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Dossier : 2011-737(GST)G

ENTRE :

LES ENTREPRISES DRF INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 11 mars 2013, à Montréal (Québec).

Devant : L'honorable juge François Angers

Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Aaron Rodgers

Me Dany Afram

 

Avocats de l'intimé :

Me Philippe Morin

Me Claude Lamoureux

____________________________________________________________________

JUGEMENT

L'appel de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l’avis est daté du 20 mai 2010 pour la période du 1er octobre 2006 au 30 juin 2009, est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juin 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers


 

 

 

Référence : 2013 CCI 95

Date : 20130617

Dossier : 2011-737(GST)G

 

ENTRE :

LES ENTREPRISES DRF INC.,

appelante,

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             L'appelante interjette appel d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour un montant total de 48 797,56 $, incluant un montant de 35 135,87 $ de taxe sur les produits et services (« TPS »), plus les intérêts et les pénalités. La période en question (la « période ») s'étend du 1er  octobre 2006 au 30 juin 2009. Lors d'une vérification, le ministre a refusé d’accorder à l’appelante les crédits de taxe sur intrants (« CTI ») qu’elle avait réclamés, ce qui explique la cotisation, et a ajouté des pénalités pour présentation erronée des faits et faute lourde pour omission dans ses déclarations de taxe pendant la période.

 

[2]             Les CTI refusés visent deux sous-traitants de l'appelante qui sont des agences de placement de personnel auxquelles l'appelante a eu recours durant la période, soit les Entreprises A.C.G.S. Inc. (« A.C.G.S. ») et Service d'emploi M.B. (« M.B. ») (ensemble, les « sous‑traitants »). Le motif invoqué par le ministre est que ces deux agences sont des fournisseurs de factures de complaisance.

 

[3]             L’appelante exerce des activités commerciales depuis 2006. Elles consistent à offrir des services de placement de personnel pour des entreprises oeuvrant dans le domaine de la viande. L’appelante embauche donc du personnel pour les fins de l'exécution de ses services et a fait appel aux sous‑traitants lorsqu'elle a eu une pénurie de main-d'œuvre. Entre octobre 2006 et novembre 2007, elle a fait appel au sous-traitant A.C.G.S., alors qu’entre novembre 2007 et juin 2009, elle a fait appel au sous-traitant M.B. En dehors de la période en question, l'appelante a fait appel aux services d'un autre sous-traitant qui n’est pas concerné par le présent litige. Il suffit de préciser que les factures de ce troisième sous-traitant ont été acceptées lors de la vérification comme étant conformes à la loi et que ce sous-traitant avait effectivement exercé des activités commerciales, déclaré ses revenus et fait ses versements de TPS et autres.

 

[4]             Madame Maria Freire est la présidente et unique actionnaire de l'appelante. Elle s'occupe principalement de la gestion avec l'aide d'un comptable. Son conjoint, monsieur Duarte Freire, est responsable du personnel de l'appelante. Le nombre d'employés de l'appelante a fluctué au cours des années, allant de trois jusqu'à 35. L’appelante avait aussi recours aux employés des deux sous‑traitants.

 

[5]             Les heures des employés de l’appelante étaient comptabilisées sur une base hebdomadaire par monsieur Freire et cette comptabilité était transmise à sa conjointe (pièce A‑2). Cette dernière confiait par la suite le tout au comptable qui s'occupait de la paie. Le comptable recevait aussi les chèques faits à l'ordre des sous‑traitants dans le but de préparer les états financiers de l'appelante et les déclarations de TPS. Monsieur Freire préparait aussi un sommaire des heures travaillées par les employés des sous‑traitants chaque semaine et le remettait à sa conjointe. Les noms des employés des sous‑traitants n'y étaient pas inscrits et aucun sommaire des heures travaillées par les employés des sous‑traitants n'a été produit en preuve.

 

[6]             Monsieur Freire a témoigné qu’à une époque où il avait besoin de personnel, une de ses connaissances lui a remis une carte d'affaires portant un numéro de cellulaire. Il ne se souvient pas si la carte identifiait le nom du sous-traitant A.C.G.S., soit le premier sous-traitant auquel l'appelante a eu recours. Au début de son témoignage, monsieur Freire ne se souvenait pas du nom de cette connaissance qu'il disait être un ami, mais il s'est finalement rappelé qu'il s'agissait de John Melo. L'avocat de l'appelante a d'ailleurs tenté d’assigner ce dernier à témoigner par signification à sa dernière adresse connue. Selon le rapport de tentative du huissier (pièce A‑5), John Melo aurait déménagé, et d’après les renseignements obtenus, il a été constaté que John Melo n'a ni domicile, ni résidence, ni établissement d'entreprise connus au Québec.

 

[7]             Monsieur Freire a donc composé le numéro de cellulaire apparaissant sur la carte d’affaires et un gars lui a répondu. Monsieur Freire a demandé à cette personne s'il pouvait lui fournir du personnel et il l'a rencontrée chez un client de l'appelante, soit une compagnie du nom de Qualiporc. Monsieur Freire ne se souvient pas du nom de cette personne et il ne sait pas s'il s'agissait d'un dénommé François Poitvin, un nom dont la signature paraît sur toutes les factures d’A.C.G.S. représentées à l'appelante. Lors de la rencontre, Monsieur Freire et cet homme ont négocié un taux horaire et la présence d'un chef d'équipe sur les lieux de travail.

