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Dossier : 2011-3612(EI)

ENTRE :

GINETTE LAMONTAGNE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DISTRIBUTION FINANCIÈRE SUN LIFE (CANADA) INC.,

intervenante.

 

Appel entendu les 7 janvier 2015, 2 novembre 2015, 30 septembre 2016 et 13, 14 et 15 mars 2018 à Montréal (Québec).

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Sara Jahanbakhsh

Avocat pour l’intervenante:

Me Luc Deshaies

 

JUGEMENT

  L’appel en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance-emploi est rejeté et la décision rendue par la ministre du Revenu national en date 22 août 2011 est confirmée.

Signé à Montréal (Québec), ce 25e jour de juillet 2018.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


Référence : 2018 CCI 153

Date : 20180725

Dossier : 2011-3612(EI)

ENTRE :

GINETTE LAMONTAGNE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DISTRIBUTION FINANCIÈRE SUN LIFE (CANADA) INC.,

intervenante.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté par madame Ginette Lamontagne (« l’appelante ») à l’encontre d’une décision par laquelle la ministre du Revenu national (la « ministre ») a conclu que l’appelante n’exerçait pas un emploi assurable en vertu de la Loi sur l’assurance emploi, L.C. 1996, ch. 23 (« LAE » ou la « Loi ») auprès de la société payeuse, Distribution Financière Sun Life (Canada) inc. (« Sun Life ») durant la période du 1er octobre 2008 au 8 octobre 2009. Cette dernière est intervenue dans le présent appel afin d’appuyer la position de la ministre.

II. CONTEXTE

[2]  Sun Life est une compagnie qui œuvre dans le domaine de l’assurance. Elle offre de l’assurance vie, accident, maladie. Elle offre aussi des fonds communs de placement. Ces produits sont offerts par le biais de ses conseillers.

[3]  En janvier 2004, l’appelante amorce des démarches auprès de la compagnie Service financier Clarica inc. (devenue Financière Sun Life Canada en 2006) afin d’obtenir son permis de conseillère, décerné par l’Autorité des marchés financiers (« AMF »).

[4]  Suite à une formation et un stage de trois mois avec Sun Life, l’appelante obtient son permis de conseillère. Le 6 juin 2004, l’appelante signe un contrat [1] avec Sun Life dans lequel elle s’engage à vendre des polices d’assurance et des produits des sociétés affiliées à Sun Life. L’appelante fait alors partie de l’équipe du centre financier de Sun Life à Brossard (« centre financier »).

[5]  Le contrat signé par l’appelante prévoit entre autres ce qui suit :

ARTICLE 2

MANDAT DU CONSEILLER

2.1  Mandat d’exercer : La Compagnie donne au Conseiller le mandat d’exercer les activités suivantes :

2.1.1  solliciter et recueillir des propositions de polices;

2.1.2  amener des clients potentiels à la Compagnie ou à ses sociétés affiliées et les inciter à devenir clients de la Compagnie ou de ses sociétés affiliées;

2.1.3  assumer le service des polices personnelles, des polices attribuées et des polices de remplacement qui n’ont pas été cédées;

2.1.4  agir à titre d’agent de la Compagnie pour tout ce qui concerne la commercialisation et la distribution de polices au public.

2.2  Exercice des activités : Le Conseiller est autorisé à exercer ces activités de toute manière licite qu’il juge à propos, sous réserve du respect constant des dispositions du présent contrat. Sous réserve des conditions du présent contrat, il peut exercer les activités évoquées au paragraphe 2.1 sur les lieux, aux heures et de la façon qu’il estime appropriées.

2.3  Entrepreneur indépendant : La Compagnie et le Conseiller sont des entrepreneurs indépendants. Le présent contrat ne crée aucunement entre les parties un rapport employeur à employé ni de maître à serviteur.

[6]  Le 9 novembre 2006, l’appelante signe un deuxième contrat lui permettant de vendre des fonds de placement de Sun Life et de ses sociétés affiliées [2] . On y retrouve également des clauses similaires à celles précédemment citées [3] .

[7]  Le 8 octobre 2009, Sun Life met fin aux contrats la liant à l’appelante en lui remettant une lettre signée par le directeur du centre financier de Brossard, monsieur Jean Paquet, et par le vice-président régional, monsieur John Lanni, avec effet à compter du 22 octobre 2009.

[8]  Les parties ne s’entendent pas sur la nature des contrats qui lient l’appelante et Sun Life. L’appelante prétend qu’elle est à l’emploi de Sun Life alors que cette dernière prétend que l’appelante est une travailleuse autonome.

[9]  À cet effet, l’appelante a déposé une plainte devant la Commission des relations du travail et a poursuivi Sun Life auprès de la Cour supérieure du Québec pour la résiliation de mauvaise foi et abusive de son contrat de travail, réclamant des dommages de l’ordre de 3.7 millions de dollars. Les deux instances se sont penchées sur le statut de l’appelante et toutes deux ont statué que l’appelante était une travailleuse autonome [4] .

