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Dossier : 2014-2620(IT)G

ENTRE :

ALBERT DE VRIES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Christine De Vries 2014-2621(IT)G

les 4 et 5 juillet 2017, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge B. Paris


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimée :

Me Nadine Taylor Pickering

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté de la cotisation no 1984578 établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 20e jour d’août 2018.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2019.

François Brunet, réviseur


Dossier : 2014-2621(IT)G

ENTRE :

CHRISTINE DE VRIES,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel

d’Albert De Vries 2014-2620(IT)G

les 4 et 5 juillet 2017, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge B. Paris

Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Nadine Taylor Pickering

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation no 1984589 établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu est accueilli avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 20e jour d’août 2018.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2019.

François Brunet, réviseur


Référence : 2018 CCI 166

Date : 20180820

Dossiers : 2014-2620(IT)G

2014-2621(IT)G

ENTRE :

ALBERT DE VRIES

CHRISTINE DE VRIES

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Paris

[1]  Les appelants, Albert et Christine De Vries, se sont chacun vu imposer une cotisation de 83 565 $ conformément à l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement aux dividendes qu’ils ont reçus le 31 janvier 2010 de leur société en propriété exclusive, Imperial Pacific Greenhouse Ltd. (IPG), lors de sa liquidation.

[2]  Aux termes de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national (le ministre) est autorisé à recouvrer une dette fiscale d’une autre personne que le débiteur fiscal si certaines conditions sont remplies. De façon générale, le paragraphe 160(1) joue lorsqu’un débiteur fiscal transfère un bien à une personne avec laquelle il a un lien de dépendance et que la contrepartie donnée pour le bien par le bénéficiaire est inférieure à la juste valeur marchande du bien au moment du transfert.

[3]  Les appelants sont mariés et, pendant la période pertinente, chacun détenait 50 % des actions d’IPG. L’intimée affirme qu’au moment où les dividendes ont été versés, IPG était tenue de payer 758 630 $ aux termes du paragraphe 224(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour inobservation d’une demande formelle de paiement délivrée aux termes du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[4]  Les appelants soutiennent qu’IPG n’avait aucune dette fiscale au moment où les dividendes ont été payés. Subsidiairement, ils affirment également qu’ils avaient prévu pour les dividendes une contrepartie qui était au moins égale au montant des dividendes qu’ils ont reçus d’IPG.

[5]  Les appels ont été entendus sur preuve commune. Les appelants se sont représentés eux-mêmes. Albert De Vries et Paul Houweling ont témoigné pour le compte des appelants.

Faits

Dette fiscale d’IPG

[6]  De 2001 à 2010, IPG a exploité une serre et une pépinière sur une propriété lui appartenant, près de Cedar, en Colombie-Britannique (la propriété).

[7]  La dette fiscale d’IPG, en cause dans les présents appels, est née d’une série compliquée de faits qui ont commencé avant la constitution en société d’IPG, en 2001. Par conséquent, il est d’abord nécessaire d’exposer en détail le contexte de la constitution en société et de l’exploitation d’IPG.

[8]  Initialement, la propriété appartenait à MacMillan Bloedel Ltd. (MacBlo), qui y exploitait une pépinière d’arbres. Une scierie et une usine de pâte à papier adjacentes appartenaient aussi à MacBlo. L’eau utilisée pour la pépinière d’arbres provenait du terrain de l’usine de pâte à papier. À un certain moment, MacBlo a vendu l’usine de pâte à papier à une entreprise appelée Harmac Pacific Ltd. (Harmac) et elle a vendu la scierie et la propriété à Weyerhauser Company Ltd. (Weyerhauser). Il semble avoir été convenu entre Harmac et Weyerhauser que Harmac fournirait à Weyerhauser l’eau nécessaire pour la pépinière d’arbres. Plus tard, Weyerhauser a cessé d’utiliser la propriété comme une pépinière d’arbres et n’a plus eu besoin d’être approvisionnée en eau.