 

[8]             Monsieur Freire donnait ses instructions au chef d'équipe des sous‑traitants, il appelait aussi les superviseurs et les informait du travail à accomplir. Il ne faisait affaire qu'avec les superviseurs qu'il voyait tous les jours. Il ne peut toutefois se souvenir du nom d’aucun de ces superviseurs.  En novembre 2007, A.C.G.S. ne fournissait pas le personnel dont l’appelante avait besoin. Monsieur Freire n’a pas rappelé le gars dont le numéro de cellulaire apparaissait sur la carte.

 

[9]             C’est alors que les services du sous-traitant M.B. ont été retenus par l'appelant en novembre 2007. Quelqu'un serait venu remettre une carte d’affaires à monsieur Freire. Ce dernier ne sait pas qui lui a donné la carte ni où il était lorsqu'on lui a remis la carte. Sur la carte, il y avait le nom d'une personne et un numéro de téléphone. Il a téléphoné à cette personne et a négocié les conditions de travail et le taux horaire qui était le même que celui d'A.C.G.S., soit 19 $ de l'heure. Monsieur Freire ne connaît pas un dénommé Michel Brouillette, l’administrateur de M.B., et ce nom ne lui dit rien. Comme en ce qui concerne le sous‑traitant A.C.G.S., monsieur Freire ne connaît pas les noms des superviseurs de M.B. et il n'a jamais rappelé le gars dont le nom apparaissait sur la carte. Il n'a pas non plus vérifié si leur numéro d'inscription pour la TPS était valide.

 

[10]        Monsieur Freire aurait cessé d'utiliser le personnel du sous-traitant M.B. à la fin de juin 2009 au motif que l’appelante n'avait plus besoin de personnel. Durant la même période, l'appelante a eu recours à une agence de placement du nom d'Agroba. La facturation de cette dernière, plus détaillée, indique le nombre de personnes ayant travaillé, les heures et parfois le nom des travailleurs. Le taux horaire variait entre 15 et 16 $ l'heure. Quant aux factures des deux sous‑traitants, on n’y trouvait que le total des heures travaillées et une description de services en deux mots, soit « travaux général ».

 

[11]        Madame Freire a confirmé que son conjoint lui remettait les feuilles de temps des sous‑traitants et leurs factures. Elle a aussi affirmé ne pas avoir conservé ces feuilles de temps. Elle n'a jamais fait affaires directement avec les sous‑traitants. Elle affirme n'avoir jamais regardé l'endos des chèques que l'appelante remettait aux sous-traitants. Elle ne savait donc pas si les chèques de l'appelante étaient endossés par François Poitvin pour A.C.G.S. et Michel Brouillette pour M.B. et ensuite cédé à l'agence Arylo Inc. par l'entremise d'un centre d'encaissement.

 

[12]        Madame Freire a témoigné n’avoir jamais été informée par quiconque que A.C.G.S. ou M.B. pouvait avoir des problèmes fiscaux. Elle reconnaît qu'elle n'a fait aucune vérification à savoir si les numéros d'inscription des sous‑traitants étaient valides. Elle s’assurait toutefois que ces numéros soient indiqués sur leurs factures. Elle n'a jamais téléphoné chez les sous‑traitants, elle ne connaît pas François Poitvin ni Michel Brouillette et n'a eu aucun contact personnel avec eux. Elle se fiait à son conjoint. Elle affirme n’avoir pas essayé de communiquer avec eux lorsque Revenu Québec a commencé la vérification ni même lorsqu’elle s’est préparée pour cette audience.

 

[13]        La société Viandes Sherrington est une cliente de l'appelante. Son représentant est venu expliquer à l’audience qu'il est possible que, dans le domaine des viandes, la facturation puisse se faire sur une base de kilogrammes de viande à désosser plutôt que sur une base horaire. Il a expliqué que le désossage des viandes se fait sur la base des kilogrammes, et qu'il faut entre 30 et 40 heures de travail pour désosser environ 12 500 kilogrammes de viande. Cela explique pourquoi, sur des factures Viandes Sherrington, il est fait référence à des kilogrammes plutôt qu’au nombre d’heures travaillées. Le représentant a témoigné que Viandes Sherrington s'assure que les cotisations des sous-traitants à la CSST soient payées, mais il n'a pas apporté de précisions.

 

[14]        En raison de cette méthode de facturation, le représentant de la société Viandes Sherrington a dû admettre qu'il ne cherchait pas à savoir combien d'employés l'appelante envoyait à son établissement et qu’il ne lui était donc pas nécessaire de faire de vérification des heures travaillées par ces derniers. Le représentant a aussi été durant un certain temps, contremaître chez un autre client de l'appelante, soit Qualiporc. À cette époque, il indiquait à l’appelante le nombre d'employés dont il avait besoin. Les employés devaient s’identifier et ils avaient tous un numéro. Le représentant vérifiait leurs feuilles de temps. Il ne sait pas si l'appelante fournissait des employés provenant d'ailleurs, mais croit que cela soit possible. Si des employés s’absentaient pour cause de maladie, il en informait l'appelante.

