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Dossier : 2011-1216(GST)G

 

ENTRE :

2411-3250 Québec Inc.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

Appel entendu les 6 et 7 juin 2013, à Montréal (Québec).

 

Devant : L'honorable juge Lucie Lamarre

 

Comparutions :

 

Avocat de l'appelante :

Me Marc-André Paquin

Avocat de l'intimée :

Me Louis Riverin

 

____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

        L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 20 avril 2010, pour des périodes de déclaration comprises entre le 1er février 2006 et le 31 octobre 2009, est rejeté, avec dépens.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 29e jour d’août 2013.

 

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre


 

 

 

Référence : 2013 CCI 272

Date : 20130829

Dossier : 2011-1216(GST)G

 

ENTRE :

2411-3250 Québec Inc.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

 

La juge Lamarre

 

 

[1]             L’appelante en appelle d’une cotisation, établie en date du 20 avril 2010 par le sous-ministre du Revenu du Québec pour le commissaire de l’Agence du revenu du Canada (ministre) aux termes de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise (LTA), pour un montant de taxe sur les produits et services (TPS), incluant intérêts et pénalités, de 23 718,32 $ pour des périodes de déclaration s’échelonnant entre le 1er février 2006 et le 31 octobre 2009 (pièce I-1).

 

[2]             L’appel porte plus particulièrement sur les périodes de déclaration du 1er novembre 2008 au 30 avril 2009 et du 1er août 2009 au 31 octobre 2009 (pièce I‑1, pages 7 à 9), pour lesquelles le ministre a refusé à l’appelante des crédits de taxe sur intrants (CTI) et imposé une pénalité en vertu de l’article 285 de la LTA relativement à la TPS que l’appelante aurait versée à compter du mois de juin 2008 aux sociétés 4411463 Canada Inc., connue sous la raison sociale Le Portail du Personnel, et 4488377 Canada Inc., connue sous la raison sociale Comptabilité Express. L’intimée soutient que les factures établies par ces deux dernières sociétés à l’endroit de l’appelante, et déposées sous la cote A-3, sont des factures de complaisance pour lesquelles aucun service n’aurait été réellement rendu.

 

 

Les faits

 

[3]             L’appelante a fait témoigner son président et unique actionnaire, M. Jean‑Charles Neveu, de même qu’un employé au cours de la période en cause, M. Sébastien Fortier. Elle a aussi appelé à la barre Mme Lise Lacasse, laquelle avait le mandat de l’appelante de faire sa tenue de livres, de même que M. Denis Champagne, le comptable externe de l’entreprise.

 

[4]             M. Neveu a d’abord expliqué qu’il a acheté de son cousin, en 1986, l’épicerie qu’exploite l’appelante à Laverlochère au Témiscamingue. M. Neveu, qui n’a pas fait d’études secondaires, n’avait pas d’expérience dans le marché de l’alimentation. Il exploite le commerce depuis maintenant 27 ans, dans son petit village de 900 habitants à environ 11 heures de route de Montréal. Il a toujours géré lui-même l’épicerie avec l’aide d’une de ses employés, qui était là avant même qu’il achète le commerce, Mme Sylvie Beaulé. L’appelante emploie environ 8 employés permanents, qui sont les mêmes depuis 20 ans, et quelques employés occasionnels. Mme Beaulé, qui travaille à la caisse, s’occupe de compiler les heures de travail de chaque employé hebdomadairement. Entre 2005 et juin 2008, elle faisait parvenir cette compilation d’heures à Mme Lise Lacasse, qui s’occupait aussi des paies des employés. Le bureau de Mme Lacasse est situé à Ville-Marie, à 20 km de Laverlochère. Les employés reçoivent leur paie par dépôt direct et on leur remet leurs talons de paie indiquant le montant brut de leur salaire, de même que le montant net après les retenues à la source (RAS). Le taux horaire de la rémunération des employés est déterminé par M. Neveu. Mme Lacasse demandait 240 $ par mois pour ses services, incluant le service de paie pour les employés.

 

[5]             Selon le témoignage de M. Neveu, un dénommé Bernard Ratelle, qu’il ne connaissait pas, aurait communiqué avec lui vers la mi-avril 2008. Ce dernier lui aurait mentionné qu’il se spécialisait dans le service de location de personnel et qu’il s’occupait du service de paie pour les employés, incluant toutes les RAS et les remises au gouvernement.

 

[6]             Ledit M. Ratelle serait venu à Laverlochère le 1er mai 2008 avec, en poche, un contrat de louage de personnel qu’il a fait signer à M. Neveu le même jour (pièce A-1). Les parties à ce contrat sont Le Portail du Personnel  (le locateur), dont l’établissement est situé dans la ville de Laval, et l’appelante (le locataire). Par ce contrat, le locataire retient les services du locateur afin de recevoir les services de location de personnel pour l’exploitation de l’épicerie à Laverlochère. Au titre de la rémunération, le locataire s’engage à verser au locateur « des honoraires établis suivant le personnel exigé et leur tarif horaire établi au préalable entre les parties, incluant tous les bénéfices marginaux usuels et autres charges de l’employeur sauf les frais de cotisation de [la] CSST qui eux, continueront d’être assumés par le Locataire (vu la définition d’employeur à la CSST), et ce, à chaque semaine » (paragraphe 2.1 du contrat). Le paragraphe 2.2 du contrat prévoit que « ladite somme sera acquittée par le locataire chaque semaine, sur présentation de la facturation pour la période courante, avec le montant des honoraires facturés par le Locateur pour la fourniture de prestation de services ».

 

[7]             Le paragraphe 4 du contrat prévoit que les obligations du locateur sont de fournir au locataire le personnel nécessaire, selon les critères énumérés par le locataire, et de voir au remplacement du personnel dépêché chez le locataire en cas d’incapacité de ce personnel d’exécuter le travail demandé.

