Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Dossiers : 2009-2997(EI)

2009-2998(CPP)

ENTRE :

AURÈLE ST-PIERRE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 13 mai 2013, à Edmundston (Nouveau-Brunswick)

 

Devant : L'honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Pour l'appelant :

 

L'appelant lui-même

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        Les appels des décisions du ministre du Revenu national, selon lesquelles l’appelant n’occupait pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance‑emploi et ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada, sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 180

Date : 20130606

Dossiers : 2009-2997(EI)

2009-2998(CPP)

ENTRE :

AURÈLE ST-PIERRE,

appelant,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a déterminé que l’appelant, au cours de la période du 5 septembre au 7 octobre 2005 (la « période »), n’exerçait pas un emploi aux termes d’un contrat de louage de services au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») et, subsidiairement, s’il y avait un contrat de louage de services entre l’appelant et l’entreprise 619454 NB inc. (la « payeuse ») que, son emploi n’était pas assurable car il existait entre eux un lien de dépendance au sens des alinéas 5(2)i) et 5(3)a) de la Loi et de l’alinéa 251(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu. En ce qui concerne le Régime de pensions du Canada, le ministre a déterminé que l’appelant n’avait pas travaillé pour la payeuse durant la période et que, par conséquent, il n’occupait pas un emploi ouvrant droit à pension au sens de l’alinéa 6(1)a) du Régime au cours de la période, étant donné qu’il n’existait pas de contrat de louage de services entre l’appelant et la payeuse. L’appelant interjette appel de ces deux décisions.

 

[2]             Au début de l’audience, l’intimé a informé la Cour qu’il voulait modifier ses Réponses aux avis d’appel en supprimant les paragraphes 5 f) et g) dans les deux appels dont la Cour est saisie.

 

[3]             La société payeuse fut constituée en société le 8 juin 2005 en vertu des lois du Nouveau-Brunswick et fut dissoute le 28 mars 2008. Son seul actionnaire et administrateur était M. Donald Bergeron. L’activité déclarée de cette société était l’exploitation d’une entreprise forestière. Elle a tiré des revenus de la coupe de bois à partir de la semaine du 5 juin 2005 jusqu’au 26 mai 2006, soit la période examinée par les enquêteurs de l’intimé. Durant cette période, la payeuse aurait transporté 450 charges de bois.

 

[4]             La payeuse fait partie d’un groupe de sociétés visées par une enquête majeure de la Commission de l’assurance-emploi. Cette enquête a révélé que ces sociétés, dont la payeuse, participaient à des stratagèmes qui consistaient à remettre à certaines personnes de faux relevés d’emploi afin qu’elles puissent recevoir des prestations d’assurance-emploi auxquelles elles n’avaient pas droit.

 

[5]             L’enquête a révélé que la payeuse ne tenait aucun grand livre de ses revenus et dépenses, qu’elle n’avait pas signé de contrat de droit de coupe, qu’elle n’avait jamais produit de déclaration de revenus et qu’elle n’avait jamais remis de retenues à la source au ministre.

 

[6]             Du 5 juin 2005 au 30 septembre 2006, la payeuse a remis des relevés d’emploi à 16 personnes. Une de celles‑ci a admis aux enquêteurs avoir acheté son relevé d’emploi de la payeuse sans avoir travaillé; une autre aurait reçu un relevé d’emploi après avoir accepté de remettre la moitié des prestations à la payeuse, et une troisième aurait admis avoir coupé son propre bois et avoir reçu un relevé d’emploi indiquant qu’elle l’avait fait à titre d’employé de la payeuse.

 

[7]             Les enquêteurs de la Commission ont dressé la liste des employés figurant dans le registre de paie de la payeuse et leur heures de travail. Ils ont également obtenu une copie du relevé des opérations bancaires de la payeuse durant la période visée par l’enquête, de même qu’une copie de tous les chèques émis par la payeuse, ou encaissés ou déposés par celle‑ci. La payeuse n’avait remis de chèques qu’à un seul des employés dont le nom figurait dans son registre de paie.

 

[8]             L’appelant s’est vu remettre deux relevés d’emploi durant l’année 2005. Le premier relevé était insuffisant pour permettre à l’appelant d’avoir droit à des prestations d’assurance-emploi. Le deuxième, celui remis par la payeuse, lui aurait donné droit à des prestations même s’il avait indiqué moins d’heures de travail; les heures de travail indiquées donnaient à l’appelant le droit de recevoir des prestations plus élevées.