 

[15]        Deux employés de l'appelante ont témoigné. Monsieur Louis Moniz a déclaré avoir travaillé environ six à sept ans pour l'appelante. Il a dit connaître des employés de l'appelante et que des employés des sous‑traitants sont venus travailler avec eux et que ceux‑ci faisaient le même travail que les employés de l’appelante. Selon lui, aucun employé n'a été payé en argent comptant et les employés des sous‑traitants avaient parfois leur propre superviseur. En contre-interrogatoire, il a admis ne pas savoir qui étaient les sous-traitants et qu'il ne connaissait ni les noms des superviseurs, ni ceux des employés des sous‑traitants car il y avait trop de roulement.

 

[16]        Monsieur Armenico Freire est le frère de Duarte Freire. Il a remplacé son frère de temps en temps à titre de superviseur, mais ce n'est pas arrivé souvent. Lorsqu'il était superviseur, il comptait les heures des employés de l'appelante et de ceux des sous‑traitants. Il a déclaré que l’appelante avait recours à des employés des sous‑traitants assez souvent. Il remettait les feuilles de temps des employés de l'appelante et des sous‑traitants à son frère ou à madame Freire. Il ne connaît pas les noms des sous‑traitants et malgré qu'il disait au superviseur des sous‑traitants où placer ses employés, il a, avec le temps oublié les noms et prénoms de ces personnes.

 

[17]        Les sous‑traitants ont fait l'objet d’une vérification par Revenu Québec. Dans le dossier du sous-traitant M.B., la vérification a commencé en avril 2009. Une demande péremptoire a été envoyée aux centres d'encaissement et des tentatives de rejoindre Michel Brouillette se sont soldées par une rencontre avec ce dernier en septembre de la même année. Michel Brouillette a alors avoué à la vérificatrice que les factures de son entreprise M.B. étaient toutes fausses et qu'il n'a jamais eu la capacité financière d'exploiter une entreprise. Aucun employé n'a été déclaré aux autorités et ni le sous-traitant M.B. ni Michel Brouillette lui-même n’a produit de déclarations de revenus ou de taxe. Le 25 janvier 2010, Michel Brouillette a signé un aveu où il a admis avoir ouvert un compte dans un centre d'encaissement moyennant une ristourne de 2 % sur le montant des chèques encaissés, n’avoir rendu aucun service et n’avoir jamais vu les factures établies par son entreprise à l'appelante. Questionné sur d'autres entreprises enregistrées à son nom en vertu de la Loi sur la publicité légale des entreprises (pièce I‑2), il a déclaré n’en connaître aucune. Il ne connaît d'ailleurs aucun des clients à qui il aurait pu avoir rendu des services.

 

[18]        Monsieur Brouillette est venu devant la Cour confirmer les informations recueillies par la vérificatrice. Il a reconnu que le sous-traitant M.B. est son entreprise et qu'elle a été créée pour encaisser des chèques. Il avait beaucoup de dettes à l'époque et des individus rencontrés dans des bars, dont un dénommé Jacques, lui auraient demandé d'immatriculer une entreprise et d’obtenir un numéro d’inscription en échange de 2% de la valeur des chèques encaissés dans les centres d'encaissement.

 

[19]        Selon l'entente, Michel Brouillette devait se présenter dans un centre d'encaissement pour encaisser les chèques, mais une estampe de sa signature a par la suite été utilisée pour endosser les chèques. Il y a même une période de temps en 2008 où il était en prison et que des factures de M.B. avaient quand même été envoyées à l'appelante. En fait, il a témoigné qu'il n'a jamais produit de factures au nom de l'appelante. Il ne connaît ni l'appelante ni Maria Freire ou son conjoint.

 

[20]        Monsieur Brouillette a été cotisé pour environ 2 millions de dollars et a éventuellement fait faillite.

 

[21]        La vérification de la société A.C.G.S. a été effectuée par le vérificateur Willie Karoui. Il a essayé de communiquer avec monsieur François Poitvin, dont le nom paraît sur chacune des factures d'A.C.G.S. établies au nom de l'appelant, sans succès. Il a fait une visite à l'adresse connue de François Poitvin, mais celui‑ci avait quitté cet endroit il y a longtemps. Monsieur Karoui a également fait une demande péremptoire auprès des centres d'encaissement et a découvert que le sous-traitant A.C.G.S. avait encaissé des chèques totalisant entre 2 et 6 millions de dollars sur une période de 98 semaines chevauchant trois ans.

 

[22]        La vérification lui a permis de constater que le sous-traitant A.C.G.S. n'avait aucun employé déclaré à Revenu Québec, n’avait rempli aucune déclaration de TPS ou de TVQ, malgré qu'il était un inscrit, ni aucune déclaration de revenus. Par conséquent, il a conclu que A.C.G.S. n'a jamais exploité d'entreprise et était un fournisseur de factures de complaisance. Monsieur Karoui a tenté d'obtenir des informations de Qualiporc, un client de l'appelante, mais celui‑ci n'a pas voulu collaborer.

