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Dossier : 2010-682(IT)G

ENTRE :

CARMELA RAPOSO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

____________________________________________________________________

Appels entendus le 23 novembre 2012, à Toronto (Ontario).

 

 

Devant : L’honorable juge B. Paris

 

Comparutions :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me John Grant

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

          Les appels sont accueillis en partie, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 26e jour d’août 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2013.

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2013CCI265

Date : 20130826

Dossier : 2010-682(IT)G

ENTRE :

CARMELA RAPOSO,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Paris

 

[1]             Mme Raposo interjette appel des nouvelles cotisations établies à son endroit pour les années d’imposition 2004 et 2005. Le ministre du Revenu national a majoré ses revenus de 59 867 $ et 40 291 $ pour les années d’imposition 2004 et 2005, respectivement, les sommes en question représentant le produit de la fraude qu’elle avait perpétrée contre l’entreprise qui l’avait employée, Buzz Seating Ltd. (« Buzz »), et lui a imposé des pénalités au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »).

 

[2]             Mme Raposo nie avoir frustré Buzz de quelque argent ou bien. Toutefois, elle admet avoir plaidé coupable, le 21 avril 2008, à l’accusation selon laquelle elle aurait, entre le 1er février 2005 et le 30 mai 2005, frustré Buzz de fonds en les détournant, en violation de l’alinéa 380(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 (pièce R‑1, onglet 14). Le juge qui a prononcé sa peine lui a notamment ordonné de verser à Buzz un dédommagement de 40 000 $. Par ailleurs, Mme Raposo admet qu’en juin 2008, elle a conclu un règlement à l’amiable relativement à une action civile intentée contre elle par Buzz en vue du recouvrement des fonds détournés : elle a accepté de verser 20 000 $ à l’entreprise.

 

[3]             L’alinéa 380(1)a) du Code criminel vise toutes les fraudes de plus de 5 000 $ et celles portant sur un titre testamentaire. En voici le libellé :

 

 (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :

 

 a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;

 

[4]             À l’audience, Mme Raposo a dit avoir plaidé coupable à l’accusation portée contre elle et avoir accepté de conclure un règlement à l’amiable avec Buzz, parce qu’elle aurait eu à dépenser beaucoup plus que ses moyens le lui permettaient si un procès avait eu lieu et parce qu’elle souhaitait tourner la page. Elle a nié avoir pris à Buzz quelque chose auquel elle n’avait pas droit, ajoutant que tout ce qu’elle avait reçu de Buzz était son salaire ou le remboursement de frais qu’elle avait acquittés pour le compte de l’entreprise.

 

[5]             Avant d’entrer au service de Buzz, Mme Raposo avait été gestionnaire pour deux entreprises (affiliées) qui fabriquaient du mobilier de bureau. C’est à cette époque qu’elle avait fait la connaissance de Daniel O’Hara (« M. O’Hara »), qui exerçait les fonctions de vendeur pour l’une de ces entreprises. En 2003, M. O’Hara a donné sa démission afin de fonder Buzz. Il a convaincu Mme Raposo d’entrer au service de Buzz en tant que directrice générale à la fin de 2003.

 

