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Dossier : 2011-335(GST)G

ENTRE :

9100-8649 QUÉBEC INC.

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

____________________________________________________________________

Appel entendu les 22 et 23 octobre 2012, à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable juge Réal Favreau

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jacques Plante

Avocat de l'intimée :

Me Philippe Morin

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel à l’encontre de la cotisation datée du 17 décembre 2009 émise en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise pour les périodes du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 est rejeté avec dépens selon les motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2013.

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau


 

 

 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 160

Date : 20130514

Dossier : 2011-335(GST)G

ENTRE :

9100-8649 QUÉBEC INC.

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Favreau

 

[1]             Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une cotisation datée du 17 décembre 2009 émise par le ministre du Revenu du Québec, agissant en tant que mandataire du ministre du Revenu national, (le « ministre ») en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») relativement à la taxe sur les produits et les services (la « TPS ») pour les périodes du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 (la  « période »).

 

[2]             Par la cotisation du 17 décembre 2009, le ministre a cotisé l’appelante pour un montant de 197 251,44 $ de TPS pour un total de 285 709,86 $ en droits, intérêts (42 499,39 $) et pénalités (45 947,23 $) en vertu de l’article 285 de la LTA.

 

[3]             En cotisant l’appelante, le ministre s’est fondé sur les conclusions et les hypothèses de fait suivantes, énoncées au paragraphe 11 de la Réponse à l’avis d’appel :

 

a)         L’appelante opérait pendant les périodes en litige deux restaurants avec permis d’alcool qui font affaires sous les raisons sociales « Torii Sushi » et « Kingyo » et madame Phan Thi Dien Trang et  (sic) la présidente, seule administratrice et actionnaire de l’appelante;

 

b)         Les représentants de l’intimée ont effectué une vérification auprès de l’appelante pour la période du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008;

 

c)         Lors de la vérification, ils ont constaté par sondage que les ventes saisies chaque jour comparées aux compilations quotidiennes faites par Madame Trang, administratrice de l’appelante résultaient à des écarts importants chaque jour;

 

d)         Il a été constaté lors de la vérification un écart important en comparant les factures d’achats de bière avec les relevés de ventes de bière obtenues suite de la prise de copie du disque dur pour l’année 2008 et, que plus de 350 caisses de bière avaient été achetées par l’appelante mais n’avaient pas été vendues;

 

e)         Également, suite à la prise d’une copie du disque dur du système comptable de l’appelante, l’intimée a constaté un écart d’environ 79 000 $ entre les revenus provenant de la prise de copie pour l’année 2008 et les revenus déclarés de l’appelante aux états financiers;

 

f)         Par conséquent, l’intimée avait des doutes sérieux quant à des probables revenus supplémentaires non déclarés;

 

g)         Ainsi, l’intimée a dû procéder par une méthode de reconstitution des ventes pour établir le chiffres (sic) d’affaires de l’appelante et le montant des fournitures taxables effectuées durant les périodes en litige, soit du 1er janvier 2006 au 31 décembre 2008 des deux commerces de l’appelante;

 

h)         La méthode alternative de vérification consiste à reconstituer les ventes de l’appelante à partir des achats en se servant d’un ratio établi sur certains items à la suite d’un échantillon de factures et les items sélectionnés lors de cette vérification ont été la bière, le vin et le saké;

 

i)          Les représentants de l’intimée ont calculé la quantité de litres de bière, de vin et de saké achetés pour les années 2006 à 2008 avec les factures d’achats auprès des fournisseurs de l’appelante et ont déterminé la quantité d’alcool versée dans les verres de vin, dans les petits et grands carafons de saké en présence des représentants de l’appelante;

 

j)          Les représentants de l’intimée ont déterminé le nombre de litres disponibles pour la revente par l’appelante, par restaurant et par année;

 

k)         En détenant toutes les informations de l’année 2008 de l’appelante suite à la prise de copies (sic) du disque dur, les représentants de l’intimée ont exactement établi le nombre [de litres] de bière, de vin et de saké vendus pour cette année en litige et ainsi, un prix unitaire moyen par litre d’alcool vendu pour chacun des items choisis a été déterminé;

 

l)          Pour les années 2006 et 2007, l’intimée a utilisé un échantillonnage pour chacun des restaurants, pour établir un prix unitaire moyen par litre d’alcool vendu pour chacun des items choisis soit, la bière, le vin et le saké;