 

[23]        La vérification, en ce qui concerne l'appelante, a débuté en août 2009 et couvrait la période en question. Selon la vérificatrice, le sous-traitant A.C.G.S. était déjà connu à Revenu Québec comme étant un fournisseur de factures de complaisance. Après avoir rencontré madame Freire et le comptable de l'appelante, la vérificatrice a fait l'analyse des ventes de l'appelante, particulièrement le poste des sous‑traitants. Elle a constaté qu'il y en avait trois, soit A.C.G.S., M.B. et Agroba et qu'ils s’étaient succédé durant la période. Elle a remarqué que les services rendus étaient décrits très sommairement sur les factures des sous‑traitants A.C.G.S et M.B. (on n’y voit que les mots « travaux général »), que le nombre d'heures facturées est global et que le taux horaire est toujours le même. De plus, on n’y trouve aucune référence au nombre d’employés ni aucun nom. Les chèques de l'appelante au sous-traitant A.C.G.S. sont tous passés par un ou plusieurs centres d'encaissement.

 

[24]        D'autres vérifications ont été faites concernant A.C.G.S. et ont permis d'arriver aux mêmes conclusions, à savoir qu’A.C.G.S. n'exerçait aucune activité commerciale, que les factures ne pouvaient qu'être fausses et même inadéquates. A.C.G.S. n'a fait aucune déclaration de revenus ou de taxes, elle n'avait aucun employé déclaré et aucun versement de retenues à la source n'a été fait. Le registre des entreprises ne décrit pas d'activité commerciale et l'adresse indiquée est celle d'une résidence.

 

[25]        Pour ce qui est du sous-traitant M.B., la vérificatrice est arrivée aux mêmes conclusions. M.B. n'a aucun employé, son numéro de téléphone ne donne pas de résultats, l'adresse de M.B. est celle d'une résidence, les factures n'ont pas de description autre que « travaux général » et sont établies pour des heures globales toujours au même taux horaire, et aucun nom ou nombre d'employés n’est indiqué sur ces factures. Tous les chèques sont passés dans les trois mêmes centres d'encaissement où sont passés ceux d’A.C.G.S. Selon la vérificatrice, il n'y a donc eu aucune activité commerciale et M.B. ne peut avoir rendu de services.

 

[26]        Dans le cas du sous-traitant Agroba, la conclusion est différente. Le sous‑traitant conservait une comptabilité adéquate, faisait ses versements de taxe et possédait des véhicules. Les factures identifiaient le nombre de personnes employées et le taux horaire de celles‑ci variait. Agroba possédait un site internet et il était évident qu'il s'agissait d'une entreprise ayant des activités commerciales.

 

[27]        La vérificatrice a rencontré madame Freire pour discuter de cet état de choses. Madame Freire lui a dit qu'elle ne faisait pas de vérification concernant les numéros d'inscrits, de vérification de l’identité des employés du sous‑traitant ni même de l’inscription auprès de la CSST. Elle aurait dit à la vérificatrice qu'elle avait pris connaissance de l'existence de A.C.G.S. en consultant les pages jaunes. La vérificatrice n'a cependant pas trouvé cette information lors de sa recherche dans les pages jaunes. Pour le sous-traitant M.B., madame Freire aurait dit à la vérificatrice qu'elle ne se souvenait pas où elle avait rencontré les représentants de l'entreprise, mais qu'elle pensait que le prénom de l’un deux était peut‑être Sébastien. Pour ce qui est d’Agroba, la recommandation d'utiliser ses services est venue de la société Sherrington. La vérificatrice a été capable de confirmer les noms des représentants d'Agroba avec lesquels madame Freire a dit faire affaires.

 

[28]        La vérificatrice a également préparé une liste des employés de l’appelante en utilisant les relevés d'emploi durant la période en question. Elle a constaté que 81 personnes ont travaillé pour l'appelante et que 47 d'entre elles ont été remerciées de leurs services pour manque de travail, soit 58 %. Quelques‑unes ont quitté volontairement. Il faut noter que l'appelante a perdu un de ses bons clients durant cette période, mais, selon la vérificatrice, cela n'a pas eu d'incidence sur ses conclusions.

 

[29]        La vérificatrice a demandé à l'appelante la liste des noms des employés des sous‑traitants et elle n'a rien reçu. Elle a donc communiqué avec un client de l'appelante, soit les Entreprises Jacques Forget, le 11 décembre 2009, dans le but d'obtenir les noms des employés de l'appelante travaillant dans cette entreprise. La vérificatrice devait se présenter chez les Entreprises Jacques Forget trois jours plus tard mais elle a reçu un message d'un représentant de cette entreprise à l’effet qu'il n'avait pas les noms ni les numéros d'assurance sociale de ces employés et qu’elle devait communiquer directement avec l'appelante.

 

[30]        À la lumière de ces informations et compte tenu du fait que les représentants de l'appelante ne connaissaient pas les deux sous‑traitants ni leurs personnes‑ressources et que la proportion des factures des sous‑traitants par rapport au chiffre d'affaires de l’appelante était importante, des pénalités pour négligence et présentation erronée dans ses déclarations de taxes ont été imposées à l’appelante.

