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Dossier : 2012-4957(EI)

ENTRE :

MICHEL THERRIEN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appel entendu le 15 avril 2013, à Kingston (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge David E. Graham

 

Comparutions :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Christopher Kitchen

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 

L’appel que l’appelant a interjeté à l’encontre de la décision du ministre du Revenu national selon laquelle, pendant la période du 15 juillet au 4 décembre 2011, il n’exerçait pas un emploi assurable pour l’application de la Loi sur l’assurance-emploi, est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’avril 2013.

 

 

 

« David Graham »

Juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2013.

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 116

Date : 20130422

Dossier : 2012-4957(EI)

ENTRE :

MICHEL THERRIEN,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Graham

 

[1]             Michel Therrien est un chef de cuisine hautement qualifié. Du 15 juillet au 4 décembre 2011, il était chef de cuisine auprès de Hastings Resort Inc. (« Hastings Resort »). Lorsqu’il a cessé de travailler pour Hastings Resort, M. Therrien a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi. Par suite de cette demande, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada a demandé qu’une décision soit rendue quant à la question de savoir si M. Therrien exerçait un emploi assurable auprès de Hastings Resort. Le ministre du Revenu national a décidé que M. Therrien n’exerçait pas un emploi assurable, et la décision a été confirmée en appel. M. Therrien interjette maintenant appel de la décision devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

[2]             Le seul point en litige en l’espèce est la question de savoir si M. Therrien exerçait un emploi assurable auprès de Hastings Resort. M. Therrien soutient qu’il était un employé. L’intimé est d’avis que M. Therrien était un entrepreneur indépendant.

 

 

La décision du ministère du Travail de l’Ontario

 

[3]             Le ministère du Travail de l’Ontario a procédé à une vérification de la relation de travail qu’entretenait M. Therrien avec Hastings Resort et a conclu qu’il était un employé. M. Therrien a joint une copie des motifs de la décision du ministère du Travail de l’Ontario à son avis d’appel et a cherché à s’appuyer fortement sur ce document pour prouver qu’il était un employé. Je veux bien admettre que le ministère du Travail de l’Ontario a mené une vérification et en est venu à la conclusion que M. Therrien était un employé, mais je ne suis pas lié par cette conclusion, ni par les faits énoncés dans les motifs de la décision déposés en preuve. Je n’ai pas examiné les motifs de la décision. J’ai expliqué à M. Therrien à l’audience que, s’il jugeait que le document comportait des éléments de preuve factuels importants, c’était à lui d’en faire part dans son témoignage.

 

 

Le droit

 

[4]             Dans le récent arrêt 1392644 Ontario Inc. c. M.R.N., 2013 CAF 85, [2013] A.C.F. no 327, (« Connor Homes »), la Cour d’appel fédérale a clarifié le critère à appliquer pour déterminer si un travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Aux paragraphes 39 à 42 de l’arrêt Connor Homes, la Cour d’appel a déclaré que le critère à appliquer est un critère à deux volets :

 

[39] La première étape consiste à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation. On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome.

 

[40] La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Comme le rappelait la juge Sharlow au paragraphe 9 de TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, 422 N.R. 366, « il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties ». Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leur relation. Ainsi qu’il est expliqué au paragraphe 64 de Royal Winnipeg Ballet, les facteurs applicables doivent être examinés « à la lumière de » l’intention des parties. Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère de Wiebe Door et de Sagaz est ou non rempli, c’est‑à‑dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

 

[41] La question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour fournir les services les fournit, dans les faits, en tant que personne travaillant à son compte. Comme l’expliquent aussi bien Wiebe Door que Sagaz, aucun facteur particulier ne joue de rôle dominant, et il n’y a pas de formule fixe qu’on puisse appliquer, dans l’examen qui permet de répondre à cette question. Les facteurs à prendre en considération varieront donc selon les faits de l’espèce. Néanmoins, les facteurs que spécifient Wiebe Door et Sagaz se révéleront habituellement pertinents, ces facteurs étant le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur, ainsi que les points de savoir si ce dernier fournit lui‑même son outillage, engage ses assistants, gère et assume des risques financiers, et peut escompter un profit de l’exécution de ses tâches.

