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Dossier : 2016-237(IT)G

ENTRE :

SUKWINDER KAUR SARKARIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 29 janvier 2018, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Jason C. Rosen

Me Dara Agari

Avocats de l’intimée :

Me John Makine

Me David Besler

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie le 28 octobre 2015 en vertu du paragraphe 160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) est accueilli sans dépens, et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, étant entendu que l’appelante a donné 25 000 $ (remise de dette partielle pour un prêt) en contrepartie du transfert, en sa faveur, d’un droit sur la moitié du Norpeel Motel.

Signé à Summerville Centre (Nouvelle-Écosse), ce 31e jour de juillet 2018.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2018CCI159

Date : 20180731

Dossier : 2016-237(IT)G

ENTRE :

SUKWINDER KAUR SARKARIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

Introduction

[1]  L’appelante, Mme Sarkaria, interjette appel d’une nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 28 octobre 2015 en vertu du paragraphe160(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi ») à l’égard d’un transfert de bien entre personnes ayant un lien de dépendance qui a eu lieu le 4 novembre 2004.

Les faits

[2]  Des éléments de preuve présentés à l’audience établissent, en résumé, qu’au début de l’année 1987, l’époux et le frère de Mme Sarkaria, respectivement M. Karambir Singh Sarkaria (KSS) et M. Tajindeer Pal Singh (TPS), ce dernier étant marié à Mme Norind Kaur, ont acheté un motel appelé Norpeel Motel ainsi que le bien immeuble connexe, dans le secteur d’Orangeville-Caledon, en Ontario. L’acquisition a été financée en grande partie au moyen d’un emprunt hypothécaire contracté auprès d’une banque.

[3]  Il semble qu’à un certain moment, la gestion du motel a été transférée à la société 116546 Ontario Inc. (« Ont. Inc. »), dont les quatre personnes étaient actionnaires. Cette société n’est pas mentionnée dans les documents relatifs au transfert de 1987 produits à l’audience.

[4]  Pendant les premières années, les deux familles vivaient ensemble au motel et exploitaient l’entreprise. Les deux familles n’étaient pas en mesure de vivre de l’entreprise. Par conséquent, en 1990, le frère de l’appelante, TPS, et son épouse ont quitté le motel pour exploiter d’autres entreprises. TPS a conservé ses intérêts sur le motel, mais ne recevait plus sa part des revenus du motel (sous réserve des faits ci-dessous relatifs aux emprunts des deux familles).

[5]  En 1998, TPS a eu besoin d’argent pour rénover une station-service qu’il exploitait. Il a emprunté 50 000 $ à sa sœur (l’appelante) ou par l’entremise de cette dernière. L’appelante, qui a témoigné en pendjabi et dont les propos ont été traduits en anglais par un interprète, a déclaré que [traduction] « cet argent provenait du motel et de nos économies personnelles ». Lorsqu’on lui a demandé de préciser quelle somme provenait du motel, l’appelante a répondu : [traduction] « Je ne m’en souviens pas. Il s’agissait principalement de mes économies personnelles, mais de l’argent provenait aussi du compte du motel. » Elle a alors déclaré qu’elle n’avait aucun document à cet égard. TPS devait la rembourser dès qu’il le pourrait. Puisqu’il s’agissait d’un prêt entre membres d’une famille, il n’a pas été consigné formellement par écrit.

[6]  Toujours en 1998, en raison de la baisse des revenus du motel, un ami de la famille, N. Singh Bains (NSB), a consenti à KSS et à TPS (avec le consentement de leur épouse respective) un prêt de 60 000 $ garanti par une hypothèque de deuxième rang sur le motel. Le document enregistré intitulé [traduction] « Acte de charge (hypothèque) » indique que cette hypothèque de deuxième rang portait intérêt au taux de 9 % et nécessitait des versements mensuels de 496,78 $. L’appelante a toutefois déclaré que NSB ne s’attendait à recevoir que les montants que les membres de la famille étaient en mesure de verser.

[7]  Une autre condition de l’hypothèque de deuxième rang était que, si les débiteurs hypothécaires n’étaient pas en défaut, ils étaient autorisés à anticiper le remboursement de tout ou partie du capital, sans intérêt ni pénalité.

[8]  Des copies de plusieurs chèques encaissés tirés sur le compte d’Ont. Inc./Norpeel Motel ont été déposées en preuve. Ces chèques, qui s’élèvent à 225 $ par mois et à 675 $ pour trois mois, sont signés par KSS et établis à l’ordre de NSB; ils ont été faits à diverses dates entre le 1er septembre 2001 et le 20 août 2002 inclusivement. Aucun autre chèque annulé établi à l’ordre de NSB ni aucun autre chèque plus récent n’a été déposé en preuve. L’appelante a déclaré que son époux, KSS, [traduction] « conservait les documents d’emprunts hypothécaires non remboursés » et que [traduction] « c’était lui qui conservait tous les documents parce que cela fait partie de [leur] culture dominée par les hommes ». En réponse à une question complémentaire, elle a dit que KSS n’était en possession d’aucun document relatif à l’argent prêté par NSB.

