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Référence : 2013 CCI 90

Date : 20130410

Dossier : 2012-2477(IT)I

ENTRE :

NACOM INC.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge Bocock

 

I.       Bref exposé de la question en litige

 

[1]             En l’espèce, il est question d’un contribuable qui affirme avoir remis en personne à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») deux déclarations de revenus des sociétés. L’ARC n’a eu trace de ces documents que beaucoup plus tard. La question à trancher est de savoir si l’appelante peut recevoir l’impôt en main remboursable au titre de dividendes pour deux années d’imposition.

 

[2]             En l’espèce, le droit n’est pas contesté. Le paragraphe 129(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») est ainsi libellé :

 

129(1) Lorsque la déclaration de revenu d’une société en vertu de la présente partie pour une année d’imposition est faite dans les trois ans suivant la fin de l’année, le ministre :

 

a) peut, […] rembourser, sans que demande en soit faite, une somme […] égale à […] :

 

(i) le tiers de l’ensemble des dividendes imposables que la société a versés sur des actions de son capital-actions […]

 

(ii) son impôt en main remboursable au titre de dividendes, à la fin de l’année; […]

 

[3]             De même, il n’y a qu’une question de fait en litige, mais elle est cruciale. Selon le ministre du Revenu national (le « ministre »), la déclaration de revenus des sociétés de l’appelante pour l’année d’imposition 2007 (se terminant le 31 janvier 2007) (la « déclaration de 2007 ») et celle pour l’année d’imposition 2008 (se terminant le 31 janvier 2008) (la « déclaration de 2008 ») ont été produites le 29 mars 2011 (la « date de production des déclarations selon le ministre »). L’appelante affirme que la déclaration de 2007 et la déclaration de 2008 (les « déclarations ») ont toutes les deux été remises à l’ARC le 24 novembre 2009 ou vers cette date (la « date de production des déclarations selon l’appelante »).

 

[4]             En termes simples, si la date de production des déclarations selon le ministre l’emporte, aucun impôt remboursable au titre de dividendes n’est dû à l’appelante. À l’inverse, les deux parties sont d’accord sur le fait que, si la date de production des déclarations selon l’appelante est correcte, le remboursement au titre de dividendes est dû à l’appelante.

 

[5]             Les parties et la Cour conviennent que la jurisprudence renforce simplement la règle de droit selon laquelle, si je ne peux pas conclure que les déclarations ont été produites le 31 janvier 2010 ou vers cette date pour la déclaration de 2007, et le 31 janvier 2011 pour la déclaration de 2008, aucun remboursement au titre de dividendes n’est alors dû (collectivement, les « délais prévus par la loi »).

 

 

II.                Le témoignage à l’audience

 

[6]             Il y avait quatre témoins à l’audience. Le comptable de l’appelant, M. Ted Lemon, et M. Nathan Jacob, qui agit également en qualité de représentant de l’appelante, ont tous les deux témoigné pour le compte de l’appelante. L’intimée a appelé à témoigner deux employés de l’ARC, une certaine Mme Schmall, agente de la section des non‑déclarants à l’ARC, et une certaine Mme Rehal, coordonnatrice de projet chargée de superviser les activités liées au courrier au Centre fiscal de Winnipeg et aux bureaux connexes.

 

[7]             Le témoignage pertinent peut être résumé pour chacune des personnes susmentionnées de la manière suivante :

 

a)      Le comptable de l’appelante

 

[8]             M. Lemon, le comptable de l’appelante, a fait le témoignage suivant, non contesté, en ce qui concerne le moment où les déclarations ont été produites : il a identifié la déclaration de 2007 et la déclaration de 2008, dont les doubles portaient la date du 15 novembre 2009 et du 17 novembre 2009, respectivement. Même si M. Lemon n’était pas certain de la date à laquelle M. Jacob avait reçu les déclarations de sa part, il a laissé entendre que c’était peu de temps après qu’il les avait préparées. La question de savoir si des doubles portant une date précise pouvaient à tout moment être générés par le logiciel a été soulevée lors du contre‑interrogatoire, mais on y a répondu de façon concluante. M. Lemon a également identifié les déclarations de revenus des particuliers, soit celles de l’actionnaire ayant reçu le dividende, la déclaration T5 faisant état des mêmes renseignements et le double d’un chèque daté du 28 janvier 2007 où figurait le dividende de 2007. L’essentiel de ce témoignage n’a pas été contesté. M. Lemon a donné un bref témoignage anectodique concernant d’autres déclarations T1 pour les particuliers qui avaient été perdues, mais, en l’absence d’une preuve objective directe, aucun poids n’a été accordé à ce témoignage, étant donné qu’il n’avait aucune incidence sur les déclarations de revenus des sociétés T2.