 

m)        Un taux de perte de 8% pour consommation personnelle et promotion a été accordé par l’intimée bien que l’appelante ne détenait aucun registre de pertes et ce ratio a été multiplié par les litres d’alcool achetés par chacun des deux restaurants;

 

n)         L’intimée a établi ce qui suit :

 

(Tableau amendé)

 

Torii

2008

2007

2006

Ratio (ventes$/litre)

226.30

208.02

205.16

Litre de vin, saké, bières achetées et réputés vendues

5 815,34

6 488,61

8 072,22

Ventes reconstituées Torii

1 316 038,76

1 349 759,45

1 656 077,86

 

 

 

 

Kingyo

 

 

 

Ratio (ventes$/litre)

286.71

285.00

257.90

Litre de vin, saké, bières achetées et réputées vendues

7 701,54

7 539,83

6 496,61

Ventes reconstituées Kingyo

2 208 072,15

2 148 883,04

1 675 454,85

 

2008

2007

2006

Total ventes

3 524 110,91 $

3 498 642,49 $

3 331 551,71 $

 

reconstituées Torii et Kingyo

 

 

 

Perte 8% accordée

281 928,87

279 891,40

266 524,14

Ventes déclarées aux états financiers

2 033 936,00 $

2 237 591,00 $

2 093 475,00 $

 

 

 

 

Revenus non déclarés

1 208 246,04 $

981 160,09 $

971 552,57 $

 

Tel qu’il appert des feuilles de travail annexées à la présente réponse pour en faire partie intégrante;

 

l)          Le Ministre a donc établi que des ventes taxables de 3 160 958,70 $ n’ont pas été déclarées par l’appelante pour les années 2006 à 2008 et qu’un montant de 184 423,86 $ n’a pas été remis à l’intimée;

 

[4]             Les questions en litige sont les suivantes :

 

(a)     le ministre pouvait-il utiliser une méthode de vérification alternative dans les circonstances?

 

(b)     la méthode de vérification alternative, telle qu’appliquée par le ministre, a-t-elle révélée des résultats fiables?

 

(c)      le ministre était-il en droit d’imposer des pénalités à l’appelante?

 

[5]             Selon l’appelante, la méthode de vérification alternative ne pouvait pas être utilisée par le ministre en l’espèce pour notamment les motifs suivants énoncés au paragraphe 14 de l’avis d’appel :

 

a)         La vérificatrice s’est basée sur des présomptions de faits erronées, trompeuses et non pertinentes pour décider d’appliquer une méthode de vérification alternative.

 

b)         La vérificatrice n’a pas vérifié la rectitude et la pertinence des présomptions de faits sur lesquelles elle s’est basée pour décider d’appliquer une méthode de vérification alternative.

 

c)         L’Appelante a dûment conservé l’ensemble des livres, registres et autres documents ou choses qu’elle avait l’obligation de conserver aux termes des lois fiscales applicables (ci-après, les « Documents »).

 

d)         Les Documents étaient disponibles et auraient pu être vérifiés par la vérificatrice afin d’en arriver, sur la base d’une étude exhaustive de ceux-ci, à la véritable responsabilité fiscale de l’Appelante en vertu de la LTA, ce qu’elle n’a pas fait.

 

e)         L’Appelante a dûment produit auprès du Ministre l’ensemble des déclarations qu’elle avait l’obligation de produire en vertu de la LTA.

 

f)         L’Appelante a dûment perçu et versé au Ministre l’ensemble des montants qu’elle avait l’obligation de percevoir et de verser en vertu de la LTA.

 

g)         Les ajustements effectués par le Ministre relativement aux montants dont la l’Appelante serait redevable en vertu de la LTA pour la Période visée aux termes de la Cotisation sont erronés et excessifs.

 

[6]             Subsidiairement, l’appelante soumet que la méthode de vérification alternative utilisée par le ministre n’a pas révélé des résultats fiables pouvant justifier les ajustements effectués en vertu de la cotisation du 17 décembre 2009 pour notamment les motifs suivants, énoncés au paragraphe 16 de l’avis d’appel :

 

a)         L’échantillonnage utilisé par la vérificatrice, soit les achats d’alcool effectués par l’Appelante au cours de la Période visée, n’est clairement pas représentatif de l’ensemble des ventes effectuées par l’Appelante au cours de ladite période.

