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Dossier : 2017-3784(IT)I

ENTRE :

MOHAMED JAMAL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 1er mai 2018, à Vancouver (Colombie-Britannique), avec observations écrites subséquentes devant être déposées le 30 août 2018

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimée :

Me Kiel Walker

 

JUGEMENT MODIFIÉ

  CONFORMÉMENT aux motifs modifiés du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’égard de l’année d’imposition 2011 de l’appelant est rejeté sans dépens au motif que l’appelant a présenté sa demande de remboursement d’un versement excédentaire des cotisations d’un employé au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, plus de quatre après la date limite pour le faire.

Le jugement modifié et les motifs modifiés du jugement remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 27 septembre 2018.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d’octobre 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


Référence : 2018 CCI 196

Date : 20181029

Dossier : 2017-3874(IT)I

ENTRE :

MOHAMED JAMAL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. Les faits

[1]  M. Jamal interjette appel d’une décision du ministre du Revenu national (le ministre) lui ayant refusé un remboursement de 1 108 $ à l’égard de l’année d’imposition 2011. Ce remboursement concerne un versement excédentaire des cotisations d’un employé (le versement excédentaire) au titre du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8 (le RPC). Le ministre justifie ce refus par le fait que M. Jamal a attendu plus de quatre ans après la date d’exigibilité du solde de l’année d’imposition 2011 pour demander le remboursement du versement excédentaire. Même si M. Jamal a demandé le remboursement dans sa déclaration de revenus de 2011, il n’a produit cette déclaration que le 16 août 2016. Le ministre fait valoir que le délai applicable se terminait le 31 décembre 2015 : soit quatre ans après la fin de l’année 2011, et 229 jours avant la demande de M. Jamal.

[2]  M. Jamal a fourni à la Cour des raisons parfaitement compréhensibles et sympathiques pour lesquelles il avait tardé à produire sa déclaration de revenus de 2011. Au cours des quatre ans et 229 jours, M. Jamal a eu de graves problèmes de santé, il a dû prendre sa retraite tôt en raison d’obligations familiales et il a quitté l’Alberta pour s’établir en Colombie-Britannique.

[3]  En fait, sa retraite était probablement l’événement qui a entraîné le versement excédentaire. M. Jamal n’avait aucun antécédent de débiteur fiscal au moment de produire une déclaration; il n’a jamais eu d’impôts sur le revenu exigibles sur un solde précédent. Il a toujours reçu des remboursements. Ironiquement, cette affirmation aurait été vraie pour l’année 2011, n’eût été le refus de rembourser le versement excédentaire au titre du RPC. En raison du solde exigible découlant de la dette fiscale en août 2016, M. Jamal s’est également vu imposer une pénalité de 188,05 $ pour production tardive. Il interjette appel de cette décision ainsi que de l’imposition des intérêts courus.

[4]  Dans son appel contre le refus de rembourser le versement excédentaire et l’imposition de la pénalité et des intérêts, M. Jamal déclare ce qui suit :

a)  il n’était pas au courant du délai de prescription de quatre ans applicable à la demande de remboursement, parce que la disposition n’est pas claire;

b)  en raison de ses antécédents en matière de production de déclarations qui ont toujours donné lieu à des remboursements, il ne comprenait pas le concept de pénalités et d’intérêts;

c)  Le fait étrange que le refus de rembourser le versement excédentaire au titre du RPC ait donné lieu à la pénalité et aux intérêts est un facteur atténuant à prendre en compte dans le présent appel;

d)  les déclarations et les motifs exposés dans les jugements Tharle [1] et Freitas [2] ainsi que les circonstances personnelles dans le présent appel font en sorte que le refus de rembourser le versement excédentaire entraîne un « résultat injuste ».

II. Dispositions législatives applicables

a)  Législation

[5]  Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, dans sa version modifiée (la LIR), qui traitent de la production des déclarations, des pénalités et des renonciations aux pénalités sont ainsi libellées :

(i) Délai de production des déclarations de revenus

Déclarations

Déclarations de revenus – règle générale

150 (1) une déclaration de revenu [...] doit être présentée au ministre [...] pour chaque année d’imposition d’un contribuable :

[...]

Particuliers

d) […]

(i) au plus tard le 30 avril de l’année suivante, par cette personne [...].

(ii) Pénalités

Pénalités

Défaut de déclaration de revenu

162 (1) Toute personne qui ne produit pas de déclaration de revenu pour une année d’imposition [...] est passible d’une pénalité égale au total des montants suivants :

a) 5 % de l’impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie [...];

b) le produit de 1 % de cet impôt impayé par le nombre de mois entiers, jusqu’à concurrence de 12, compris dans la période commençant à la date où, au plus tard, la déclaration devait être produite et se terminant le jour où la déclaration est effectivement produite.