[10]  Lors de l’audience du présent appel, l’appelante a témoigné. Pour sa part, Sun Life a fait témoigner monsieur John Lanni, vice-président régional de Sun Life et monsieur Jean Paquet, directeur du centre financier de Sun Life à Brossard, lors de l’année en litige. L’intimé a appelé comme témoin monsieur Elio Palladini, agent des appels pour le programme de régime de pensions du Canada et de l’assurance emploi.

III. QUESTION EN LITIGE

[11]  Est-ce que l’appelante occupait un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la LAE pour la période du 1er octobre 2008 au 9 octobre 2009 lorsqu’elle travaillait pour Sun Life?

IV. PRÉTENTIONS DES PARTIES

[12]  L’appelante soutient qu’elle était à l’emploi de Sun Life et donc qu’un contrat de travail les unissait. Selon l’appelante, un lien de subordination existait entre elle et Sun Life. L’appelante fait valoir que Sun Life exerçait un contrôle sur son travail, notamment en la supervisant, en lui dictant comment elle devait exécuter ses fonctions et la réprimandant à l’occasion.

[13]  De plus, l’appelante fait valoir qu’elle devait se présenter obligatoirement au centre financier, qu’elle devait assister obligatoirement à des formations de Sun Life, qu’elle devait respecter un horaire défini. De plus, l’appelante fait valoir qu’elle devait travailler exclusivement pour Sun Life.

[14]  L’intimé et Sun Life font valoir que l’appelante était une travailleuse autonome. À cet effet, les deux contrats signés par l’appelante et Sun Life reflètent l’intention des parties, soit que l’appelante exerce ses fonctions de conseillère en tant que travailleuse autonome. De plus, Sun Life fait valoir que les faits démontrent qu’il n’a jamais existé de lien de subordination entre elle et l’appelante.

V. ANALYSE

A. Emploi assurable selon 5(1)a) de la LAE

(1) Législations et principes juridiques applicables

[15]  Un emploi assurable au sens de la LAE est défini comme suit :

Sens de emploi assurable

5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

  • a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[...]

[16]  L’alinéa 5(1)a) de la LAE ne définit pas ce qui constitue un « contrat de travail ». Par conséquent, à la lumière du principe de complémentarité à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), la Cour doit recourir aux règles de droit de propriété et de droit privé de la province du Québec, soit la province où le litige a pris naissance. En l’espèce, les dispositions du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») s’appliquent pour déterminer si les services offerts par l’appelante à Sun Life, constituaient un contrat de travail ou un contrat d’entreprise ou de service [5] .

[17]  Les dispositions pertinentes du C.c.Q. relatives au contrat de travail et au contrat d’entreprise ou de service sont les suivantes :

CHAPITRE SEPTIÈME

DU CONTRAT DE TRAVAIL

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

[...]

CHAPITRE HUITIÈME

DU CONTRAT D’ENTREPRISE OU DE SERVICE

SECTION I

DE LA NATURE ET DE L’ÉTENDUE DU CONTRAT

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[18]  Le droit civil québécois définit les éléments constitutifs d’un contrat de travail. En droit québécois, il y a présence d’un contrat de travail au sens du C.c.Q. lorsqu’il y a une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination [6] . En common law, ce sont les critères développés par la jurisprudence qui permettent de départager la présence ou non d’un contrat de travail.

[19]  Cela étant dit, le débat de savoir si en droit civil la Cour peut utiliser les critères élaborés par la jurisprudence en common law afin déterminer si un contrat de travail existe est clos. La Cour d’appel fédérale a tranché cette question dans les décisions Livreur Plus inc. c Canada [7] et Grimard c Canada [8] .

[20]  Dans la décision Grimard, le juge Létourneau souligne que les critères développés par la common law afin de déterminer s’il existe un contrat de travail ou contrat d’entreprise ou de service peuvent servir à titre d’indices en droit civil afin de déterminer s’il existe un lien de subordination entre l’employeur et l’employé. Le juge Létourneau écrit que bien que les approches conceptuelles des deux systèmes juridiques diffèrent, les critères utilisés en droit civil pour déterminer s’il y a un élément de contrôle ou un lien de subordination sont sensiblement les mêmes que les critères utilisés en common law pour déterminer si un contrat de travail existe:

[43] En somme, il n’y a pas, à mon avis, d’antinomie entre les principes du droit civil québécois et les soi-disant critères de common law utilisés pour qualifier la nature juridique de la relation de travail entre les deux parties. Dans la recherche d’un lien de subordination juridique, c’est-à-dire de ce contrôle du travail exigé par le droit civil du Québec pour l’existence d’un contrat de travail, aucune erreur ne résulte du fait que le tribunal ne prenne en compte, comme indices d’encadrement, les autres critères mis de l’avant par la common law, soit la propriété des outils, l’expectative des profits, et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise. 