 

Questions en litige

 

[31]        Il s'agit donc de déterminer si le ministre était en droit de refuser les CTI à l'appelante et était justifié d’imposer les pénalités prévues aux articles 285 et suivants de la Loi. Les dispositions pertinentes en matière de TPS sont l'alinéa 169(4)a) de la Loi et l'article 3 du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (le « Règlement ») de même que l’article 285 de la Loi. Pour les fins de cet appel, les extraits pertinents sont les suivants :

 

Loi sur la taxe d'accise

 

169(4) L'inscrit peut demander un crédit de taxe sur les intrants pour une période de déclaration si, avant de produire la déclaration à cette fin :

 

a)      il obtient les renseignements suffisants pour établir le montant du crédit, y compris les renseignements visés par règlement;

 

[…]

 

Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH)

 

            3. Les renseignements visés à l’alinéa 169(4)a) de la Loi, sont les suivants :

 

[…]

 

          b)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 30 $ ou plus et moins de 150 $ :

 

(i)                 le nom ou le nom commercial du fournisseur ou de l’intermédiaire et le numéro d'inscription attribué, conformément au paragraphe 241(1) de la Loi, au fournisseur ou à l'intermédiaire, selon le cas,

 

[…]

 

            c)   lorsque le montant total payé ou payable, selon la pièce justificative, à l’égard d’une ou de plusieurs fournitures est de 150 $ ou plus :

 

(i)                 les renseignements visés aux alinéas a) et b),

(ii)               soit le nom de l’acquéreur ou son nom commercial, soit le nom de son mandataire ou de son représentant autorisé,

(iii)             les modalités de paiement,

(iv)             une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

Loi sur la taxe d'accise

 

285. Faux énoncés ou omissions -- Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse — appelés « déclaration » au présent article — établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d'une pénalité de 250 $ ou, s'il est plus élevé, d'un montant égal à 25 % de la somme des montants suivants :

 

a) si le faux énoncé ou l'omission a trait au calcul de la taxe nette de la personne pour une période de déclaration, le montant obtenu par la formule suivante :

 

A – B

 

où :

 

[…]

 

b) si le faux énoncé ou l'omission a trait au calcul de la taxe payable par la personne, l'excédent éventuel de cette taxe sur le montant qui correspondrait à cette taxe si elle était déterminée d'après les renseignements indiqués dans la déclaration;

 

c) si le faux énoncé ou l'omission a trait au calcul d'un remboursement prévu par la présente partie, l'excédent éventuel du remboursement qui serait payable à la personne s'il était déterminé d'après les renseignements indiqués dans la déclaration sur le remboursement payable à la personne.

 

 

[32]        Il incombe donc à l’appelante de démontrer que les factures en lien avec les CTI réclamés reflètent de réelles acquisitions dans les opérations commerciales de l'appelante.

 

Position des parties

 

[33]        La position de l'appelante est à l'effet que toutes les factures des sous-traitants A.C.G.S. et M.B. respectent les exigences de la Loi et du Règlement. L'avocat de l'appelante soutient que les numéros d'inscrit des sous‑traitants étaient valides durant la période en question et que toute information relative aux sous‑traitants ayant permis au ministre de conclure qu'il s'agissait de fournisseurs de factures de complaisance était non seulement inconnue de l'appelante, mais qu’en plus il était impossible pour cette dernière d'en prendre connaissance. Il se demande en fait comment il se fait que le ministre ne soit pas intervenu plus tôt si les sous‑traitants n'ont jamais fait de déclarations de revenus ni de versements de taxe ou de retenues à la source. Il se questionne sur l’obligation du ministre d'intervenir.

 

[34]        Il soutient que l'appelante a toujours agi de bonne foi et que, selon les relations d'affaires qu'elle a entretenues avec ses deux sous-traitants durant la période en question, il lui était permis de croire légitimement, en tant que personne raisonnable et diligente, que les auteurs des factures étaient de véritables fournisseurs de services.

 

[35]        De son côté, l'avocat de l'intimée soutient que l'appelante n'a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que des services lui ont été rendus par les sous‑traitants et que les factures établies par ces derniers étaient conformes au Règlement. L'appelante n'a pas réussi à donner un quelconque détail pouvant permettre d'identifier les personnes avec qui elle faisait affaires. L'appelante a fait preuve d'aveuglement volontaire en ce sens que sa version des faits sur la façon dont elle a retenu les services des sous‑traitants et établi leur identité comme tenu de la durée de leurs relations d'affaires traduit une intention de sa part de ne pas connaître toute la vérité.

 

Analyse

 

[36]        Le fardeau de la preuve applicable lorsqu’un inscrit réclame des CTI, alors que l’existence d’un stratagème de factures de complaisance est allégué, est résumé de la façon suivante par le juge Bédard dans la décision Les Pro‑Poseurs Inc. c. Canada, [2011] A.C.I. no 89, confirmée dans [2012] A.C.F. no 856 :

 

[35]      L’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, nous enseigne que le ministre se fonde sur des hypothèses pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir les hypothèses formulées par le ministre repose sur le contribuable. Ce dernier s’acquitte du fardeau initial s’il présente au moins une preuve prima facie démolissant l’exactitude des hypothèses formulées par le ministre. Enfin, lorsque le contribuable s’est acquitté de son fardeau initial, le fardeau de la preuve passe au ministre, qui doit alors réfuter la preuve prima facie faite par le contribuable et prouver les hypothèses. Règle générale, une preuve prima facie est une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire. Dans Stewart c. M.R.N., [2000] A.C.I. no 53 (QL), le juge Cain enseigne qu’« [u]ne preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé ». […] Par conséquent, l’appelante en l’espèce devait démontrer au moyen d’une preuve prima facie qu’elle avait réellement acheté les fournitures des fournisseurs douteux. […] Enfin, l’appelante devait aussi démontrer que les factures prétendument établies par ces fournisseurs douteux répondent aux exigences de la LTA et du Règlement.