 

[9]             Le dirigeant et représentant de l’appelante, M. Jacob, a témoigné qu’il s’était rendu au bureau de M. Lemon à un moment avant le 24 novembre 2009, qu’il avait examiné les déclarations lorsqu’il était à Winnipeg pour rendre visite à sa mère et qu’il avait remis les deux déclarations en mains propres à quelqu’un aux bureaux de l’ARC sur l’avenue Broadway vers le deuxième jour ouvrable de la semaine, qu’il a estimé être, par déduction, le 24 novembre 2009. Il avait estampillé une fiche qui lui avait été remise par l’ARC au moyen de l’horodateur externe de l’ARC, mais il n’arrive pas à la retrouver. Il a supposé que l’ARC avait reçu les déclarations de 2007 et de 2008 peu de temps après. Il ne pouvait pas se rappeler s’il avait mis les déclarations de 2007 et de 2008 dans une même enveloppe ou dans des enveloppes séparées. Il n’a rien fait jusqu’au moment où il a découvert, en février 2011, que l’ARC n’avait pas reçu les déclarations. Il a fourni les doubles des déclarations encodées à la fin de mars 2011. Avant le moment où il aurait remis les déclarations de revenus en novembre 2009, M. Jacob était en communication avec la section des non‑déclarants de l’ARC parce que les déclarations de 2007 et de 2008 n’avaient pas été produites à temps. Ces communications ainsi que les demandes de prorogation ont cessé en avril 2009 et n’ont repris qu’au début de 2011, lorsque le contact a été rétabli entre l’appelante et l’ARC relativement à un litige concernant la taxe sur les produits et services (la « TPS »).

 

[10]        Lors du contre‑interrogatoire, M. Jacob a admis que, bien qu’il s’attendait à recevoir un remboursement, relativement aux déclarations de revenus, il n’avait parlé à personne à l’ARC concernant les déclarations de 2007 et de 2008 au cours de la période allant de la date de production des déclarations selon l’appelante à février 2011. Il a expliqué que, parce qu’il ne s’attendait pas réellement à recevoir un chèque, tout remboursement serait déduit de ses dettes fiscales ou ses cotisations concernant les années subséquentes. Il a également reconnu qu’il n’avait pas produit à titre de preuve les doubles des déclarations T2 subséquentes qu’il affirme avoir estampillés ultérieurement.

 

[11]        M. Jacob ainsi que M. Lemon ont attiré l’attention sur le temps qui s’était écoulé entre le moment où l’ARC avait reçu les déclarations de revenus et le moment où elle avait accusé réception des déclarations dans son système. Tout au plus, la preuve a révélé que la période était de plus de 30 jours et d’au plus 45 jours. Tous ont convenu que ce point n’était pas essentiel à la question dont la Cour est saisie.

 

b)      Mme Schmall, l’agente de la section des non‑déclarants

 

[12]        Mme Schmall a confirmé la rupture de communication entre l’ARC et M. Jacob d’avril 2009 à février 2011. Cette confirmation a été étayée par les notes de journal prises par un employé chargé de recevoir les demandes de renseignements des non‑déclarants. En ce qui concerne l’absence de rappel par l’ARC pour la non‑production des déclarations de revenus de 2007 et de 2008 pendant plus de 25 mois, Mme Schmall a simplement mentionné que les demandes de production et de paiement sont adressées aux contribuables une fois, et si l’ARC le désire.

 

[13]        Mme Rehal, qui s’occupait du courrier reçu et qui était chargée d’expédier le courrier au Centre fiscal de Winnipeg et aux bureaux connexes, a décrit de façon détaillée les étapes du processus suivi par l’ARC pour recevoir le courrier déposé aux bureaux sur la rue Broadway, pour faire le tri préliminaire du courrier, la mise en sac, le déplacement, l’indication préliminaire de la date et l’expédition de ce courrier au Centre fiscal de Winnipeg, où un processus semblable, mais plus précis, est entrepris, où la date indiquée par le timbre dateur de Broadway est consignée et où la déclaration avec code à barres est identifiée, numérisée et classée.

 

[14]        Mme Rehal a témoigné qu’il était très peu probable qu’une déclaration soit complètement perdue, parce que les mécanismes de traitement du courrier étaient très stricts.