[6]             Mme Raposo a déclaré que M. O’Hara était un citoyen américain ayant sa résidence aux États‑Unis. Au tout début de l’exploitation de l’entreprise, M. O’Hara venait au Canada et vivait chez Mme Raposo et sa famille. La maison de Mme Raposo accueillait également les bureaux de Buzz. Mme Raposo a affirmé avoir payé l’ensemble des dépenses de démarrage de l’entreprise au moyen de sa propre carte de crédit. Quant aux employés, ils étaient payés en liquide. Lorsque la compagnie a ouvert un compte en banque, au cours de 2003, elle était la seule détentrice du pouvoir de signature. Apparemment, les fonds versés par les investisseurs étaient déposés dans le compte afin de financer les activités de Buzz. Vers la fin de 2004, l’entreprise a ouvert une usine de production à Cambridge, en Ontario. Aux dires de Mme Raposo, une partie du matériel et des fournitures de l’usine a été payée en argent comptant afin d’obtenir de meilleurs prix et, pour procéder à ces achats, elle retirait de l’argent du compte en banque de l’entreprise. Elle a produit une lettre rédigée par l’une des personnes ayant fourni du matériel, dans laquelle il était déclaré que le matériel lui avait été payé par M. O’Hara en liquide (pièce A-1). Mme Raposo a également affirmé avoir payé de sa poche d’autres dépenses de l’entreprise et s’être remboursée à même les avoirs de l’entreprise. Elle a signalé ne pas toujours avoir été remboursée. Elle a produit des copies de reçus d’achat de timbres et de fournitures de bureau indiquant que les articles avaient été payés en espèces ou par carte de débit (pièces A‑5 et A‑6). Elle a aussi produit la copie d’une facture relative à des composantes de fauteuil, datée du 7 décembre 2004, ainsi qu’un chèque tiré sur son compte personnel pour acquitter la facture (pièce A‑2). Enfin, elle a produit des copies de ses factures personnelles de téléphonie cellulaire de même que les originaux des factures de sa ligne téléphonique résidentielle afin de montrer que ces services avaient été abondamment utilisés pour des appels relatifs aux activités de Buzz (pièces A‑7 et A‑8). Mme Raposo a indiqué qu’il s’agissait des seules traces qu’elle avait des dépenses qu’elle avait effectuées pour le compte de Buzz.

 

[7]             Mme Raposo a affirmé qu’en mai 2005, M. O’Hara lui a dit qu’il avait besoin de récupérer tous les dossiers d’entreprise qu’elle gardait chez elle en vue d’une rencontre avec un vérificateur de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »). Mme Raposo savait que l’entreprise éprouvait des difficultés financières, qu’elle accusait du retard dans le versement des retenues à la source prélevées sur le salaire de ses employés et que l’ARC procédait à une vérification. Or, trois jours après que M. O’Hara eût pris les dossiers, elle fut congédiée au motif qu’elle avait détourné des fonds appartenant à l’entreprise. Elle a dit avoir tenté de rencontrer M. O’Hara afin de lui démontrer que tout ce qu’elle avait reçu de l’entreprise correspondait à son salaire ou au remboursement de dépenses, mais celui‑ci a refusé. Depuis, elle n’a pas eu accès aux dossiers de l’entreprise, notamment au registre dans lequel elle consignait toutes les dépenses qu’elle avait personnellement payées.

 

[8]             Des accusations ont été portées au pénal contre Mme Raposo, et elle a dû retenir les services d’un avocat. Toutefois, elle a expliqué qu’elle n’aurait pas eu les moyens de se rendre au procès, une procédure dont on lui avait dit qu’elle lui coûterait 100 000 $. Elle a plutôt choisi de conclure un accord avec le ministère public en plaidant coupable aux accusations et elle s’est vu infliger une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, en plus de devoir payer 40 000 $ en dédommagement. L’action intentée par Buzz au civil pour recouvrer les fonds subtilisés a été réglée à l’amiable à la même époque pour un montant de 20 000 $. Mme Raposo a dit avoir pris ces mesures pour mettre fin à toute l’affaire et pour que sa famille et elle‑même puissent tourner la page.

 

[9]             Dans son témoignage, Mme Raposo a déclaré qu’elle avait assuré seule la direction et la gestion de l’entreprise pendant toute la période où elle avait été à son service, sauf lorsque M. O’Hara venait des États-Unis. Elle a affirmé qu’elle était [traduction] « tiraillée de tous côtés » et qu’elle avait demandé à plusieurs reprises à M. O’Hara de confier la comptabilité de l’entreprise à un tiers, mais ce dernier opposait son refus en raison du manque de fonds. Toutefois, elle a soutenu avec insistance que les registres suffiraient à démontrer qu’elle n’a pas fait usage des fonds de l’entreprise à des fins personnelles.