 

b)         À cet égard, les ventes reconstituées par la vérificatrice reposent sur la fausse présomption que 92% de l’alcool acheté par l’Appelante a été vendu au cours de la Période visée, omettant ainsi de prendre en considération des facteurs importants, tels que :

 

(i)         Consommation personnelle d’alcool par les dirigeants et les employés de l’Appelante;

 

(ii)        Alcool offerts (sic) gratuitement aux clients de l’Appelante;

 

(iii)       Utilisation d’alcool dans la préparation des repas;

 

(iv)       Alcool offerts (sic) en commandite; et

 

(v)        Bris de bouteilles.

 

c)         Les sondages effectués par la vérificatrice et sur lesquels reposent la Cotisation sont erronés et n’ont aucune fiabilité statistique.

 

[7]             Finalement, l’appelante soumet que le ministre n’était pas en droit d’imposer les pénalités pour notamment les motifs suivants, énoncés au paragraphe 18 de l’avis d’appel :

 

a)         L’Appelante a dûment perçu et versé au Ministre l’ensemble des montants qu’elle devait percevoir et verser en application de la LTA pour la Période visée.

 

b)         L’Appelante n’est redevable d’aucun montant auprès du Ministre en application de la LTA pour la Période visée.

 

c)         L’Appelante n’a fait aucun énoncé ou omission dans quelconque document que ce soit volontairement ou dans des circonstances qui équivalent à de la négligence flagrante.

 

d)         Plus précisément, et sans restreindre la généralité de ce qui précède, l’Appelante n’est redevable d’aucune pénalité auprès du Ministre en application de l’article 285 de la LTA pour la Période visée.

 

[8]             Les achats de bière, de vin et de saké effectués par l’appelante au cours de la période ne font pas l’objet d’une contestation de la part de l’appelante.

 

[9]             L’appelante a produit en Cour les documents suivants :

 

a)       le rapport de vérification en date du 8 décembre 2009 (Pièce A-1);

 

b)      la conciliation détaillée de la TPS, de la taxe de vente du Québec, des crédits de taxe sur intrants (« CTI ») et du remboursement de taxe sur intrants (« RTI ») (Pièce A-2);

 

c)       une feuille de travail montrant les litres disponibles de bière, de vin et de saké pour chacun des restaurants et les litres vendus, de même que les litres consommés par les employés et les litres offerts lors d’événements et lors de congés de Noël et du Nouvel An, à laquelle était annexées des confirmations de consommation par les employés des deux restaurants (Pièce A-3).

 

[10]        La preuve documentaire produite en Cour par l’intimée comprend les documents suivants :

 

a)       l’avis de cotisation du 17 décembre 2009, les décisions sur opposition du ministre et des états des rajustements de vérification TPS/TVH (Pièce I-1);

 

b)      les états financiers non vérifiés de l’appelante au 31 décembre 2008, 2007 et 2006 (Pièce I-2);

 

c)       une compilation faite par l’appelante de ses ventes mensuelles (Pièce I‑3);

 

d)      des feuilles de travail supplémentaires de la vérificatrice (Pièce I-4);

 

e)       le sommaire des revenus non déclarés de l’appelante (Pièce I-5).

 

[11]        Plusieurs personnes ont témoigné pour le compte de l’appelante dont madame Thi Diem Trang Phan, seule administratrice et propriétaire de l’appelante, monsieur  Nguyen Chau, son conjoint et gérant des deux restaurants, monsieur Thang Phat Vuong, un chef cuisinier, monsieur Minh Hue Dang, un cuisinier, monsieur Le Tri Dung, un cuisinier, monsieur Jaccrya, un cuisinier de sushis et monsieur Le Quang Trung, un serveur.