(iii) Renonciation aux intérêts à la discrétion du ministre

PARTIE XV 

Administration et exécution

Administration

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Article 220

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable [...] ou sur demande du contribuable [...] renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs [...] en application de la présente loi [...].

[6]  Les dispositions relatives au remboursement du versement excédentaire au titre du RPC, applicables aux employés et aux travailleurs autonomes, sont ainsi libellées :

Remboursement des versements excédentaires

38 (1) Lorsqu’un employé a fait un versement excédentaire à valoir sur ses cotisations, prévues par la présente loi pour une année, le ministre lui rembourse le montant de ce versement si l’employé le lui demande par écrit au plus tard dans les quatre ans qui suivent la fin de l’année où il a fait le versement excédentaire [...].

Remboursement au travailleur autonome de l’excédent

38 (4) Lorsqu’une personne a payé, à valoir sur les cotisations qu’elle était tenue de verser pour une année à l’égard de ses gains provenant du travail qu’elle a exécuté pour son propre compte, un montant supérieur à ces cotisations, le ministre :

(a) peut rembourser [...] [le] montant [...] payé en excédent de la cotisation lors de l’envoi de l’avis d’évaluation de cette cotisation, sans avoir reçu de demande à cette fin;

  • (b) doit faire ce remboursement après l’envoi de l’avis d’évaluation, si le cotisant fait à cette fin une demande écrite au plus tard dans les quatre ans ¾ […].

b)  Jurisprudence

[7]  Il n’y a aucun jugement dans lequel la Cour a été appelée à interpréter directement le délai de prescription visé au paragraphe 38(1) qui traite expressément des versements excédentaires des employés. Le paragraphe 38(4), similaire mais non identique, qui traite des cotisations versées en trop par les travailleurs autonomes, a été examiné dans le jugement Tharle et, plus récemment, dans le jugement Freitas.

[8]  Dans le jugement Tharle, le juge Little a conclu que « le délai de quatre ans qui est prévu pour demander le remboursement d’un excédent de cotisations du RPC commence à courir à la fin de l’année civile pour laquelle ces paiements étaient dus [3]  ». Le juge Little est parvenu à cette décision concernant les dispositions sur le remboursement obligatoire énoncées à l’alinéa 38(4)b), malgré la consternation qu’il a exprimée quant à la réticence manifestée par le ministre à exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accordent les dispositions sur le remboursement énoncées à l’alinéa 38(4)a) [4] . Le juge Little et la Cour soulignent que l’alinéa 38(4)b) contient l’expression « doit faire ce remboursement [...] si le cotisant fait à cette fin une demande [...] au plus tard dans les quatre ans qui suivent la fin de l’année [...] ». En revanche, l’alinéa 38(4)a) contient la disposition facultative suivante : « peut rembourser [...] [le] montant [...] payé en excédent ».

[9]  Dans le même ordre d’idée, dans le jugement Freitas devant la Cour canadienne de l’impôt [5] , la juge Campbell a convenu que « le délai de quatre ans pour présenter une demande au ministre de rembourser la partie du montant payé en excédent des cotisations au RPC commence à la fin de l’année civile au cours de laquelle ces cotisations [au RPC] étaient dues [6]  ». Au cours des observations formulées devant la Cour, on a appris que le jugement Freitas avait été porté en appel. La Cour a décidé que toute décision relative à l’appel de M. Jamal serait reportée jusqu’à ce que la Cour fédérale rende le jugement Freitas. Par la suite, les parties se verraient accorder du temps pour examiner cette décision et formuler d’autres observations. Ces observations écrites ont été reçues des deux parties à la fin août, et la Cour rend maintenant sa décision.

[10]  L’appel déposé auprès de la Cour d’appel fédérale a été accueilli. Toutefois, en accueillant l’appel, le juge Webb a conclu notamment qu’il avait valablement été saisi de l’appel en ce qui a trait à l’obligation « fiscale » accrue énoncée dans la nouvelle cotisation de 2015 et que le revenu attribué à l’appelant n’était pas des gains de travailleur autonome donnant lieu à des cotisations au RPC, en premier lieu [7] . En accueillant l’appel, la Cour d’appel fédérale n’a pas tenu compte de l’alinéa 38(4)b) du RPC, n’a pas mentionné l’affirmation du juge Campbell concernant le délai s’écoulant à compter de la date d’exigibilité du solde dans le jugement Tharle ni tenu compte dudit jugement dans son arrêt.