[9]  En novembre 1999, Weyerhauser a vendu la propriété à Peter Bos et à Mike Bryan pour 900 000 $. Paul Houweling a prêté 500 000 $ à messieurs Bos et Bryan en vue de l’achat, et le solde du prix d’achat a été financé par un prêt hypothécaire accordé par le vendeur. L’accord de prêt avec M. Houweling n’a pas été consigné par écrit. La propriété devait être utilisée pour l’exploitation d’une serre et d’une pépinière sous le nom d’Imperial Pacific Greenhouses par messieurs Bos, Bryan et Houweling.

[10]  Immédiatement après avoir pris possession de la propriété, messieurs Bos et Bryan ont tenté d’obtenir que Harmac recommence à approvisionner la propriété en eau, mais celle-ci a refusé en soutenant que son obligation d’approvisionnement en eau avait pris fin lorsque Weyerhauser a vendu la propriété. Messieurs Bos et Bryan se sont alors empressés de trouver une autre source d’eau, mais la mauvaise alimentation en eau a nui aux activités de la serre et de la pépinière et a résulté en des difficultés financières pour l’entreprise. M. Houweling a avancé d’autres fonds à l’entreprise et lui a fourni de l’équipement afin de lui permettre de poursuivre ses activités. Aucun accord n’a été rédigé concernant les avances supplémentaires de M. Houweling.

[11]  Au début de l’année 2000, M. Bryan a commencé à éprouver des difficultés financières et a renoncé à sa participation dans l’entreprise, à la demande de M. Houweling.

[12]  En août 2000, une autre personne du nom d’Erik Duivenvoorde a racheté la participation de M. Bryan dans la propriété et dans l’entreprise.

[13]  Peu de temps après, IPG a été constituée en société et la propriété et l’entreprise y ont été incorporées. IPG a assumé la responsabilité des dettes de l’entreprise. M. Bos en est devenu actionnaire à 75 % et M. Duivenvoorde, à 25 %. À ce moment, la dette due à M. Houweling totalisait 758 630 $.

[14]  Au début de l’année 2001, M. Bos a quitté l’entreprise et le 19 février 2001, il a transféré ses actions d’IPG en parts égales à l’épouse de M. Houweling, Elsa, à l’épouse de M. Duivenvoorde, Judith, ainsi qu’à appelante, Christine De Vries. Albert De Vries a été nommé directeur d’IPG le même jour. M. Houweling a témoigné avoir demandé à Albert De Vries d’aider IPG, étant donné son expérience en matière de culture en serre. M. Houweling a affirmé qu’IPG perdait de l’argent à cause du problème d’eau et qu’il pensait que M. De Vries saurait peut-être redresser la situation.

[15]  Il semble que les appelants ont joué un rôle important dans les activités quotidiennes d’IPG à partir de ce moment.

[16]  En octobre 2002, n’ayant pas réussi à convaincre Harmac de reprendre l’approvisionnement en eau de la propriété, IPG a intenté une action contre Weyerhauser et plusieurs autres parties fondée sur la non-divulgation du problème relatif à l’eau (instance relative à l’eau). Précédemment, messieurs Bos et Duivenvoorde avaient cédé à IPG tous leurs droits relatifs à tout différend découlant de l’achat de la propriété et du problème d’approvisionnement en eau.

[17]  Le 5 juillet 2003, M. Duivenvoorde a été congédié d’IPG en raison d’un conflit avec Albert De Vries. Le même jour, M. Duivenvoorde a démissionné de son poste de directeur et Elsa Houweling, Christine De Vries et Daniel Houweling (le fils de Paul et d’Elsa Houweling) ont été nommés directeurs.

[18]  M. Duivenvoorde a alors demandé à IPG de lui rembourser son prêt d’actionnaire, mais Elsa Houweling lui a répondu comme suit dans une lettre datée du 14 juillet 2003 :

[traduction] Selon l’accord initial entre tous les actionnaires, les prêts des actionnaires deviendront remboursables en fonction du règlement de la demande relative à l'eau. Lorsque celle-ci sera réglée, nous pensons que le montant d'argent obtenu couvrira les prêts des actionnaires. De plus, chaque actionnaire recevra des intérêts de 7 % par année pour la durée de son prêt en cours.