 

[8]             Les parties pouvaient mettre un terme au contrat sur simple avis écrit et l’entente prenait fin sept jours après la réception dudit avis (paragraphe 5).

 

[9]             M. Neveu a trouvé ce service intéressant, d’autant, a-t-il dit, que cela lui permettait d’économiser entre 150 $ et 200 $ par mois (correspondant au montant approximatif versé à Mme Lacasse pour ce service) et qu’il ne devait plus se préoccuper du service de paie. Par ailleurs, a-t-il ajouté, il avait la possibilité de mettre fin au contrat en tout temps. M. Neveu a donc demandé à Mme Lise Lacasse de transférer, à compter du 1er juin 2008, tout le service de paie à une dénommée Mme Teresa, qui travaillait pour Le Portail du Personnel à Montréal.

 

[10]        Mme Lacasse a dit avoir transféré à cette personne le nom de tous les employés et les soldes de paie. Elle a toutefois continué à s’occuper de la tenue de livres de l’appelante. Elle recevait la même rémunération de 240 $ par mois, même si elle ne s’occupait plus des paies des employés. Selon M. Neveu, Mme Beaulé continuait à compiler les heures de travail des employés, mais à compter du 1er juin 2008, elle envoyait cette compilation par télécopieur au Portail du Personnel. Les employés étaient toujours payés par dépôt direct et recevaient encore leurs talons de paie, de la même manière qu’auparavant.

 

[11]        M. Neveu a déposé en preuve une série de contrats de travail qui auraient été signés par les employés avec Le Portail du Personnel (pièce A-2). Ces contrats indiquent que c’est Le Portail du Personnel qui devient l’employeur.

 

[12]        M. Sébastien Fortier, qui a travaillé comme homme à tout faire à l’épicerie depuis l’âge de 13 ans, et ce, jusqu’à la mi-juin 2010,  a reconnu qu’il avait aussi signé un contrat d’emploi avec Le Portail du Personnel le 2 juin 2008 à la demande de M. Neveu (pièce A-6). Il a compris que cette dernière entité était le nouvel employeur, mais que rien n’avait changé dans les faits, sauf pour le service de paie. Lui-même n’a jamais parlé à quiconque du Portail du Personnel et n’a pas rencontré Thérèse Simard, qui a signé le contrat pour l’employeur. Il a dit qu’au moment où M. Neveu lui a parlé de ce changement, il a eu une légère inquiétude quant au dépôt de sa paie, mais cette crainte s’est dissipée quand il a réalisé qu’il se faisait payer régulièrement. Il recevait ses talons de paie comme auparavant. Les employés sont restés les mêmes, le travail n’a pas changé et il travaillait toujours sous la supervision de M. Neveu. Au bout du compte, tout est demeuré inchangé. La seule différence était le nom de l’employeur.

 

[13]        M. Neveu a mentionné lors de son témoignage que c’est Le Portail du Personnel qui s’occupait également des cessations d’emploi des employés. Il aurait reparlé une seule fois à M. Ratelle après la signature du contrat de louage de personnel, et apparemment, cela aurait été à propos d’un document qui n’aurait pas été rempli au sujet d’une cessation d’emploi. Toujours selon M. Neveu, M. Ratelle aurait réglé cette question rapidement, et ledit document de cessation d’emploi aurait été rempli par Le Portail du Personnel peu après. L’avocat de l’intimée a toutefois déposé en preuve quatre relevés d’emploi, deux d’entre eux datant d’avant juin 2008 et les deux autres ayant été faits après juin 2008. Dans le cas des deux premiers, le nom de l’employeur était le supermarché, la personne à contacter était M. Neveu et le nom de la signataire du relevé était Lise Lacasse. Sur les deux derniers relevés d’emploi, le nom de l’employeur est Le Portail du Personnel, mais la personne à contacter est Sylvie Beaulé et le nom du signataire n’apparaît pas en lettres moulées (pièce I-2).

 

[14]        Par ailleurs, M. Neveu a reconnu les factures qui ont été préparées par Le Portail du Personnel et Comptabilité Express au cours de la période en litige et qui font l’objet du présent appel. Ces factures, déposées sous la cote A-3, établissent les honoraires demandés à l’appelante.

 

[15]        Ces honoraires correspondent dans les faits à la somme des salaires nets payés aux employés et des RAS retranchées des salaires bruts, sur laquelle somme on a facturé à l’appelante la TPS et la taxe de vente du Québec (TVQ). En clair, M. Neveu a reconnu que son entreprise remboursait au Portail du Personnel les salaires et les RAS de ses propres employés, sur le total dequels on calculait la TPS et la TVQ. Il a confirmé que Le Portail du Personnel ne réclamait dans les faits aucuns honoraires pour faire l’administration de la paie des employés.

 

[16]        M. Ratelle lui aurait laissé entendre qu’il avait droit à des subventions, qu’il les plaçait en dépôts bancaires qui lui rapportaient des revenus. De son côté, M. Neveu était tout à fait conscient qu’en procédant de cette manière il récupérait la TPS qu’il versait au Portail du Personnel (ce sont les CTI qui font l’objet du présent appel).