 

[9]             Au cours de l’enquête et de l’appel de la décision du ministre, l’appelant a répondu à trois questionnaires. Le premier a eu lieu durant l’enquête, le 23 octobre 2007. Le deuxième a eu lieu le 3 juin 2008 et a été obtenu par Annette Melanson du ministère des Ressources humaines lors d’une rencontre avec l’appelant; le troisième a eu lieu le 18 mars 2009 et a été obtenu par l’agente des appels de l’Agence du revenu du Canada.

 

[10]        Durant son témoignage, l’appelant a dit qu’en 2005, il avait travaillé pendant neuf semaines pour Kedgwick Lumber. Au début septembre, il a rencontré Donald Bergeron, parce qu’il savait que ce dernier faisait la coupe du bois. Monsieur Bergeron l’aurait renvoyé à un dénommé Claude St‑Onge. L’appelant déclare n’avoir presque jamais revu Donald Bergeron par la suite. Il s’est aussi rendu compte que Donald Bergeron n’était qu’un prête-nom. Il a donc négocié avec Claude St-Onge un salaire de 750 $ par semaine pour une semaine de 45 heures de travail. Selon l’appelant, le taux horaire et le nombre d’heures lui importaient peu. Ce qui était important pour lui, c’était sa paie nette.

 

[11]        L’appelant dit qu’il a récupéré du bois durant environ une semaine dans la région d’Upsalquitch et au rang 10 et que, par après, Claude St‑Onge lui a demandé d’évaluer des terres à bois. Il en évaluait en moyenne une par semaine et aurait effectué ce travail durant les quatre dernières semaines de son emploi. Il en a évalué une au rang 4, une au rang 5, une à Whites Brook et deux au Québec près de Matapédia durant une fin de semaine. Il dit avoir effectué son travail seul.

 

[12]        Pour sa première semaine de paie, il a reçu un chèque signé par Donald Bergeron. Il a encaissé le chèque à une épicerie en raison des problèmes financiers qu’il avait à l’époque. Le chèque en question était sans provision. Il a par la suite reçu sa paie en argent comptant, qu’il allait chercher chez Claude St‑Onge le samedi.

 

[13]        L’intimé a déposé en preuve une photocopie de quatre des cinq états de rémunération et de retenues que l’appelant lui avait fait parvenir, de même qu’une photocopie du registre de paie de la payeuse. Selon les relevés, l’appelant a été payé par chèque, puisque chaque relevé indique un numéro de chèque. Ces numéros ne correspondent cependant pas aux numéros qui se trouvent au registre de paie. De plus, le nombre d’heures de travail est de 50 heures et non de 45.

 

[14]        Il incombe à l’appelant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a travaillé pour la payeuse durant la période en cause, qu’il a effectué les heures de travail en question et qu’il a reçu la rémunération indiquée au relevé d’emploi qu’il a reçu de la payeuse par la poste.

 

[15]        L’appelant a été seul à témoigner. Il n’a produit en preuve que des photocopies des entrées du registre de paie à son sujet et quatre des cinq états de rémunération et de retenues. Ces photocopies contredisent immédiatement sa version des faits, puisqu’elles indiquent des semaines de 50 heures de travail au lieu de 45, et que l’appelant aurait été payé par chèque durant les cinq semaines de son emploi et non en argent comptant. Qui plus est, les numéros de chèques indiqués sur les relevés et au registre de la paie ne correspondent pas.

 

[16]        Il ne fait aucun doute que les activités commerciales de la payeuse sont douteuses et qu’il peut être difficile pour l’appelant de démolir les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre a fondé ses décisions en l’espèce, et plus particulièrement les hypothèses concernant les activités de la payeuse. Ce fardeau peut sembler plus lourd à surmonter à première vue, mais il n’est pas impossible de le surmonter.

 

[17]        L’appelant a été le seul à témoigner à l’appui de sa cause. Il n’a produit aucun document appuyant ses dires. En fait, les deux seuls documents qu’il a fait parvenir aux enquêteurs viennent le contredire. En effet, les états de rémunération et de retenues et le registre de la paie de la payeuse indiquent clairement que l’appelant a été payé par chèque et non en argent comptant comme il le prétend, sauf pour sa première paie. Ce qui est d’autant plus troublant est le fait que les numéros des chèques de paie sur les états de rémunération et de retenues ne correspondent pas à ceux indiqués au registre de paie de la payeuse. Je ne peux également négliger le fait que selon les relevés bancaires de la payeuse, elle n’a émis aucun chèque à l’appelant. En fait, elle n’avait émis de chèques qu’à un seul des 16 employés qui figurent au registre.