 

[10]        D’après les chiffres figurant dans l’annexe jointe à la réponse à l’avis d’appel, les sommes que Mme Raposo aurait prises à l’entreprise étaient constituées de paiements [traduction] « en double » du salaire qu’elle se versait à même le compte en banque de l’entreprise, d’autres chèques de l’entreprise qu’elle libellait à son ordre ou sur lesquels elle inscrivait qu’ils étaient payables au porteur et qu’elle endossait et encaissait pour elle‑même, de retraits en argent faits sur le compte en banque de l’entreprise, du paiement de dépenses personnelles avec la carte de débit de l’entreprise et enfin, du paiement de factures personnelles de téléphonie avec des chèques de l’entreprise. Les montants et les dates de ces détournements sont précisés dans les annexes, lesquelles ont été établies à partie d’une liste des sommes détournées dressée par Buzz (pièce R-1, onglet 7).

 

[11]        En contre‑interrogatoire, Mme Raposo a admis avoir reçu tous les montants mentionnés dans les annexes jointes à la réponse à l’avis d’appel, mais elle conteste la qualification donnée à ces montants. Elle a expliqué que les supposés [traduction] « duplicata » de chèques de paie correspondaient en fait au paiement de son salaire et que ce qu’elle a touché en tout au titre du salaire, y compris ces montants, ne dépassait pas le salaire auquel elle avait droit, lequel s’élevait selon ses dires à 80 000 $ par année. Les autres chèques et retraits ont été faits soit pour obtenir des liquidités afin de payer des travailleurs ou des fournisseurs, soit pour se rembourser des dépenses d’entreprise qu’elle avait engagées en utilisant ses propres avoirs; quant aux achats effectués par carte de débit, ils avaient tous été effectués pour le compte de l’entreprise. L’une des dépenses se rapportait à l’achat de meubles de jardin pour sa maison. Elle a expliqué que M. O’Hara avait dit qu’il lui en faisait cadeau en lui disant d’en faire l’acquisition et d’en porter le coût au compte de l’entreprise. Elle s’était dit qu’elle laisserait aux comptables le soin de décider de la façon de traiter ces montants dans les comptes de l’entreprise. Elle a ajouté que les meubles de jardin étaient en partie utilisés pour des réceptions que l’entreprise donnait à son domicile, mais elle n’a pas précisé qui étaient les invités ni à quelles occasions elles avaient eu lieu.

 

La thèse de l’appelante

 

[12]        Selon Mme Raposo, les éléments de preuve qu’elle a produits permettent d’établir que toutes les sommes indiquées dans les annexes A et B de la réponse à l’avis d’appel représentent soit des revenus d’emploi qu’elle a déclarés dans ses déclarations de revenus de 2004 et 2005, soit des paiements pour le remboursement de dépenses qu’elle a acquittées personnellement pour le compte de l’entreprise, ce qui en fait des encaissements non imposables. Elle soutient que sa déclaration de culpabilité pour fraude ne permet pas d’établir les faits de l’espèce de manière décisive, puisqu’elle a plaidé coupable uniquement pour des considérations financières. Elle soutient également que c’est chose invraisemblable qu’elle ait pu détourner des fonds de l’entreprise, étant donné qu’elle avait choisi de quitter un emploi de qualité qu’elle avait occupé pendant dix ans pour travailler pour Buzz. Il aurait été illogique de sa part de commencer à prendre de l’argent auquel elle n’avait pas droit moins de deux mois après avoir intégré un poste auprès de Buzz. Par ailleurs, Mme Raposo souligne l’absence d’éléments de preuve rattachant son train de vie ou ses avoirs à des revenus illégaux qu’elle n’aurait pas déclarés. Elle soutient aussi qu’on ne peut se fier aux renseignements donnés par M. O’Hara, car il avait intérêt à ne pas déclarer la totalité de son salaire sur les feuillets T‑4 que lui délivrait Buzz : il pouvait ainsi réduire le montant des retenues à la source que l’entreprise était tenue de verser à l’ARC. En outre, il déclarait seulement une partie des revenus gagnés par l’entreprise en plus d’utiliser les dessins de meubles et les droits d’auteur des concurrents de l’entreprise sans permission ni autorisation. Enfin, Mme Raposo fait valoir que rien dans la preuve n’indique sur quoi a été basé le calcul des sommes détournées, étant donné qu’aucun des dossiers de l’entreprise n’a été produit.