[19]  Par la suite, M. Duivenvoorde a intenté une action contre IPG afin d’obtenir le remboursement de son prêt d’actionnaire et il a déposé un affidavit dans le cadre de cette procédure. Dans l’affidavit, que les appelants ont produit comme pièce en l’espèce, M. Duivenvoorde fait référence au procès-verbal d’une réunion des actionnaires d’IPG qui s’est tenue le 5 juillet 2003, ainsi qu’à la demande de remboursement de son prêt d’actionnaire qu’il a faite pendant cette réunion. Dans l’affidavit, M. Duivenvoorde fait aussi référence aux observations d’Albert De Vries lors de la réunion, selon lesquelles une restriction s’appliquait au remboursement des prêts des actionnaires, et affirme ce qui suit au paragraphe 26 :

[traduction] En réalité, aucune restriction ne s’applique aux prêts des actionnaires, sauf dans le cas de Paul, qui a convenu d’attendre l’issue de l’instance contre Weyerhauser et les courtiers immobiliers.

[20]  Plus tard, lors des dernières plaidoiries, l’avocate de l’intimée a soutenu que la lettre du 14 juillet 2003 et l’affidavit de M. Duivenvoorde constituaient des éléments de preuve par ouï-dire, inadmissible. Bien que l’objection quant à leur admissibilité n’ait pas été soulevée au moment opportun, cela ne permet pas de rendre admissibles des éléments de preuve par ailleurs inadmissibles. A l’occasion de l’affaire Adam c. Campbell, 1950 CanLII 326 (CSC), le juge Cartwright, s’expriment pour la majorité de la Cour, a fait remarquer ce qui suit à la page 458 de l’arrêt :

[traduction] Je n’ai pas négligé le fait que l’avocat des appelants n’a formulé nulle objection relativement aux éléments de preuve que j’ai trouvés inadmissibles. Il va sans dire que le défaut de s’opposer à l’admission d’un élément de preuve légalement inadmissible ne peut pas le rendre admissible.

[21]  Quelque temps avant 2003, le ministre a établi pour Paul Houweling et son entreprise, Amethyst Greenhouse Ltd. (Amethyst), une nouvelle cotisation indiquant des montants d’impôt importants pour les années antérieures à l’année 2000.

[22]  L’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a obtenu une ordonnance conservatoire visant à recouvrer ces sommes et, au milieu de l’année 2004, elle a entamé des discussions avec Albert De Vries concernant un possible recouvrement des sommes qu’IPG devait à M. Houweling. À ce moment-là, M. Houweling avait une dette de 4 264 093 $ aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu et IPG devait 758 630 $ à M. Houweling.

[23]  En décembre 2004, en application du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, l’ARC a délivré une demande formelle de paiement exigeant qu’IPG lui verse tout montant d’argent qu’elle devait à Paul Houweling et à Amethyst.

[24]  Ces exigences ont été renouvelées le 3 janvier 2006.

[25]  Selon la demande formelle de paiement délivrée à l’égard de Paul Houweling, IPG était tenue de payer au ministre tous les montants qu’elle devait à M. Houweling, sans excéder 4 596 399 $. IPG n’a rien payé au ministre.

[26]  Le 5 avril 2006, Albert De Vries a racheté à Elsa Houweling ses actions d’IPG pour 80 000 $. Depuis, Albert et Christine De Vries détiennent chacun 50 % des actions d’IPG.

[27]  Le 22 avril 2006, Paul Houweling a présenté à IPG ce qu’on a qualifié de facture, où il était indiqué que M. Houweling et Amethyst [traduction]  « renoncent pour toujours à tout droit absolu sur IPG ». Cette remise de la dette d’IPG envers M. Houweling et Amethyst a été inscrite dans l’état financier d’IPG pour la période se terminant le 31 juillet 2006.

[28]  Le 12 octobre 2007, une cotisation de 758 630 $ a été établie à l’endroit d’IPG pour non-conformité à la demande formelle de paiement du 3 janvier 2006.

[29]  IPG a fait appel de la cotisation, soutenant qu’elle n’avait pas à payer cette somme à M. Houweling pendant la période d’effet de la demande formelle de paiement parce que M. Houweling avait convenu de reporter le recouvrement des sommes qui lui étaient dus jusqu’à l’issue de l’instance relative à l’eau engagée par IPG. Cette instance ne s’est pas conclue avant 2008. IPG a également soutenu que M. Houweling avait remis la dette le 28 avril 2006 et qu’aucun montant ne lui était donc dû.