 

[15]        Lors du contre‑interrogatoire, Mme Rehal a admis que le Centre fiscal de Winnipeg traite 1,7 million d’articles de courrier annuellement et que moins de 1 % du courrier est temporairement égaré. À sa connaissance, il était très peu probable qu’un article de courrier soit complètement perdu.

 

III.     Les observations

 

[16]        L’avocat de l’intimée et le représentant de l’appelante ont résumé les éléments de preuve factuels à l’intention de la Cour. En bref, l’intimée a relevé l’absence de preuve directe permettant d’établir que les déclarations de revenus de 2007 et de 2008 ont été réellement remises à l’ARC. La fiche estampillée, les déclarations d’années subséquentes estampillées ultérieurement et les relevés concernant les versements estampillés n’ont pas été produits pour étayer la preuve ou à l’appui de la remise de ces déclarations, ou même pour justifier un comportement constant de la part du contribuable. De même, l’absence d’une telle preuve devrait amener la Cour à tirer une conclusion défavorable. Le fait que l’appelante n’ait pas communiqué avec l’ARC au cours de la période, l’absence de possibilité que l’ARC égare les déclarations et la probabilité encore plus faible que deux déclarations distinctes soient perdues sont tous des facteurs qui laissent croire que les déclarations n’ont tout simplement pas été remises avant les délais prévus par la loi.

 

[17]        L’appelante a soutenu que toutes les autres étapes visant à obtenir que le dividende soit déclaré, que les déclarations de revenus soient établies en 2009 et que les déclarations de revenus pour les particuliers pertinentes soient préparées et produites ont par ailleurs été respectées et documentées. Le volume de courrier et le taux d’articles égarés, l’absence de communication par l’ARC et la poursuite de toutes les autres activités par l’appelante comme à l’accoutumée fournissent, au moins selon la prépondérance des probabilités, un fondement raisonnable pour conclure que la contribuable appelante a remis les déclarations en novembre 2009.

 

IV.     L’analyse

 

[18]        La Cour doit établir, selon la prépondérance des probabilités, si les déclarations de 2007 et de 2008 ont été produites avant les délais fixés par la loi. Pour ce faire, la Cour doit trancher la question de savoir si les déclarations ont été remises au bureau de l’ARC à la date de production des déclarations selon l’appelante, comme l’affirme M. Jacob, ou à la date de production des déclarations selon le ministre, comme l’indique l’ARC.

 

[19]        La Cour n’a aucune difficulté à croire que l’ARC n’a jamais été sciemment en possession d’une copie des déclarations avant le 29 mars 2011. La Cour peut également dire avec certitude, compte tenu des témoignages, que l’ARC fait tout son possible pour identifier et trier chaque article qu’elle reçoit dans le courrier et y donner suite. Pour le reste, l’ARC ne peut pas fournir de preuve quant à ce qui est arrivé aux déclarations avant la date qu’elle a consignée comme étant la date à laquelle elle les a reçues. Par conséquent, le témoignage de M. Jacob et de son comptable doit être analysé.

 

[20]        La Cour peut accepter et croire sans hésitation que les déclarations ont été établies en novembre 2009, comme cela a été corroboré tant par M. Lemon que par M. Jacob. La Cour peut également dire que M. Jacob a reçu les déclarations de la part de M. Lemon à ce moment‑là.

 

[21]        Quant à la question de savoir si les déclarations ont été remises à l’ARC, M. Jacob avance les arguments suivants à titre de preuve :

 

1.                 il a remis les déclarations à l’ARC le 24 novembre 2009 ou vers cette date et il a apposé un timbre dateur sur une fiche portant cette date‑là;

 

2.                 il n’a eu aucune autre nouvelle de l’ARC après la demande de production et il a amorcé des discussions avec l’ARC en avril 2009;

 

3.                 il n’a rien fait d’autre après novembre 2009, parce qu’il avait produit les déclarations au cours de ce mois‑là;

 

4.                 il a donc porté son attention sur d’autres questions fiscales comme la TPS au début de 2011 et, plus tard, ses déclarations de revenus des sociétés pour 2010 et 2011;

 

5.                 il a par la suite estampillé les doubles des déclarations de revenus de 2007 et de 2008 lorsqu’elles ont de nouveau été produites à la date de production des déclarations selon le ministre.

