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Dossier : 2017-4722(IT)G

ENTRE :

BCS GROUP BUSINESS SERVICES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 20 juin 2018, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Denis Gagnon

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

 

ORDONNANCE

ATTENDU QUE l’appelante a présenté une requête conformément au paragraphe 30(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) visant à être représentée par M. Denis Gagnon;

ET ATTENDU QUE la Cour a entendu les arguments de M. Gagnon et de l’avocat de l’intimée :

LA COUR ORDONNE que la requête visant à ce que M. Gagnon représente l’appelante soit accueillie, mais seulement jusqu’à la date à laquelle les parties doivent se présenter à la Cour, date actuellement fixée au 31 mai 2019, et sous réserve des deux conditions suivantes : la présente ordonnance sera révoquée 1) si la Cour d’appel fédérale statue qu’une personne physique ne peut agir comme représentant; ou 2) si M. Gagnon ne respecte pas un délai fixé par la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2018.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de février 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2018 CCI 120

Date : 20180628

Dossier : 2017-4722(IT)G

ENTRE :

BCS GROUP BUSINESS SERVICES INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge C. Miller

[1]  BCS Group Business Services Inc. (l’« appelante ») a présenté une requête conformément au paragraphe 30(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») visant à ce que son seul actionnaire, administrateur et principal dirigeant, M. Denis Gagnon, la représente dans la présente instance. Le paragraphe 30(2) des Règles est ainsi libellé :

La partie à une instance qui n’est pas une personne physique se fait représenter par un avocat, sauf avec l’autorisation de la Cour et sous réserve des conditions que celle-ci fixe.

[2]  Dans les ordonnances récentes rendues par la Cour, en commençant par la décision Masa Sushi Japanese Restaurant Inc. c. La Reine [1] du juge Graham (voir aussi les décisions Suchocki Accounting Ltd. c. La Reine, [2] West Wind Hardwood Inc. (non publiée), Canril Corporation v. The Queen (non publiée) et Masa Sushi Japanese Restaurant Inc. c. La Reine [3] ), la Cour canadienne de l’impôt a conclu que le paragraphe 30(2) des Règles entrait en conflit avec l’article 17.1 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la « Loi »), et que ce dernier article n’autorise simplement pas une personne morale à être représentée par une personne autre qu’un avocat. Le paragraphe 17.1(1) de la Loi se lit comme suit :

Les parties à une procédure peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat; dans ce dernier cas, toutefois, seules les personnes visées au paragraphe (2) peuvent agir à titre d’avocat.

[3]  Dans la décision Masa Sushi, le juge Graham a conclu que, si les personnes morales sont en mesure de comparaître en personne, le paragraphe 30(2) des Règles est ultra vires. Avec tout le respect que je dois à mon collègue, je ne suis pas d’accord avec lui, parce que j’adopte un point de vue beaucoup plus simple sur l’interaction entre l’article 17.1 de la Loi et le paragraphe 30(2) des Règles.

[4]  Je conviens que le point de départ doit être la loi, et non la règle elle-même. L’article 17.1 de la Loi ne mentionne pas des « parties », mais plutôt des « parties à une procédure ». La partie à une procédure peut être une personne morale et, par conséquent, le paragraphe 17.1(1) de la Loi peut se lire comme suit : [traduction] « une personne morale peut comparaître en personne. » L’interprétation du juge Graham dans la décision Masa Sushi aurait pour effet de scinder l’article 17.1 en deux volets : le premier volet pourrait être interprété comme si une personne physique peut comparaître en personne ou être représentée par avocat, et le deuxième volet, comme si toute autre partie à une procédure ne peut être représentée que par un avocat. Ce n’est pas ce que dit la disposition.

[5]  Un contribuable constitué en société, tout comme un particulier, a le choix de comparaître en personne ou par l’entremise d’un avocat. S’il choisit de comparaître « en personne », comment procède-t-il? Il se tourne vers le paragraphe 30(2) des Règles qui prévoit la façon dont une personne morale peut comparaître en personne devant la Cour canadienne de l’impôt — avec l’autorisation de la Cour et sous réserve d’éventuelles conditions. En fait, la loi et les Règles, de concert, font en sorte que le juge de la Cour canadienne de l’impôt soit tenu de mettre de l’ordre dans tout cela. Il existe en effet une jurisprudence de common law selon laquelle l’expression « en personne » ne peut que signifier en présence d’une personne visible (opinion incidente dans l’arrêt R. v. Cook), [4] mais aucune autre jurisprudence sur cette question n’a été établie par la Cour canadienne de l’impôt avant la décision Masa Sushi. La jurisprudence mentionnée par le juge Graham n’est pas fondée sur une disposition législative qui permet expressément à une personne morale de comparaître en personne.