[9]  L’appelante a également déclaré qu’elle avait fait un autre prêt de 20 000 $ à son frère TPS en avril 2002. La totalité de cette somme provenait de l’exploitation du motel et a été payée au moyen d’un chèque signé par KSS et tiré sur le compte d’Ont. Inc./Norpeel Motel.

[10]  Par la suite, le frère de l’appelante, TPS, a déclaré dans son témoignage que, le 4 novembre 2004, il avait transféré à sa sœur, l’appelante, son droit sur la moitié du Norpeel Motel (encore une fois, aucune mention n’a été faite d’Ont. Inc.). Une déclaration sous serment de TPS, signée le 25 janvier 2013, a été produite en preuve; TPS y affirmait avoir vendu à sa sœur son droit sur la moitié du motel [traduction] « pour une contrepartie de 70 000 $ plus certains intérêts accumulés sur ce compte, que je lui devais déjà ».

[11]  Aucun élément de preuve ne contredisait les hypothèses de l’intimée selon lesquelles, en date du 4 novembre 2004, la juste valeur marchande du motel était de 365 000 $, que le solde de l’hypothèque de premier rang grevant le bien s’établissait à 200 000 $ et que TPS avait une dette fiscale d’environ 270 000 $.

[12]  Aucune autre personne n’a témoigné pour l’appelante. Un agent de l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a témoigné pour l’intimée. Il a surtout été contre-interrogé sur l’hypothèque de deuxième rang.

Les questions en litige

[13]  Il y a deux questions en litige :

a)  le ministre aurait-il dû inclure la moitié revenant à TPS de l’hypothèque de deuxième rang, qui s’établissait à 60 000 $, dans son calcul de la juste valeur marchande du droit de TPS sur la moitié du motel, droit qu’il a transféré à sa sœur? En fait, l’intimée n’a pas du tout tenu compte de l’hypothèque de deuxième rang dans son calcul de la juste valeur marchande aux fins de l’établissement de la nouvelle cotisation faisant l’objet de l’appel;

b)  la remise de dette pour tout ou partie des 70 000 $ empruntés par TPS constituait-elle une contrepartie du bien transféré de TPS à sa sœur, l’appelante, le 4 novembre 2004?

Analyse et décision

[14]  La première question en litige porte sur l’hypothèque de deuxième rang de 60 000 $ : le ministre a-t-il indûment exclu cette somme du calcul de la juste valeur marchande du motel et, par conséquent, de la juste valeur marchande du droit de TPS sur la moitié de ce bien, qu’il a transféré à sa sœur le 4 novembre 2004? Les éléments de preuve montrent que le ministre n’a pas pris en compte l’hypothèque de deuxième rang parce qu’il estimait ne pas avoir d’éléments de preuve lui permettant d’établir à combien s’élevait, en date du 4 novembre 2004, la somme non remboursée, s’il y avait une telle somme, du prêt hypothécaire souscrit en 1998. Le représentant de l’appelante a informé le ministre que la totalité du capital de même que certains intérêts demeuraient impayés. L’appelante considère que cette affirmation aurait dû être considérée comme étant un élément de preuve suffisant puisque le ministre semblait avoir retenu un avis oral non étayé selon lequel le solde de l’hypothèque de premier rang s’établissait à environ 200 000 $ à la date du transfert.

[15]  À cela, je réponds que la Cour n’a pas à déterminer si, au stade de la vérification ou de l’avis d’opposition, le ministre a possiblement manqué de constance en retenant « ceci », mais pas « cela ». Le mandat de la Cour est énoncé à l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (Canada). Il incombe à la Cour de déterminer, dans le présent appel et de façon générale, si la nouvelle cotisation portée en appel est fondée ou non en droit. À cet égard, je dois porter mon attention sur les éléments de preuve présentés à l’audience en l’espèce, s’il y en a, qui permettraient de déterminer si certaines sommes que le ministre n’a pas prises en compte comme le voudrait l’appelante devraient être prises en compte pour que la nouvelle cotisation portée en appel soit révisée en conséquence.