 

L’application du critère

 

[42] […] La première étape de l’analyse devrait toujours être de déterminer l’intention des parties puis, en deuxième lieu, d’examiner sous le prisme de cette intention la question de savoir si leur relation, concrétisée dans la réalité objective, est une relation d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant. […]

 

[5]             Compte tenu de ce qui précède, je me pencherai d’abord sur l’intention de M. Therrien et de Hastings Resort, puis j’examinerai la question de savoir si la réalité objective de leur relation confirme l’intention des parties.

 

 

L’intention

 

[6]             M. Therrien a témoigné qu’il avait rencontré le propriétaire de Hastings Resort et son fils pour la première fois le 14 juillet 2011[1]. Lors de la réunion, les parties ont négocié les modalités du contrat de M. Therrien. Selon une de ces modalités, M. Therrien devait fournir ses services en tant qu’entrepreneur indépendant. M. Therrien a commencé à travailler immédiatement. J’accepte le témoignage de M. Therrien à cet égard comme preuve de son intention lorsque la relation a commencé. Comme Hastings Resort a continué de soutenir que M. Therrien était un entrepreneur indépendant, je conviens également qu’elle aussi voulait avoir une relation avec un entrepreneur indépendant.

 

[7]             M. Therrien a témoigné que, selon les modalités du contrat, Hastings Resort devait lui verser 700 $ par semaine une fois effectuées les retenues exigées par la loi. M. Therrien n’a pas pu dire quelles retenues, selon lui, devaient être effectuées sur son salaire en tant qu’entrepreneur indépendant. Les seules retenues plausibles sont les retenues à la source qui sont habituellement effectuées sur le salaire d’un employé (c.-à-d, pour l’impôt sur le revenu, l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada). Je ne vois pas pourquoi Hastings Resort aurait accepté de payer à M. Therrien après avoir effectué les retenues à la source. Il n’est pas logique que les parties concluent un contrat en ayant comme intention que M. Therrien soit un entrepreneur indépendant et, qu’au même moment, elles envisagent que les retenues prévues par la loi soient effectuées. Soit, au début du contrat, Hastings Resort et M. Therrien voulaient tous deux que M. Therrien soit considéré comme un employé, soit le contrat ne comportait aucune modalité quant aux retenues à la source. Comme j’ai déjà conclu que les parties voulaient toutes deux au début du contrat que M. Therrien soit considéré comme un entrepreneur indépendant, je dois conclure qu’en fait aucune modalité n’exigeait que des retenues à la source soient effectuées. Compte tenu de ce qui précède, j’admets que, selon l’entente, M. Therrien devait être payé 700 $ par semaine, mais je n’admets pas que l’entente prévoyait que le montant que 700 $ correspondait au montant versé une fois les retenues effectuées.

 

[8]             M. Therrien a témoigné que Hastings Resort avait également convenu que, après deux mois, elle augmenterait son salaire hebdomadaire de 200 $ une fois les retenues effectuées. Il a déclaré qu’aucune augmentation ne lui a jamais été accordée. J’admets que, selon l’entente, M. Therrien devait recevoir une augmentation salariale de 200 $ et qu’il ne l’a pas reçue, mais, pour la raison susmentionnée, je n’admets pas qu’il s’agissait d’une augmentation après retenues. Je n’admets pas que l’augmentation devait être accordée deux mois après le début du contrat, bien que cela importe peu[2].

 

[9]             Enfin, M. Therrien a affirmé dans son témoignage que Hastings Resort avait accepté d’assurer son transport entre son domicile et le centre de villégiature. Il a déclaré que cela n’a jamais eu lieu. J’admets son témoignage sur ce point.