 

Analyse

 

[13]        L’appelante est d’avis que je ne dois pas tenir compte du fait qu’elle a été déclarée coupable de fraude contre Buzz, mais sa thèse va à l’encontre des lois et de la jurisprudence actuelle concernant l’utilisation de déclarations de culpabilité dans le cadre d’actions intentées en matière civile. Ainsi, en Ontario, les déclarations antérieures de culpabilité sont admissibles en preuve selon l’article 22.1 de la Loi sur la preuve, L.R.O. 1990, chap. E.23, lequel dispose :

 

22.1 (1) La preuve qu’une personne a été déclarée coupable ou libérée au Canada à l’égard d’un acte criminel constitue la preuve, en l’absence de preuve contraire, que l’acte criminel a été commis par la personne si, selon le cas:

 

a) il n’a pas été interjeté appel de la déclaration de culpabilité ou de la libération et le délai d’appel est expiré;

 

b) il a été interjeté appel de la déclaration de culpabilité ou de la libération, mais l’appel a été rejeté ou a fait l’objet d’un désistement et aucun autre appel n’est prévu. 1995, chap. 6, par. 6 (3).

 

[14]        Les déclarations de culpabilité sont recevables comme preuve prima facie des faits importants sur lesquels elles sont fondées : Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 51 O.R. (2d) 1 (C.A. Ont.). Il y a lieu d’accorder encore plus d’importance à une déclaration de culpabilité si elle a été prononcé au terme d’un procès en bonne et due forme : Ali et 124558 Canada inc c Cie d’assurance Guardian du Canada et Cie d’assurance Royale du Canada, 1999 CanLII 13177 (QCCA).

 

[15]        En l’espèce, étant donné que la déclaration de culpabilité de l’appelante a résulté des plaidoyers de culpabilité qu’elle a inscrits, plutôt que d’un procès, il est plus juste de traiter cette déclaration de culpabilité comme une preuve prima facie de la fraude commise par l’appelante à l’endroit de Buzz.

 

[16]        Quoi qu’il en soit, parmi les hypothèses que le ministre a retenues pour établir de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante et qui figurent au paragraphe 7 de la réponse à l’avis d’appel, il y a celle portant qu’elle ait obtenu 59 867 $ en 2004 et 40 291 $ de Buzz par des moyens frauduleux. Le détail des sommes en cause est donné aux annexes A et B de la réponse à l’avis d’appel. Ces annexes, qui comprennent la liste des montants appartenant à Buzz et détournés par l’appelante, montrent comment les paiements ont été consignés dans les comptes et registres de Buzz.

 

[17]        Par conséquent, que ce soit en raison de la preuve de sa déclaration de culpabilité pour fraude ou des hypothèses sur lesquelles le ministre a fondé les nouvelles cotisations en litige, c’est à l’appelante qu’il incombe de prouver qu’elle n’a pas frustré Buzz des sommes ajoutées à ses revenus pour les années d’imposition 2004 et 2005. En revanche, c’est à l’intimée qu’incombe la charge de la preuve en ce qui concerne l’établissement des pénalités pour faute lourde.

 

[18]        Par les motifs exposés ci-dessous, j’estime que l’appelante n’est pas parvenue à démontrer qu’elle n’avait pas frustré Buzz des sommes ajoutées à ses revenus, sauf en ce qui concerne un aspect marginal. De la même façon, je conclus que l’intimée n’est pas parvenue à démontrer que les pénalités qui ont été infligées relativement aux revenus de 37 347,41 $ non déclarés en 2005 l’ont été en conformité avec le paragraphe 163(2) de la LIR.

 

[19]        Dans l’ensemble, je conclus que la preuve produite par l’appelante n’est pas convaincante, surtout en ce qui concerne les sommes auxquelles renvoient les mots [traduction] « duplicata de chèques de paie », chèques qu’elle se faisait à elle‑même.

 

[20]        Les chèques appelés [traduction] « duplicata de chèques de paie » ont été tirés par et pour l’appelante sur le compte en banque de Buzz et leurs montants étaient identiques (ou, dans un des cas, très près) à ceux des chèques de paie qu’elle a reçus entre juin 2004 et avril 2005. Les [traduction] « duplicata » de chèques s’élevaient à 15 304,68 $ en 2004 et à 9 741,29 $ en 2005.