 

 

[37]        L’appelante doit donc dans un premier temps démontrer au moyen d’une preuve prima facie qu’elle n’a pas participé à un stratagème de fausses factures et qu’elle a réellement acheté les fournitures des sous‑traitants. Dans un deuxième temps, l’appelante doit démontrer que les factures des sous‑traitants répondent aux exigences de la Loi et du Règlement.

 

[38]        Un stratagème de factures de complaisance a été défini par le juge Masse de cette Cour dans la décision Modes Crystal Inc. c. Canada, [2013] A.C.I. no 32 et cette définition a été reprise par celui‑ci au paragraphe 24 de la décision 9188‑7646 Québec Inc. c. Canada, [2013] A.C.I. no 71 :

 

[24] Le phénomène de "factures de complaisance" est un stratagème par lequel un contribuable, la personne dite "accommodée", fait appel aux services d'un "fournisseur de factures de complaisance". Ce dernier émet de fausses factures à la personne "accommodée" pour des fournitures de produits et services que le fournisseur n'a pas effectuées et que la personne accommodée n'a pas acquises. Les factures de complaisance permettent à la personne accommodée d'effectuer des demandes sans droit de CTI dans le calcul de sa taxe nette.

 

[39]        Je crois que la preuve soumise par l'intimée démontre de façon convaincante que les sous‑traitants n'exerçaient aucune activité commerciale. Les factures du sous-traitant A.C.G.S. étaient toutes signées par un dénommé François Poitvin. La signature de ce dernier sur chacune des factures est identique, ce qui laisse croire qu'il ne peut s'agir que d'une estampe. Aucun des témoins entendus dans cette cause n'a vu ni connu cette personne. Les différentes places d'affaires déclarées par ce dernier sont des résidences ne possédant pas les caractéristiques habituelles associées à l'exploitation d'une entreprise pouvant fournir une main-d'oeuvre abondante de façon régulière. A.C.G.S. n'a jamais déclaré de salariés, versé de taxes malgré qu'elle fut une inscrite, versé de retenues à la source ni déclaré un quelconque revenu.

 

[40]        Il en est de même pour le fournisseur M.B. Qui plus est, le témoignage de Michel Brouillette confirme clairement les allégations du ministre selon lesquelles ce sous‑traitant n'a jamais exploité une entreprise et n'a servi que de prête-nom afin de permettre l’établissement de factures de complaisance. Aucun des témoins de l'appelante ne connaît cet homme. M.B. n'a jamais déclaré de fournitures, versé de taxes ou de retenues à la source, déclaré de salariés ou rempli de déclarations de revenus.

 

[41]        Il faut aussi se rappeler que, selon la preuve avancée, tous les chèques remis aux sous‑traitants ont été encaissés dans des centres d'encaissement. Il est donc évident, à la lumière de ces éléments de preuve, que les sous‑traitants en question n'avaient pas la capacité, l'expertise ou les ressources financières et humaines pour fournir les services faisant l'objet des factures et qu'à toutes fins pratiques, ils ne pouvaient fournir les services se rapportant aux paiements que leur faisait l'appelante.

 

[42]        Il n'y a eu aucune vérification faite par l'appelante sur la validité du numéro d'inscription d'A.C.G.S. ou de M.B. J’admets que, si une vérification avait été faite, elle aurait révélé que ces numéros étaient valides. Nonobstant cela, il me semble totalement invraisemblable que l'on puisse transiger avec deux sous‑traitants sur une aussi longue période sans savoir avec qui on fait affaire.

 

[43]        L’avocat de l’appelante a fait référence à certaines décisions dans lesquelles il était reconnu qu’en l’absence d’une preuve de connaissance, de connivence ou de collusion entre l’acquéreur et le fournisseur de factures de complaisance, l’acquéreur avait le droit de réclamer des CTI si des services avaient été rendus dans les faits et que la taxe avait été payée de bonne foi par l’acquéreur (voir entre autres Centre de la Cité Pointe‑Claire c. Sa Majesté la Reine, [2001] A.C.I. no 674 aux paragraphes 37 à 40; Airport Auto Limited c. Canada, [2003] A.C.I. no 683 au par. 19; Joseph Ribkoff Inc. c. Canada, [2003] A.C.I. no 351, aux paragraphes 100, 101 et 104; Sport Collection Paris Inc. c. Canada, [2006] A.C.I. no 299, au par. 17.

 

[44]        En effet, bon nombre de décisions sont à l’effet qu’il n’incombe pas à l’acquéreur de supporter le risque découlant d’une fraude commise par l’un de ses fournisseurs. Cependant, le jugement unanime de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, [2007] A.C.F. no 836 est interprété comme ayant mis un terme à l’application de cette approche favorable aux acquéreurs.

 

[45]        Dans cette cause, la Cour d’appel fédérale étant appelée à se pencher sur la possibilité pour un inscrit de demander des CTI dans un contexte où, pour diverses raisons, ces fournisseurs n’avaient pas de numéro d’inscription valide aux fins de la TPS. Le juge Sexton a alors déclaré être d’avis que « la Loi exige que les personnes ayant versé des sommes au titre de TPS à des fournisseurs veillent à fournir des numéros d’inscription des fournisseurs valides lorsqu’elle demande un crédit de taxe sur les intrants ».