 

[10]        M. Therrien concède que, du 14 juillet au 14 août 2011, les deux parties voulaient que l’appelant soit considéré comme un entrepreneur indépendant. Cependant, il a témoigné que cette intention avait changé par la suite.

 

[11]        M. Therrien a témoigné que les parties avaient convenu de mettre par écrit leur entente dans les deux semaines suivant le 14 juillet 2011. Il a déclaré que deux semaines s’étaient écoulées sans qu’un contrat écrit ne soit rédigé, qu’il avait commencé à exercer des pressions sur Hastings Resort pour qu’elle lui fournisse un contrat écrit. Environ un mois après l’entrée en fonctions de M. Therrien, le contrat n’avait toujours pas été rédigé. M. Therrien a affirmé qu’il avait donc décidé unilatéralement que le contrat dans lequel il avait convenu d’offrir ses services à l’employeur à titre d’entrepreneur indépendant n’était pas valide et qu’il offrirait ses services à Hastings Resort en tant qu’employé. M. Therrien a mentionné qu’il n’avait pas avisé Hastings Resort de la décision unilatérale qu’il avait prise à ce moment‑là. Je refuse d’admettre en grande partie le témoignage de M. Therrien sur ce qui précède. J’admets qu’un contrat écrit devait être rédigé et que cela n’a pas été fait, mais je n’admets pas le fait que M. Therrien a décidé de cesser d’offrir ses services en tant qu’entrepreneur indépendant et qu’il a commencé à les offrir en tant qu’employé, ni le fait qu’il n’a jamais dit quoi que ce soit à Hastings Resort concernant son changement de statut avant son départ en décembre 2011, ni même le fait que son intention, soit celle d’être un entrepreneur indépendant, avait changé. Je n’accepte pas le témoignage de M. Therrien sur ces points pour les raisons suivantes :

 

a)     On ne peut pas unilatéralement changer les modalités d’un contrat. Soit on met fin au contrat en avisant l’autre partie, soit on modifie le contrat en négociant avec l’autre partie.

 

b)    Même si M. Therrien avait pu changer unilatéralement les modalités d’un contrat, dans les faits, la relation entre M. Therrien et Hastings Resort est restée la même le 14 août 2011. M. Therrien a continué de travailler tout comme il l’avait fait au cours du premier mois du contrat et il a continué d’être payé de la même manière qu’avant. Il n’a pas en mesure d’expliquer comment sa relation avait changé.

 

c)     M. Therrien a envoyé un courriel daté du 7 décembre 2011 à Hastings Resort dans lequel il a mentionné ce qui suit : [traduction] « CELA FAIT SIX MOIS QUE J’ATTENDS LE CONTRAT QUE VOUS M’AVIEZ PROMIS, SANS RÉSULTAT ». Si M. Therrien avait vraiment voulu changer son statut afin de devenir un employé, il n’aurait plus été encore en attente de son contrat d’entrepreneur indépendant au mois de décembre.

 

d)    Lorsqu’un lui a demandé, en contre‑interrogatoire, à quel moment il avait informé Hastings Resort de sa prétendue décision unilatérale, M. Therrien a répondu de manière évasive. Il a laissé entendre qu’il avait fait part de sa décision au fils du propriétaire lors d’une soirée, mais il a dit qu’il ne se rappelait pas quand cette soirée avait eu lieu.

 

[12]        L’intimé a déposé un affidavit souscrit par l’agent des litiges de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») dans la présente affaire. J’ai accepté que l’affidavit soit produit en preuve, mais je n’ai accordé aucun poids à une grande partie de son contenu. Des copies de diverses lettres et de divers rapports électroniques de l’ARC concernant des litiges précédant mettant en cause M. Therrien étaient jointes à l’affidavit en tant que pièces. D’après ce que je comprends, l’intimé se fondait sur l’affidavit pour trois raisons :