[30]  L’appel a été entendu par le juge Webb, qui a conclu qu’IPG n’a pas prouvé l’existence de l’accord verbal allégué selon lequel le remboursement de la dette a été reporté jusqu’à l’issue de l’instance portant sur l’approvisionnement en eau (décision Imperial Pacific Greenhouses Ltd. c. La Reine, 2010 CCI 431). Pour tirer cette conclusion, le juge Webb a observé paragraphe 26 de la décision :

La seule preuve de cette entente orale est la déclaration d’Albert De Vries expliquant que, selon lui, le prêt était lié à la procédure judiciaire et devait être remboursé une fois que le montant correspondant à la demande en justice serait reçu. Il n’existe aucun document écrit au sujet d’une telle modalité, et l’appelante n’a pas appelé Paul Houweling à témoigner pour confirmer celle-ci. Puisque la dette était due à Paul Houweling et que cette modalité aurait eu une incidence sur le droit de ce dernier de recevoir un paiement, il me semble que l’appelante aurait dû appeler Paul Houweling à titre de témoin.

[31]  Le juge Webb a conclu que la dette d’IPG envers M. Houweling était un prêt à vue remboursable après le 5 avril 2006 et qu’IPG a omis de payer le montant de sa dette au ministre conformément à la demande formelle de paiement.

[32]  Relativement à la remise alléguée de la dette, le juge Webb a conclu qu’elle n’aurait pu avoir aucune incidence sur la demande formelle de paiement, car au moment de la remise alléguée, IPG était tenue de payer au receveur général toute somme qu’elle aurait dû par ailleurs payer à M. Houweling, et ce dernier n’avait le droit de recevoir d’IPG aucune somme pouvant faire l’objet d’une renonciation.

[33]  Par conséquent, le juge Webb a rejeté l’appel d’IPG.

[34]  L’appel qu’IPG a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale a également été rejeté (Imperial Pacific Greenhouses Ltd. c. Canada, 2011 CAF 79).

[35]  Au début de l’année 2010, IPG a cessé ses activités et a disposé de la propriété et de certains autres actifs en faveur des appelants à un prix que l’ARC a reconnu comme leur juste valeur marchande. Après avoir disposé de la propriété, IPG avait un solde de 225 213 $ dans son compte de dividende en capital. Le 31 janvier 2010, IPG a versé à chacun des appelants un dividende en capital de 83 565 $.

[36]  IPG a été dissoute le 20 août 2012 pour non-production de sa déclaration de revenus annuelle.

[37]  Le 7 novembre 2012, une cotisation a été établie pour chacun des appelants aux termes du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu concernant les dividendes en capital qu’ils ont reçus d’IPG; il a été tenu pour acquis qu’au moment où les dividendes ont été payés, IPG devait 758 630 $ aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour non-conformité à la demande formelle de paiement.

[38]  En l’espèce, les appelants ont appelé M. Houweling à témoigner. Ce dernier a confirmé qu’il a consenti des prêts et des avances à l’entreprise avant la constitution en société d’IPG, à la fois pour lui permettre d’acquérir la propriété et d’exploiter l’entreprise, et qu’IPG a assumé la responsabilité des sommes.

[39]  M. Houweling a confirmé qu’il n’existe nulle entente écrite concernant la dette, non garantie, mais il a affirmé avoir verbalement convenu avec IPG que les montants lui seraient remboursés seulement à la conclusion de l’instance relative à l'eau concernant la propriété. Il a affirmé qu’il s’attendait à ce que l’instance permette de recouvrer environ un million de dollars et qu’elle ne devrait pas s'éterniser. Il a également affirmé que, pendant toute la période durant laquelle l’argent lui était dû, IPG avait des difficultés financières. Il a aussi confirmé qu’il n’a reçu d’IPG aucune contrepartie pour l’entente visant à reporter le recouvrement de la dette.

[40]  Albert De Vries a également témoigné que M. Houweling a verbalement convenu d’attendre la conclusion de l’instance relative à l'eau avant de recouvrer les montants qu’IPG lui devait. Il a affirmé que M. Houweling avait convenu d’attendre parce qu’il se sentait responsable du problème d’approvisionnement en eau, puisqu’il n’avait pas vérifié l'approvisionnement en eau moment de l'achat de la propriété.