[21]  Dans son ouvrage intitulé Le droit du travail du Québec [9] , l’auteur Robert Gagnon élabore les critères à analyser en droit civil afin de déterminer s’il y a présence d’un contrat de travail. Les critères qu’il suggère de considérer sont sensiblement les mêmes que ceux élaborés par la jurisprudence en common law [10]  :

92—Notion—Historiquement, le droit civil a d’abord élaboré une notion de subordination juridique dite stricte ou classique qui a servi de critère d’application du principe de la responsabilité civile du commettant pour le dommage causé par son préposé dans l’exécution de ses fonctions (art. 1054 C.c.B.-C.; art. 1463 C.c.Q.). Cette subordination juridique classique était caractérisée par le contrôle immédiat exercé par l’employeur sur l’exécution du travail de l’employé quant à sa nature et à ses modalités. Elle s’est progressivement assouplie pour donner naissance à la notion de subordination juridique au sens large. La diversification et la spécialisation des occupations et des techniques de travail ont, en effet, rendu souvent irréaliste que l’employeur soit en mesure de dicter ou même de surveiller de façon immédiate l’exécution du travail. On en est ainsi venu à assimiler la subordination à la faculté, laissée à celui qu’on reconnaîtra alors comme l’employeur, de déterminer le travail à exécuter, d’encadrer cette exécution et de la contrôler. En renversant la perspective, le salarié sera celui qui accepte de s’intégrer dans le cadre de fonctionnement d’une entreprise pour la faire bénéficier de son travail. En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes: présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, propriété des outils, possibilité de profits, risque de pertes, etc. Le travail à domicile n’exclut pas une telle intégration à l’entreprise.

[Je souligne.]

[22]  Cependant, avant d’examiner les critères ci-haut énoncés, la Cour doit premièrement analyser les contrats signés par l’appelante et Sun Life afin de déterminer si l’intention de ces dernières, étaient de créer des contrats de travail ou des contrats d’entreprise ou de service [11] .

[23]  L’intention des parties aux contrats ne sera pas à elle seule déterminante pour qualifier les contrats, la Cour doit s’interroger si l’intention des parties aux contrats concorde avec les faits, c’est-à-dire avec le comportement des parties. Si les faits démontrent que l’intention des parties ne concorde pas avec le comportement des parties, la qualification se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non pas de ce que prétendent les parties aux contrats. À cet effet, dans la décision Grimard [12] , le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale écrit ce qui suit :

[33] Pour importante qu’elle soit, l’intention des parties n’est pas à elle seule déterminante de la qualification du contrat : voir D&J Driveway Inc. c. Canada (M.R.N.), 2003 CAF 453; Dynamex Canada Inc. c. Canada, 2003 CAF 248. De fait, le comportement des parties dans l’exécution du contrat doit refléter et actualiser cette intention commune, sinon la qualification du contrat se fera en fonction de ce que révèle la réalité factuelle et non de ce que prétendent les parties.

[Je souligne.]

[24]  Ainsi, une fois l’intention entre les parties au contrat établie, l’analyse de la trame factuelle servira non seulement à déterminer si le comportement des parties concorde avec le contrat, mais également si ce comportement fait en sorte qu’il existe un lien de subordination : est-ce que l’employeur exerce un contrôle sur la personne qui rend les services? Tel que je l’ai déjà indiqué, les critères élaborés par la jurisprudence afin de déterminer s’il y a un lien de subordination entre l’employeur et l’employé  sont le contrôle, la supervision, la présence plus ou moins régulière à un lieu de travail, l’assignation plus ou moins régulière du travail, l’imposition de règles de conduite ou de comportement, l’exigence de rapports d’activité, la propriété des outils, la possibilité de profits, le risque de pertes et l’intégration à l’entreprise.

[25]  À cet égard, la pertinence et l’emphase à donner à chaque critère varieront en fonction du contexte factuel.

(2) Application de ces principes aux faits de l’appel en l’espèce

a)  Intention des parties

[26]  L’appelante a signé deux contrats avec Sun Life. En vertu de ces contrats, il est clair qu’à leur signature l’intention de l’appelante et de Sun Life était que l’appelante exerce ses fonctions à titre de conseillère en tant « qu’entrepreneur indépendant ». La clause 2.3 du contrat signé le 16 juin 2004 [13] par l’appelante ne sème aucun doute, pas plus que le contrat signé le 9 novembre 2006 [14]  :

Contrat du 16 juin 2004 - Clause 2.3 Entrepreneur indépendant : La Compagnie et le Conseiller sont des entrepreneurs indépendants. Le présent contrat ne crée aucunement entre les parties un rapport employeur à employé ni de maître à serviteur.

Contrat du 9 novembre 2004 – Clause 2c La compagnie et le conseiller sont des entrepreneurs indépendants. Le présent contrat ne crée aucunement entre les deux parties un rapport d’employeur à employé ni de maître à serviteur.

[27]  À la lumière du langage clair de ces deux contrats, je suis d’avis que l’intention des parties était de créer entre l’appelante et Sun Life des contrats où l’appelante exerçait ses fonctions de conseillère à titre « d’entrepreneur indépendant ».

[28]  Cela étant dit, une fois l’intention des parties aux contrats déterminée, la Cour doit examiner si l’intention des parties concorde avec leurs comportements. Je dois donc procéder à l’analyse de tous les faits au dossier.

b)  Déclarations de revenus 2008 et 2009

[29]  Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 [15] , l’appelante a déclaré les revenus qu’elle a gagnés à titre de conseillère chez Sun Life comme du revenu d’entreprise. À cet effet, elle a déduit les dépenses qu’elle a encourues à titre de conseillère afin de gagner du revenu d’entreprise [16] . Ainsi, sur le plan fiscal, l’appelante se déclare « entrepreneur indépendant », c’est-à-dire, travailleuse autonome.

