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Dossier : 2011-1(IT)G

ENTRE :

KAY FISHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu le 26 février 2013, à Toronto (Ontario).

 

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Alfred S. Schorr

Avocats de l’intimée :

Mes Tony Cheung et Annette Evans

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2003 et 2004 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

         

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 11e jour de juillet 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de septembre 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 216

Date : 20130711

Dossier : 2011-1(IT)G

ENTRE :

KAY FISHER,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]             Mme Fisher fait appel des nouvelles cotisations établies à son égard pour les années d’imposition 2003 et 2004. La Cour est appelée à décider si Mme Fisher a droit à une déduction de 239 236,19 $ au titre d’une perte en capital pour l’année d’imposition 2003 ou 2004 relativement à un projet d’achat et de revitalisation d’un centre commercial régional situé près de Niagara Falls, New York. Le projet a fini par être abandonné et l’argent avancé par Mme Fisher a été perdu.

 

[2]             Dans sa déclaration de revenus de 2003, qu’elle a produite en 2006, Mme Fisher a déduit une perte d’entreprise de 239 236,19 $ relativement au projet. Elle a également demandé le report prospectif de la partie inutilisée de la perte sur l’année d’imposition 2004. La déduction pour perte a incité l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») à procéder à une vérification des années d’imposition 2000 à 2004. La vérification a débouché sur le refus de la déduction pour perte d’entreprise et du report prospectif. De nouvelles cotisations ont également été établies à l’égard d’autres aspects, mais elles ont ensuite été annulées à l’étape de l’opposition.

 

[3]             Dans son avis d’appel initial, Mme Fisher soutenait qu’elle avait droit à une perte en capital de 170 500 $ pour ses années d’imposition 2003 et 2004, eu égard au projet, et demandait le report à une année antérieure, soit l’année d’imposition 2002, de la perte en capital déductible dans le but de compenser le gain en capital réalisé cette année-là.

 

[4]             À l’audience, Mme Fisher était représentée par un avocat et a été autorisée à modifier son avis d’appel afin d’augmenter la perte réclamée à 239 236,19 $ et de faire valoir, par ailleurs, que la perte en question était une perte au titre d’un placement d’entreprise au sens de l’alinéa 39(1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») et qu’elle avait été subie en 2003 ou en 2004. À la clôture de la preuve, l’avocat de Mme Fisher a laissé tomber l’argument relatif au placement d’entreprise, vraisemblablement parce qu’il était manifeste que la société dans laquelle Mme Fisher affirmait avoir investi était américaine.

 

Les faits

 

[5]             Au début de 2003, un individu du nom de Howard Hurst (« M. Hurst ») tentait d’amasser des fonds pour le compte d’une entreprise américaine, Niagara Falls Entertainment and Attraction Limited (« Niagara »), dans le but de financer l’achat d’un centre commercial régional vieillissant connu sous le nom de Summit Park. M. Hurst se présentait comme l’un des administrateurs de Niagara. Si je me fie aux actes qu’il a posés et à la documentation, il contrôlait également Niagara.

 

[6]             D’après une note de service rédigée par M. Hurst en date du 8 février 2003, Niagara était engagée dans des négociations pour l’acquisition du centre commercial, qu’elle avait l’intention de revitaliser pour en faire une importante attraction touristique en y ajoutant un planétarium, un théâtre de l’espace, un musée des sciences et de la culture, un temple de la renommée de l’humour, un centre sportif, un terrain de golf, des patinoires, un parc aquatique et un hôtel de 200 chambres.

 

[7]             Mme Fisher a appris l’existence du projet de centre commercial par l’intermédiaire d’un collègue de travail, Arthur Lyew (« M. Lyew »), qui était un ami de M. Hurst. M. Lyew a dit à Mme Fisher que le projet représentait un bon placement et l’a assurée du professionnalisme et des compétences de M. Hurst. Mme Fisher a déclaré qu’elle était également au courant que M. Hurst avait mené à bien un important projet de développement immobilier situé sur la rue Yonge, à Toronto. Tous ces éléments l’ont amenée à accepter de participer au financement du projet en puisant dans un héritage qu’elle avait reçu.

 

[8]             Mme Fisher a signé avec M. Hurst et Niagara une lettre d’intention. Bien que celle-ci porte la date du 27 mars 2003, il semble que les parties l’aient signée le 9 avril 2003, d’après d’autres documents qui en traitent en mentionnant cette date.