[41]  Pendant son contre-interrogatoire, M. De Vries a admis que les prêts payables à M. Houweling ne figuraient pas au titre de dettes latentes dans les états financiers d’IPG, mais il a affirmé que les sommes y ont simplement été transférées du logiciel QuickBooks, puis reportées d’une année à l’autre, et qu’il n’avait pas remarqué qu’elles n’étaient pas inscrites au titre de dettes latentes. Il a également affirmé avoir dit à l’agente de recouvrement de l’ARC avec laquelle il faisait affaire que le remboursement des prêts avait été reporté jusqu’à la conclusion de l’instance relative à l’eau.

Thèse des appelants

[42]  Au début de l’audience tenue devant moi, les appelants ont indiqué qu’ils retenaient les conclusions de fait et de droit tirées par le juge Webb dans l’appel interjeté par IPG, sauf en ce qui concerne la question à savoir si IPG était tenue de verser de l’argent à M. Houweling pendant l’année qui a suivi l’émission de la demande formelle de paiement. Toutefois, pendant les débats, les appelants ont également soutenu qu’ils n’y étaient pas tenus parce que M. Houweling avait renoncé à la dette au cours de l’année.

[43]  Les appelants ont aussi affirmé qu’ils ont versé une contrepartie pour le dividende qu’ils ont chacun reçu d’IPG le 31 janvier 2010.

Analyse

[44]  Il est clair que les appelants ont le droit de contester la dette fiscale sous-jacente d’IPG pour laquelle une cotisation a été établie à leur nom aux termes de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il convient également de signaler que l’intimée n’a pas soulevé la question de la préclusion liée à une question en litige, à savoir si la dette envers M. Houweling était payable dans l’année suivant la demande formelle de paiement délivrée à IPG le 6 janvier 2006. Bien que l’intimée ait demandé que soit décidée la question de préclusion liée à une question en litige, aux termes de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), la demande a été rejetée parce que la question n’a pas été soulevée dans l’acte de procédure de l’intimée. En outre, l’intimée n’a pas cherché à modifier la réponse à l’avis d’appel afin d’y inclure cette question.

[45]  La première question consiste donc à savoir si IPG était tenue de verser de l’argent à M. Houweling pendant l’année qui a suivi la demande formelle de paiement délivrée le 6 janvier 2006.

[46]  Il n’est pas controversé entre les parties qu’IPG devait 758 630 $ à M. Houweling à ce moment-là. Ce qu’il faut déterminer, c’est si IPG devait rembourser le prêt à M. Houweling au cours de la période pertinente. La réponse dépend de la question de savoir si M. Houweling avait convenu de ne pas demander le remboursement des montants d'argent qu’il avait prêtés à IPG avant la conclusion de l’instance relative à l’eau, comme l'allèguent les appelants. Si je conclus qu’une telle entente existe, je dois également rechercher si cette entente contraint juridiquement M. Houweling parce qu’elle constitue une condition du prêt ou si elle donne plutôt lieu à une préclusion promissoire qui l’aurait empêché de demander le remboursement.

[47]  Puisque toutes les sommes d'argent qu’IPG doit à M. Houweling ont été avancées bien avant que commence l’instance relative à l'eau, en octobre 2002, je conclus que le remboursement des prêts originaux, au moment où ils ont été consentis, ne pouvait pas être assujetti à la conclusion de cette instance.

[48]  Cependant, vu les éléments de preuve que les appelants ont présentés, je conclus que M. Houweling a effectivement convenu de reporter le recouvrement des montants d'argent que lui devait IPG jusqu’à la conclusion de l’instance relative à l’eau, et que cette entente a été prise à peu près au moment où commençait ladite instance. Les témoignages de M. Houweling et d’Albert De Vries à cet égard sont corroborés, dans une certaine mesure, par une lettre qu’Albert De Vries a écrite en juillet 2004 à l’agente de recouvrement de l’ARC, Mme Green, qui sollicitait des renseignements sur les sommes qu’IPG devait à M. Houweling ou à Amethyst. Dans cette lettre, M. De Vries mentionne que certains prêts et autres montants d'argent dus par IPG ne seront payables que lorsque les fonds seront disponibles, à la conclusion de l’instance relative à l’eau. Dans sa lettre à Mme Green, M. De Vries a écrit : [traduction] « Il a été convenu entre les actionnaires que le paiement aux actionnaires de tout (prêts, intérêt et location de camion) deviendrait exigible dès que l’argent deviendrait disponible à la suite du règlement de l’instance relative à l’eau et à la question de l’impôt foncier, pour laquelle aucune décision n’a encore été rendue. »