[30]  En contre-interrogatoire, l’appelante admet que les contrats la liant à Sun Life stipulent qu’elle travaillait comme « entrepreneur indépendant ». Elle indique cependant ne pas avoir lu les contrats avant de les signer et avoir subi de la pression pour les signer rapidement [17] . L’appelante est une personne intelligente, il serait surprenant qu’elle n’ait pas lu les contrats avant de les signer. Qui plus est, elle s’est déclarée comme entrepreneur indépendant dans ses déclarations de revenus, il m’est donc permis de douter de la crédibilité de l’appelante à cet égard.

[31]  Ces faits militent en faveur de contrats de travailleuse autonome.  

c)  Degré de contrôle et lien de subordination

[32]  L’appelante fait valoir qu’elle était supervisée et que son travail était contrôlé par Sun Life, ainsi il existait entre Sun Life et l’appelante une relation employeur à employée, c’est-à-dire un lien de subordination. Je vais donc examiner les critères que j’ai énoncés dans ces motifs, afin de déterminer si un lien de subordination existait entre Sun Life et l’appelante.  

(i) Lieu et horaire de travail

[33]  L’appelante prétend que Sun Life exigeait qu’elle soit présente au centre financier de 8h30 à 16h30. Elle prétend également que Sun Life exigeait que les conseillers travaillent un minimum d’heures par semaine.

[34]  La preuve ne confirme pas la version de l’appelante. Au contraire, la preuve révèle que l’appelante n’avait pas à se présenter au centre financier tous les jours de 8h30 à 16h30. Durant la période en litige, l’appelante travaillait à son domicile puisqu’elle n’avait pas de bureau au centre financier. L’appelante se présentait au centre financier pour aller chercher les chèques à remettre à ses clients, pour signer des documents ou faire signer des documents. L’appelante se rendait aussi au centre financier pour assister à des cours de formation. Dépendamment des circonstances, l’appelante pouvait se rendre au centre financier deux ou trois fois par semaine, parfois plus souvent, parfois moins souvent. Il ressort de la preuve que Sun Life n’exigeait pas que l’appelante se présente tous les jours au centre financier de 8h30 à 16h30 comme le prétend cette dernière.

[35]  Durant l’audience, l’appelante nie qu’elle travaille à son domicile. Selon elle, tout le travail se faisait chez les clients. La preuve pour la période en litige est claire; l’appelante a choisi de ne pas louer un espace de travail au centre financier, préférant travailler à son domicile. À cette fin, l’appelante réclame dans ses déclarations de revenu pour les années d’imposition 2008 et 2009 des dépenses liées à son bureau situé dans son domicile. À la ligne 9945, le comptable de l’appelante écrit « Business-use of home income taxes » [18] . De plus, l’appelante a témoigné que lorsque Sun Life a mis fin à ses contrats, elle a dû retourner à Sun Life tous les documents relatifs aux clients qu’elle conservait à son domicile. Devant cette preuve, il m’est difficile de comprendre pourquoi l’appelante fait valoir qu’elle devait se présenter obligatoirement au centre financier et qu’elle ne travaillait pas à son domicile.

[36]  L’appelante fait également valoir que Sun Life l’obligeait à travailler un minimum de 40 à 55 heures et qu’elle devait faire un certain nombre d’appels par jour. La preuve révèle que lors de réunions, Sun Life recommande à ses conseillers, afin de développer une clientèle, de faire 20 à 25 appels par jour à des clients potentiels, et que pour atteindre un certain succès, de travailler 40 à 55 heures par semaine, mais ce ne sont que des recommandations. Dans les faits, Sun Life n’a aucun moyen de vérifier le nombre d’heures que l’appelante travaille. La preuve démontre que l’appelante jouit d’une grande latitude. À cet effet, lors de son témoignage l’appelante a indiqué qu’elle n’a jamais fait de rapport à qui que ce soit chez Sun Life quant aux heures travaillées [19] . De plus, c’est l’appelante qui est responsable de fixer les rencontres avec les clients. Elle choisit également les heures qu’elle travaille que ce soit, le jour, le soir ou la fin de semaine sans faire état de quoi que ce soit à Sun Life.

[37]  L’appelante prétend aussi qu’elle devait prendre ses vacances en juillet et qu’elle devait préalablement être autorisée par le directeur du centre financier, monsieur Paquet [20] . La preuve ne démontre pas que l’appelante devait obtenir l’autorisation de monsieur Paquet avant de prendre des vacances et que les vacances des conseillers doivent être prises en juillet. Ce qui ressort de la preuve, c’est que la direction du centre financier n’a pas à approuver les vacances des conseillers. Cependant, la direction du centre financier demande aux conseillers de les aviser lorsqu’ils ou elles s’absentent pour une période prolongée, afin d’assurer le service à la clientèle et d’informer la direction du nom du conseiller de soutien. Je suis d’avis que cette demande de Sun Life ne démontre pas qu’un lien de subordination existe entre l’appelante et Sun Life. La demande de Sun Life en est une de courtoisie dans le contexte d’une relation professionnelle.