 

[17]        Par ailleurs, M. Neveu a admis qu’il n’a pas cherché à savoir qui était Bernard Ratelle ou ce que faisait réellement Le Portail du Personnel, pas plus qu’il n’a vérifié le numéro d’enregistrement de cette entreprise aux fins de la TPS et de la TVQ. Il a également reconnu que Le Portail du Personnel n’a jamais recommandé un seul employé et n’a fait aucune entrevue en vue d’en embaucher un. Il a également admis que, puisque l’établissement du Portail du Personnel était situé à Montréal (soit à environ 11 heures de trajet de Laverlochère), cette société ne pouvait fournir du personnel en cas d’absence d’un employé. Si un employé était malade ou devait s’absenter, il en informait directement M. Neveu, qui a continué à gérer son épicerie et ses employés comme auparavant. Il a également dit que Le Portail du Personnel n’avait donné aucune formation sur les normes de salubrité, car il n’y avait pas de telles normes à ce moment-là. Dans les faits, M. Neveu a mentionné qu’il n’avait jamais eu de problèmes avec ses employés et n’avait pas eu recours aux services du Portail du Personnel relativement à l’embauche et au travail des employés.

 

[18]        Le 14 février 2010, M. Neveu a mis un terme à son contrat avec Le Portail du Personnel (pièce A-5) par suite de la vérification entamée par le ministre en novembre 2009. Il a dès lors confié l’administration de la paie au bureau de son comptable externe, M. Denis Champagne.

 

[19]        Ce dernier a expliqué qu’il faisait les états financiers non vérifiés de l’appelante depuis les années 1980. Lorsqu’il a pris connaissance du contrat de sous-traitance avec Le Portail du Personnel au moment de préparer les états financiers pour l’exercice se terminant le 31 janvier 2009, il a vérifié au Registre des entreprises l’existence de cette société. Il a vu qu’elle existait légalement et était active. Il a discuté de ce contrat avec M. Neveu, car il est rare dans le Témiscamingue de voir de tels contrats de sous-traitance. Le contrat lui a paru conforme et les remises au gouvernement lui semblaient bien faites. En effet, bien qu’il n’ait pas vérifié les factures (son mandat se limitant à faire des états financiers non vérifiés), l’écart entre le montant des taxes versées et les CTI cadrait avec les données apparaissant au grand livre de l’entreprise. Il n’a pas fait de sondage pour évaluer plus à fond Le Portail du Personnel. M. Neveu lui a dit que cette société se payait à même les subventions qu’elle recevait et les revenus de placement tirés de ces subventions, et cette explication lui a suffi. Il a pensé que le service offert était comparable au service de paie que pouvait offrir la Caisse populaire dans certains cas.

 

[20]        Mme Sylvie Beaulé, qui semble avoir joué un rôle important dans toute cette histoire, n’est pas venue témoigner. M. Neveu a expliqué son absence en disant que celle-ci s’occupait de son père de 80 ans malade et qu’elle n’avait pas pu se libérer. Aucune déclaration assermentée faite par Mme Beaulé à ce sujet n’a été déposée en preuve.

 

[21]        L’intimée a fait témoigner M. Jacques Champagne, le vérificateur de l’Agence du Revenu du Québec (ARQ) dans le dossier, de même que M. Mathieu Doyon, technicien en vérification fiscale pour l’ARQ, qui a analysé le lien d’emploi des employés, et finalement M. Luc Jolicoeur, lequel a procédé à la vérification fiscale du Portail du Personnel pour l’ARQ.

 

[22]        M. Jacques Champagne a procédé à la vérification de la TPS versée et des CTI réclamés par l’appelante par suite d’un échange de renseignements internes découlant d’une enquête sur une affaire de factures de complaisance dans laquelle étaient impliqués Le Portail du Personnel et Comptabilité Express. Puisque l’appelante réclamait des CTI relativement à des factures provenant de ces deux entités qui faisaient l’objet d’une enquête, M. Jacques Champagne a eu le mandat de vérifier plus à fond le lien entre ces deux entités, l’appelante et les employés travaillant pour l’entreprise de l’appelante.

 

[23]        M. Jacques Champagne est allé sur les lieux mêmes de l’entreprise de l’appelante. On lui a alors montré le contrat intervenu entre cette dernière et Le Portail du Personnel (pièce A-1), les factures relativement auxquelles on réclamait des CTI, ainsi que le tableau des employés indiquant leur taux horaire, leur rémunération brute et nette et les RAS. On ne lui a pas montré, toutefois, les contrats d’emploi signés par chaque employé avec Le Portail du Personnel (pièce A-2). Il a vu ces contrats pour la première fois à l’audience. M. Jacques Champagne a également vu les chèques établis par l’appelante à l’ordre du Portail du Personnel et de Comptabilité Express. Il a noté que ces chèques avaient été encaissés dans un centre d’encaissement et n’avaient donc pas été déposés dans un compte bancaire.

 

[24]        M. Jacques Champagne a dès lors demandé à M. Mathieu Doyon de faire une analyse du véritable lien qui unissait les employés travaillant à l’épicerie exploitée par l’appelante et Le Portail du Personnel. Cette analyse a été faite dans le but d’évaluer si Le Portail du Personnel avait réellement rendu des services de location de personnel ou s’il s’agissait d’un stratagème dans le but de réclamer, dans le cas présent, des CTI relativement à des factures de complaisance.

 

[25]        M. Doyon a rencontré M. Neveu et son comptable, M. Denis Champagne, de même que Mme Sylvie Beaulé, M. Simon Bergeron (le gérant), et un troisième employé. Il a rencontré ces trois derniers employés individuellement.

 

[26]        Il ressort des réponses de l’appelante à un questionnaire (pièce I-4) que c’est M. Neveu qui embauchait réellement les employés, qui déterminait leur horaire de travail, le travail à effectuer, leurs vacances. C’est M. Neveu que les employés avisaient en cas d’absence pour maladie ou autre raison. Quant à la formation des employés, c’est M. Neveu qui s’en occupait. À une occasion, un employé a dû recevoir une formation sur la salubrité et c’est M. Neveu qui en a assumé les frais.