 

[46]        Dans Comtronic Computer Inc. c. Canada, [2010] A.C.I. no 22, le juge Boyle de cette Cour a déclaré être lié par cette décision de la Cour d’appel fédérale qu’il a interprétée comme disposant qu’en matière de perception et de versement de la TPS, c’est l’acheteur qui doit supporter le risque lié au vol d’identité et aux actes illicites commis par les fournisseurs.

 

[47]        Ainsi, un acquéreur a droit aux CTI seulement si le numéro de TPS qui figure sur la facture appartient au fournisseur réel (voir 9088‑2945 Québec Inc. c. Canada, [2013] A.C.I. no 48, aux paragraphes 13, 14 et 16).

 

[48]        De façon similaire à l’espèce, dans l’affaire Constructions Marabella Inc. c. Canada, [2012] A.C.I. no 319, ce n’est pas le numéro d’inscription qui est émis en doute mais bien l’identité et l’existence du fournisseur lui‑même. Tel que le mentionne le juge Batiot de cette Cour dans cette affaire « … évidemment, si ce n’est pas le vrai fournisseur, son numéro d’inscription est invalide vis‑à‑vis de l’acquéreur qui réclame le CTI. Le nom du fournisseur doit correspondre au numéro d’inscription et il doit être, de fait, le fournisseur ». Par conséquent, le simple fait de prouver que les services ont effectivement été rendus ne saurait suffire pour avoir droit aux CTI. L’appelante doit prouver que les sous‑traitants, dont les numéros d’inscription figurent sur les factures en question, étaient effectivement des fournisseurs de services. Or, la preuve à ce sujet semble plutôt mince, voire inexistante.

 

[49]        Le fait qu’aucun des témoins de l'appelante ne connaisse les noms associés aux sous‑traitants, soit François Poitvin et Michel Brouillette, est plutôt surprenant. Monsieur Duarte Freire s'est vu remettre une carte d'affaires par une de ses connaissances. Au début de son témoignage, il a affirmé qu’il ne se souvenait pas du nom sur la carte et, par après, il a déclaré qu’il s'agissait d'un certain John Melo. Il ne se souvient pas si le nom de la société A.C.G.S. figurait sur la carte d'affaires. Il dit avoir négocié l'embauche de personnel et un taux horaire avec un gars, mais il ne sait pas qui. Il a donné des instructions et a fait affaires avec des superviseurs et ce, de façon hebdomadaire, pendant plus d'un an, mais il ignore qui sont ces gens. Il dit avoir conservé à chaque semaine un sommaire des heures de travail des employés d’A.C.G.S. mais il est incapable d’en produire un seul. Pourtant, l’appelante a conservé toutes les feuilles de temps de ses propres employés.

 

[50]        On trouve un scénario semblable avec le sous-traitant M.B. Personne au sein de l'appelante parmi ses témoins ne connaît Michel Brouillette. Un inconnu est venu remettre une carte d'affaires à monsieur Duarte Freire. On ne sait pas qui et quand. Monsieur Freire aurait communiqué avec la personne dont le nom figurait sur la carte et négocié l'embauche d'employés et leur taux horaire mais il ne connaît pas cette personne. Monsieur Freire ne connaît pas le nom des superviseurs avec qui il a travaillé quotidiennement et il n’a pas conservé les feuilles de temps des employés de M.B. Cela a duré de novembre 2007 à juin 2009 sur une base hebdomadaire de façon presque continue. Aucun témoin de l’appelante ne connaît le nom d’une seule personne au sein de la société M.B.

 

[51]        Il s'agit d'une situation invraisemblable qui m'amène à conclure que l'appelante ne dit pas tout. Je conviens que l'appelante n'a pas les moyens de vérification que peut posséder l'intimée quant aux activités commerciales de ses mandataires inscrits. Cependant, l’appelante avait le devoir d’exercer un degré de diligence raisonnable envers les fournisseurs de services à son entreprise. En l'espèce, l'appelante a même choisi de ne pas vérifier la validité du numéro d'inscription des sous‑traitants. L’appelante n’a pris aucune précaution pour éviter de se retrouver dans la situation dans laquelle elle se trouve. Elle n’a pris aucune mesure afin de vérifier l’identité des sous‑traitants. Le comportement de l’appelante ne peut donc pas être qualifié de raisonnable ou de diligent.

 

[52]        À mon avis, l’appelante n’a pas fourni de preuve prima facie qu’elle a réellement reçu les services, et encore moins qu’elle aurait reçu les services des sous‑traitants en question. En fait, la preuve est plutôt à l’effet que, si l’appelante a réellement acquis les services pour lesquels elle avait réclamé des CTI, elle les a obtenus d’autres fournisseurs que ceux dont les noms et numéros d’inscription apparaissent sur les factures.

 

[53]        Il est important aussi de préciser qu’une défense de diligence raisonnable est différente d’une allégation de bonne foi. La distinction entre ces deux concepts a été expliquée par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 29 de Corporation de l’École Polytechnique c. Canada, [2004] A.C.F. no 563 de la façon suivante :

 

[…] La défense de bonne foi permet l'exonération d'une personne qui a commis une erreur de fait de bonne foi, même si celle-ci est déraisonnable, alors que la défense de diligence raisonnable exige que cette erreur soit raisonnable, c'est‑à‑dire une erreur qu'une personne raisonnable aurait aussi commise dans les mêmes circonstances. La défense de diligence raisonnable qui requiert une croyance raisonnable, mais erronée, en une situation de fait est donc plus exigeante que celle de bonne foi qui se contente d'une croyance honnête, mais tout aussi erronée.