[38]  Par conséquent, Sun Life n’exerce pas de contrôle sur les heures que l’appelante doit travailler, quand elle choisit de voir ses clients, et l’appelante n’a pas à faire approuver ses vacances. Elle peut aussi à sa guise travailler à son domicile ou louer un espace au centre financier.

(ii) L’attribution et la propriété du permis d’exercice

[39]  L’appelante prétend que Sun Life exerçait un contrôle sur le permis d’exercice émis à son nom, car son permis de conseillère auprès de l’AMF était rattaché à Sun Life.

[40]  L’AMF est l’organisme qui encadre les marchés financiers au Québec et protège le public. Les conseillers sont régis par la Loi sur l’Autorité des marchés financiers, RLRQ, ch. A-33.2 et par la Loi sur la distribution de produits et services financiers, LRQ, ch. D.92 (« Loi sur la distribution »), comme en fait foi le témoignage monsieur Lanni.

[41]  En vertu de la législation, pour obtenir un permis de l’AMF, un conseiller doit être rattaché à une personne morale, soit une société incorporée. Par conséquent, le permis de l’appelante devait nécessairement être « rattaché » à Sun Life. À cet effet, si l’appelante cessait de vendre des produits de Sun Life, cette dernière devait s’assurer que le permis soit résilié. À mon avis, cela ne peut constituer un élément de contrôle, car il s’impose suite à une exigence législative.

(iii) Réunions et cours de formation obligatoires

[42]  L’appelante prétend aussi qu’elle doit suivre des cours de formation imposés par Sun Life et qu’on insiste pour qu’elle assiste à des réunions de vente. Selon elle, ses absences ou ses retards étaient remarqués et notés.

[43]  L’appelante admet toutefois que pour conserver son permis, l’AMF exige que les conseillers suivent 40 unités de formation continue (« UFC ») aux deux ans.

[44]  La preuve démontre que Sun Life offre à ses conseillers de nombreux cours de formation facultatifs sur différents sujets. Cependant, le conseiller doit satisfaire aux exigences de l’AMF quant aux UFC. Sun Life fournit à l’AMF un rapport des cours de formation suivis par chaque conseiller. D’où l’importance de prendre note des présences des participants. Selon le témoignage de monsieur Lanni, le conseiller est libre de choisir le cours de formation qui lui convient, pourvu qu’il soit reconnu par l’AMF. De plus, si le conseiller décide de participer à un cours de formation qui n’est pas offert par Sun Life, il doit aviser son directeur aux fins du calcul des UFC et des rapports à l’AMF [21] .

[45]  D’autre part, Sun Life invite souvent ses conseillers à des rencontres afin d’échanger sur les différentes méthodes de travail, de créer un environnement motivant et de favoriser l’esprit d’équipe, tel qu’en font foi les témoignages de messieurs Paquet et Lanni. Ces réunions sont facultatives, bien qu’il y ait un certain encouragement de la part de la direction du bureau financier d’y participer. À cet effet, l’appelante a admis en contre-interrogatoire ne pas avoir participé à certaines de ces réunions [22] .

(iv) Supervision du travail par Sun Life

[46]  L’appelante prétend que les membres de la direction du centre financier ont contrôlé l’ensemble du travail qu’elle effectuait à titre de conseillère pour Sun Life. Elle indique qu’elle devait tenir un registre des appels faits à des clients potentiels et rendre compte des contacts établis avec eux [23] . Selon l’appelante, tout devait être approuvé par la direction [24] . Elle dit avoir été réprimandée par la direction du centre financier. Cependant, l’appelante n’arrive pas à présenter de preuve à cet effet. Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a indiqué ne pas se souvenir si elle avait été réprimandée pour ne pas avoir assisté à un cours de formation auquel elle s’était inscrite.

[47]  Monsieur Lanni, pour sa part, nie demander aux conseillers de tenir un registre d’appels. Ce dernier nie également superviser les appels faits par les conseillers à leurs clients. Les seuls rapports que l’appelante doit remettre à Sun Life sont les rapports des appels reçus pendant les semaines de garde. Les appels sont consignés afin de permettre à Sun Life de faire un suivi, car le conseiller n’est pas obligé d’accepter un client émanant de la semaine de garde. De plus, la preuve révèle que les semaines de garde sont facultatives. 

[48]  Monsieur Lanni admet cependant, que dans le cadre de la formation, Sun Life enseigne aux éventuels conseillers financiers des méthodes de recrutement et l’approche à adopter afin d’arriver à obtenir un rendez-vous avec un nouveau client. Cette formation n’a pour but que d’aider les futurs conseillers à démarrer en affaires [25] . Les conseillers ne sont pas obligés de suivre l’approche suggérée par Sun Life.

[49]  Monsieur Lanni indique que les conseillers peuvent demander de l’aide, mais aucune façon d’exécuter le travail ne leur est imposée. Le conseiller est libre des moyens qu’il utilise pour développer une clientèle.

[50]  L’appelante fait aussi valoir que le directeur, monsieur Paquet, « lui mettait de la pression pour qu’elle établisse un plan d’affaires afin de fixer des objectifs de vente pour l’année à venir ». L’appelante admet qu’elle a remis un plan d’affaires en 2006, car l’ancien directeur du centre financier, monsieur Boucher, l’avait préparé pour elle. L’appelante admet que par la suite, malgré les demandes de monsieur Paquet, elle n’a jamais préparé de plan d’affaires [26] . À cet égard, rien dans la preuve n’indique que l’appelante a subi une conséquence.