 

a)     L’intimé a tout d’abord produit l’affidavit parce qu’il voulait que j’admette que les documents annexés à celui‑ci montraient que, à trois occasions, M. Therrien avait eu des conflits avec des restaurants dans le cadre desquels il avait soutenu qu’il était un employé et le restaurant avait soutenu qu’il était un entrepreneur indépendant. Je suis prêt à admettre ces éléments de preuve pour deux raisons. Premièrement, les lettres jointes à l’affidavit appuient le fait que trois décisions ont déjà été rendues à l’égard de M. Therrien. Deuxièmement, M. Therrien lui‑même a admis en contre‑interrogatoire qu’il avait déjà eu trois autres conflits avec des restaurants, dans lesquels sa position était qu’il était un employé et dans lesquels les restaurants avaient refusé de lui remettre un relevé d’emploi. M. Therrien a affirmé qu’il ne souvenait plus de la position que les restaurants avaient adoptée dans les conflits. Je ne le crois pas, car il a été enclin à avoir une mémoire sélective quand cela lui convenait. Logiquement, la seule raison pour laquelle un restaurant aurait refusé de fournir un relevé d’emploi dans les circonstances est si le restaurant avait cru que M. Therrien était un entrepreneur indépendant. Par conséquent, j’admets que le restaurant a jugé que M. Therrien était un entrepreneur indépendant, mais j’accepte ce fait non pas en raison de l’affidavit, mais plutôt en raison du témoignage de M. Therrien.

 

b)    Ensuite, l’intimé l’a produit parce qu’il voulait que je prenne acte de la ressemblance qu’il y avait selon lui entre les positions que M. Therrien avait adoptées dans ses conflits avec les restaurants et celle qu’il a adoptée en l’espèce, ainsi que les similarités entre les positions que les restaurants avaient adoptées et celles que Hastings Resort a adoptées en l’espèce. Or, je ne suis pas prêt à le faire. Ces positions ont été soulignées dans les rapports annexés à l’affidavit. Il s’agit de rapports qui sont habituellement rédigés par des employés de l’ARC, en fonction des renseignements que ceux‑ci ou d’autres employés de l’ARC ont recueillis ou bien de renseignements fournis à l’ARC par les payeurs. Aucune de ces personnes n’a pu être contre‑interrogée. L’affidavit a été déposé au titre du paragraphe 102(9) de la Loi sur l’assurance‑emploi, qui prévoit ce qui suit :

 

Un affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada attestant qu’il a la charge des pièces pertinentes et qu’un document joint à l’affidavit est un document établi soit par ou pour le ministre ou quelque personne exerçant les pouvoirs du ministre, soit par ou pour un employeur, ou est une copie d’un tel document, fait foi de la nature et du contenu du document, est admissible en preuve et a la même force probante qu’aurait l’original du document si son authenticité était prouvée de la façon usuelle.

 

J’admets que ce paragraphe permet que l’affidavit soit produit afin de prouver que les rapports en question ont été préparés et qu’ils renferment bel et bien les renseignements qu’ils sont censés contenir. Je n’admets pas que cette disposition m’oblige à reconnaître la force probante du contenu des documents. L’avocat de l’intimé voulait que je m’attarde aux déclarations faites dans les rapports qui décrivaient les positions adoptées par les restaurants en question. Il a affirmé qu’il n’était pas nécessaire que j’admette les positions des restaurants comme vraies. Je devais simplement admettre qu’il s’agissait des positions adoptées par les restaurants. Le paragraphe 102(9) ne me permet même pas de faire cela. Les positions décrites dans les rapports n’ont pas été rédigées par les restaurants eux‑mêmes. Elles ont été écrites par un employé de l’ARC. Il s’agit vraisemblablement d’une description exacte de la façon dont l’employé de l’ARC a interprété les positions des restaurants, mais il m’est impossible de savoir si tel est vraiment le cas, et personne n’a pu être contre‑interrogé sur ce point[3].

 

c)     Enfin, l’intimé a produit l’affidavit parce qu’il voulait que je prenne acte du fait que le ministre avait rendu une décision à l’égard des trois conflits bien avant que M. Therrien travaille pour Hastings Resort. J’admets que l’affidavit établit ce fait.