[49]  Comme l’avocate de l’intimée l’a fait remarquer, bien que M. De Vries ait fait référence à une entente entre les [traduction] « actionnaires », M. Houweling n’a jamais été actionnaire; il semble donc que des termes imprécis aient été utilisés. Il semble que M. De Vries ait considéré que M. Houweling était actionnaire d’IPG parce qu’il a fourni la majeure partie du capital de l’entreprise. De plus, les frais de location du camion que M. De Vries mentionne dans sa lettre auraient été payables à l’entreprise de M. Houweling, Amethyst, qui est propriétaire du camion, et non à un actionnaire d’IPG. Une entente de report du paiement des frais de location aurait dû être prise avec M. Houweling au nom d’Amethyst, et non avec l’un des actionnaires d’IPG. Cela va dans le sens de la thèse selon laquelle M. De Vries, dans sa lettre, fait référence à une entente prise avec M. Houweling selon laquelle le remboursement des montants d'argent qui lui étaient dus serait reporté jusqu’à la conclusion de l’instance relative à l’eau.

[50]  Peut-être plus important encore, dans sa lettre à Mme Green, M. De Vries a répondu à une demande d’information sur les montants d'argent qu’IPG devait à M. Houweling et à Amethyst. Vu ce contexte, il semble plus probable que le [traduction] « paiement aux actionnaires » fait référence aux prêts remboursables à M. Houweling ou à Amethyst, puisque Mme Green n’était pas concernée par les dettes d’IPG envers ses actionnaires.

[51]  Je remarque également que le montant d'argent dû à M. Houweling est qualifié [traduction] « d’autres prêts d’actionnaires » dans une lettre de la Banque de développement du Canada écrite à IPG le 12 août 2002 concernant le financement accordé à IPG. Cette référence aux prêts de M. Houweling comme [traduction] « d’autres prêts d’actionnaires » a été répétée dans une lettre du comptable d’IPG datée du 20 mars 2003 et envoyée à IPG.

[52]  Je conclus également qu’il est plausible que M. Houweling ait convenu de reporter le recouvrement du prêt. Il a affirmé qu’il se sentait mal en ce qui concerne les difficultés que connaissait l’entreprise à cause des problèmes d’approvisionnement en eau, étant donné qu’il avait participé au choix et à l’acquisition de la propriété et qu’il n’avait pas vérifié si l’approvisionnement en eau était suffisant pour exploiter l’entreprise. A l’occasion de l’affaire IPG, le juge Webb a écrit, au paragraphe 41 :

Il semble logique qu’une personne possédant de l’expérience dans la gestion d’une entreprise de culture en serre éprouverait, comme l’a déclaré Albert De Vries, une certaine responsabilité de n’avoir pas confirmé que l’approvisionnement en eau serait maintenu après l’acquisition des actifs.

[53]  Il est clair que la situation financière d’IPG était très précaire pendant la période en litige et que M. Houweling comprenait que toute demande de paiement aurait probablement mis fin aux activités d’IPG.

[54]  Enfin, je conclus que la non-indication dans les états financiers d’IPG des sommes dues à M. Houweling à titre de dettes latentes ne détermine pas la nature de ce passif. Je retiens l’explication de M. De Vries, qui affirme qu’il n’a pas prêté attention à la description du passif dans les notes accompagnant les états financiers et que cette description avait simplement été reportée des états financiers d’origine, préparés avant que commence l’instance relative à l’eau et avant que M. Houweling convienne d’attendre pour se faire rembourser les prêts.

[55]  Ayant conclu que M. Houweling avait convenu de reporter le recouvrement des prêts jusqu’à la conclusion de l’instance relative à l’eau, je dois maintenant décider si cette entente le contraignait juridiquement.