 

[27]        Quant à la rémunération des employés, elle aurait été versée par Le Portail du Personnel par dépôt direct dans le compte bancaire de chaque employé. Mais la source de cette rémunération était l’appelante, qui, selon les factures (pièce A-3), remboursait Le Portail du Personnel. S’il y avait une erreur dans la paie d’un employé, ce dernier avisait Mme Sylvie Beaulé. Aucun employé n’avait jamais parlé à quiconque chez Le Portail du Personnel. Les employés ont toujours reçu leur paie hebdomadairement selon un taux horaire déterminé par M. Neveu.

 

[28]        M. Doyon en est venu à la conclusion qu’il n’y avait pas eu de véritable contrat de louage de personnel entre l’appelante et Le Portail du Personnel et que l’appelante était toujours demeurée l’unique employeur de ses employés.

 

[29]        Par ailleurs, M. Doyon a constaté, lors de son enquête, que Le Portail du Personnel n’avait pas remis au gouvernement les RAS, la TPS et la TVQ.

 

[30]        Le vérificateur, M. Jacques Champagne, a donc conclu qu’il n’y avait aucun service qui avait été rendu par Le Portail du Personnel et que l’appelante avait participé, directement ou indirectement, à un stratagème afin de recevoir des CTI sur les salaires versés à ses employés, ce qu’elle ne pouvait légalement faire.

 

[31]        En rendant sa décision, M. Jacques Champagne a pris en compte les faits suivants : les employés sont les mêmes depuis 2004 et demeurent à Laverlochère ou dans les environs proches; une très grande distance sépare le lieu d’exploitation de l’épicerie de l’appelante et l’établissement du Portail du Personnel; c’est l’appelante qui est inscrite comme l’employeur aux fins de la CSST; les intervenants sur les relevés d’emploi sont Mme Sylvie Beaulé ou M. Neveu, tous deux représentant l’appelante; M. Neveu n’a pas cherché à savoir si M. Ratelle ou Le Portail du Personnel exerçaient réellement une activité commerciale (Rapport de vérification, pièce I-3, page 5).

 

[32]        Par ailleurs, M. Luc Jolicoeur a fait enquête sur Le Portail du Personnel. Il a réalisé que les chèques (une vingtaine faite par l’appelante entre juin 2008 et mai 2009) étaient encaissés auprès d’un centre d’encaissement. Ces chèques étaient payés en argent comptant moins un pourcentage variant de 3 à 5 pour 100. Il a visité les lieux indiqués comme étant ceux de l’établissement du Portail du Personnel et a constaté par lui-même qu’il n’y avait aucune entreprise du type en question aux adresses indiquées.

 

[33]        M. Jolicoeur n’a pu parler à aucun responsable chez Le Portail du Personnel, n’a vu aucun livre comptable de l’entreprise, n’a perçu aucune activité commerciale et a finalement constaté que Le Portail du Personnel n’avait fait aucune remise (RAS sur les salaires versés aux employés ou remises de TPS/TVQ) aux gouvernements.

 

 

Dispositions législatives pertinentes de la LTA

 

Section I — Définitions et interprétation

123. (1) Définitions — Les définitions qui suivent s’appliquent à l’article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

[…]

« acquéreur »

a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

b) personne qui est tenue, autrement qu’aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;

c) si nulle contrepartie n’est payable pour une fourniture :

(i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,

(ii) personne à qui la possession ou l’utilisation d’un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,

(iii) personne à qui un service est rendu.

Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture.

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a) l’exploitation d’une entreprise (à l’exception d’une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l’ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l’entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées;

[…]

« contrepartie » Est assimilé à une contrepartie tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture.

[…]

« fourniture » Sous réserve des articles 133 et 134, livraison de biens ou prestation de services, notamment par vente, transfert, troc, échange, louage, licence, donation ou aliénation.

[…]

« fourniture taxable » Fourniture effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

[…]

 

Sous-section b — Crédit de taxe sur les intrants

169. (1) Règle générale — Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, un crédit de taxe sur les intrants d’une personne, pour sa période de déclaration au cours de laquelle elle est un inscrit, relativement à un bien ou à un service qu’elle acquiert, importe ou transfère dans une province participante, correspond au résultat du calcul suivant si, au cours de cette période, la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable :

A × B

où :

A   représente la taxe relative à la fourniture, à l’importation ou au transfert, selon le cas, qui, au cours de la période de déclaration, devient payable par la personne ou est payée par elle sans qu’elle soit devenue payable;

B :

a) dans le cas où la taxe est réputée, par le paragraphe 202(4), avoir été payée relativement au bien le dernier jour d’une année d’imposition de la personne, le pourcentage que représente l’utilisation que la personne faisait du bien dans le cadre de ses activités commerciales au cours de cette année par rapport à l’utilisation totale qu’elle en faisait alors dans le cadre de ses activités commerciales et de ses entreprises;

b) dans le cas où le bien ou le service est acquis, importé ou transféré dans la province, selon le cas, par la personne pour utilisation dans le cadre d’améliorations apportées à une de ses immobilisations, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne utilisait l’immobilisation dans le cadre de ses activités commerciales immédiatement après sa dernière acquisition ou importation de tout ou partie de l’immobilisation;

c) dans les autres cas, le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l’a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[…]

 

285. Faux énoncés ou omissions — Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse — appelés « déclaration » au présent article — établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d’une pénalité de 250 $ ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 25 % de la somme des montants suivants :

a) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul de la taxe nette de la personne pour une période de déclaration, le montant obtenu par la formule suivante :

A - B

où :

A   représente la taxe nette de la personne pour la période,

B   le montant qui correspondrait à la taxe nette de la personne pour la période si elle était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

b) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul de la taxe payable par la personne, l’excédent éventuel de cette taxe sur le montant qui correspondrait à cette taxe si elle était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

c) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul d’un remboursement prévu par la présente partie, l’excédent éventuel du remboursement qui serait payable à la personne s’il était déterminé d’après les renseignements indiqués dans la déclaration sur le remboursement payable à la personne.