 

[9]             Dans la lettre d’intention, on pouvait lire que M. Hurst était administrateur de Niagara et que Niagara avait signé avec « The Oberlin Partnership » une lettre d’intention visant l’achat du centre commercial Summit Park pour la somme de 3,55 millions de dollars, à laquelle s’ajoutait un montant d’impôts impayés d’environ 450 000 $, aux termes d’une convention de vente et d’achat fixant la date de clôture au 30 juin 2003. La lettre prévoyait également que Niagara deviendrait associée commanditée d’une société à responsabilité limitée pour l’acquisition du centre commercial.

 

[10]        Par ailleurs, la lettre d’intention prévoyait que Mme Fisher consentirait à Niagara un prêt minimum de 125 000 $ US, somme qui servirait d’acompte pour l’achat du centre commercial et le paiement des frais afférents. Niagara convenait de rembourser ce prêt en plus de verser un [traduction] « intérêt boni de 20 p. 100 » lors de la clôture de la vente. M. Hurst acceptait de garantir à titre personnel le remboursement de la partie du prêt constituée par le capital. De plus, Mme Fisher devait obtenir une participation de 5 p. 100 dans Niagara et disposer de l’option de convertir son prêt en une participation dans la société à responsabilité limitée. On devait en outre lui donner la possibilité d’obtenir le financement de l’investissement dans le centre commercial en échange d’une commission égale à 3 p. 100.

 

[11]        Mme Fisher a également produit en preuve la copie d’une [traduction] « note de service interne » que M. Hurst lui avait adressée en date du 8 avril 2003, dans laquelle il déclarait avoir conclu une convention d’achat du centre commercial Summit Park au nom de Mme Fisher et qu’il avait fait signer la convention par Niagara au nom de Mme Fisher, en qualité de « nue-fiduciaire ». Mme Fisher a acquiescé, bien qu’elle n’ait jamais eu l’intention de se porter elle‑même acquéresse du centre commercial et qu’elle n’en aurait jamais eu les moyens. Elle a déclaré qu’elle pensait qu’elle serait l’un des nombreux investisseurs dans le projet.

 

[12]        Le 14 avril 2003, Mme Fisher a remis à M. Hurst trois chèques visés de 50 000 $ chacun et a reçu de ce dernier deux billets à ordre : l’un de 100 000 $ et l’autre de 50 000 $. Les billets à ordre portaient tous deux la date du 9 avril 2003 et étaient payables par M. Hurst à titre personnel.

 

[13]        Mme Fisher a déclaré qu’après avoir remis l’argent à M. Hurst, elle a effectué la visite du centre commercial en sa compagnie et a fait la rencontre d’autres investisseurs potentiels et de fonctionnaires de la municipalité où était situé le centre commercial. Elle était persuadée que M. Hurst mènerait le projet à bien et comptait sur lui pour la tenir au courant des développements. Elle communiquait régulièrement avec lui et elle a été avisée du report de la date de clôture à un certain nombre de reprises. Elle a déclaré que M. Hurst lui avait plusieurs fois demandé davantage d’argent pour le projet. Souvent, il demandait qu’elle le lui remette en espèces, affirmant que cela accélérerait le paiement des frais liés à l’éventuel achat. Les seules traces qu’elle possédait de ces paiements supplémentaires se résumaient à deux chèques oblitérés de 17 500 $ et de 3 000 $, datés du 12 janvier 2004 et du 24 février 2004, respectivement. Mme Fisher a écrit [traduction] « comptabilité » sur le premier chèque et [traduction] « prêt » sur le second.

 

[14]        La suite des événements n’est pas tout à fait claire. L’achat du centre commercial par Niagara n’a pas eu lieu et il est question dans des documents ultérieurs d’un contentieux entre Niagara et Oberlin. Mme Fisher a apparemment été informée de ce revirement par M. Hurst, du moins dans les grandes lignes, mais elle était incapable de dire avec certitude à quel moment le projet de centre commercial avait finalement été abandonné. Globalement, Mme Fisher ne se souvenait pas précisément de la chronologie des événements et des montants versés à M. Hurst. Ce fait est compréhensible, vu le temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a eu affaire à M. Hurst. Toutefois, Mme Fisher a affirmé catégoriquement qu’elle savait, dès la fin de 2003 ou le début de 2004, que son argent était perdu.