 

[18]        Certains aspects du témoignage de l’appelant au procès viennent également contredire certaines des réponses qu’il a données aux enquêteurs de l’intimé. Dans les trois questionnaires auxquels il a répondu, l’appelant a toujours mentionné que ses tâches consistaient à récupérer du bois, soit recueillir le bois que la bûcheuse avait échappé et le couper en morceaux de huit pieds. Or, au procès, il a déclaré qu’il n’avait effectué ce travail que durant une semaine et que durant les quatre semaines suivantes, il avait évalué des terres à bois à des endroits tout à fait différents de ceux indiqués dans ses réponses aux questionnaires. Je veux bien croire que ces événements remontent à quelques années, mais il s’agit ici d’une modification importante de ses tâches pour la payeuse. De plus, dans le questionnaire du 23 octobre 2007, l’appelant dit avoir travaillé au rang 10, à Quatre‑Milles et à Upsalquitch. Dans le questionnaire du 3 juin 2008, il a répondu qu’il s’agit du rang 10 et d’Upsalquitch et que ce sont les deux seuls endroits. Dans le questionnaire du 18 mars 2009, il a répondu avoir travaillé à Upsalquitch et à Main Siding, et aux rangs 10 et 9. Au procès, il a parlé de récupération au rang 10 et à Upsalquitch et de quatre semaines d’évaluation de terres à bois aux rangs 4 et 5, à Whites Brook et à Matapédia, dans la province de Québec.

 

[19]        Dans le questionnaire du 18 mars 2009, l’appelant a déclaré avoir négocié avec Donald Bergeron un salaire de 750 $ par semaine pour 45 heures de travail. Au procès, il a déclaré avoir négocié avec Claude St‑Onge un salaire de 750 $ par semaine pour 45 heures de travail et n’avoir pas parlé de salaire avec Donald Bergeron. Dans le questionnaire du 3 juin 2008, il parle d’un taux de rémunération de 16 $ ou 17 $ l’heure.

 

[20]        On retrouve également des anomalies dans les réponses de l’appelant sur son horaire de travail. Dans le questionnaire du 23 octobre 2007, il déclare qu’il travaillait de 6 h à 16 h. Dans celui du 3 juin 2008, il déclare commencer à 5 h ou 7 h, et dans le questionnaire du 18 mars 2009, il dit être libre de commencer à l’heure qu’il veut et dit avoir commencé à 6 h ou 7 h pendant cinq jours. Au procès, il admet qu’il ne tenait pas compte de ses heures et qu’une fois l’information nécessaire recueillie, il complétait le travail d’évaluation chez lui.

 

[21]        Quant à savoir qui supervisait son travail, dans le questionnaire du 23 octobre 2007, l’appelant a répondu que Donald Bergeron ne venait pas le voir souvent et ne mentionne rien au sujet de Claude St-Onge. Dans celui du 3 juin 2008, il déclare qu’il le voyait tous les jours. Dans le questionnaire du 18 mars 2009, il répond qu’il ne voyait presque pas monsieur Bergeron et qu’il voyait monsieur St‑Onge tous les jours. Au procès, il déclare qu’il ne voyait pas Claude St‑Onge tous les jours.

 

[22]        Dans le questionnaire du 18 mars 2009, il répond que Donald Bergeron lui a remis son relevé d’emploi. Dans le questionnaire du 23 octobre 2007 et au procès, il déclare l’avoir reçu par la poste. Dans le questionnaire du 3 juin 2008, il répond n’avoir jamais travaillé un samedi alors qu’au procès, il reconnaît avoir travaillé une fin de semaine.

 

[23]        Dans cet état de choses, il devient difficile, voire même impossible, d’accorder quelque crédibilité à l’appelant. Il peut arriver parfois qu’un témoin se trompe mais lorsque les erreurs portent sur le fondement même du litige, il devient impossible alors d’accorder du poids à cette preuve.

 

[24]        L’appelant ne m’a pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a réellement effectué du travail pour la payeuse. Il ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve.

 

[25]        Les appels sont donc rejetés.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 180

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2009-2997(EI), 2009-2998(CPP)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            AURÈLE ST-PIERRE  ET M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Edmundston  (Nouveau-Brunswick)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 6 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l'appelant :

L'appelant lui-même

 

Avocates de l'intimé :

Me Stéphanie Côté

Me Christina Ham

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelant:

 

                     Nom :                          

 

                 Cabinet :

 

       Pour l’intimé :                            William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.