[6]  La Cour traite de questions complexes portant sur la législation fiscale où les dispositions qui établissent une présomption abondent (par exemple, voir le paragraphe 104(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu qui énonce qu’une fiducie est réputée être un particulier). Il ne suffit pas d’invoquer le « régime de la common law traditionnelle » pour savoir ce que signifient les mots « en personne ». Cela doit être situé dans le contexte de notre régime fiscal.

[7]  Depuis 1993, la Cour a tenu pour acquis que la Loi et les Règles permettent à un administrateur ou à un dirigeant, par exemple, de « personnifier » la personne morale. Les deux comités des Règles comprenant des juges, des avocats provenant du secteur public et de cabinets privés, de même que des administrateurs ont examiné cette Règle et ont convenu qu’elle respectait les lois.

[8]  La Cour canadienne de l’impôt est un tribunal spécialisé relativement récent qui traite uniquement de l’exactitude des cotisations établies à l’égard de personnes physiques et morales, lesquelles sont toutes les deux des contribuables et peuvent être parties à une instance. À mon humble avis, nous devons tirer notre propre conclusion sur cette question, en reconnaissant que l’un des objectifs de la Cour est d’offrir un tribunal juste, impartial et expéditif où les contribuables, y compris les personnes morales, peuvent confronter le gouvernement du Canada s’ils croient que des cotisations inexactes ont été établies à leur égard. Au lieu de trouver des moyens de créer des obstacles pour le contribuable, je crois que la Cour s’est toujours efforcée de faire en sorte que le contribuable ait accès à une procédure compréhensible et économique pour défendre sa thèse. Nous pouvons certainement attribuer le mérite aux rédacteurs des lois et des Règles pour leur reconnaissance du caractère unique de notre Cour qui ne s’encombre pas des conclusions que les autres tribunaux tirent de la common law traditionnelle.

[9]  Dans la décision Masa Sushi, il est fait référence à l’article 18.14 de la Loi qui traite de la procédure informelle de la Cour. Le juge Graham a déclaré ce qui suit :

Si le paragraphe 17.1(1) permettait à un contribuable d’être représenté par un représentant [...], l’expression « ou par un autre représentant » à l’article 18.14 perdrait son sens.

[10]  Encore une fois, avec égards, je ne suis pas de cet avis. Il en est ainsi si l’on se fonde sur le point de vue de la common law traditionnelle quant aux mots « en personne » et si l’on suppose que la personne morale ne peut simplement pas comparaître « en personne ». Par conséquent, la personne autre qu’un avocat est un représentant. Si l’administrateur ou le dirigeant de la personne morale est perçu comme étant la personne morale elle-même aux fins de la comparution « en personne », cela ne signifie pas que cette personne est un représentant. Seulement si nous commençons avec la présomption selon laquelle l’article 17.1 de la Loi n’autorise pas une personne morale à comparaître en personne, contrairement à son libellé précis, une violation de la « présomption d’absence de tautologie » est-elle possible, comme l’indique la Cour dans la décision Masa Sushi.

[11]  Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’adopte un point de vue plus simple qui repose sur la nature spéciale de notre compétence, et je ne suis pas influencé par les définitions tirées du régime de common law traditionnelle, qui, bien qu’ayant un sens dans leur propre contexte, ne m’interpellent pas dans le contexte de la Cour canadienne de l’impôt.

[12]  Je remarque que l’ordonnance rendue dans la décision Suchocki a été portée en appel. La Cour d’appel fédérale devra donc se prononcer sur cette question. J’ai proposé à l’avocat de l’intimée et à M. Gagnon de reporter l’examen de la requête visant à ce que M. Gagnon représente l’appelante jusqu’à ce que nous prenions connaissance de la décision de la Cour d’appel fédérale. Malheureusement, aucune des parties n’était intéressée à ce report, ce qui m’oblige à rendre une décision conforme à celles de mes collègues ou fondée sur mon propre point de vue selon lequel l’article 17.1 de la Loi et le paragraphe 30(2) des Règles ne sont pas incompatibles et le paragraphe 30(2) des Règles n’est pas ultra vires. Je crois qu’il est loisible à un administrateur ou à un dirigeant ou encore à quiconque à l’égard de qui la Cour peut rendre une décision, de comparaître « en personne » pour le compte d’une personne morale, non en tant que représentant, mais comme personne morale elle-même. Avec une certaine appréhension, étant donné tout le respect que je dois à mes collègues qui ont décidé autrement, j’entends rester fidèle à mon point de vue et passer à l’examen de l’application du paragraphe 30(2) des Règles.