 

[15]        Dans son témoignage, Mme Fisher a déclaré qu’au moment où il est devenu manifeste que le projet de centre commercial ne verrait pas le jour, M. Hurst l’a assurée à maintes reprises qu’il [traduction] « remplacerait » sa perte en lui cédant une participation dans d’autres projets, mais ses propos n’ont jamais débouché sur quoi que ce soit. Elle a maintes fois essayé de communiquer avec lui, mais elle a su qu’il était parti à l’étranger et travaillait au Ghana. Après un certain temps, il a cessé de répondre aux courriels qu’elle lui envoyait. Une fois encore, le témoignage de Mme Fisher n’est pas clair quant au moment où ces faits ont eu lieu. Je comprends par ailleurs des propos de Mme Fisher qu’elle n’a pas tenté d’entrer en contact avec M. Hurst pour qu’il vienne témoigner à l’audience, parce qu’elle le croyait toujours à l’extérieur du pays.

 

[16]        Vers le milieu de 2006, Mme Fisher a fait parvenir un courriel à M. Hurst pour lui demander une copie de la convention de vente et d’achat du centre commercial. Le 23 juin 2006, M. Hurst a répondu à Mme Fisher en joignant à son courriel une copie non signée de la convention de vente et d’achat. Il ajoutait qu’il joignait également une [traduction] « lettre énonçant la relation entre les parties à l’opération », mais aucune lettre n’était jointe à la copie du courriel produit à l’audience. Il est impossible de préciser à quelle lettre il faisait allusion et Mme Fisher n’a pas été en mesure d’apporter un quelconque éclairage sur la question.

 

[17]        Dans le courriel du 23 juin 2006, M. Hurst a aussi écrit ce qui suit à Mme Fisher :

 

[traduction]

 

Comme vous le savez, Oberlin refusait de clore l’opération, ce qui nous a obligés à déposer un avis d’affaire en instance relativement au titre.

 

Vu l’avis juridique qui nous a été donné et le fait que le centre commercial Summit Park avait perdu la quasi‑totalité de ses principaux locataires en cours d’instance, nous avons accepté d’abandonner la poursuite en échange du paiement de nos frais judiciaires par Oberlin.

 

[18]        Rien dans la preuve n’indique que les événements auxquels M. Hurst fait allusion dans ce courriel ont eu lieu.

 

[19]        Le 11 septembre 2006, à la demande de M. Hurst, Mme Fisher a signé un [traduction] « accord de résiliation » intervenu entre elle‑même, M. Hurst, Niagara et une autre société. L’accord était rédigé comme suit :

 

 


[traduction]

 

Accord de résiliation – Centre commercial Summit Park

 

La présente lettre fait suite à la lettre d’intention, intervenue le 9 avril 2003 entre Niagara Attraction & Entertainment Inc., Mesh Entertainment Inc., M. Howard Hurst et Mme Kay Fisher (la « lettre d’intention »), relativement à l’acquisition du centre commercial Summit Park (le « bien »).

 

Nous, soussignés, reconnaissons ce qui suit et convenons :

 

1.         que la convention de vente et d’achat conclue entre Niagara Attraction & Entertainment Ltd. (« Niagara »), en qualité de nue‑fiduciaire, et Oberlin Investors, LLC (« Oberlin »), en vue de l’acquisition du bien a été résiliée et que Niagara et Oberlin se sont donné mutuellement quittance relativement à l’acquisition;

 

2.         que tous les fonds investis ont été utilisés conformément à l’état des opérations immobilières, daté du 31 décembre 2003, et que la totalité des sûretés constituées, directement ou indirectement, relativement à cette opération ont été acquittées et ont fait l’objet d’une mainlevée (annexe A);

 

3.         que la lettre d’intention et tous les documents afférents sont nuls et sans effet;

 

4.         de nous donner mutuellement quittance, au besoin.

 

[20]         Aucune copie de l’annexe A mentionnée au paragraphe 2 de l’accord de résiliation n’a été déposée en preuve.

 

[21]        Lors de son témoignage, Mme Fisher a déclaré que M. Hurst l’avait informée que l’affaire était terminée et qu’elle devait signer la quittance en raison des [traduction] « poursuites judiciaires en instance ». Elle n’a pas consulté d’avocat avant de signer l’accord de résiliation. Je suppose que le principal objectif de l’accord de résiliation était de permettre à M. Hurst d’être libéré de l’obligation qu’il avait contractée en vertu des billets à ordre qu’il avait remis à Mme Fisher en 2003. En dépit de ce que M. Hurst aurait dit à Mme Fisher, rien dans la preuve ne donne à penser qu’une autre partie à l’accord de résiliation avait quelque réclamation contre les autres.