 

[21]        L’appelante soutient que tous ces chèques étaient en fait des chèques de paie auxquels elle avait droit.

 

[22]        Les éléments de preuve concernant le montant du salaire de l’appelante prêtent à confusion. Dans une lettre rédigée en avril 2004, M. O’Hara a déclaré que Buzz lui versait un salaire annuel de 80 000 $, qu’elle avait également été nommée au conseil d’administration et qu’on lui avait fait don de 10 p. 100 des actions de l’entreprise. Toutefois, dans la correspondance entre M. O’Hara et l’avocat de Buzz, il est signalé que l’appelante touchait un salaire annuel de 60 000 $, que l’on avait ensuite diminué de 15 000 $ pour le fixer à 45 000 $ afin de compenser le prix de l’acquisition par l’appelante d’une participation de 5 p. 100 dans l’entreprise (pièce R-1, onglet 10).

 

[23]        Bien qu’elle ait affirmé que Buzz lui versait un salaire annuel de 80 000 $, l’appelante a déclaré seulement 47 841,00 $ en revenus d’emploi provenant de Buzz sans sa déclaration de revenus T‑1 de 2004. Apparemment, dans le premier feuillet T‑4 qu’elle a reçu de Buzz pour l’année d’imposition 2004, avant d’être congédiée, les revenus d’emploi indiqués totalisaient 80 938,04 $. Or, elle a affirmé qu’après son congédiement, elle avait reçu deux feuillets T‑4 révisés : sur le premier, établi par l’ARC, les revenus d’emploi s’élevaient à 60 000 $ et sur l’autre, provenant de Buzz, ils étaient de 47 841,00 $. À l’époque, elle s’est dit qu’elle n’avait d’autre choix que d’accepter les chiffres définitifs, parce qu’il aurait été impossible d’obtenir de l’entreprise un deuxième feuillet T-4 modifié faisant état de ses gains réels. Toutefois, en contre‑interrogatoire, l’appelante a déclaré qu’elle ne pouvait dire avec certitude combien Buzz lui avait versé en salaire en 2004, car [traduction] « il était difficile de déterminer » ce qu’avaient été ses revenus cette année‑là.

 

[24]        Sur le plan de la comptabilité, la manière dont ont été traités les duplicata de chèques de paie allégués dans les livres de Buzz m’incite à mettre en doute les propos de l’appelante lorsqu’elle affirme que tous les chèques correspondaient au versement d’un salaire qui lui revenait de plein droit. De février à juin 2004, l’appelante a émis à son nom, aux deux semaines environ, des chèques de paie d’un montant variant entre 1 242,99 $ et 1 286,93 $. Les sommes en question étaient portées au débit du compte de la masse salariale de Buzz. À partir de juin 2004, l’appelante a tiré des chèques aux mêmes montants que ceux portés au débit du compte de la masse salariale de Buzz au titre de son salaire. Ces chèques étaient imputés à divers autres comptes, notamment aux comptes fournisseurs et à ceux des frais généraux et frais de téléphone, ou encore, ils n’apparaissaient tout simplement nulle part dans les comptes de Buzz. Au cours de cette même période, les chèques de paie que l’appelante tirait pour elle-même aux deux semaines étaient portés au compte de la masse salariale de Buzz. Autrement dit, les chèques supplémentaires faits aux mêmes montants que ceux imputés au salaire de l’appelante n’étaient pas inscrits à titre de salaire. Il semble qu’on ait tenté de les camoufler en les faisant passer pour des paiements d’autres types de dépenses ou en omettant de les inscrire dans les comptes de Buzz. L’appelante a admis être l’auteur de la plupart des écritures comptables passées dans les comptes de Buzz : seules quelques‑unes d’entre elles avaient été effectuées par un employé à temps partiel. J’en déduis que l’appelante a donné à cet employé des consignes sur la façon de passer les écritures, vu le poste qu’elle occupait à l’époque au sein de Buzz. Le traitement comptable des [traduction] « duplicata de chèques de paie » m’incite à rejeter l’affirmation de l’appelante selon laquelle ces sommes représentaient le salaire qui lui était dû. S’il s’était agi d’un salaire, pourquoi ne pas avoir ainsi comptabilisé ces sommes. Par ailleurs, bon nombre de ces chèques portaient une date précédant ou suivant de quelques jours seulement les chèques imputés à la masse salariale. L’appelante n’a pu expliquer pourquoi, après juin 2004, des chèques de paie avaient été faits à répétition pour des montants identiques ou très semblables et à l’intérieur de quelques jours.