 

[12]        Les témoignages des employés de l’appelante avaient pour but de confirmer les déclarations écrites mais non assermentées concernant leur consommation de bouteilles de bière et de vin sur leurs quarts de travail, à la fermeture des restaurants le soir et lors d’occasions spéciales (« Pièce A-3). Selon eux, la consommation de bière et de vin par les employés des deux (2) restaurants au cours de la période aurait été d’environ de sept (7) à neuf (9) caisses de bière de 24 bouteilles par semaine, généralement fournies gratuitement et exceptionnellement payées 1 $ par bouteille de bière. De plus, ils auraient consommé de trois (3) à cinq (5) bouteilles de vin par semaine lesquelles étaient payées au prix coûtant alors que deux (2) à trois (3) bouteilles de vin par semaine étaient consommées pour des essais avec la clientèle ou pour de nouvelles recettes. Enfin, les employés ont confirmé que les consommations d’alcool étaient gratuites lors d’occasions spéciales, comme à Noël, au Nouvel An, le jour du Nouvel An asiatique, aux anniversaires des restaurants et aux autres célébrations du genre.

 

[13]        Madame Thi Diem Trang Phan a d’abord confirmé les heures d’ouverture des restaurants. Dans le cas du Torii, le restaurant est ouvert du lundi au samedi et les heures d’ouverture du lundi au vendredi sont de 11 :30 à 14 :30 et de 17 :00 à 22 :00; le samedi, le restaurant est ouvert de 17 :00 à 22 :00 heures. Dans le cas du Kingyo, le restaurant est ouvert du mardi au dimanche et les heures d’ouverture sur semaine sont de 11 :30 à 14 :00 et de 17 :00 à 21 :00 ou 22 :00 heures. Les fins de semaine, le restaurant est ouvert de 17 :00 à 22 :00 heures. Madame Phan a expliqué que les deux restaurants comptent environ 90 places chacun et emploient de 30 à 35 personnes en tout, incluant des employés à temps plein et des employés à temps partiel, dont la très grande majorité sont d’origine asiatique et résident à Montréal. Le restaurant Torii est situé à Laval alors que le restaurant Kingyo, ouvert en octobre 2005, est situé à Blainville.

 

[14]        Madame Phan qui a une formation en comptabilité de l’Université du Québec à Montréal a expliqué que toutes les ventes et tous les paiements étaient enregistrés dans le système informatique ALOHA. Une compilation des pourboires était effectuée pour chaque quart de travail et un rapport des ventes était remis à chaque serveur. À la fin de chaque jour de travail, une conciliation de la caisse était effectuée pour chaque quart de travail. À la fin de chaque mois, les résultats consolidés d’opérations des deux restaurants étaient effectués à l’aide du logiciel « Quick Book ». Mme Phan préparait elle‑même les déclarations de taxes et tous les registres étaient conservés. Mme Phan a affirmé avoir remis l’ensemble des documents et une copie du système informatique à la vérificatrice et avoir répondu à toutes les questions posées par la vérificatrice.

 

[15]        Dans le cadre de la vérification, madame Phan a soumis à la vérificatrice des rapports mensuels des ventes (la Pièce I-3) lesquels ont été préparés à l’aide des factures et des rapports des serveurs. En contre-interrogatoire, Mme Phan a reconnu que les données des rapports mensuels des ventes ne concordaient pas avec les données du système informatique ALOHA et elle a attribué ces divergences à des pertes de données causées par des pannes électriques au nouveau centre d’achat où était situé le restaurant Kingyo. Pour 2008, le montant des erreurs se situait à environ 79 000 $, ce qui n’était pas significatif selon Mme Phan.

 

[16]        Pour justifier un faible ratio des ventes d’alcool par rapport au nombre de litres achetés, Mme Phan a invoqué la consommation interne des employés qu’elle évalue de huit (8) à dix (10) caisses de 24 bières par semaine pour les deux restaurants et les gratuités offertes par le gérant en salle des restaurants. Par contre, Mme Phan a reconnu qu’il n’y avait pas de bouton de gratuités sur les caisses enregistreuses et pas de registres des gratuités, ni de registres des consommations internes.

 

[17]        Monsieur Nguyen Chau est le gérant et le sommelier des deux restaurants et il est responsable de l’embauche des cuisiniers et des « sushi man » dont la grande majorité demeure à Montréal. Il a expliqué que, pendant la pause de l’après-midi soit de 14 :00 à 17 :00 heures, les chefs cuisiniers mangent, dorment, jouent au poker ou boivent de la bière. Selon lui, il est important d’offrir de la bière aux cuisiniers pour créer une bonne ambiance et maintenir de bonnes relations avec eux. L’offre de bière est également  faite pour récompenser l’atteinte des objectifs de ventes. Les caisses de bière mises à la disposition des employés sont laissées dans le réfrigérateur de la cuisine des restaurants. M. Chau a confirmé qu’il n’y avait pas de registres de la consommation de bière par les employés. M. Chau a dit qu’il buvait avec les employés en moyenne six (6) bouteilles de bière par jour. Enfin M. Chau a expliqué que lorsqu’il n’y avait plus de bières gratuites, les employés pouvaient s’en procurer en remettant 1,00 $ par bière dans une boîte prévue à cet effet; l’appelante perdait alors 0,25¢ par bière.