 

[22]        À un certain moment, M. Hurst a remis à Mme Fisher un relevé indiquant qu’au cours de l’année se terminant le 31 décembre 2003, elle avait payé des dépenses totalisant 239 236,19 $ relativement à ce [traduction] « projet avorté d’acquisition » du centre commercial. Ces dépenses comprenaient des frais d’expert-conseil et des commissions d’option, des honoraires juridiques et comptables ainsi que d’autres montants divers. Mme Fisher n’arrivait pas à se rappeler avec exactitude à quel moment M. Hurst lui avait remis le relevé, mais elle a dit penser que c’était vers la fin de 2003 ou le début de 2004. Ainsi, c’est à partir de ce moment qu’elle a estimé que son argent était perdu. De la même façon, elle a été incapable de dire si le montant de 239 236,19 $ figurant dans le relevé comprenait les sommes de 17 500 $ et de 3 000 $ qu’elle avait données à M. Hurst en 2004.

 

[23]        Suivant le dépôt de la déclaration de revenus de 2003 de Mme Fisher, dans laquelle elle avait déduit une perte d’entreprise relativement au projet de centre commercial, l’Agence du revenu du Canada a entrepris une vérification de ses années d’imposition 2000 à 2004. Elle a mis plus de deux années pour achever cette vérification à l’issue de laquelle d’importantes sommes ont été ajoutées au revenu de Mme Fisher en même temps que des dépenses lui ont été refusées relativement à sa principale activité en tant que courtière en immeubles. En cours de vérification, Mme Fisher a présenté deux boîtes de documents pour justifier les sommes inscrites dans ses déclarations de revenus et elle a affirmé qu’à sa demande, M. Hurst avait, lui aussi, présenté des documents au vérificateur pour appuyer la demande de déduction de la perte d’entreprise relative au projet du centre commercial. Au terme de la vérification et après avoir reçu les avis de nouvelles cotisations, Mme Fisher a demandé le retour des documents dont elle voulait se servir pour étayer son opposition aux nouvelles cotisations. Puisqu’elle ne retrouvait plus les documents, l’ARC a annulé les nouvelles cotisations visant le revenu et les dépenses liés aux activités de courtage de Mme Fisher. Toutefois, l’ARC a maintenu son avis selon lequel la preuve ne permettait pas de conclure que Mme Fisher avait subi une perte d’entreprise par rapport au projet de centre commercial pour l’année d’imposition 2003.

 

La thèse de l’appelante

 

[24]        L’avocat de Mme Fisher soutient que sa cliente a fourni 239 236,19 $ à Niagara en 2003, étant entendu qu’elle recevrait en échange une participation de 5 p. 100 dans le projet du centre commercial. Selon lui, la lettre d’intention prévoyait que Mme Fisher devait prêter les sommes à Niagara, mais cela n’était pas concluant pour la détermination de la nature de ses droits, et les fonds avaient été avancés à Niagara dans un contexte où Mme Fisher devait devenir une investisseuse plutôt qu’une prêteuse. L’avocat a aussi soutenu que la participation de Mme Fisher avait perdu toute valeur au moment de l’abandon du projet à la fin de 2003 ou, au plus tard, au début de 2004, ajoutant qu’elle avait alors subi une perte en capital.

 

[25]        L’avocat a fait valoir que l’état des opérations immobilières remis par M. Hurst à Mme Fisher constituait la preuve des sommes qu’elle avait avancées pour le projet et du fait que ces sommes avaient été consacrées au projet. Le relevé indiquait que le montant total investi au cours de l’année en question par Mme Fischer s’élevait à 239 236,19 $, ce qui concordait avec le témoignage de cette dernière selon lequel elle avait remis de l’argent liquide à M. Hurst en plus des chèques totalisant 170 500 $.

 

[26]        Concernant le moment où la perte s’est concrétisée, l’avocat a avancé que le projet d’achat du centre commercial était [traduction] « mort » peu après la date de clôture du 30 juin 2003 et que les sommes investies par Mme Fisher avaient disparu, au plus tard, vers le début de 2004. Selon lui, l’accord de résiliation ne permettait pas de déterminer de manière concluante le moment où le projet avait pris fin : il avait pour seul but d’empêcher des poursuites judiciaires contre M. Hurst.