 

[25]        Dans l’ensemble, je suis d’avis que les éléments de preuve relatifs au salaire que l’appelante a réellement reçu de Buzz va dans le sens de la thèse de l’intimée selon laquelle les sommes désignées comme étant des [traduction] « duplicata de chèques de paie » ont été détournées par l’appelante. Bien que les modifications apportées au feuillet T‑4 pour des motifs inexpliqués et les observations contradictoires faites par M. O’Hara concernant le salaire de l’appelante sèment la confusion, le fait que l’appelante a comptabilisé bon nombre de ces paiements dans les livres de Buzz en les rattachant à d’autres types de dépenses et qu’elle a tout simplement omis d’en inscrire d’autres me pousse à conclure qu’elle n’avait pas droit à ces paiements au titre de son salaire. Je trouve par ailleurs peu convaincante son explication concernant l’écart entre le salaire qu’elle dit avoir touché et celui qu’elle a inscrit dans sa déclaration de revenus. Puisque son salaire lui était versé par chèque, il lui aurait été facile, à mon sens, de déterminer les sommes qu’elles avaient reçues en 2004 à l’aide des relevés de son compte en banque et de les reporter dans sa déclaration.

 

[26]        Les autres montants que le ministre a ajoutés aux revenus de l’appelante se rapportent, d’une part, à une série de chèques relatifs au compte en banque de Buzz et libellés par l’appelante à son propre nom ou [traduction] « au porteur » et, d’autre part, des sommes qu’elle a retirées de ce compte. Ces postes s’élèvent au total à 36 895,88 $ en 2004 et à 26 138,50 $ en 2005. L’appelante soutient qu’elle utilisait les fonds reçus en échange de ces chèques ainsi que les retraits pour acheter le matériel et les fournitures dont Buzz avait besoin pour ses activités ou pour se rembourser les achats effectués pour l’entreprise à partir de son propre compte en banque ou au moyen de ses cartes de crédit et de débit personnelles. À l’appui de ses dires, l’appelante a produit la copie d’un chèque qu’elle a tiré sur son compte en banque personnel pour payer un fournisseur de Buzz. Le montant du chèque correspondait à un chèque qu’elle avait tiré sur le compte de Buzz puis encaissé. Cela dit, il ne s’agissait pas de l’un des chèques visés par l’accusation de fraude ou traités par le ministre comme un revenu non déclaré. L’appelante a également déclaré qu’elle utilisait une partie des fonds provenant des autres chèques pour l’achat de matériel pour le compte de Buzz. Elle a produit la lettre d’un fournisseur indiquant que M. O’Hara avait acquis du matériel en payant comptant. Or, là encore, ni les accusations de fraude ni les allégations de revenus non déclarés n’ont pris en compte le chèque au porteur de 3 500 $ imputé au compte de ce fournisseur dans les livres de Buzz.

 

[27]        L’appelante n’a pas appelé d’autres fournisseurs à la barre des témoins en vue d’obtenir corroboration du fait qu’elle leur avait payé au comptant des articles vendus à Buzz. Elle n’a pas non plus donné de précisions quant à la nature du matériel ainsi acheté.

 

[28]        L’appelante a effectivement déclaré avoir utilisé une partie des liquidités pour l’achat de fournitures de bureau et l’affranchissement des envois postaux de l’entreprise ou pour se rembourser divers achats qu’elle avait effectués pour l’entreprise avec sa carte de débit personnelle. L’appelante a produit une série de reçus obtenus à l’achat de fournitures variées dans divers grands magasins tels que Bureau en Gros, Shoppers, Best Buy et Home Depot. Certains d’entre eux comportaient une description de l’article alors que d’autres n’indiquaient que le prix payé. Sur certains, le mode de paiement était précisé, et sur d’autres, il ne l’était pas. Les reçus constatant l’achat de fournitures pour la période s’échelonnant du 27 décembre 2003 au 2 avril 2005 totalisent 1 559,70 $. Ceux des frais de port correspondant sensiblement à la même période s’élèvent à 376,64 $. L’appelante a également établi un montant estimatif pour les autres frais postaux de l’entreprise qu’elle dit avoir payés de sa poche.