[51]  Lors de l’audience, il était clair que l’appelante ne faisait pas la distinction entre le contrôle quant à l’exécution des tâches et le contrôle quant au résultat et la qualité du produit. Ce que j’ai compris de la preuve, c’est que la direction de Sun Life a rencontré l’appelante pour lui indiquer que des failles existaient dans certains contrats exécutés par l’appelante; ce que cette dernière nie. Ce débat n’est pas devant cette Cour. Cependant, un donneur de travail, dans le cas en l’espèce, Sun Life, doit s’assurer de la qualité du travail, d’autant plus que la vente de contrats d’assurance est un domaine pointu et règlementé. Cela ne fait pas en sorte qu’un lien de subordination existe. Le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale dans la décision Livreur Plus inc. [27] , réitère que :

[19] . . . rares sont les donneurs d’ouvrage qui ne s’assurent pas que le travail est exécuté en conformité avec leurs exigences et aux lieux convenus. Le contrôle du résultat ne doit pas être confondu avec le contrôle du travailleur.

[52]  La preuve révèle aussi que durant la période en litige, l’appelante a embauché une adjointe pour l’assister. Elle soutient que Sun Life exerçait un contrôle sur le processus d’embauche, car Sun Life exigeait que la candidate retenue fasse l’objet d’une vérification relative aux antécédents judiciaires. Sun Life exigeait aussi que la candidate retenue signe un engagement relativement à la confidentialité de l’information des clients. Conséquemment, l’appelante fait valoir que le contrat d’emploi était entre l’adjointe et Sun Life [28] . 

[53]  Dans un domaine où les données des clients sont confidentielles, il est raisonnable que Sun Life s’assure que la personne qui aura accès aux dossiers des clients n’ait pas d’antécédents judiciaires et que cette dernière s’engage à garder l’information des clients confidentielle. Cela ne fait pas en sorte, comme le prétend l’appelante, de créer un contrat d’emploi entre Sun Life et l’adjointe embauchée par l’appelante. Le contrat est entre l’appelante et l’adjointe; cette dernière était rémunérée par l’appelante. De plus, tel qu’énoncé par le Juge Gendreau dans la décision Dicom Express inc. c Paiement [29] de la Cour d’appel du Québec, on ne peut être employeur et employé dans l’exécution d’une même tâche :

[29] . . . il y a, à mon avis, antinomie entre le statut de salarié et celui d’employeur. L’on ne peut pas être salarié de quelqu’un et l’employeur d’un autre dans l’exécution d’une même tâche, car le type de contrôle que comporte la subordination juridique d’un employeur vis‑à‑vis son employé ne peut se satisfaire d’un tel partage.

[54]  L’appelante fait aussi valoir que c’est Sun Life qui déterminait les prix des contrats d’assurance, qui facturait les clients et que l’appelante devait utiliser leurs formulaires. Le domaine de l’assurance est règlementé, il m’apparaît normal que ce soit Sun Life qui facture les clients et que l’appelante doive utiliser leurs formulaires afin que les contrats soient conformes aux règlements, que les prix soient uniformes. De plus, en contractant avec Sun Life, les clients peuvent compter sur la compagnie Sun Life pour honorer leur contrat d’assurance. Je ne suis pas d’accord avec l’appelante que ces éléments font en sorte qu’un lien de subordination existe entre l’appelante et Sun Life.

[55]  À la lumière de l’ensemble de ces faits, je suis d’avis que Sun Life ne contrôlait pas le travail de l’appelante.

d)  Propriété des outils de travail

[56]  Les outils principaux de l’appelante pour effectuer son travail de conseillère sont un ordinateur, une automobile pour se rendre chez ses clients, un téléphone cellulaire et un télécopieur. Tous sont la propriété de l’appelante. Bien qu’il soit préférable pour l’appelante d’acheter un ordinateur par l’intermédiaire de Sun Life, pour des raisons de compatibilité avec les logiciels de Sun Life, l’appelante n’était pas obligée d’acheter un ordinateur de Sun Life. La preuve démontre que dès que Sun Life a mis fin à la relation contractuelle entre elle et l’appelante, Sun Life a enlevé tous les logiciels lui appartenant et a remis l’ordinateur à l’appelante.

[57]  Son lieu de travail était son domicile, soit l’endroit où elle conservait les dossiers de ses clients et effectuait son travail quand elle n’était pas chez un client.

[58]  L’appelante devait payer pour les articles de bureau, la papeterie, etc. Monsieur Lanni a cependant, indiqué que Sun Life assumait les frais pour certains formulaires de publicité et certains documents transactionnels. Sun Life fournit aussi un nombre limité de cartes d’affaires et de formulaires quand le conseiller débute ses fonctions, mais par la suite, le conseiller doit payer ces articles.