 

 

[54]        À la lumière de cette distinction, les prétentions de l’appelante selon lesquelles elle a agi de bonne foi ne peuvent lui être d’une grande aide en l’espèce.

 

 

Renseignements inadéquats et non conformes aux exigences de la Loi et du Règlement

 

[55]        Il est bien établi que le but du paragraphe 169(4) de la Loi et de l’article 3 du Règlement est de permettre à l’Agence du Revenu du Canada (l’« ARC ») de combattre les violations tant frauduleuses qu’innocentes et que ce but ne peut être atteint que si les exigences qui y sont énoncées sont considérées comme étant obligatoires et que si elles sont rigoureusement appliquées (voir Key Property Mangement Corp. c. Canada, [2004] A.C.I. no 130, au par. 13 ; Davis c. Canada, [2004] A.C.I. no 505, au par. 24 ; citées avec approbation par la Cour d’appel fédérale dans Systematix Technology Consultants Inc. c. Canada, précité, aux paragraphes 5 et 6.

 

[56]        Le paragraphe 169(4) énonce clairement qu’un inscrit ne peut demander un CTI que s’il obtient les renseignements visés par le Règlement. L’article 3 du Règlement dit clairement que les renseignements visés doivent comprendre :

 

a)                 le nom ou le nom commercial du fournisseur

b)                le numéro d’inscription attribué au fournisseur

c)                 si une facture a été établie, la date de la facture

d)                le montant payé ou payable pour la fourniture

e)                 le montant de taxe payé par rapport à la facture

f)                  le nom de l’acquéreur

g)                 les modalités de paiement

h)                une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

 

[57]        Les factures en question en l’espèce semblent satisfaire à toutes ces exigences, sauf la dernière, soit une description suffisante pour identifier chaque fourniture.

 

[58]        Le juge Bédard, dans la décision Les Pro‑Poseurs Inc. c. Canada, précitée, s’est basé sur le but visé par l’alinéa 169(4)a) de la Loi et par le Règlement, afin d’affirmer « qu’une description est suffisante si elle permet à l’Agence d’identifier les travaux effectués par les fournisseurs ». Le juge Bédard a ainsi conclu que des factures établies pour la pose de plaques de plâtre ou le remplissage de joints devraient minimalement comprendre le lieu précis où le fournisseur avait effectué les travaux de même que la nature précise de la fourniture.

 

[59]        En l’espèce, les factures des sous‑traitants ne contiennent aucune de ces informations. Les factures établies par A.C.G.S. ainsi que celles établies par M.B. décrivent la nature des travaux en deux mots, soit « travaux général ». De plus, les sections « Travaux à » et « commandé par » sont laissées vides sur les factures établies par M.B. Du côté d’A.C.G.S., les factures établies contiennent l’adresse de l’appelante à la section intitulée « Travaux à ». Puisque l'appelante offre des services de placement de personnel, le travail des sous‑traitants n’aurait pas eu lieu à l’adresse de l’appelante mais plutôt chez l’un des clients de l’appelante. Aucune indication quant à l’identité des clients de l’appelante chez qui le travail aurait été effectué n’apparaît sur les factures des sous‑traitants.

 

[60]        Je souscris aux propos du juge Bédard dans la décision Les Pro‑Poseurs Inc. c. Canada, précitée, voulant qu’il appartient à la Cour et non à l’industrie de déterminer ce que le législateur entend par les mots « description suffisante » pour identifier chaque fourniture.

 

[61]        À mon avis, les factures des sous‑traitants ne contiennent pas une description suffisante pour identifier des fournitures.

 

[62]        L’appelante n’a pas réussi à démontrer au moyen d’un preuve prima facie qu’elle n’a pas participé à un stratagème de fausses factures ni qu’elle a réellement acheté de fournitures des sous‑traitants. De plus, les factures des sous‑traitants ne répondent pas aux exigences de la Loi et du Règlement. L’appelante n’a pas droit aux CTI réclamés.

 

 

La pénalité

 

[63]        Le fardeau de la preuve sur cette question incombe à l’intimée. Le ministre doit prouver que l’appelante a fait un faux énoncé ou une omission dans ses déclarations de taxe et que ce faux énoncé ou cette omission a été fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

 

[64]        À la lumière de la preuve entendue, le ministre s’est acquitté du fardeau de la preuve qui reposait sur lui. L’appelante a fait de faux énoncés dans ses déclarations de taxes et elle a sciemment demandé des CTI auxquels elle n’avait pas droit. Le ministre était donc bien fondé d’imposer une pénalité en vertu de l’article 285 de la Loi.

 

[65]        L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de juin 2013.

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 95

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-737(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Les Entreprises DRF Inc. et M.R.N.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 17 juin 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l'appelante :

Me Aaron Rodgers

Me Dany Afram

 

Avocats de l'intimé :

Me Philippe Morin

Me Claude Lamoureux

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante :

 

                     Noms :                Me Aaron Rodgers

                                                Me Dany Afram

 

                 Cabinet :                 Garfinkle Nelson-Wiseman Bilnes Rodgers, L.L.P.

                                                Montréal (Québec)

 

       Pour l’intimé :                  William F. Pentney

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

 

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