 

 

Arguments de l’intimée

 

[34]        L’intimée soutient qu’il n’y a pas eu de véritables services de location de personnel qui ont été fournis à l’appelante par Le Portail du Personnel. En conséquence, l’intimée considère comme fictives les factures présentées par l’appelante au soutien des CTI qu’elle réclame et qu’on lui refuse. L’intimée ajoute que l’appelante est toujours demeurée le véritable employeur des employés qui ont travaillé au cours de la période en litige pour l’épicerie, soutenant ainsi que Le Portail du Personnel n’était qu’un employeur fictif.

 

[35]        L’intimée s’appuie sur le paragraphe 169(1) de la LTA et soutient que, pour avoir droit à un CTI, il doit y avoir un service acquis par la personne qui formule la demande de crédit de taxe. Or ici, l’appelante a soumis au soutien de sa demande un contrat de louage de personnel alors que, dans les faits et selon la preuve, il n’y a jamais eu de tels services rendus. Selon l’intimée, ceci est avéré du fait que l’appelante est toujours demeurée le seul et le véritable employeur, exerçant le contrôle sur ses employés et procédant elle-même à l’embauche, à la détermination des heures de travail, à l’assignation des tâches, et à la formation du personnel, et ce, même si on accepte que la rémunération puisse avoir transité par Le Portail du Personnel (l’intimée s’appuie, sur ce point, sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, qui confirmait les propos de la Cour d’appel du Québec relatifs à l’analyse de l’identification du véritable employeur dans des relations tripartites).

 

[36]        Par ailleurs, l’intimée soutient qu’il revient à l’appelante de prouver que les sous-traitants dont les numéros d’inscription figurent sur les factures en question sont effectivement des fournisseurs de services lorsqu’elle réclame des CTI relativement à ces factures (voir la décision Les Entreprises DRF Inc. c. Le ministre du Revenu national, 2013 CCI 95, rendue le 17 juin 2013 par le juge Angers de cette Cour). Or ici, l’intimée estime qu’une telle preuve n’a pas été faite par l’appelante.

 

[37]        L’intimée allègue également que les factures soumises par l’appelante ne contiennent pas une description suffisante identifiant chaque fourniture dans le cadre de la demande de CTI, ce qui est nécessaire aux termes du sous-alinéa 3c) (iv) du Règlement sur les renseignements nécessaires à une demande de crédit de taxe sur les intrants (TPS/TVH) (Règlement). Elle soutient que l’auteur des feuilles jointes aux factures déposées sous la cote A-3 n’a pas été identifié et qu’aucun témoin du Portail du Personnel n’est venu témoigner à ce sujet, ce qui justifie une inférence négative quant à la valeur probante de ces documents.

 

[38]        Finalement, l’intimée considère que les pénalités imposées sont pleinement justifiées en ce que l’appelante n’a présenté aucune preuve pouvant soutenir sa position selon laquelle elle a agi avec diligence raisonnable. Selon l’intimée, M. Neveu n’a pas démontré qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’erreur d’avoir aveuglément accepté de faire affaire avec M. Ratelle, avec les conséquences que l’on connaît.

 

 

Arguments de l’appelante

 

[39]        L’appelante soutient en premier lieu que l’intimée n’a pas retenu, dans les hypothèses de fait ayant servi à établir la cotisation énoncées dans la Réponse à l’avis d’appel (Réponse), que les factures ne contenaient pas une description suffisante aux termes du Règlement. Quoi qu’il en soit, l’appelante soutient que le vérificateur, M. Jacques Champagne, a finalement reconnu, lors de son témoignage, que les feuilles jointes aux factures (pièce A-3) donnaient une description suffisante.

 

[40]        L’appelante soutient également qu’elle n’a obtenu aucun avantage indu en contractant avec Le Portail du Personnel et a toujours agi de bonne foi. Les employés ont reçu leur salaire net et l’appelante a versé le montant des RAS et des taxes au Portail du Personnel. L’appelante soutient que la fraude commise par cette société ne peut la rendre responsable du stratagème frauduleux concocté par Le Portail du Personnel.

 

[41]        Quant à l’argument de l’intimée voulant qu’il y ait eu absence de services rendus par Le Portail du Personnel, elle fait remarquer l’incohérence des propos de l’intimée dans sa Réponse. Au paragraphe 22 de la Réponse, l’intimée décrit les services de gestion de la paie rendus par Le Portail du Personnel. Au paragraphe 19, l’intimée soutient par ailleurs que cette société ne disposait pas des ressources nécessaires pour rendre lesdits services.

 

[42]        L’appelante soutient qu’en déposant le contrat de louage de personnel (pièce A‑1) et les contrats de travail des employés (pièce A-2), de même qu’en établissant le fait non contesté que les employés ont reçu leurs salaires, elle a fait une preuve prima facie que des services avaient bel et bien été rendus par Le Portail du Personnel. Elle soutient qu’elle ne peut être tenue responsable de la fraude commise à l’endroit du gouvernement en l’absence de mauvaise foi ou de collusion de sa part (voir Joseph Ribkoff Inc. c. La Reine, 2003 CCI 397, [2003] G.S.T.C. 104; Airport Auto Limited c. La Reine, 2003 CCI 683, [2003] G.S.T.C. 151).