[59]  L’ensemble de la preuve démontre que l’appelante assumait les coûts pour ses outils de travail. De plus, elle réclame des dépenses relatives à ses outils de travail dans ses déclarations de revenus. Par conséquent, le critère de la propriété des outils de travail concorde avec l’intention des parties d’être régies par un contrat d’entreprise ou de service.

e)  Les chances de profits et risques de pertes

[60]  À titre de conseillère, l’appelante était rémunérée entièrement à commission. Son revenu était directement relié à ses performances, c’est-à-dire aux ventes des produits de Sun Life.

[61]  Il y avait trois façons pour l’appelante de se constituer une clientèle, soit en faisant l’acquisition de clients de l’inventaire de Sun Life (affaires cédées), soit en trouvant de nouveaux clients ou en faisant des semaines de garde.

[62]  La preuve démontre que l’appelante prenait des risques d’affaires, qui résultaient en profit ou en perte. Par exemple, elle pouvait acheter de Sun Life une partie de l’inventaire des affaires cédées par des conseillers qui ne travaillaient plus pour Sun Life. Pour obtenir ces clients dits « clients orphelins », l’appelante devait acheter la valeur du contrat et payer cette valeur sur une période de dix ans. L’appelante devait, pour chaque cas, évaluer le risque de la transaction. La transaction pouvait s’avérer positive, si le client orphelin gardait son contrat d’assurance avec Sun Life. Cependant, si le client orphelin annulait son contrat, le conseiller devait continuer à payer la valeur du contrat durant dix ans et assumer une perte financière [30] . Il ressort de la preuve que l’appelante a acheté certains blocs de l’inventaire et a perçu les commissions (commission pour affaires cédées « CPAC »).

[63]  Ces faits concordent avec l’intention des parties aux contrats, soit que l’appelante agissait à titre d’entrepreneur indépendant. L’appelante gérait seule son entreprise et ses commissions étaient dépendantes des contrats signés, peu importe les heures qu’elle effectuait. Ce qui est en soi, un risque d’affaires. De plus, relativement aux contrats cédés, les transactions pouvaient s’avérer profitables ou déficitaires.

f)  L’intégration

[64]  Le degré d’intégration d’un travailleur à l’entreprise doit être apprécié du point de vue du travailleur et non du point de vue de l’entreprise [31] .

[65]  Les contrats liant l’appelante à Sun Life prévoyaient qu’elle ne pouvait vendre que les produits de Sun Life et de ses compagnies affiliées. Cette pratique est courante dans le domaine des assurances.

[66]  L’appelante fait valoir qu’elle était intégrée à Sun Life, car elle ne pouvait pas travailler pour une autre compagnie d’assurance. Les contrats entre Sun Life et l’appelante incluaient une clause d’exclusivité. Le juge Gendreau de la Cour d’appel du Québec, dans la décision Dicom Express inc. [32] , mentionne qu’une clause d’exclusivité est liée à la dépendance financière, mais elle ne fait pas en sorte qu’un contrat de travail existe et qu’il y a une subordination juridique. Dans un jugement unanime, le juge Gendreau écrit ce qui suit :

[15]  [...] Ce qui constitue le trait distinctif entre le contrat de travail et le contrat de service est cette caractéristique suivant laquelle l’exécution du travail du salarié est subordonnée au contrôle et à la direction d’un employeur.

[16]  Le critère de subordination juridique se définit difficilement, mais ne doit surtout pas être confondu avec la dépendance économique. Le fait de n’être lié qu’à un seul client qui impose certains devoirs et obligations au regard de standards de qualité de service, fixe le prix du produit ou dicte certaines normes de publicité, ne signifie pas pour autant et nécessairement qu’il y a subordination juridique.

[67]  La preuve démontre que l’appelante ne faisait pas partie intégrante de Sun Life. Elle opérait sa propre entreprise. La clause d’exclusivité est liée à la dépendance financière, elle ne sert pas nécessairement à qualifier un contrat de travail. L’ensemble des faits mis en preuve démontre que la relation contractuelle entre les parties était celle stipulée dans les contrats.

[68]  De plus, l’appelante ne travaillait pas à partir du centre financier, elle travaillait à partir de son domicile. Elle n’avait pas à suivre les conseils prodigués par la direction du centre financier dans l’exercice de ses fonctions. La preuve démontre que les seules obligations auxquelles l’appelante était tenue relevaient du cadre règlementaire.

[69]  L’ensemble des faits démontre que l’appelante était liée à Sun Life par des contrats de service. Par conséquent, l’appelante n’exerçait pas un emploi assurable au sens de la LAE.

B. Principe de la courtoisie judiciaire

[70]  J’ai pris connaissance des deux décisions rendues sur la nature du contrat entre l’appelante et la Sun Life. La première a été rendue le 14 juin 2011 par le juge administratif Alain Turcotte, de la Commission des relations du travail. La deuxième a été rendue le 5 juin 2018 par le juge Stephen W. Hamilton de la Cour supérieure du Québec.

[71]  Tous deux ont statué que l’appelante était une travailleuse autonome.

[72]  Bien que ces décisions ne constituent pas un précédent liant la Cour, il n’en demeure pas moins que la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard des décisions rendues par les tribunaux d’autres juridictions sur des questions similaires et impliquant les mêmes parties.