 

[27]        Par ailleurs, l’avocat de Mme Fisher a aussi fait valoir qu’en raison de l’âge et de la situation de sa cliente, et étant donné qu’il était difficile de savoir où se trouvait M. Hurst, les efforts qu’elle avait faits pour tenter d’obtenir quelque contrepartie de la part de ce dernier pour le capital qu’elle avait investi étaient raisonnables. Selon lui, on ne saurait affirmer sérieusement que Mme Fisher aurait pu recouvrer quoi que ce soit auprès de Niagara ou de M. Hurst après 2003, indépendamment de son degré de vigilance.

 

[28]        Enfin, l’avocat a ajouté que tout droit d’action que Mme Fisher avait contre M. Hurst avait été frappé de prescription avant la passation de l’accord de résiliation, selon la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario.

 

La thèse de l’intimée

 

[29]        Selon l’intimée, rien ne prouve que l’argent donné par Mme Fisher à M. Hurst ait été utilisé pour le projet de centre commercial, puisque l’acheteur du centre commercial devait être Niagara, et non M. Hurst. Plus vraisemblablement, Mme Fischer a prêté les sommes à M. Hurst, puisque les billets à ordre que ce dernier lui a remis ne faisaient aucune allusion au projet de centre commercial.

 

[30]        À titre subsidiaire, l’avocat de l’intimée a fait valoir que, si la Cour arrivait à la conclusion que Mme Fischer avait fourni des fonds à Niagara, il lui fallait aussi conclure qu’il s’agissait d’un prêt et que, sur les sommes versées par Mme Fisher, seul un montant de 150 000 $ pouvait être rattaché à l’acquisition du centre commercial.

 

[31]        En outre, l’avocat a ajouté que Mme Fisher n’était pas parvenue à établir que la dette était devenue irrécouvrable avant la signature de l’accord de résiliation en 2006 et qu’en conséquence, elle ne pouvait avoir subi une perte en capital avant cette date. Selon lui, la preuve a révélé qu’en 2006, Mme Fisher continuait d’espérer que le projet se poursuivrait. Enfin, il a formulé certaines réserves quant à l’état des opérations que M. Hurst avait remis à Mme Fisher, estimant qu’il ne devait pas être considéré comme une preuve du moment où le projet avait été abandonné, puisqu’il ne portait pas de date et que Mme Fisher ne savait plus quand elle l’avait reçu.

 

Analyse

 

[32]        Il y a perte en capital au sens de la Loi lorsqu’un contribuable dispose d’une immobilisation et que le produit de la disposition est inférieur au prix de base rajusté du bien. La Loi prévoit que, dans certains cas, le contribuable sera réputé avoir disposé de biens, ce qui donne lieu à un produit réputé de disposition. Les dispositions déterminatives applicables en l’espèce sont énoncées à l’alinéa 50(1)a). Selon cet alinéa, le contribuable peut choisir d’avoir disposé d’une créance dont il a établi le caractère irrécouvrable. Si le contribuable fait ce choix, il sera réputé avoir disposé de la créance pour un produit nul et l’avoir acquise de nouveau à un coût nul.

 

[33]        Aux fins de la présente affaire, il faut d’abord déterminer les montants versés par Mme Fisher à M. Hurst relativement au projet de centre commercial. Après examen de l’ensemble de la preuve, je conclus que Mme Fisher n’a pu démontrer qu’elle avait fourni des sommes à M. Hurst qu’à hauteur de 170 500 $. C’est ce chiffre que permettent d’étayer les chèques oblitérés dont copies ont été déposées en preuve par Mme Fisher. Bien que cette dernière ait affirmé avoir remis à M. Hurst d’autres sommes en espèces, elle n’a pu étayer ses dires par des pièces justificatives et elle a livré sur ce point un témoignage flou. J’estime que l’état des opérations immobilières établi par M. Hurst au 31 décembre 2003 n’est pas suffisamment fiable pour constituer une preuve prima facie des sommes avancées par Mme Fisher. Le relevé semble contredire la preuve découlant des chèques oblitérés, à savoir que Mme Fisher a avancé des fonds supplémentaires en janvier et en février 2004 et que le projet n’avait pas été abandonné au 31 décembre 2003. Je suis aussi d’avis que les documents préparés par M. Hurst en diverses occasions étaient inexacts. L’exemple le plus frappant en est la note de service interne datée du 8 avril 2003, dans laquelle on peut lire que l’acquisition du centre commercial était faite pour le compte de Mme Fisher. Cette note de service va tout à fait à l’encontre de la lettre d’intention que les parties ont signée le jour suivant, et, par ailleurs, Mme Fisher a confirmé dans son témoignage qu’elle n’avait pas eu l’intention d’acheter elle‑même le centre commercial. On peut citer d’autres exemples, comme les variations dans la désignation de Niagara dans divers documents et l’ajout à l’accord de résiliation d’une partie n’ayant joué aucun rôle apparent dans le projet.