[56]  L’avocate de l’intimée a soutenu que toute modification des modalités d’un contrat doit être justifiée par une contrepartie pour être exécutoire. Voir Stilk c. Myrick, (1809) 170 E.R. 1168, Shook c. Munro et al., [1948] SCR 539, et Gregorio c. Intrans-Corp. (1994), 18 O.R. (3d) 527 (C.A.), au paragraphe 534. Voir également Gilbert Steel Ltd. c. University Construction Ltd., (1976) 12 O.R. (2d) 19 (C.A.), au paragraphe 24.

[57]  Cependant, il semble que la doctrine de la contrepartie ait évolué en ce qui concerne les modifications contractuelles. Récemment, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que, lorsque les parties à un contrat conviennent d’en modifier les modalités, la modification doit être exécutoire en l’absence d’une contrepartie fraîche, d’une contrainte, d’iniquité ou d’autres préoccupations politiques d’intérêt public (Rosas v. Toca, 2018 BCCA 191; voir aussi NAV Canada c. Greater Fredericton Airport Authority Inc., 2008 NBCA 28).

[58]  A l’occasion de l’affaire Rosas, le juge en chef Bauman a effectué un examen approfondi de la jurisprudence relative à la contrepartie supplémentaire exigée pour justifier la modification d’un contrat existant. Au paragraphe 183 de cette décision, il a ainsi conclu:

[traduction] Lorsque les parties à un contrat conviennent d’en modifier les modalités, la modification doit être exécutoire sans contrepartie fraîche en l’absence d’une contrainte, d’iniquité ou d’autres préoccupations politiques d’intérêt public qui rendraient non exécutoire une modalité autrement valide. Une modification justifiée par une contrepartie valide peut demeurer exécutoire pour cette raison, mais l'absence d’une contrepartie fraîche ne sera plus déterminante.

[59]  L’avocate de l’intimée a présenté des observations écrites en réaction à  la jurisprudence Rosas et a soutenu qu’elle ne devait pas être suivie en l’espèce parce que, en l'occurrence, la modification des modalités contractuelles entraînerait une injustice pour un tiers – le ministre – en permettant à IPG et aux appelants de se soustraire à leur dette fiscale et, rétroactivement, d’invalider la demande formelle de paiement délivrée par le ministre.

[60]  En bref, la réponse à cette thèse est que les droits qui existaient entre M. Houweling et IPG concernant l’obligation de rembourser doivent être tranchés avant que soit déterminée l’obligation d’IPG aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme l’a mentionné le juge Owen à l’occasion de l’affaire Cassan c. The Queen, 2017 TCC 174 (au paragraphe 260), [traduction] « le droit fiscal est accessoire au droit privé et, en l’absence d’une disposition contraire dans la Loi de l’impôt sur le revenu, le droit fiscal doit être appliqué à la solution retenue par le droit privé ». Autrement dit, à moins qu’elles soient expressément prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu, les rapports juridiques établis par les parties doivent être respectés aux fins fiscales. En l’espèce, je ne retiens pas la thèse que M. Houweling et les appelants ont voulu invalider rétroactivement l’effet de la demande formelle de paiement, puisque l’entente relative au report du recouvrement des prêts par M. Houweling a été prise bien avant l’émission de ladite demande.

[61]  Il a également été soutenu que la jurisprudence Rosas pouvait être erronée, vu que, par l’arrêt Kennedy v. Clark, 2009 NBCA 60, rendu après l’arrêt NAV Canada, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a conclu qu’une clause de non-responsabilité pour fausses déclarations dans la vente d’un yacht avait force exécutoire par manque de contrepartie, cette clause ayant été signée par le demandeur après que les parties eurent signé la convention d’achat-vente. Cependant, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a discuté ce point au paragraphe 112 de l’arrêt Rosas :

[traduction] À cet égard, il est difficile de concilier la solution de l’arrêt Kennedy et l’observation claire de l’arrêt NAV Canada selon laquelle « à des fins d’efficacité commerciale, il devient parfois nécessaire de redéfinir les obligations contractuelles respectives des parties et le droit doit alors protéger leurs attentes légitimes, savoir que les modifications apportées seront respectées et considérées comme exécutoires » (au paragraphe 28). En a qui concerne l’arrêt Kennedy, la Cour semble avoir été motivée par le manque de discussion entourant la nouvelle modalité et l’absence de toute raison pour laquelle Mme Kennedy l’accepterait. La Cour a pu douter que Mme Kennedy était pleinement consciente de la clause de non-responsabilité lorsqu’elle a signé l’acte de vente, qu’elle a ait vraiment accepté la modification et qu’elle avait l’intention d’être contrainte par celle-ci.