 

[18]        M. Chau n’a pas été en mesure de fournir d’explications concernant le nombre et la fréquence des pannes électriques survenues dans les restaurants. Par contre, il a indiqué qu’une génératrice a été acquise au coût de 6 000 $, laquelle a été installée au restaurant Kingyo.

 

[19]        Monsieur Dario Grimard, technicien en informatique, a témoigné à l’audience pour le compte de l’intimée et il a relaté le fait qu’il avait le 14 mai 2009 pris une copie du disque dur du serveur de chaque restaurant pour l’année 2008.

 

[20]        Madame Sophie Leduc, la vérificatrice de Revenu Québec, a témoigné à l’audience et elle a expliqué le déroulement et les conclusions de sa vérification. La vérification a débuté le 27 janvier 2009 aux bureaux des comptables Vinh, Prévost, Patenaude CA Inc. À cette occasion, l’appelante a remis à la vérificatrice ses rapports mensuels des ventes (Pièce I-3). Préalablement à cette rencontre, la vérificatrice a effectué une visite initiale le 3 juin 2008 au restaurant Torii et s’est présentée incognito au restaurant Torii le 18 octobre 2008 et au restaurant Kingyo le 20 novembre 2008.

 

[21]        Le 18 février 2009, la vérificatrice s’est présentée au restaurant Torii pour mesurer la quantité de liquide versée dans les verres de vin et dans les petits et grands carafons de saké. Le même travail a été effectué le 18 mars 2009 au restaurant Kingyo.

 

[22]        Le 6 mai 2009, la vérificatrice a procédé en présence d’un représentant de l’appelante à un inventaire de l’alcool au restaurant Torii. Le 7 mai 2009, le même travail a été effectué au restaurant Kingyo et au domicile de Mme Phan.

 

[23]        Le 14 mai 2009, une prise de copie du disque dur des serveurs des deux restaurants a été effectuée.

 

[24]        La vérificatrice a expliqué qu’elle a d’abord effectué une conciliation des déclarations des taxes, une analyse de risque sur les fournitures et une comparaison de la liste des dépôts avec les revenus déclarés. Aucun écart important n’a été constaté à l’égard de ces analyses.

 

[25]        La vérificatrice a également examiné la méthode d’enregistrement des ventes et elle a constaté que toutes les factures des clients étaient conservées et étaient compilées dans les sommaires de chaque journée et toutes les informations étaient combinées dans les feuilles mensuelles construites par Mme Phan.

 

[26]        La vérificatrice a procédé à la vérification des données des feuilles mensuelles de Mme Phan en sélectionnant au hasard le mois de février 2007 pour le restaurant Kingyo et le mois de novembre 2007 pour le restaurant Torii. Les factures de chaque jour de ces mois ont été comparées avec les informations fournies sur les feuilles mensuelles de Mme Phan. La vérificatrice a constaté qu’il y avait de nombreux écarts mais que ces écarts n’étaient pas substantiels. Selon la vérificatrice, ce travail lui a permis de constater que les données des feuilles mensuelles de Mme Phan n’étaient pas fiables.

 

[27]        La vérificatrice a également procédé à l’analyse des revenus déclarés aux états financiers avec les revenus déclarés par l’appelante. Un écart minime a alors été constaté mais un écart de 79 000 $ a été constaté lorsque les revenus déclarés aux états financiers ont été comparés avec les revenus provenant de la prise de copie de l’année 2008.

 

[28]        La vérificatrice a, par contre, constaté un écart considérable lorsqu’elle a analysé les factures d’achat de bière avec le relevé des ventes de bière suite à la prise de copie pour l’année 2008. Pour l’année 2008, la vérificatrice a constaté que 274 caisses de bière de 341ml et 85 caisses de bière de 650ml ont été achetées sans être vendues et il manquait 2 770 bouteilles de vin. En termes de litres, un écart de 6 000 litres de boisson a été constaté pour 2008 entre les litres achetés (14 051 litres) et les litres vendus (8 346 litres), selon la prise de copie. Pour 2006 et 2007, les ventes de bière étaient inférieures aux achats.