 

[34]        L’avocat de Mme Fisher a laissé entendre que les montants auraient pu être prouvés grâce aux renseignements que M. Hurst avait fait parvenir au vérificateur, mais qui ont été perdus par l’ARC. À mon avis, ces propos relèvent de la simple conjecture. Rien au dossier ne tend à confirmer que M. Hurst a bel et bien fait parvenir quelque information que ce soit au vérificateur ou, s’il l’a fait, que cette information permettrait de déterminer les montants versés par Mme Fisher.

 

[35]        La question qui se pose ensuite est de savoir si Mme Fisher a prêté les 170 500 $ (que ce soit à M. Hurst ou à Niagara) ou si elle les a fournis dans le but d’acquérir une participation dans le projet de centre commercial.

 

[36]        J’estime que Mme Fisher a consenti un prêt à Niagara, tout au moins en ce qui concerne la somme de 150 000 $ versée au départ. La lettre d’intention qu’elle a conclue avec Niagara et M. Hurst le 9 avril 2003 prévoyait qu’elle consentait un prêt à Niagara et que M. Hurst garantissait le remboursement des sommes prêtées. Ces dispositions ont également été corroborées par les billets à ordre que M. Hurst a remis à Mme Fisher.

 

[37]        Même si, aux dires de l’avocat de l’intimée, rien ne prouve que M. Hurst ait utilisé les sommes obtenues de Mme Fisher dans le cadre du projet d’acquisition du centre commercial par Niagara, je suis d’avis qu’elles l’ont été. Suffisamment d’éléments de preuve ont été présentés à l’audience pour établir l’authenticité du projet de centre commercial et le fait que Niagara était engagée dans des négociations pour l’achat du bien. Mme Fisher a effectué une visite du centre commercial en compagnie de représentants de la municipalité et d’autres investisseurs potentiels et de la documentation a été produite à l’audience concernant le projet.

 

[38]        Selon les termes de la lettre d’intention, Mme Fisher devait également [traduction] « obtenir une participation de 5 p. 100 dans Niagara », mais elle n’a donné aucune contrepartie en échange de cette participation. Par ailleurs, rien n’indique qu’on lui ait émis des actions de Niagara ou que la société à responsabilité limitée qui devait être constituée pour l’achat du centre commercial et dont Niagara devait être la commanditée ait vu le jour à quelque moment. Par conséquent, je conclus que les 150 000 $ versés par Mme Fisher en avril 2003 représentait un prêt consenti à Niagara.

 

[39]        Il est impossible de dire au juste comment les parties entendaient traiter le reste de l’argent avancé par Mme Fisher. Celle‑ci se contentait de désigner l’ensemble des sommes versées à M. Hurst en parlant d’un [traduction] « investissement » dans le projet. Toutefois, il n’existe pas de preuve d’une entente prévoyant que les montants versés ultérieurement le seraient en échange d’une participation supplémentaire dans Niagara, ou d’un droit aux bénéfices susceptibles d’être réalisés ou de quelque autre forme de droit. Or, étant donné que les montants avancés au départ l’ont été sous forme de prêt et que le chèque libellé à l’ordre de M. Hurst par Mme Fischer en date du 24 février 2004 portait l’inscription [traduction] « prêt », je suis davantage porté à croire, en l’absence de preuve contraire, que les montants versés ultérieurement étaient eux aussi des prêts consentis à Niagara. Rien ne prouve, toutefois, que M. Hurst ait personnellement garanti ces sommes supplémentaires puisqu’il n’a délivré aucun billet à ordre à leur égard.

 

[40]        Pour pouvoir affirmer qu’elle a subi une perte en capital au cours de l’année d’imposition 2003 ou 2004 relativement à la dette que Niagara avait envers elle, Mme Fisher doit établir, conformément à l’alinéa 50(1)a) de la Loi, que la créance s’est révélée irrécouvrable avant la fin de 2003 ou de 2004.

