fini de la tâche complétée, qui doit satisfaire, et le payeur et les exigences de sa clientèle. D’ailleurs, à la mémoire du payeur, il y a eu seulement une ou deux occasions où l’appelant a observé un manque à ce critère de qualité et a refait le travail lui-même. Autrement, la finition était satisfaisante.

 

[6]             Le payeur, pour chaque projet, donnait à l’appelant les dimensions précises requises pour ces pièces. Chaque projet était, il me semble, unique et assujetti évidemment aux standards de tout code de construction.

 

[7]             L’appelant dit que les heures de travail étaient de 7 h 30 à 16 h 30 / 17 h, cinq jours par semaine, qu’il choisissait le bois du projet, le débitait, le préparait et l’assemblait tel que requis, dans l’atelier du payeur, se servant de l’outillage de ce dernier. Il n’avait que quelques outils à main lui appartenant.

 

[8]             L’appelant présente ses factures que le payeur paye sur‑le‑champ, par chèque ou virement direct, sans discussion. Il y a de fait 37 factures, du 4 janvier au 24 août 2010. L’appelant n’était pas certain des dates, mais son avocate les lui a rappelées. Toutes, sauf quatre, sont pour des sommes différentes. Il s’avère que l’appelant avait des besoins d’argent immédiats, quelques fois, il semble, après un, deux ou trois jours de travail (pièces A-1, 144,38 $ le 16/04/10, 330 $ le 07/05/10, 269 $ le 12/05/10, 231 $ le 14/05/1, 363 $ le 27/05/10, etc.). Le taux de rémunération était passé de 15 $ à 16,50 $ l’heure la semaine du 15 avril 2010. La facture du 24 août est signée, comme les autres, par l’appelant, avec remerciement, et aussi avec les mots suivants : « Ce fut un plaisir de travailler avec toi. »

 

[9]             Cette dernière facture est un formulaire de Soumission dont l’appelant se servait depuis le 29 juin. Certains sont corrigés; toutes ont un état d’heures ouvrables, un montant, le NAS de l’appelant et le mode de paiement (direct ou par chèque). Ce sont de fait des factures.

 

[10]        L’appelant admet qu’il était travailleur autonome, ce qui lui donnait l’indépendance qu’il chérissait, et recevait le montant entier de ses factures, sans aucune déduction. Vers le printemps, il pensait, étant donné ses absences répétées, que l’arrangement allait prendre fin, et déclinait une deuxième offre d’emploi du payeur, avec les avantages sociaux que ce statut entraîne. Il a terminé son association avec le payeur le 24 août 2010 et s’est rendu  au bureau d’Emploi et solidarité sociale qui, apprenant qu’il avait reçu un revenu, l’a référé à l’assurance-emploi. Malheureusement, il n’avait aucune heure assurable.

 

[11]        Après un va-et-vient entre ces deux administrations, sur ses représentations, l’appelant reçoit une prestation d’assurance-emploi, qui est éventuellement terminée sur plus ample évidence, y compris celle du payeur. L’appelant est alors le récipiendaire d’une demande de remboursement de quelque 19 000 $ ; il n’était pas admissible, d’où  cet appel.

 

[12]        Le payeur, M. Didier Girard, voulait épauler l’appelant, d’où son acceptation à cette entente et aux heures de travail de l’appelant, qui admet ses absences et ses besoins d’argent, attribuables à une toxicomanie contre laquelle il a lutté et continue à ce faire.

 

[13]        Le payeur était satisfait du travail complété. Son atelier est ouvert de 8 h à 17 h, cinq jours par semaine, mais il l’a prêté à l’appelant une ou deux soirées. Le payeur pensait que l’appelant avait sa propre clientèle.

 

[14]        Le payeur est Compagnon de la Confrérie du Bois en France et, par l’entremise d’un organisme franco-canadien, la Confrérie offre des stages de perfectionnement, à son tour, à un Compagnon chaque année, qui doit être employé. Donc il a l’organisation et les connaissances comptables requises pour avoir un employé, à l’instar de l’opinion de l’appelant à ce sujet. Ce dernier a choisi de ne pas l’être malgré deux offres d’emploi.

 

[15]        Le payeur lui a prêté un livre, « L’ébénisterie de A à Z ». L’appelant le rappelle comme preuve qu’il recevait du payeur une certaine formation. Je constate que c’est l’appelant qui avait demandé ce livre, que le payeur le lui prêtait volontairement, pour sa propre édification technique. Il est probable que ces deux « travailleurs du bois » discutaient de leur travail de temps à autre; ils étaient dans le même atelier, se connaissaient et partageaient un intérêt commun. Mais le payeur ne donnait aucune formation professionnelle à l’appelant, car il n’était pas Compagnon.

 

[16]        Le payeur décrit des rapports de travail avec l’appelant qui reflètent l’accord déjà mentionné. Il n’exerçait aucun contrôle sur le comportement de l’appelant, ou sur ses absences; ce dernier pouvait travailler dans son atelier aux heures d’ouverture, sur les projets du payeur, afin de produire des pièces détachées, conformes aux normes établies. Il présente ses factures à ses propres échéances (37 en moins de huit mois, certaines pour seulement quelques heures), qui sont payées immédiatement. Si l’appelant « s’est plié aux demandes de Didier » (le payeur) quant aux factures, c’est que ce dernier devait savoir le montant à payer, un arrangement qu’ils avaient dès le début, et les conserver pour sa propre comptabilité, une exigence commerciale et fiscale.

 

[17]        De fait, lorsque je considère la preuve en son entier, il est remarquable de constater que l’appelant était libre de tout contrôle de la part du payeur, sauf pour la qualité du produit fini (ce qui n’est pas un indice nécessairement de lien de subordination, voir paragraphe 70, Combined Insurance Company of America c. M.R.N., 2007 CAF 60). Il n’était assujetti à aucune subordination : il n’avait aucune obligation, requise par l’article 2085 C.c.Q. (Contrat de travail)  envers le payeur; il pouvait travailler, ou pas, aux heures voulues, une ou plusieurs journées; c’était son libre choix entièrement, qu’il exerçait sans explication. Il est vrai qu’il se servait de l’outillage du payeur, dans son atelier, mais c’était la solution la plus commode pour lui de faire le travail. La seule obligation était au payeur, de payer l’appelant, requise à l’article 2098 C.c.Q. (Contrat d’entreprise),  pour le travail que ce dernier faisait, selon sa disponibilité, lors des heures d’ouverture de l’atelier, où il avait « le libre choix des moyens d’exécution » (art. 2099 C.c.Q.).

 

[18]        C’est exactement la nature d’un contrat d’entreprise, ou de service, décrite aux articles 2098 et 2099 C.c.Q. mais sans que l’appelant « s’engage à le faire ». Il était donc travailleur autonome.

 

[19]        L’appel est rejeté.

 

Signé à Annapolis Royal, Nouvelle Écosse, ce 21e jour de février 2013.

 

 

« J.-L. Batiot »

Juge suppléant Batiot


 

 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 55

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-3663(EI)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            GUY CHARBONNEAU c. M.R.N.

                                                          et DIDIER GIRARD

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable Jean-Louis Batiot,

                                                          Juge suppléant

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 21 février 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelant :

Me France Charbonneau

Avocate de l'intimé :

Me Marie-France Camiré

Pour l'intervenant:

L'intervenant lui-même

 

AVOCATE INSCRITE AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           Me France Charbonneau

 

                 Cabinet :                          Bureau d’aide juridique

                                                          Ste-Agathe-des-Monts (Québec)

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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