 

[43]        La situation, selon l’appelante, est différente de celle qui existait dans l’arrêt Systematix Technology Consultants Inc. c. La Reine, 2007 CAF 226, [2007] G.S.T.C. 74, où le fournisseur n’avait pas de numéro d’inscription valide, ou dans l’affaire Comtronic Computer Inc. c. La Reine, 2010 CCI 55, [2010] G.S.T.C. 13, où les fournisseurs utilisaient des noms et des numéros d’inscription appartenant à des sociétés avec lesquelles ils n’avaient aucun lien. Dans ces deux derniers cas, on a jugé que c’est le contribuable qui devait supporter les risques liés à la fraude et aux actes illicites commis par des cocontractants. L’appelante soutient que, dans le cas présent, une vérification avait été faite et que Le Portail du Personnel avait bien été enregistrée et possédait un numéro d’inscription conforme.

 

[44]        L’appelante considère par ailleurs que la question de savoir qui est le véritable employeur n’est pas pertinente en ce que, si des services ont été rendus et que la taxe a été payée par l’appelante sur ces services, l’appelante a droit à ses CTI, peu importe qui est le véritable employeur.

 

[45]        L’appelante soutient également que l’intimée tente de requalifier les décisions d’affaires prises par l’appelante sous prétexte que le contrat de louage de personnel serait un simulacre ou un trompe-l’œil. L’appelante soutient que la preuve ne démontre pas un tel simulacre et que, dans les circonstances, l’intimée ne peut intervenir pour empêcher de déplacer les employés d’une société à l’autre (voir Central Springs Ltd. c. La Reine, 2010 CCI 543, 2010 DTC 1358, [2010] G.S.T.C. 153).

 

[46]        Finalement, l’appelante soutient que les pénalités ne sont pas justifiées en ce qu’elle a été impliquée dans un stratagème frauduleux à son insu. Le fait d’être la victime d’un fraudeur ne peut être taxé de négligence équivalente à faute lourde ou d’aveuglement volontaire.

 

 

Analyse

 

[47]        Aux termes du paragraphe 169(1) de la LTA, un CTI d’une personne relativement à un service qu’elle acquiert correspond à la taxe payable relative à la fourniture de ce service dans le cadre de ses activités commerciales. Ainsi, pour avoir droit aux CTI qu’elle réclame, l’appelante doit démontrer que ces CTI se rattachent à un service qu’elle a acquis et pour lequel elle a payé la taxe dans le cadre de ses activités commerciales. Pour être un acquéreur d’un service aux termes du paragraphe 123(1), l’appelante doit démontrer qu’elle était tenue, aux termes du contrat portant sur la fourniture de services, de payer une contrepartie. Si nulle contrepartie n’était payable, elle doit démontrer qu’un service lui a été rendu. Par ailleurs, une fourniture de services par le fournisseur de services sera taxable si elle est effectuée dans le cadre d’une activité commerciale.

 

[48]        Il revient à l’appelante de présenter une preuve prima facie démolissant l’exactitude des présomptions formulées par le ministre pour établir la cotisation contestée, eu égard aux CTI qui ont été refusés. Une preuve prima facie est celle qui est « étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la Cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé » (Amiante Spec Inc. c. La Reine, 2009 CAF 139, [2009] G.S.T.C. 71, paragraphes 15 et 23).

 

[49]        Par ailleurs, « le fardeau de preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » étant donné « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable ». De fait, c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. Il connaît et possède des renseignements dont le ministre ne dispose pas. Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle » (Amiante Spec, précité, paragraphe 24).

 

[50]        Les principales hypothèses du ministre pour refuser les CTI se retrouvent aux paragraphes 18 à 21 de la Réponse.

 

[51]        Le ministre a considéré, au paragraphe 18 de la Réponse, que l’appelante n’avait fourni aucune pièce justificative ou preuve prépondérante à l’appui de la réclamation des CTI concernant le placement de personnel dans son entreprise en ce que :

 

a)      tous les anciens employés de l’appelante, et ce depuis 2004, sont les mêmes que ceux supposément engagés via l’Agence;

b)      tous les employés demeurent à Laverlochère ou dans les environs;

c)      l’adresse de l’Agence de placement se trouve dans la région de Montréal;

d)     c’est l’appelante qui assume la couverture auprès de la CSST pour les employés;

e)      les intervenants sur les relevés d’emplois (Relevé : 1), sont madame Sylvie Beaulé et monsieur Jean-Claude Neveu respectivement à l’époque des cotisations, chef-caissière et président et actionnaire unique de l’appelante;

f)       il n’y a eu aucun changement au niveau du nombre des employés ni avant ni après l’intervention des agences;

g)      la masse salariale d’année en année est semblable.

 

[52]        L’intimée invoque également, dans ses hypothèses, le fait que les deux sociétés qui ont fourni les factures relativement auxquelles l’appelante demande des CTI sont des fournisseurs de factures de complaisance. Dans le cas du Portail du Personnel, elle dit ceci au paragraphe 19 de la Réponse :

 

i)                 cette entreprise n’a pas l’équipe de gestion en place pour gérer une telle entreprise;

ii)                  cette entreprise n’a aucun bureau ne [sic] permettant de recevoir et servir la clientèle;

iii)                cette entreprise ne possède aucun emplacement ou équipement de bureau permettant d’effectuer la gestion des contrats;

iv)                plusieurs chèques faits à ces compagnies sont encaissés dans un centre d’encaissement;

v)                  la société n’a pas produit de déclarations de taxe ni de déclarations d’impôt;

vi)                aucune retenue à la source n’a été déclarée au sous-procureur général pour des employés;

vii)              la société n’a aucun véhicule enregistré auprès de la Société d’Assurance Automobile du Québec.