 

[22]        En ce qui concerne chacune de ces affirmations, il convient de souligner ce qui suit :

 

1.                 bien que M. Jacob ait déclaré avoir obtenu la fiche en question, la fiche portant le timbre dateur de la date de production des déclarations selon l’appelante n’a pas été produite en preuve à l’audience;

 

2.                 l’argument selon lequel l’ARC n’a pas fourni de réponse est dépourvu de logique, parce que M. Jacob n’a pas reçu d’avis de cotisation ou de nouvelle cotisation ou de relevé de versement révisé et il n’a lui‑même rien fait;

 

3.                 par comparaison, la passivité de M. Jacob ne peut pas être vraisemblablement expliquée par le fait que l’ARC ne lui avait rien demandé. L’appelante n’était pas un modèle en matière de déclaration de revenus, et le fait que M. Jacob connaissait bien la section des non‑déclarants et qu’il avait présenté des demandes répétées pour obtenir des prorogations concernant les années 2007 et 2008 avant juin 2009 est révélateur;

 

4.                 quant à l’argument selon lequel il avait porté son attention sur d’autres questions, M. Jacob semble, là encore, avoir réagi à l’égard d’une demande provenant de l’ARC. Sur le plan juridique, l’ARC n’a aucune obligation légale d’aviser, de manière répétée et continuelle, un non‑déclarant de son manquement. M. Jacob avait été initialement avisé de sa situation de non‑déclarant et il ne peut pas se fonder sur cet argument pour faire valoir la préclusion afin d’empêcher l’ARC de soutenir que les déclarations n’ont pas été produites;

 

5.                 bien qu’il ait déclaré avoir estampillé les doubles, M. Jacob n’a pas produit à l’intention de la Cour les doubles estampillés des déclarations de 2007 et de 2008 du déclarant lorsqu’elles ont été produites à l’ARC et reçues par celle‑ci à la date de production des déclarations selon le ministre.

 

[23]        Si certaines affirmations susmentionnées, ou peut être l’une ou l’autre d’entre elles, avaient été étayées par des éléments de preuve, la Cour pourrait dire, selon la prépondérance des probabilités, que les déclarations de 2007 et de 2008 ont été remises à l’ARC à la date de production des déclarations selon l’appelante et qu’ensuite, de manière peu probable, elle les avait égarées sans jamais les retrouver. Toutefois, comme l’appelante n’a pas présenté d’éléments de preuve indiquant qu’elle avait obtenu un reçu horodaté, qu’elle avait porté plainte ultérieurement, qu’elle avait communiqué de façon constante et continue avec l’ARC ou qu’elle avait ultérieurement pris l’habitude d’estampiller les doubles des déclarations, la Cour ne peut pas conclure en faveur de l’appelante. En bref, pour que la Cour puisse accepter le fait improbable que l’ARC ait complètement égaré deux déclarations de revenus, l’appelante doit avoir présenté certains éléments de preuve, tout élément de preuve, selon lesquels M. Jacob s’était rendu à l’ARC à la date de production des déclarations selon l’appelante, qu’il avait réagi à un moment ultérieur au fait que l’ARC n’avait pas accusé réception des déclarations ou qu’il avait par ailleurs obtenu habituellement des timbres dateurs pour d’autres déclarations de revenus produites. En l’absence de tout élément de preuve concernant de telles mesures probables, je ne peux pas conclure, selon la prépondérance des probabilités, que l’improbable (le fait que l’ARC ait complètement égaré deux déclarations de revenus de la société) a eu lieu et la date de production des déclarations selon le ministre est acceptée.

 

[24]        En conséquence, les délais prévus par la loi pour la production des déclarations n’ont pas été respectés et l’appel est rejeté.

 

Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 28 mars 2013 en vue de corriger les erreurs typographiques figurant dans le titre II b) et aux paragraphes 12, 15 et 16 des présents motifs.

 

 

 

       Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour d’avril 2013.

 

 

« R.S. Bocock »

Juge Bocock

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10jour de mai 2013.

                                                

Espérance Mabushi, M.A. Trad. Jur.


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 90

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-2477(IT)I

                                                         

INTITULÉ :                                      NACOM INC. c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Winnipeg (Manitoba)

 

DATES DE L’AUDIENCE :            Les 4 et 5 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge Randall Bocock

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 28 mars 2013

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT MODIFIÉS :       Le 10 avril 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Représentant de l’appelante :

 

M. Nathan Jacob

Avocat de l’intimée :

 

MNeil Goodridge

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                    S/O

 

  Cabinet :                              

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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