 

[13]        À la lumière de la preuve par affidavit et du témoignage de M. Therrien concernant les conflits visés dans l’affidavit, je conclus que, lorsque M. Therrien a conclu une entente avec Hastings Resort, il possédait une bonne connaissance pratique de la différence entre le statut d’entrepreneur indépendant et celui d’employé. Bien que je ne croie pas qu’il soit nécessaire qu’un travailleur sache une telle chose pour avoir l’intention d’être un entrepreneur indépendant, il s’agit d’un facteur qui, le cas échéant, appuie l’intention du travailleur. Je ne tire aucune conclusion à l’égard du fait que M. Therrien a déjà eu des conflits avec des restaurants, étant donné que je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve concernant ces conflits pour le faire. Pour la même raison, je ne tire aucune conclusion quant à l’issue de ces conflits.

 

[14]        Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que M. Therrien et Hastings Resort voulaient tous deux que M. Therrien soit un entrepreneur indépendant. Comme je conclus également que cette intention est demeurée la même pendant toute la période au cours de laquelle M. Therrien a travaillé pour Hastings Resort, je n’ai pas besoin d’examiner la question de savoir si un changement d’intention de la part d’une des parties au cours de la période durant laquelle le travail a été effectué peut vicier l’intention des parties au moment où le contrat a été conclu.

 

[15]        Comme j’ai conclu que les parties voulaient qu’il y ait une relation d’entrepreneur indépendant, je dois maintenant examiner la question de savoir si la réalité objective de leur relation confirme l’intention subjective des parties.

 

 

Le contrôle

 

[16]        M. Therrien dirigeait l’ensemble des opérations du restaurant chez Hastings Resort. Il coordonnait non seulement la préparation de la nourriture, mais aussi l’embauche et la formation de tous les employés (tant ceux de la cuisine que ceux de la salle à manger), la création du menu, la sélection des fournisseurs, la passation de commandes de nourriture auprès des fournisseurs et la négociation des modalités de paiement avec les fournisseurs. Pour reprendre ses termes, c’était lui qui [traduction] « menait la barque ». Il a témoigné que le propriétaire de Hastings Resort n’avait jamais travaillé dans le domaine de la restauration et ne savait donc pas comment exploiter un restaurant haut de gamme. Bien que le fait que M. Therrien avait le contrôle total des opérations du restaurant et que ses activités n’étaient pas supervisées soit compatible avec une relation d’entrepreneur indépendant, il faut tenir compte du fait que M. Therrien est un chef de cuisine hautement qualifié et très expérimenté. De fait de son manque d’expérience, le propriétaire n’aurait pas pu superviser M. Therrien même s’il avait voulu le faire. Je ne considère donc pas l’absence de supervision et de contrôle comme des facteurs utiles pour déterminer le statut de M. Therrien.

 

[17]        En raison du haut niveau de qualification de M. Therrien, il aurait de la même manière été impossible pour Hastings Resort de former M. Therrien. Je ne considère donc pas ce facteur utile pour déterminer le statut de M. Therrien.

 

[18]        À mon avis, l’endroit où le travail était accompli n’était pas un facteur utile, car, du fait de la nature du travail, M. Therrien devait travailler au restaurant peu importe sa relation de travail avec Hastings Resort.

 

[19]        M. Therrien n’a pas embauché d’assistants. Il a mentionné qu’il n’en avait pas les moyens. Cela donne à penser qu’il pouvait en embaucher, mais qu’il a choisi de ne pas le faire. Cela s’accorde avec la conclusion selon laquelle M. Therrien était un entrepreneur indépendant.