 

[53]        Dans le cas de Comptabilité Express, l’intimée s’exprime ainsi au paragraphe 20 de la Réponse :

 

20. La société 4488377 Canada inc., quant à elle, est considérée comme ayant fourni des factures d’accomodation [sic] en ce que :

a)      elle n’a produit aucune déclaration de taxe sauf pour une période ou de déclaration d’impôt;

b)      il n’y a aucune retenue à la source déclarée au sous-procureur général du Canada;

c)      la société n’a aucun véhicule enregistré à la Société d’Assurance Automobile du Québec;

d)     la société ne dispose ni d’employé ni de matériel pour effectuer les travaux et services pour lesquels ont la retient.

 

[54]        Le ministre a donc conclu que l’appelante avait agi de mauvaise foi et lui a donc refusé les CTI réclamés relativement à ces factures.

 

[55]        L’appelante a produit en preuve le contrat de louage de personnel qu’elle a signé avec Le Portail du Personnel (pièce A-1) pour établir qu’elle avait bel et bien conclu de bonne foi un contrat en bonne et due forme.

 

[56]        Ce contrat, de par son intitulé et les clauses qui le composent, prévoit que l’appelante fait appel au Portail du Personnel pour recevoir des services de location de personnel. Les obligations du locateur sont de fournir le personnel nécessaire, de voir au remplacement du personnel dépêché chez l’appelante, de même que d’assumer toutes les obligations fiscales des employés qu’elle a dépêchés auprès de l’appelante.

 

[57]        Or, la preuve est très claire que Le Portail du Personnel n’a jamais fourni ni dépêché aucun employé à l’appelante. Tous les employés qui ont travaillé pour l’épicerie ont été engagés par M. Neveu directement à Laverlochère, sans jamais passer par Le Portail du Personnel. De même, les relevés d’emploi produits par l’intimée (pièce I-2) tendent à démontrer que c’était toujours Mme Sylvie Beaulé, et non Le Portail du Personnel, qui continuait à s’occuper de cette tâche.

 

[58]        Ce contrat, à lui seul, ne me convainc pas prima facie de l’existence d’une preuve prépondérante à l’appui de la réclamation des CTI concernant le placement de personnel puisque les termes du contrat en tant que tels n’ont pas été respectés. Les services pour lesquels Le Portail du Personnel a été retenue n’ont, selon la prépondérance de la preuve, jamais été fournis par cette dernière.

 

[59]        Même en admettant la crédulité de M. Neveu, qui a accepté de faire affaire avec quelqu’un qu’il ne connaissait pas du tout, au point de lui confier l’embauche et les obligations fiscales reliées à la paie des employés, et malgré son peu d’instruction, il est difficile de croire qu’avec toutes les années d’expérience qu’il avait, il a sérieusement cru que Le Portail du Personnel serait en mesure de fournir du personnel, ne serait-ce qu’en raison de la distance qui les séparait.

 

[60]        J’ajouterais que la crédibilité de M. Neveu est également ébranlée par le fait que M. Neveu a dit qu’il avait accepté de confier la paie des employés au Portail du Personnel pour économiser de l’argent. Or, Mme Lacasse a mentionné que ses honoraires n’avaient pas été réduits, même si elle ne s’occupait plus du service de la paie.

 

[61]        Pour étayer sa preuve, l’appelante a également déposé les contrats d’emploi signés par les employés avec Le Portail du Personnel. J’estime que ceux-ci n’apportent rien de plus. En premier lieu, ces contrats sont apparus pour la première fois à l’audience alors qu’ils n’avaient pas été portés à l’attention des vérificateurs lors de l’enquête. De plus, un seul employé est venu attester l’authenticité de sa signature et il a mentionné qu’il n’avait pas signé ce contrat en présence de la représentante du Portail du Personnel. Cet employé n’a jamais rencontré quiconque de cette société et a mentionné que, mis à part le nom de l’employeur, tout était pareil. Aucun témoin du Portail du Personnel n’a été assigné par l’appelante, celle-ci se bornant à rejeter toute la faute sur M. Ratelle en invoquant son dossier criminel.

 

[62]        Par ailleurs, la rémunération exigée par Le Portail du Personnel en vertu du contrat était le remboursement des salaires à être versés et des RAS. Or, M. Neveu a cru bon de s’informer auprès de M. Ratelle sur la façon dont il financerait ses activités. Même avec son peu d’instruction, on peut comprendre qu’il réalisait bien que Le Portail du Personnel ne tirait aucun profit des services qu’elle offrait en se faisant uniquement rembourser les salaires et les RAS des employés.

 

[63]        Comment, dès lors, peut-on croire que l’appelante ait versé une contrepartie pour l’acquisition d’un service ou d’une fourniture taxable alors qu’elle ne payait au fond que les salaires et les RAS de ses employés? De plus, selon moi, le fait que les employés aient régulièrement reçu leur salaire n’apporte rien de plus à la preuve. En effet, si l’on accepte, comme semble le faire l’intimée au paragraphe 22 de sa Réponse, que Le Portail du Personnel se soit occupée de la gestion de la paie, cette dernière n’a dans les faits reçu aucune contrepartie de l’appelante pour ce prétendu service. De plus, selon la preuve, on peut difficilement dire que cette entité a rendu un service dans le cadre d’une activité commerciale réelle.

 

[64]        Le moins que l’on puisse dire c’est que la preuve est très nébuleuse sur ce qui s’est réellement passé. J’ajouterais que le témoignage de Mme Sylvie Beaulé, qui semble avoir joué un rôle important dans toute cette affaire, aurait été fort utile et l’explication donnée par M. Neveu concernant son absence aurait été plus crédible si elle avait été appuyée d’une déclaration sous serment justifiant l’absence de Mme Beaulé.