 

[29]        Malheureusement, il n’y a pas moyen de savoir si les fonds que l’appelante a pris dans le compte en banque de l’entreprise ont été utilisés pour le paiement d’une ou plusieurs de ces dépenses ou si elles avaient déjà été remboursées à l’appelante de quelque autre manière. L’appelante a affirmé qu’elle tenait un registre (et conservait les reçus) des dépenses qu’elle engageait pour le compte de l’entreprise, registre qu’elle n’a pas été autorisée à consulter après son congédiement. Quoi qu’il en soit, il semble invraisemblable qu’elle puisse avoir utilisé régulièrement du liquide ou sa propre carte de débit pour acquitter des dépenses d’entreprise, alors qu’on lui avait remis une carte de débit lui donnant accès au compte de l’entreprise et qu’elle était aussi autorisée à tirer des chèques sur ce compte. Je ne trouve aucune explication logique au fait qu’elle a préféré payer les dépenses de Buzz à même ses propres fonds, alors qu’elle pouvait aisément recourir à la carte de débit ou au carnet de chèques de l’entreprise et ainsi se simplifier la tâche au chapitre de la comptabilité.

 

[30]        Les retraits en espèces ajoutés aux revenus de l’appelante comprenaient également un retrait de 400 dollars américains, mais l’appelante ne s’est pas exprimée au sujet de cette somme lors de son témoignage.

 

[31]        Le reste des postes en cause se rapportent à des paiements faits par l’appelante au moyen de chèques tirés sur le compte en banque de Buzz. Ainsi, en 2004 et en 2005, elle a libellé des chèques à l’ordre de Bell Mobilité pour payer ses factures personnelles de téléphonie cellulaire, de Bell World pour ses factures de téléphone résidentiel, ainsi qu’à l’ordre de Rona, de Home Depot, de Best Buy, de Zellers et de Dominion, pour des articles non précisés, de la province de l’Ontario pour des amendes relatives à des infractions au code de la route, de Canadian Tire et de Citi Financière, pour acquitter ses factures de cartes de crédit, et de Dot Patio pour l’achat de meubles de jardin.

 

[32]        L’appelante a produit ses factures de téléphone cellulaire et de téléphone résidentiel pour la période en cause. On pouvait constater qu’un nombre important d’appels interurbains avait été effectué aux États‑Unis et dans le sud de l’Ontario. Aux dires de l’appelante, ces appels se rapportaient aux affaires de Buzz, ce qui explique pourquoi elle avait payé ces factures avec les fonds de l’entreprise. Vu les factures de téléphone substantielles présentées par l’appelante à l’appui de son témoignage, je suis disposé à convenir que les paiements faits à Bell Mobilité et à Bell World doivent être soustraits des revenus non déclarés qui lui ont été attribués. Ces paiements s’élèvent en tout à 3 476,07 $ en 2004 et à 2 943,59 $ en 2005.

 

[33]        L’appelante a également soutenu que le paiement fait à Dot Patio se rapportait à des meubles de jardin dont M. O’Hara lui avait fait cadeau pour sa maison au nom de l’entreprise. Selon elle, c’était pour la remercier de l’avoir hébergé lorsqu’il venait au Canada par affaires. Or, il s’agit manifestement d’un avantage imposable consenti à l’appelante et c’est à juste titre que la somme a été incluse dans ses revenus.

 

[34]        En ce qui concerne le reste des paiements qu’elle a faits à des tiers au moyen de chèques, l’appelante ne m’a présenté aucun élément de preuve pour corroborer ses dires, à avoir qu’il s’agissait de dépenses d’entreprise. Pour cette raison, et parce que le témoignage de l’appelante est avare de détails quant à ces paiements, je ne puis conclure que les paiements ne visaient pas des dépenses personnelles, comme elle le soutient.