 

[41]        Dans l’arrêt Rich c. La Reine, 2003 CAF 38, la Cour d’appel fédérale devait notamment déterminer à quel moment la créance d’un contribuable devient irrécouvrable. Aux paragraphes 12 à 15 des motifs, le juge Rothstein écrit :

 

[12 ]     Pour savoir si une créance est irrécouvrable, il faut considérer les faits à une date donnée, par exemple le 31 décembre 1995. La Loi de l’impôt sur le revenu ne précise pas les facteurs à prendre en compte pour savoir si une créance est ou non recouvrable. Cependant, les jugements rendus par la Commission d’appel de l’impôt dans l’affaire Hogan c. Le Ministre du Revenu national, 56 D.T.C. 183 et dans l’affaire No. 81 c. Le Ministre du Revenu national, 53 D.T.C. 98, indiquent certains des facteurs dont il convient de tenir compte. Après que le créancier a considéré luimême les facteurs à retenir, il s’agit de savoir s’il a honnêtement et avec raison décidé que la créance était irrécouvrable.

[13]      Je résumerais ainsi les facteurs qui, à mon sens, devraient en général être pris en compte lorsqu’on veut savoir si une créance est devenue irrécouvrable :

1.         l’historique et l’âge de la créance;

2.        la situation financière du débiteur, ses revenus et ses dépenses, gagne‑t‑il un revenu ou essuie‑t‑il des pertes?, sa trésorerie et son actif, son passif et les liquidités dont il dispose;

3.         l’évolution du chiffre d’affaires total par rapport aux années antérieures;

4.        l’encaisse, les comptes clients et autres disponibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

5.         les comptes fournisseurs et autres exigibilités du débiteur à l’époque pertinente et par rapport aux années antérieures;

6.         les conditions économiques générales ayant cours dans le pays, parmi l’ensemble des débiteurs et dans la branche d’activités du débiteur; et

7.         l’expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances irrécouvrables.

Cette liste n’est pas limitative et, selon les circonstances, un facteur ou un autre pourra prendre une importance accrue.

[14]      Les perspectives de la société débitrice peuvent présenter un intérêt dans certains cas, mais les considérations premières seraient en général liées au passé ou au présent. S’il est établi qu’un événement se produira probablement dans l’avenir et que cet événement donne à penser que la créance sera recouvrable lorsqu’il surviendra, alors l’événement en question devra être pris en compte. Si les considérations futures ne sont que des conjectures, elles n’interviendront pas lorsqu’on se demandera si une créance exigible est recouvrable.

[15]      Il n’est pas nécessaire non plus pour un créancier d’épuiser tous les moyens possibles de recouvrement. Ce qu’il faut, c’est une évaluation honnête et raisonnable. D’ailleurs, lorsqu’une créance irrécouvrable est par la suite recouvrée en totalité ou en partie, la somme recouvrée est considérée comme un revenu de l’année du recouvrement.

 

[42]        Étant donné que Mme Fisher a continué de verser des fonds pour le projet jusqu’à la fin de février 2004 au moins, je suis d’avis qu’elle n’a pas établi que la créance était irrécouvrable au 31 décembre 2003. D’après la preuve dont je dispose, je suis également d’avis que Mme Fisher n’a pas établi que la partie de la créance garantie par M. Hurst était devenue irrécouvrable à la fin de 2004. Que Niagara ait ou non été en mesure de rembourser la créance à l’époque pertinente, un aspect que j’examinerai un peu plus loin dans les présents motifs, Mme Fisher n’a pas établi qu’elle avait pris des mesures pour exiger que M. Hurst honore les billets à ordre qu’il lui avait remis, ni même qu’elle avait tenté d’apprécier si elle arriverait à se faire payer par M. Hurst. Puisque M. Hurst a demandé à Mme Fisher de signer l’accord de résiliation en septembre 2006, j’en conclus qu’il était préoccupé par la possibilité de devoir honorer les billets à ordre, et cela permet de supposer que Mme Fisher aurait vraisemblablement pu obtenir quelque somme de M. Hurst à l’époque. Quoi qu’il en soit, elle ne s’est pas renseignée sur la situation financière de M. Hurst et n’a produit à l’audience aucune preuve de la capacité de payer de ce dernier.