[62]  Par conséquent, je conclus que la jurisprudence Rosas doit être suivie en l’espèce. Bien que rien en l’occurrence ne prouve qu’IPG ait fourni quoi que ce soit à M. Houweling en contrepartie de sa volonté d’attendre pour se faire rembourser le prêt, rien n’indique qu’IPG a exercé une pression économique sur M. Houweling afin d’obtenir la modification de l’accord de prêt et aucune raison d’intérêt public ne rendrait l’accord non exécutoire. Il semble que M. Houweling et IPG ont tous deux cru et voulu que le fait que M. Houweling accepterait d’attendre avant de recouvrer le montant qu’IPG lui devait le contraindrait juridiquement. Je conclus donc que la promesse faite par M. Houweling d’attendre la conclusion de l’instance relative à l’eau avant de demander le remboursement du prêt le contraignait juridiquement, et qu’IPG n’avait pas à rembourser le prêt avant la conclusion de cette instance, en 2008.

[63]  Par conséquent, IPG n’avait rien à payer à M. Houweling au cours de l’année qui a suivi la délivrance de la demande formelle de paiement et ne devait aucun montant aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour défaut de paiement au ministre conformément à la demande formelle de paiement.

[64]  Bien que cette conclusion suffise pour trancher les appels en faveur des appelants, j’estime qu’il serait utile de discuter certains autres arguments dans les présents motifs.

Remise de la dette

[65]  Il ressort uniquement des éléments de preuve qui m’ont été présentés concernant la remise de la dette que la remise a eu lieu le 28 avril 2006, soit bien après l’omission de la demande formelle de paiement. Par conséquent, elle n’aurait eu aucun effet, avant cette date, sur l’obligation d’IPG au sujet de la demande formelle de paiement s’il avait été établi qu’IPG était tenue de verser de l’argent à M. Houweling pendant cette période.

[66]  Les éléments de preuve sur lesquels s’appuient les appelants sont les mêmes que ceux qui ont été présentés au juge Webb à l’occasion de l’affaire IPG. Par conséquent, si cela avait été nécessaire, j’aurais suivi la conclusion du juge Webb sur ce point.

Contrepartie versée pour les dividendes

[67]  Selon une jurisprudence constante, les cotisations versées à une entreprise par ses actionnaires ne constituent pas une contrepartie pour le paiement de dividendes par l’entreprise à ces actionnaires. Le droit de recevoir des dividendes est rattaché aux actions, et non aux actionnaires. Ainsi, le droit de l’actionnaire de recevoir un dividende déclaré découle directement de sa qualité de détenteur d’actions.

[68]  Dans l’arrêt Neuman c. M.R.N., [1998] 1 RCS 770, la Cour suprême du Canada a observé au paragraphe 57 :

[…] un dividende est un paiement lié, sous forme de droit, au capital-actions qu’une personne possède dans une société, et à rien d’autre. Ainsi, l’importance de l’apport fourni par une personne à la société, et tout dividende reçu de cette société, sont indépendants l’un de l’autre.

[69]  Par conséquent, il est clair que les sommes payées par les appelants pour leurs actions ne constituent pas une contrepartie qu’ils auraient versée pour le paiement des dividendes en cause.

Conclusion

[70]  Pour tous ces motifs, les appels sont accueillis et un seul mémoire de dépens est adjugé aux appelants pour les deux appels.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 20e jour d’août 2018.

« B. Paris »

Le juge Paris

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mars 2019.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 166

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2014-2620(IT)G et 2014-2621(IT)G

INTITULÉ :

ALBERT DE VRIES et CHRISTINE DE VRIES c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 4 et 5 juillet 2017

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Paris

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 août 2018

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :

Les appelants eux-mêmes

Avocate de l’intimée :

Me Nadine Taylor Pickering

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

 

Cabinet :

[EN BLANC]

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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