[16]  En ce qui a trait à la question de l’hypothèque de deuxième rang de 60 000 $, je conclus que cette hypothèque existait. L’existence du document enregistré intitulé [traduction] « Acte de charge (hypothèque) » mentionné précédemment le confirme. En fait, d’après ce que je comprends, l’intimée convient également que l’hypothèque de deuxième rang existait. La question est de savoir si une quelconque partie de ce prêt hypothécaire demeurait à rembourser à la date du transfert, en 2004. Il ressort clairement des éléments de preuve que l’époux de l’appelante, KSS, avait la responsabilité de s’occuper des documents financiers, y compris ceux qui concernaient l’hypothèque de deuxième rang. En fait, c’est KSS qui a signé chacun des chèques établis à l’ordre de NSS mentionnés ci-dessus. Pourtant, KSS n’a pas été appelé à témoigner pour l’appelante. C’est l’une des deux personnes qui aurait eu une connaissance directe du solde, s’il y en avait un, de cette hypothèque de deuxième rang à la date du transfert et qui aurait peut-être su si ce prêt avait été entièrement remboursé ou même s’il y avait remise de toute la dette. Je crois que KSS était dans la salle d’audience le jour où la présente affaire a été entendue. Quoi qu’il en soit, il n’a pas témoigné. Je ne peux qu’en déduire que son témoignage n’aurait pas aidé la cause de son épouse.

[17]  En outre, l’autre personne qui aurait eu une connaissance directe du solde de cette hypothèque de deuxième rang, à la date du transfert en 2004, est le créancier hypothécaire lui-même, NSB. Cet homme n’a pas non plus été appelé à témoigner. Le fait que NSB soit une personne connue n’est pas une raison de ne pas l’appeler à témoigner. Je crois comprendre qu’on ne dispose même pas d’une déclaration sous serment ou d’une note de sa part qui aurait pu apporter des éclaircissements au stade de la vérification de l’ARC ou de l’avis d’opposition, voire au stade de l’appel devant la Cour. Encore une fois, la seule conclusion raisonnable que je peux tirer est que le témoignage de NSB n’aurait pas aidé la cause de l’appelante. J’ajoute que l’avocat de l’appelante a affirmé que la relation entre la famille et NSB s’était détériorée. Aucune explication n’a été fournie à ce sujet, et on n’a pas non plus expliqué pourquoi NSB n’aurait pas pu être assigné à comparaître s’il refusait de se présenter à l’audience. Encore une fois cependant, NSB n’était qu’une des deux personnes, l’autre étant KSS, qui vraisemblablement auraient eu une connaissance directe des faits ou auraient été en possession de documents concernant la présente affaire, mais il n’a pas été appelé à témoigner.

[18]  Je me pencherai maintenant sur la dernière question en litige, soit celle de savoir si la remise de dette visant les sommes prétendument empruntées de 50 000 $ et de 20 000 $ devrait être considérée comme une contrepartie dans le transfert à l’appelante du bien en question effectué le 4 novembre 2004. Je dois me ranger à l’opinion de l’avocat de l’intimée voulant qu’on n’ait pas prouvé dûment l’allégation selon laquelle il y a eu un prêt de 50 000 $. Il n’existe apparemment aucun document à ce sujet. L’époux de l’appelante, KSS, qui s’occupe des documents financiers pour la famille, n’a pas été appelé à témoigner. Il est également ressorti de la preuve que l’argent d’une partie du prêt allégué de 50 000 $ et de la totalité du prêt allégué de 20 000 $ provenait de l’exploitation du Norpeel Motel, et non de l’appelante elle-même.

[19]  Il existait une preuve du paiement de 20 000 $, soit le chèque tiré du compte d’Ont. Inc./Norpeel Motel, que KSS avait établi à l’ordre de TPS pour ce montant. Il semble donc qu’aucune partie du montant de 20 000 $ ne provenait de l’appelante à titre personnel.

[20]  Après mûre réflexion, je suis disposé à reconnaître qu’un prêt de 50 000 $ a été consenti à TPS, malgré l’absence de documents à cet égard. Il s’agissait d’un prêt entre membres d’une famille, de sorte que l’absence de documents corroborants n’est pas inhabituelle. Je crois l’appelante lorsqu’elle déclare dans son témoignage avoir fourni la majeure partie de cette somme et que le reste avait été tiré de l’exploitation du Norpeel Motel. Elle n’a pas pu dire ni se rappeler à combien s’élevait sa contribution réelle à ce prêt de 50 000 $. Par conséquent, je retiens le témoignage de l’appelante sur cette question du prêt de 50 000 $ et je me fonde sur celui-ci pour reconnaître que l’appelante a fourni une partie de ce prêt correspondant à 25 000 $ et qu’il y a eu remise de cette dette lors du transfert subséquent, en faveur de l’appelante, du droit de TPS sur le Norpeel Motel.

Signé à Summerville Centre (Nouvelle-Écosse), ce 31e jour de juillet 2018.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d’août 2019.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2018CCI159

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-237(IT)G

INTITULÉ :

SUKWINDER KAUR SARKARIA c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 janvier 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 31 juillet 2018

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Jason C. Rosen

Me Dara Agari

Avocats de l’intimée :

Me John Makine

Me David Besler

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Jason C. Rosen

Me Dara Agari

 

Cabinet :

Rosen Kirshen Tax Law

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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