 

[29]        Suite à ces observations, la vérificatrice a décidé d’utiliser la méthode alternative pour s’assurer que tous les revenus de l’appelante étaient bien déclarés. La méthode choisie a consisté à reconstituer les ventes à partir des achats en se servant d’un ratio établi sur certains items (bières, vins et saké) à partir d’un échantillonnage de factures. Pour 2006 et 2007, un échantillonnage de 45 jours a été choisi au hasard pour chacun des restaurants. Pour 2008, le nombre de litres de bière, de vin et de saké vendus a pu facilement être établi à l’aide de la prise de copie. Les ventes estimées ont été établies par un prix unitaire moyen calculé en litres pour chacun des items choisis en le multipliant par le nombre de litres achetés.

 

[30]        Cette reconstitution des ventes a démontré des écarts de revenus de 3 167 703,82 pour les trois années de vérification pour les deux restaurants, soit environ 1 000 000 $ par année.

 

[31]        Suite aux représentations de l’appelante et à la production de la lettre signée par tous les employés qui ont consommé de l’alcool dans les restaurants, la vérificatrice a augmenté de 3% à 8% du chiffre d’affaire le pourcentage des pertes, gratuités et consommation personnelle, ce qui représente 828 930,94 $ pour les trois années de la vérification. Selon la lettre signée par les employés, leur consommation de litres d’alcool représentait environ 60% des achats des deux restaurants, mais l’appelante demandait 35% des achats.

 

[32]        Des pénalités de 25% ont été appliquées en vertu de l’article 285 de la LTA représentant 45 947,25 $, compte tenu du fait que les montants omis représentaient 49,76% des ventes déclarées et que les faux énoncés ou omissions décelées étaient répétitives.

 

Les dispositions législatives applicables et le fardeau de la preuve

 

[33]        Le paragraphe 286(1) de la LTA prévoit l'obligation d'un mandataire de tenir des livres et registres :

 

Toute personne qui exploite une entreprise au Canada ou y exerce une activité commerciale, toute personne qui est tenue, en application de la présente partie, de produire une déclaration ainsi que toute personne qui présente une demande de remboursement doit tenir des registres en anglais ou en français au Canada ou à tout autre endroit, selon les modalités que le ministre précise par écrit, en la forme et avec les renseignements permettant d'établir ses obligations et responsabilités aux termes de la présente partie ou de déterminer le remboursement auquel elle a droit.

 

[34]        Le paragraphe 288(1) de la LTA confère aux personnes dûment autorisées le pouvoir de vérifier, notamment, les livres et registres d'un mandataire pour établir sa responsabilité fiscale :

 

Une personne autorisée peut, en tout temps raisonnable, pour l'application ou l'exécution de la présente partie, inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés d'une personne, dont l'examen peut aider à déterminer les obligations de celle-ci ou d'une autre personne selon la présente partie ou son droit à un remboursement. […]

 

[35]        En vertu du paragraphe 296(1) de la LTA, le ministre du Revenu national peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire pour déterminer, entre autres, la taxe nette d'un mandataire pour une période de déclaration ainsi que les pénalités et les intérêts payables par celui-ci.

 

[36]        En vertu du paragraphe 299(3) de la LTA, une cotisation est réputée valide et exécutoire, sous réserve d'une nouvelle cotisation et d'une annulation prononcée par suite d'une opposition ou d'un appel fait selon la présente partie.

 

[37]        Dans l'affaire Amiante Spec Inc. et Sa Majesté la Reine, 2009 CAF 139 (CanLII), la Cour d'appel fédérale a formulé les commentaires suivants concernant le fardeau de la preuve applicable lorsqu'un contribuable désire contester la validité d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation :

 

[15] L'affaire Hickman nous a rappelé que le ministre se fonde sur des présomptions pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les présomptions exactes formulées par celui-ci est imposée au contribuable.  Ce dernier s’acquitte de ce fardeau initial lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées dans la cotisation.  Enfin, lorsque le contribuable s’est déchargé de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par celui- et prouver les présomptions (Hickman, supra aux paragraphes 92-93-94).