 

[20]        Le fils du propriétaire était le directeur du centre de villégiature. M. Therrien a mentionné dans son témoignage qu’il avait souvent dit au fils du propriétaire d’arrêter de parler au téléphone cellulaire dans le restaurant, d’arrêter de proférer des jurons dans le restaurant et de s’habiller plus convenablement lorsqu’il venait dans le restaurant. L’avocat de l’intimée voulait que j’en conclue que M. Therrien traitait son fils d’égal à égal, et non comme un superviseur. En temps normal, je serais d’accord avec l’avocat de l’intimé sur ce point, mais M. Therrien m’a semblé être quelqu’un d’abrupt qui n’hésiterait pas à dire ce qu’il pense, quels que soient les rapports hiérarchiques entre lui et la personne à qui il s’adresse. Ce facteur ne m’est donc pas utile.

 

[21]        M. Therrien a affirmé qu’il pouvait offrir ses services à d’autres entreprises pendant qu’il travaillait pour Hastings Resort. Il a déclaré qu’il ne s’était pas prévalu de ce droit. Cela est compatible avec une relation d’entrepreneur indépendant.

 

[22]        M. Therrien a affirmé qu’il travaillait six jours par semaine, qu’il s’occupait d’offrir le repas du midi et du soir, et qu’il restait jusqu’à l’heure de fermeture du restaurant. Il a expliqué qu’il était libre de ses allées et venues, mais que le restaurant ne pouvait pas être exploité sans lui, car il n’avait pas encore eu la chance de former correctement le personnel. Il devait donc être là en tout temps. La capacité qu’il avait d’aller et de venir est compatible avec une relation d’entrepreneur indépendant.

 

[23]        M. Therrien consignait ses heures de travail dans son calendrier personnel. Il ne communiquait pas ces renseignements à Hastings Resort. Cette dernière n’exigeait pas qu’il consigne ainsi ses heures. Comme je ne sais pas trop pourquoi il consignait ses heures, ce facteur ne m’est d’aucune utilité. Au mieux, cela ne donne pas à penser qu’il y avait une relation employeur-employé.

 

[24]        L’intimé a fait valoir que le fait que M. Therrien était simplement parti au lieu de donner un préavis de deux semaines montrait qu’il était un entrepreneur indépendant. M. Therrien a témoigné que sa relation avec Hastings Resort s’était dégradée à un point tel qu’il ne pouvait plus continuer de travailler pour l’entreprise. Dans de telles circonstances, un employé aurait peut-être été tenu de donner un préavis, mais il n’aurait pas été inhabituel pour lui de ne pas le faire. Par conséquent, cet élément de preuve n’est guère utile.

 

[25]        M. Therrien a créé un certain nombre de [traduction] « spécialités du chef » pour Hastings Resort. Il s’agissait de mets proposés au menu qu’il avait créés et qui n’étaient offerts nulle part ailleurs. M. Therrien demeurait propriétaire de ces spécialités du chef. Lorsqu’il est parti, il a exigé que Hastings Resort cesse d’offrir ces mets ou qu’on lui verse 300 $ par jour pour l’utilisation de son nom et de ses spécialités. Cet élément de preuve donnent fortement à penser qu’il entretenait une relation d’entrepreneur indépendant.

 

[26]        Dans l’ensemble, d’un point de vue objectif, le niveau de contrôle est compatible avec l’intention des parties selon laquelle M. Therrien devait être un entrepreneur indépendant.

 

 

Les instruments de travail

 

[27]        M. Therrien avait son propre ensemble de couteaux très couteux. Il avait également son propre uniforme de chef.

 

[28]        Si M. Therrien exploitait une entreprise pour son propre compte, ses activités commerciales consistaient à fournir ses services de chef, pas à exploiter un restaurant. Ainsi, les locaux, l’ameublement, les agencements et le matériel ne sont pas des instruments de travail qu’il aurait été censé fournir. Il y avait en fait très peu d’instruments de travail qui auraient été nécessaires pour fournir de tels services.

 

[29]        De façon générale, bien que la fourniture des instruments de travail ait été, d’un point de vue objectif, compatible avec l’intention des parties selon laquelle M. Therrien devait être un entrepreneur indépendant, j’accorde peu de poids à ce facteur lorsque j’examine la preuve objective dans son ensemble, étant donné le nombre restreint d’instruments de travail qui étaient en fait requis.