III. Analyse et décision

[11]  Les circonstances entourant l’appel de M. Jamal sont teintées d’ironie et, en même temps, attirent l’empathie. Nous savons pertinemment que la production de sa déclaration de revenus de 2011 le 16 août 2016, soit quatre ans et 229 jours en retard, et non simplement le 31 décembre 2015, soit quatre ans en retard, le prive actuellement du remboursement du versement excédentaire au titre du RPC et lui vaut l’imposition d’une pénalité pour production tardive, ainsi que quatre ans et 229 jours d’intérêts, pour faire bonne mesure. Même si cette situation n’est pas forcément juste ou équitable, le législateur l’a clairement voulu ainsi, et il s’agit du résultat de l’interprétation, par la Cour et par d’autres tribunaux, du droit applicable, comme il est clairement rédigé dans la LIR et le RPC.

[12]  Tout d’abord, le libellé du paragraphe 38(1) est clair. Lorsqu’un versement excédentaire est effectué, le ministre doit le rembourser si une demande lui est présentée dans les quatre ans qui suivent la date de la fin de l’année. Toutefois, contrairement à l’alinéa 38(4)a), le ministre n’a pas le pouvoir discrétionnaire de rembourser une cotisation excédentaire au-delà du délai de quatre ans. De plus, même s’il avait ce pouvoir discrétionnaire, la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière ou d’une autre [8] .

[13]  Le fondement permettant de rejeter l’appel et les prétentions de M. Jamal est un élément essentiel du régime canadien d’autocotisation. Comme tous les contribuables, M. Jamal avait l’obligation de produire sa déclaration de revenus de 2011 le 30 avril 2012 [9] . Il ne l’a pas fait. Il l’a plutôt produite le 16 août 2016. Son déménagement en Colombie-Britannique, sa maladie et sa situation familiale n’excusent pas son retard de quatre ans et 106 jours. Pas plus que son ignorance du besoin de produire sa déclaration chaque année ou du délai de quatre ans prévu par le RPC [10] . M. Jamal ne peut pas invoquer son ignorance de la loi, alors qu’il n’a fait aucun effort pour s’informer ou demander des conseils à ce sujet [11] ; il ignorait simplement l’existence de cette loi. En raison de cette omission, il n’a produit sa déclaration qu’après l’expiration du délai donnant droit au remboursement. On lui a refusé le remboursement à juste titre, conformément à la Loi. La pénalité et les intérêts sont une conséquence automatique et appropriée de cette omission.

[14]  Par principe et d’un point de vue pratique, tant la LIR que le RPC prescrivent des délais pour des raisons de clarté, d’efficacité et du caractère définitif des décisions administratives [12] . Ils jouent également dans les deux sens [13] . Enfin, les jugements Tharle et Freitas, dans leur interprétation d’un article différent, mais peut-être analogue du RPC, ont conclu que la période de quatre ans prévue pour demander un remboursement des cotisations excédentaires à l’égard des revenus autodéclarés court à compter de la date où ces montants sont dus, et le défaut de présenter une demande dans le délai prévu est un obstacle réel au remboursement du versement excédentaire au titre du RPC.

[15]  Quant à la demande d’exercice d’un pouvoir ministériel discrétionnaire accru en matière de renonciation au montant de pénalité ou d’intérêts, M. Jamal doit présenter une demande au Comité d’équité de l’Agence du revenu du Canada ou au ministre, conformément au paragraphe 220(3.1) de la Loi. Quant au décret de remise du gouverneur en conseil, bien que peu pratique, encore une fois, cette question ne relève pas de la compétence de la Cour, et M. Jamal doit suivre cette voie législative distincte.

[16]  Pour ces motifs, l’appel est rejeté sans dépens.

Le jugement modifié et les motifs modifiés du jugement remplacent le jugement et les motifs du jugement datés du 27 septembre 2018.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d’octobre 2018.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


RÉFÉRENCE :

2018 CCI 196

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-3874(IT)I

INTITULÉ :

MOHAMED JAMAL c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 octobre 2018

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

 

 

Avocat de l’intimée :

Me Kiel Walker

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   Tharle c. La Reine, 2011 CCI 325.

[2]   Freitas c. La Reine, 2017 CCI 46, 2018 CAF 110.

[3]   Tharle, au paragraphe 21.

[4]   Tharle, aux paragraphes 18 et 19.

[5]   Freitas, jugement de la CCI, au paragraphe 18.

[6]   Freitas, jugement de la CAF, au paragraphe 23.

[7]   Freitas, arrêt de la CAF, au paragraphe 32.

[8]   3735851 Canada inc. c. La Reine HMQ, 2010 CCI 24, aux paragraphes 5 et 7.

[9]   Paragraphe 150(1) de la LIR, précité à la section II(i).

[10]   Paragraphe 38(1) du RPC.

[11]   Corporation de l’école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, au paragraphe 35, renvoyant à l’arrêt Molis c. R [1980] 2 RCS 356, au paragraphe 364.

[12]   Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Green, 2015 CSC 60, au paragraphe 57.

[13]   Le paragraphe 152(4) de la LIR empêche le ministre d’établir une nouvelle cotisation au-delà de trois ans en l’absence de présentation erronée des faits par le contribuable.

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