[73]  D’ailleurs, la Cour d’appel fédérale se prononçant sur la question a confirmé les propos du juge Angers dans la décision Congiu c Canada [33] , alors que ce dernier réitérait le principe de la courtoisie judiciaire. À ce sujet, le juge de première instance s’exprime ainsi :

14 Il est généralement admis que notre Cour fait preuve de déférence à l’égard des décisions rendues par la Cour du Québec, à moins qu’une des circonstances exceptionnelles que l’on retrouve au paragraphe 62 de la décision Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1025, ne soit présente :

1. Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

2. Les cas où la question à trancher est différente;

3. Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

4. Les cas où la décision suivie créerait une injustice

[74]  Évidemment, ce principe trouve application pour les jugements de la Cour supérieure du Québec, tel que celui rendu à l’égard de l’appelante [34] . Cette décision a été portée en appel par Sun Life sur des questions autres que la qualification du contrat de travail.

[75]  Le juge Hamilton de la Cour supérieure du Québec traite dans sa décision de la même question que dans le présent appel, soit de savoir si l’appelante est une employée ou une travailleuse autonome. La décision du Juge Hamilton a été rendue le 5 janvier 2018. Lors de la continuation de l’audience en mars 2018, l’intimé et l’intervenante n’ont soulevé le principe de la courtoisie judiciaire qu’à l’étape de leurs arguments. Suite à une audience de six jours, j’ai décidé de procéder à une analyse des faits et du droit en la matière, bien que sur le plan juridique j’aurais pu m’appuyer que sur le principe de la courtoisie judiciaire pour rendre jugement.  

[76]  Je suis d’avis, après avoir analysé les faits en l’espèce, que durant la période en litige, l’appelante était une travailleuse autonome.

VI. CONCLUSION

[77]  Pour tous ces motifs, je suis d’avis que l’appelante n’exerçait pas un emploi assurable auprès Sun Life pour la période en litige, du 1er octobre 2008 au 9 octobre 2009.

[78]  En conséquence, l’appel est rejeté.

Signé à Montréal (Québec) ce 25e jour de juillet 2018.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 153

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2011-3612(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

GINETTE LAMONTAGNE v M.R.N. et DISTRIBUTION FINANCIÈRE SUN LIFE (CANADA) INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 7 janvier 2015, 2 novembre 2015, 30 septembre 2016, 13, 14 et 15 mars 2018

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 25 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimé :

Me Sara Jahanbakhsh

Avocat pour l’intervenante:

Me Luc Deshaies

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

Pour l’intervenante :

Me Luc Deshaies

Gowling Lafleur Henderson

s.e.n.c.r.l., s.r.l.

 

 



[1]   Pièce I-1.

[2]   Pièce I-2.

[3]   Pièce I-2, art 2.

[4]   Lamontagne c Distribution Financière Sun Life (Canada) inc., 2011 QCCRT 0277 et Lamontagne c Distribution Financière Sun Life (Canada) inc., 2018 QCCS 6.

[5]   NCJ Educational Services Limited c MRN, 2009 CAF 131, paras 49 et 50.

[6]   9041-6868 Québec Inc. c Ministre du Revenu national, 2005 CAF 334 et NCJ Educational Services Limited, précité, note 5.

[7]   Livreur Plus inc. c Canada (Ministre du Revenu national – MRN), 2004 CAF 68.

[8]   Grimard c Canada, 2009 CAF 47.

[9]   Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville (Qc), Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003.

[10]   1392644 Ontario Inc. (f.a.s. Connor Homes) c Canada (Ministre du Revenu national – M.N.R.), 2013 CAF 85, par 41.

[11]   Grimard, précité, note 8, Connor Homes, note 10.

[12]   Grimard, précité, note 8.

[13]   Pièce I-1.

[14]   Pièce I-2.

[15]   Pièces I-4 et I-5.

[16]   Pièce INT-5, onglets 2008 et 2009.

[17]   Transcription, audition du 7 janvier 2015, p 32 et transcription, audition du 30 septembre 2016, pp 30 et 31.

[18]   Voir la pièce INT-5, déclarations de revenus, années d’imposition 2008 et 2009.

[19]   Transcription, audition du 30 septembre 2016, p 118.

[20]   Transcription, audition du 7 janvier 2015, p 159.

[21]   Voir le témoignage de monsieur Lanni à ce sujet. Transcription, audition du 30 septembre 2016, p 233.

[22]   Transcription, audition du 30 septembre 2016, p 131

[23]   Transcription, audition du 2 novembre 2015, pp 71 et 72.

[24]   Id.

[25]   Transcription, audition du 30 septembre 2016, p 254.

[26]   Transcription, audition 2 novembre 2016, p 62.

[27]   Livreur Plus inc., précité, note 7.

[28]   Transcription, audition 7 janvier 2015, p 81.

[29]   Dicom Express inc. c Paiement, 2009 QCCA 611.

[30]   Voir le témoignage de monsieur Lanni à ce sujet; transcription, audition du 30 septembre 2016, pp 223 à 226.

[31]   Livreur Plus inc., précité, note 7, par 38.

[32]   Dicom Express inc., précité, note 30.

[33]   Congiu c Canada, 2014 CAF 73.

[34]   Lamontagne c Distribution financière Sun Life (Canada) inc., précité, note 4, par 30.

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