 

[...]

 

[23] Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. Une preuve prima facie n'est pas la même chose qu'une preuve concluante, qui exclut la possibilité que toute conclusion autre que celle établie par cette preuve soit vraie » (Stewart c. Canada, [2000] T.C.J. No. 53 au paragraphe 23).

 

[24] Bien qu'il ne s'agisse pas d'une preuve concluante, « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu'il s'agit de l'entreprise du contribuable » (Voitures Orly inc. c. Canada, 2005 CAF 425 au paragraphe 20). Cette Cour a précisé que c'est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle » (ibid.).

 

Analyse et conclusion

 

[38]        L'avocat de l'appelante a fait valoir qu'une méthode de vérification alternative ne pouvait être utilisée en l'espèce parce que l'appelante possédait l'ensemble de ses registres comptables et parce qu'après avoir procédé à quatre vérifications, la vérificatrice n'a trouvé que des écarts variant de 0,2% à 3,8% du chiffre d’affaire.

 

[39]        Les tribunaux permettent aux autorités fiscales d'utiliser une méthode de vérification alternative non seulement lorsque le contribuable ne possède pas de registres comptables adéquats mais également lorsque ses livres, registres et états financiers ne sont pas fiables.

 

[40]        Dans le cas présent, l'appelante n'avait aucun document à l'appui des prises d'inventaire. Dans les circonstances, l'appelante ne peut prétendre que ses livres, registres, états financiers étaient complets, adéquats et fiables.

 

[41]        La conciliation des revenus déclarés aux états financiers avec les revenus provenant de la prise de copie de l'année 2008 a démontré que les revenus aux états financiers ont été sous-estimés pour un montant de 79 000 $. Lors de l'audience, l'appelante n'a d'ailleurs pas été en mesure de justifier cet écart de 79 000 $.

 

[42]        L'analyse des factures d'achats de bière avec le relevé des ventes de bière obtenues suite à la prise de copie pour l'année 2008 a démontré un écart considérable, soit 274 caisses de bière de 341 ml et 85 caisses de bière de 650 ml ont été achetées sans être vendues en plus des 2 128 litres de vin manquants.

 

[43]        Le sondage des ventes du mois de février 2007 pour le restaurant Kingyo et du mois de novembre 2007 pour le restaurant Torii par rapport aux informations obtenues de la feuille mensuelle du propriétaire n'a pas démontré d'écarts importants mais la fréquence et la régularité des écarts ont surtout établi que les données de l'appelante n'étaient pas fiables.

 

[44]        Compte tenu de la preuve présentée, il m'apparaît que le ministre était justifié d'utiliser une méthode indirecte pour établir que tous les revenus de l'appelante étaient bien déclarés.

 

[45]        L'avocat de l'appelante a soulevé la fiabilité de la méthode alternative utilisée par le ministre, laquelle était basée sur des estimations et des sondages qui ne peuvent donner que des résultats estimatifs. Selon lui, il est de jurisprudence constante que les autorités fiscales doivent démontrer que les prémisses sur lesquelles est basée leur méthode alternative sont fiables.

 

[46]        Avec respect, je suis d'avis que la méthode alternative utilisée par le ministre a procuré des résultats qui sont fiables. Toutes les factures d'achats de bière, de vin et de saké pour les deux restaurants et pour les trois années en litige ont été vérifiées et il n'y a pas de contestation à cet égard de la part de l'appelante.

 

[47]        La détermination du nombre de litres d'alcool disponibles pour la revente par restaurant et par année a été effectuée à partir du nombre de litres achetés, lequel a été ajusté pour tenir compte des variations de l'inventaire. Le nombre de litres disponibles pour la revente a été multiplié par le ratio établi lors de la saisie des ventes d'alcool pour déterminer les ventes estimées.

 

[48]        Avec la prise de copie du disque dur, toutes les informations de l'année 2008 étaient disponibles, ce qui a permis une vérification complète par recensement. Les ventes totales et les litres vendus ont pu être établis avec précision. Pour les années 2006 et 2007, la vérificatrice s'est basée sur un échantillonnage de 45 jours pour chacun des restaurants. Les ventes estimées ont été établies par un prix unitaire moyen calculé en litre pour chacun des items choisis en le multipliant par le nombre de litres achetés. C'est de cette façon que les écarts entre les ventes reconstituées et les ventes déclarées ont été calculées.