 

 

Les possibilités de profit

 

[30]        M. Therrien touchait un montant fixe par semaine. Ses heures de travail n’étaient cependant pas établies. Son calendrier montre que le nombre d’heures de travail effectué a diminué au fil des mois. Comme il a mentionné dans son témoignage que le chiffre d’affaires du restaurant avait augmenté pendant qu’il travaillait pour Hastings Resort, je ne peux que conclure que M. Therrien avait trouvé une façon d’exploiter le restaurant de manière plus efficiente et donc de gagner autant d’argent avec moins d’efforts.

 

[31]        M. Therrien a témoigné qu’une sorte de prime devait lui être versée en fonction du rendement du restaurant, quoiqu’il n’ait pas fourni de détails à ce sujet.

 

[32]        Dans l’ensemble, d’un point de vue objectif, les possibilités de profit de M. Therrien sont compatibles avec l’intention des parties selon laquelle M. Therrien devait être un entrepreneur indépendant.

 

 

Les risques de perte

 

[33]        M. Therrien a déposé des éléments de preuve montrant que les fournisseurs établissaient les factures au nom de Hastings Resort, et non à son nom à lui. À mon avis, cette preuve n’est pas utile. Si M. Therrien était un entrepreneur indépendant, Hastings Resort l’avait engagé pour qu’il fournisse des services en tant que chef de cuisine, et non pour qu’il exploite un restaurant. Elle ne se serait donc pas attendue à ce qu’il achète la nourriture avec son propre argent.

 

[34]        M. Therrien ne supportait aucune dépense, à l’exception de celles liées à l’entretien de son uniforme et de ses couteaux.

 

[35]        Dans l’ensemble, d’un point de vue objectif, les risques de perte de M. Therrien ne sont pas compatibles avec l’intention des parties selon laquelle M. Therrien devait être un entrepreneur indépendant.

 

 

Conclusion

 

[36]        Compte tenu de l’ensemble des facteurs ci-dessus, je conclus que l’intention des parties selon laquelle M. Therrien devait être un entrepreneur indépendant est étayée par la preuve objective de la relation qu’il entretenait avec Hastings Resort. En conséquence, l’appel de M. Therrien est rejeté.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour d’avril 2013.

 

 

 

 

« David E. Graham »

Juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2013.

 

Marie-Christine Gervais, traductrice

 


 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 116

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-4957(EI)

 

INTITULÉ :                                      MICHEL THERRIEN c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge David E. Graham

 

DATE DU JUGEMENT:                  Le 22 avril 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Christopher Kitchen

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

 

                             Nom :                  

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 



[1] J’accepte le témoignage de M. Therrien quant à cette date. Cependant, comme la décision faisant l’objet de l’appel porte sur la période commençant le 15 juillet 2011, ma décision visera la période allant du 15 juillet au 4 décembre 2011.

[2] M. Therrien a déposé en preuve une lettre qu’il a adressée à Hastings Resort. Dans la lettre, il met fin à leur entente. Il y est indiqué qu’il n’a pas eu l’augmentation qu’il s’attendait à recevoir trois mois après le début de son entrée en fonctions. Comme la lettre a été rédigée au même moment où il a donné sa démission, je considère qu’elle reflète davantage le moment où l’augmentation salariale promise devait être accordée que son témoignage à l’audience. Dans sa Demande de relevé d’emploi, M. Therrien fait également état d’une augmentation qu’il devait recevoir après trois mois de travail.

[3] En contre-interrogatoire, l’intimé a posé des questions à M. Therrien concernant les positions qu’il avait adoptées dans ces conflits et les positions que les restaurants avaient adoptées. M. Therrien pouvait clairement se souvenir des positions qu’il avait adoptées, mais a affirmé ne pas se souvenir du tout des positions que les restaurants avaient adoptées. Cela ne change rien au fait que je ne peux pas admettre la véracité du contenu des documents, mais influe fortement sur mon opinion quant à la crédibilité de M. Therrien.

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