 

[43]        Je ne souscris pas à l’avis de l’avocat de Mme Fisher selon lequel les droits d’action qu’elle avait contre M. Hurst ont été prescrits suivant la Loi de 2002 sur la prescription des actions de l’Ontario avant la date de l’accord de résiliation. La Loi de 2002 sur la prescription des actions est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. Elle a établi de nouvelles règles de calcul des délais de prescription pour intenter une poursuite au titre d’une réclamation. D’après les dispositions transitoires du paragraphe 24(5), si les faits qui ont donné naissance à une réclamation pour laquelle la Loi prévoit un délai de prescription ont été découverts par le demandeur avant l’entrée en vigueur de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, l’ancien délai de prescription s’applique. Dans le cas d’une réclamation relative à un billet à ordre, l’ancien délai de prescription était de six ans et il est passé, en vertu des nouvelles dispositions, à deux ans. Il est clair que Mme Fisher savait que les prêts n’avaient pas été remboursés au 30 juin 2003, soit la date indiquée dans la lettre d’intention du 9 avril 2003 pour la clôture de la vente du centre commercial et, conséquemment, pour le remboursement du prêt consenti à Niagara. Par conséquent, Mme Fisher avait jusqu’au 30 juin 2009 pour intenter une action contre M. Hurst.

 

[44]        Je dois aussi déterminer si Mme Fisher a établi que le solde de la créance qu’elle détenait était devenu irrécouvrable au 31 décembre 2004. Mme Fisher soutient que la créance est devenue irrécouvrable lorsque le projet du centre commercial a été abandonné, ce qui, selon elle, se serait produit au plus tard au début de 2004.

 

[45]        Mme Fisher ne s’est pas du tout renseignée sur les finances de Niagara ni sur les éléments d’actif qu’elle pouvait détenir, mais il semble raisonnable de tenir pour acquis qu’une fois le projet abandonné, Niagara ne serait pas en mesure de rembourser les prêts. Ces aspects ont trait aux facteurs de l’arrêt Rich se rapportant à l’historique de la créance et à la situation financière du débiteur. L’entreprise avait été créée afin d’acquérir et de revitaliser le centre commercial, et je considère que tous les fonds qu’elle a assemblés ont été utilisés aux fins de cette acquisition. Malheureusement, rien ne corroborait le témoignage de Mme Fisher concernant la date de l’abandon du projet, et elle a elle‑même reconnu que sa mémoire de la chronologie des faits était affectée par son état de santé et le passage du temps. Bien que l’état des opérations immobilières établi par M. Hurst pour l’année prenant fin le 31 décembre 2003 donne l’impression qu’à la fin de 2003, on avait mis un terme au projet, le fait que Mme Fisher ait continué d’avancer des sommes jusqu’au début de 2004 réfute cette thèse. Par ailleurs, dans le courriel envoyé à Mme Fisher le 23 juin 2006, M. Hurst rapportait que Niagara avait intenté une poursuite contre Oberlin afin de forcer la vente du centre commercial, puisque cette dernière avait refusé d’aller de l’avant. D’après ce courriel, [traduction] « le centre commercial Summit Park avait perdu la quasi-totalité de ses principaux locataires en cours d’instance ». Cet aspect, conjugué au fait que l’accord de résiliation n’a été conclu qu’en septembre 2006, me porte à croire que le différend et l’instance ont duré quelque temps et que, par conséquent, il est improbable que la poursuite contre Oberlin ait été abandonnée avant la fin de 2004. Quoi qu’il en soit, Mme Fisher n’a pas démontré que la poursuite avait été abandonnée avant le 31 décembre 2004.

 

[46]        Pour la plupart, les autres facteurs examinés dans l’arrêt Rich n’ont pas été abordés par les avocats et ne sont pas pertinents en l’espèce, puisque Niagara en était à l’étape du démarrage du projet et qu’elle n’avait pas encore acquis le centre commercial ni commencé à encaisser des recettes.

 

[47]        À la lumière de l’ensemble de la preuve, il n’était pas raisonnable, à mon sens, de considérer que les sommes dues par Niagara étaient devenues irrécouvrables à la fin de 2003 ou de 2004. Il s’ensuit que Mme Fisher n’a pas démontré que la dette que Niagara avait envers elle s’est révélée irrécouvrable au cours de l’une ou l’autre année et, partant, l’alinéa 50(1)a) ne s’applique pas en l’espèce aux années en cause.

 

 

[48]        L’appel est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 11e jour de juillet 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de septembre 2013.

 

 

 

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 216

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1(IT)G

 

INTITULÉ :                                      KAY FISHER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 11 juillet 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

 

Me Alfred Schorr

Avocats de l’intimée :

Mes Tony Cheung and Annette Evans

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                     Alfred S. Schorr

 

                            Cabinet :               Markham (Ontario)

                                                           

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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