 

[49]        L'avocat de l'appelante n'a contesté aucune des étapes de la méthode alternative utilisée par la vérificatrice et il a plutôt soutenu que, suite aux vérifications de l'appelante concernant la consommation interne de bière par les employés de l'appelante, la vérificatrice aurait dû effectuer une autre vérification afin de corroborer les résultats de sa vérification effectuée à l'aide de la méthode alternative. Selon lui, le pourcentage de pertes de 8% basé sur l'affaire Restaurant Barolo Inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2007 QCCQ 316 (CanLII) est arbitraire et ne tient pas compte des explications de l'appelante. Il a de plus, soutenu avoir présenté une preuve qui n'a pas été contredite à l'effet que les employés consommaient approximativement 60% de la bière achetée par l'appelante lors de la période de vérification. Selon lui, il ne s'agit pas de perte « standard » mais de la consommation par les employés de la majorité des achats d'un item utilisé afin d'effectuer la reconstitution des ventes. En somme, l'avocat de l'appelante soutient que les lettres produites par les employés qui ont consommé de l'alcool et leurs témoignages à l'audience devaient être acceptés comme une preuve prima facie et que l'intimé devait assumer le fardeau de la preuve.

 

[50]        Pour les raisons qui suivent, je ne peux accepter les témoignages et les lettres susmentionnées de preuve prima facie, les chiffres de consommation d'alcool étaient invraisemblables, imprécis et peu fiables. L'appelante n'a produit aucun registre des pertes d'alcool, des gratuités aux clients, de bouteilles de vins consommés en cuisine et de consommation de bières par les employés. La consommation de bières par les employés représentait approximativement 60% de la bière achetée par l'appelante pour les deux restaurants mais, pour le restaurant Kingyo seulement, la consommation de bières par les employés représentait de 80% à 85% des achats de bière pour ce restaurant. À ce niveau, ces chiffres de consommation sont impossibles. Les lettres et les témoignages des employés de l'appelante réfèrent à leur consommation de bouteilles de bière et de vin en termes généraux, soit environ 7 à 9 caisses de bière de 24 bouteilles par semaine et environ 3 à 5 bouteilles de vin par semaine. Le nombre de millilitres des bouteilles de bière et des bouteilles de vin n'est pas précisé et il en est de même pour les marques de bières et de vins qui ont été consommées. Les témoignages de la direction de l'appelante ont été imprécis quant aux employés qui avaient le droit de consommer de la bière fournie gratuitement et quant à la façon dont les caisses de bière étaient mises à la disposition des employés. Aucune précision n'a été fournie sur quelle base ou suivant quelles règles les caisses de bière étaient mises à la disposition des employés.

 

[51]        Dans les circonstances, l'appelante n'a pas fourni de preuve suffisante pour démontrer que l’allocation de 8% accordée par la vérificatrice pour la promotion et pour l'utilisation interne devait être augmentée.

 

[52]        Quant à la pénalité de 25% prévue à l'article 285 de la LTA, l'avocat de l'appelante n'a pas fait de représentation lors de l'audience. Le texte de l'article 285 prévoit l'application de la pénalité lorsqu'une personne « sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration ». Le fardeau de la preuve relatif à cette disposition repose sur l'intimée.

 

[53]        La preuve démontre des omissions importantes et répétées dans les déclarations de taxe sur les produits et services, soit des ventes non déclarées représentant 49,76% des ventes déclarées, soit 3 167 703,82 $ sur des ventes déclarées de 6 365 002,00 $. La preuve a démontré que l'appelante a fait de faux énoncés ou omissions dans ses déclarations de taxes et ce, de façon répétitive. L'appelante n'a pas présenté d'explications quant à ses omissions et la seule conclusion possible est qu'elles sont le résultat d'une négligence flagrante de sa part qui équivaut à une faute lourde.

 

[54]        Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de mai 2013.

 

 

 

« Réal Favreau »

Juge Favreau

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 160

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-335(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            9100-8649 QUÉBEC INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 22 et 23 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Réal Favreau

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 14 mai 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Jacques Plante

 

Avocat de l’intimée :

Me Philippe Morin

 

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                           Me Jacques Plante

 

                 Cabinet :                          Fraser Milner Casgrain

                                                          Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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