[13]  J’examinerai maintenant les facteurs traditionnels que les tribunaux ont analysés pour déterminer qui est le porte-parole de la personne morale.

I. FRAIS

[14]  M. Gagnon a déclaré que l’appelante ne pouvait pas se payer les services d’un avocat, malgré ses revenus annuels d’environ 500 000 $. Bien entendu, cela ne tient pas compte des dépenses, des pertes antérieures, et, comme M. Gagnon l’a déclaré, des efforts déployés par le service de recouvrement de l’Agence du revenu du Canada qui se sont traduits par d’importantes difficultés financières pour l’appelante. Je conviens que la question des frais est un problème pour l’appelante.

II. M. GAGNON AGIRA-T-IL À LA FOIS COMME PORTE-PAROLE ET COMME TÉMOIN À L’AUDIENCE?

[15]  Oui, certainement. J’ai donc l’intention de limiter son pouvoir d’agir pour le compte de la société jusqu’au moment où les parties se présenteront à la Cour pour fixer la date du procès. M. Gagnon aura donc à présenter une nouvelle demande pour continuer à agir pour le compte de la société, et un autre juge examinera la question au fond à ce moment-là. J’ai bon espoir que, d’ici là, la Cour d’appel fédérale fournira certaines solutions portant sur cette question.

III. COMPLEXITÉ DES QUESTIONS EN LITIGE

[16]  La présente affaire porte essentiellement sur des dépenses. Personne n’en connaît mieux les détails que M. Gagnon. Aucune question difficile, technique ou juridique n’a été soulevée. La présente affaire repose principalement sur les faits, et ce facteur joue en faveur de M. Gagnon qui agit pour le compte de l’appelante.

IV. L’ACTION PEUT-ELLE SE DÉROULER DE FAÇON EXPÉDITIVE?

[17]  Il s’agit d’une question à l’égard de laquelle l’avocat de l’intimée a souligné à juste titre les préoccupations soulevées par le fait que M. Gagnon gère le plan procédural de l’affaire. Par exemple, il a demandé un redressement que la Cour n’a pas la compétence d’accorder. Il a également omis de respecter un délai. M. Gagnon reconnaît clairement ces préoccupations. Il m’a donné l’impression qu’il comprend désormais la compétence de la Cour et la nécessité de respecter les délais. Même si je partage certaines inquiétudes avec l’intimée sur ce dernier point, je suis davantage influencé par les autres facteurs qui démontrent qu’il s’agit d’une situation où la mesure appropriée est de permettre à M. Gagnon d’être présent physiquement pour la société qui comparaît en personne. Dans mon ordonnance, j’ai toutefois l’intention de préciser que le fait que M. Gagnon ne respecte pas un délai aura une incidence sur sa capacité de continuer à agir pour le compte de l’appelante.

[18]  En conclusion, j’accueille la requête visant à ce que M. Gagnon représente la société jusqu’à la date à laquelle les parties doivent se présenter à la Cour, date actuellement fixée au 31 mai 2019, et ce sous réserve des deux conditions suivantes : la présente ordonnance sera révoquée 1) si la Cour d’appel fédérale statue qu’une personne physique ne peut agir comme représentant; ou 2) si M. Gagnon ne respecte pas un délai fixé par la Cour.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de juin 2018.

« Campbell J. Miller »

Le juge C. Miller

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de février 2019.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 120

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-4722 (IT)G

INTITULÉ :

BCS GROUP BUSINESS SERVICES INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 juin 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Campbell J. Miller

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 28 juin 2018

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Denis Gagnon

Avocat de l’intimée :

Me Bruce Senkpiel

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s.o.

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   2017 CCI 239

[2]   2018 TCC 88

[3]   2018 CCI 98

[4]   1931 CarswellAlta 59 (C.A. Alb.), aux paragraphes 25 et 26.

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