 

[65]        De plus, l’appelante aurait eu avantage à produire les chèques tirés à l’ordre du Portail du Personnel. La preuve de l’intimée voulant que ces chèques aient été encaissés dans un centre d’encaissement de même que l’absence de témoins importants sont certainement des éléments dont il peut être tenu compte pour juger de la force probante de la preuve de l’appelante de même que de sa crédibilité (Les Pro-Poseurs Inc. c. La Reine, 2012 CAF 200, 2012 DTC 5114, paragraphes 14 à 16).

 

[66]        Il est très difficile, dans les circonstances, de conclure que les éléments de preuve apportés par l’appelante créent un tel degré de probabilité en sa faveur qu’il faut y ajouter foi. J’estime, dans le cas présent, que l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau initial qui lui incombait de démontrer que les factures présentées reflétaient de réelles acquisitions aux termes du contrat de fourniture de services présenté en preuve. Elle ne peut donc prétendre avoir droit à des CTI sur la foi de ces factures.

 

[67]        En ce qui concerne les pénalités, la Cour d’appel fédérale se prononçait ainsi, dans l’arrêt Corporation de l’École polytechnique c. La Reine, 2004 CAF 127, [2004] G.S.T.C. 39, sur la diligence raisonnable, aux paragraphes 27 à 30 :

 

 

 

La pénalité

 

27     Notre Cour a déjà statué que rien ne s'oppose à ce que le moyen de défense de la diligence raisonnable, dont une personne peut se prévaloir à l'encontre d'infractions de responsabilité stricte, puisse être invoqué à l'encontre de pénalités administratives. Plus spécifiquement, elle a décidé que l'article 280 de la Loi sur la taxe d'accise, par son libellé et son contenu, donne ouverture à cette défense : Canada (P.G.) c. Consolidated Canadian Contractors Inc., [1999] 1 C.F. 209 (C.A.F.). Il n'est peut-être pas inapproprié de rappeler les principes qui gouvernent la défense de diligence raisonnable avant de les appliquer aux faits de l'espèce.

 

28     La défense de diligence raisonnable permet à une personne d'éviter l'imposition d'une pénalité si elle fait la preuve qu'elle n'a pas été négligente. Elle consiste à se demander si cette personne a cru, pour des motifs raisonnables, à un état de fait inexistant qui, s'il eut [sic] existé, aurait rendu son acte ou son omission innocent ou si elle a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l'événement qui mène à l'imposition de la peine? [sic] Voir La Reine c. Sault Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299; La Reine c. Chapin, [1979] 2 R.C.S. 121. En d'autres termes, la diligence raisonnable excuse soit l'erreur de fait raisonnable, soit la prise de précautions raisonnables pour se conformer à la loi.

 

29     La défense de diligence raisonnable ne doit pas être confondue avec la défense de bonne foi qui a cours dans le régime de responsabilité pénale exigeant la preuve d'une intention ou d'une connaissance coupable. La défense de bonne foi permet l'exonération d'une personne qui a commis une erreur de fait de bonne foi, même si celle-ci est déraisonnable, alors que la défense de diligence raisonnable exige que cette erreur soit raisonnable, c'est-à-dire une erreur qu'une personne raisonnable aurait aussi commise dans les mêmes circonstances. La défense de diligence raisonnable qui requiert une croyance raisonnable, mais erronée, en une situation de fait est donc plus exigeante que celle de bonne foi qui se contente d'une croyance honnête, mais tout aussi erronée.

 

30     La personne qui invoque une erreur de fait raisonnable doit satisfaire un double test : subjectif et objectif. Il ne lui suffit pas d'invoquer qu'une personne raisonnable aurait commis la même erreur dans les circonstances. Elle doit d'abord établir qu'elle s'est elle-même méprise quant à la situation factuelle : il s'agit là du test subjectif. Évidemment, la défense échoue en l'absence d'une preuve que la personne qui l'invoque a, de fait, été induite en erreur et que cette erreur a mené au geste posé. Elle doit ensuite établir que son erreur était raisonnable dans les circonstances : il s'agit là du test objectif.

 

[68]        À mon avis, l’intimée a démontré que l’appelante n’a pas pris les précautions raisonnables qu’elle aurait dû prendre avant de s’engager comme elle l’a fait, de manière à pouvoir prétendre qu’elle a agi avec diligence et ainsi éviter les pénalités. M. Neveu n’a procédé à aucune vérification minimale au moment de signer le contrat avec M. Ratelle en mai 2008. Ce n’est que l’année suivante que son comptable a fait quelques démarches. Ce dernier n’avait toutefois pas le mandat de vérifier l’authenticité des factures et des chèques sur lesquels l’appelante s’appuie pour réclamer les CTI en question ici. J’estime que les incohérences, imprécisions et contradictions relevées ci-dessus démontrent plutôt que l’appelante a agi de façon négligente, justifiant l’imposition des pénalités.

 

[69]        L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 29e jour d’août 2013.

 

 

« Lucie Lamarre »

Juge Lamarre

 

 


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 272

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2011-1216(GST)G

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            2411-3250 Québec Inc. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 6 et 7 juin 2013

 

observations écrites           Le 19 juin 2013 (plaidoirie)

 de l’appelante                         Le 20 juin 2013 (réplique)

 

Oservations écrites              Le 19 juin 2013 (argumentation)

de l’intimée                                Le 28 juin 2013 (réplique)

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :     L'honorable juge Lucie Lamarre

 

DATE DU JUGEMENT :                 Le 29 août 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Marc-André Paquin

Avocat de l'intimée :

Me Louis Riverin

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

                     Nom :                           Me Marc-André Paquin

 

                 Cabinet :                          Jurifisc avocats & fiscalistes inc.

                                                          Laval (Québec)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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