 

[35]        L’appelante soutient qu’il était illogique de quitter un bon emploi pour commencer à travailler pour Buzz puis à lui dérober de l’argent, mais à défaut d’éléments de preuve plus précis et plus convaincants la disculpant, je suis forcé d’accepter l’hypothèse du ministre voulant qu’elle ait commis une fraude à l’endroit de l’entreprise, que le mobile de son geste ait été ou non établi. De plus, j’ai peine à croire qu’elle a plaidé coupable du fait qu’elle ne pouvait supporter les frais d’un procès, puisque la transaction qu’elle avait conclue en matière pénale l’obligeait à payer 40 000 $ à titre de dédommagement et qu’elle avait en outre consenti à régler à l’amiable l’action civile intentée contre elle par Buzz pour un montant de 20 000 $. Or, il ressort des éléments de preuve qu’elle a acquitté les deux montants au moment de sa déclaration de culpabilité ou peu de temps après.

 

[36]        Je me propose maintenant d’examiner la question des pénalités pour faute lourde. Il incombe naturellement à l’intimée de prouver que l’appelante a fait de faux énoncés dans ses déclarations de revenus de 2004 et 2005 et que ces faux énoncés ont été faits sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Or, l’intimée n’a cité aucun témoin et s’en est remise à la preuve de la déclaration de culpabilité prononcée contre l’appelante.

 

[37]        Comme je l’ai dit précédemment, la déclaration de culpabilité constitue une preuve prima facie des faits sur lesquels elle est fondée. En espèce, l’acte d’accusation visant l’appelante ne se rapporte qu’à l’année 2005 et ne précise pas à combien s’élèvent les détournements de fonds. Toutefois, il ressort du dossier que le tribunal a rendu une ordonnance de dédommagement au montant de 40 000 $. À mon sens, on peut se fonder sur le dossier pour affirmer que l’appelante a détourné 40 000 $ appartenant à Buzz en 2005. Cette somme devrait comprendre les 2 943,59 $ correspondant aux chèques tirés sur le compte de Buzz en 2005 pour payer les factures téléphoniques de l’appelante, ce qui, selon mes conclusions, ne constituait pas un détournement de fonds de la part de l’appelante. Aux fins de l’application des pénalités pour faute lourde, l’intimée a démontré que l’appelante avait détourné 37 056,41 $ appartenant à Buzz. L’appelante a reconnu ne pas avoir déclaré les sommes que le ministre a ajoutées à ses revenus. Par conséquent, je conclus que l’appelante a délibérément omis de déclarer des revenus de 37 056,41 $ pour l’année d’imposition 2005. Je retiens l’enseignement du juge en chef Bowman professé à l’occasion de l’affaire Biros c Canada, 2007 CCI 248 : lorsque l’intimée prouve que le contribuable a reçu, par suite d’un stratagème frauduleux, des fonds qu’il n’a pas déclarés dans ses revenus, il y a lieu de conclure que l’omission constitue un simple volet de ce stratagème et qu’elle n’est vraisemblablement pas attribuable à l’insouciance du contribuable.

 

[38]        Par ces motifs, les appels sont accueillis en partie et l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvelle cotisation, étant entendu que les revenus non déclarés seront réduits de 3 476,07 $ en 2004 et de 2 943,59 $ en 2005 et que la pénalité pour faute lourde relative à l’année d’imposition 2004 sera supprimée et sera recalculée sur la base d’une omission volontaire de déclarer des revenus de 37 056,41 $.

 

 

[39]        Étant donné que l’appelante a obtenu en partie gain de cause en l’espèce, je n’adjugerai aucuns dépens.

 

Signé à Vancouver (Colombie‑Britannique), ce 26e jour d’août 2013.

 

 

« B. Paris »

Juge Paris

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2013.

 

 

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2013CCI265

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2010-682(IT)G

 

INTITULÉ :                                      CARMELA RAPOSO ET SA

MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge B. Paris

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 26 août 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelante :

L’appelante elle‑même

Avocat de l’intimée :

Me John Grant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

 

                          Nom :                    

 

                            Cabinet :

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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