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Dossier : 2018-3663(IT)G

ENTRE :

SUTLEJ FOODS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3838(IT)G

ET ENTRE :

SURINDER SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3840(IT)G

ET ENTRE :

RAVINDER SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3836(IT)G

ET ENTRE :

PARAMJIT SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


 

Représentant des appelants :

Hesham El Shaboury

Avocat de l’intimée :

Me Sébastien Budd

 

ORDONNANCE

ATTENDU QUE les appelants ont chacun présenté une requête par laquelle ils demandent une ordonnance leur permettant d’être représentés par leur comptable, M. Hesham El Shaboury, dans leurs appels régis par la procédure générale;

ET ATTENDU QUE l’intimée s’est opposée aux requêtes;

VU les observations écrites de l’intimée (les appelants n’ont pas présenté d’observations écrites) et les moyens invoqués par les appelants dans leurs avis de requête et les affirmations de M. El Shaboury dans son affidavit déposé à l’appui des requêtes;

LA COUR ORDONNE QUE les requêtes des quatre appelants soient rejetées, sans dépens. La Cour leur enjoint de retenir les services d’un avocat pour les quatre appels en l’espèce interjetés sous le régime de la procédure générale et d’informer le greffe de l’identité de leur avocat ou de leurs avocats dans les 60 jours suivant la présente ordonnance, à défaut de quoi l’intimée pourra présenter une requête en rejet des appels. Si les appelants ou l’un d’entre eux souhaitent que leur appel soit entendu sous le régime de la procédure informelle, la question de la représentation dans de tels appels pourra être réexaminée sur présentation d’une nouvelle demande à cet égard.

Signé à Toronto (Ontario), ce 21e jour de janvier 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’octobre 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 20

Date : 20190207

Dossier : 2018-3663(IT)G

ENTRE :

SUTLEJ FOODS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3838(IT)G

ET ENTRE :

SURINDER SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3840(IT)G

ET ENTRE :

RAVINDER SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-3836(IT)G

ET ENTRE :

PARAMJIT SINGH DHERIA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS

Le juge Russell

[1] La personne morale appelante et trois personnes physiques appelantes ont demandé l’autorisation d’être représentées par leur comptable, M. Hesham El Shaboury, CPA, CGA, dans le cadre de leurs appels respectifs (qui devraient être entendus conjointement en raison d’opérations communes) plutôt que de retenir les services d’un avocat. Dans chacune de ces requêtes, les appelants font valoir qu’ils n’ont pas les ressources financières pour retenir les services d’un avocat et qu’il serait beaucoup moins cher de retenir les services de M. El Shaboury.

La personne morale appelante

[2] L’intimée (la Couronne) s’oppose à la requête relative à la société appelante, Sutlej Foods Inc., en se fondant sur la décision Masa Sushi Japanese Restaurant Inc. c. La Reine, 2017 CCI 239. Dans cette décision, la Cour a conclu qu’il n’était pas possible d’interpréter les dispositions de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt (la « Loi »), plus précisément, son paragraphe 17.1(1), de façon à ce qu’une personne qui n’est pas un avocat puisse représenter une personne morale appelante dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale. Par conséquent, comme les Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») sont subordonnées à la Loi, il n’est pas possible non plus, sous le régime de ces Règles, plus précisément, le paragraphe 30(2), de permettre à une personne morale appelante d’être représentée par une personne qui n’est pas un avocat dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale. De plus, l’intimée s’oppose à ce que les trois personnes physiques appelantes soient représentées par M. El Shaboury, au motif qu’il n’est pas avocat.

[3] Contrairement aux appelants, l’intimée a déposé des observations écrites dans les présentes requêtes, qui seront tranchées, à la demande des appelants, sur la foi des observations écrites. Les appelants ont présenté un avis de requête complet et un affidavit signé par M. El Shaboury. Dans ses observations, l’intimée conteste les conclusions de notre Cour dans la décision BCS Group Business Services Inc. c. La Reine, 2018 CCI 120, qui, je crois, fait l’objet d’un appel. Dans la décision BCS Group, la Cour a dit ne pas souscrire aux conclusions tirées dans la décision Masa Sushi et a conclu que la Loi et les Règles prévoient valablement la nomination d’une personne qui n’est pas un avocat pour représenter une personne morale appelante dans un appel interjeté sous le régime de la procédure générale.

[4] En toute déférence, je préfère la conclusion tirée dans la décision BCS Group. Je me fonde sur les quatre motifs suivants : la présomption d’absence de tautologie; les textes législatifs l’emportent sur la common law; l’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique, ainsi que l’article 12 de la Loi d’interprétation fédérale. J’expliquerai brièvement mes motifs, après avoir exposé, pour des raisons de commodité, le libellé de l’article 17.1 de la Loi et de l’article 30 des Règles.

[5] L’article 17.1 de la Loi est rédigé ainsi :

Comparution

17.1 (1) Les parties à une procédure peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat; dans ce dernier cas, toutefois, seules les personnes visées au paragraphe (2) peuvent agir à titre d’avocat.

Qualité de fonctionnaire judiciaire

(2) Quiconque peut exercer à titre d’avocat ou de procureur dans une province peut exercer à ce titre à la Cour et en est fonctionnaire judiciaire.

L’article 30 des Règles est libellé ainsi :

Représentation

Représentation par avocat

30 (1) Sous réserve du paragraphe (3), la partie à une instance qui est une personne physique peut agir en son nom ou se faire représenter par un avocat.

(2) La partie à une instance qui n’est pas une personne physique se fait représenter par un avocat, sauf avec l’autorisation de la Cour et sous réserve des conditions que celle-ci fixe.

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, la personne qui agit à titre de représentant d’une partie frappée d’incapacité et qui n’est pas avocat se fait représenter par un avocat.

(1) La présomption d’absence de tautologie

[6] La première raison pour laquelle je ne souscris pas à l’interprétation du paragraphe 17.1(1) selon laquelle une personne morale appelante dans une instance régie par la procédure générale ne peut être représentée par une personne qui n’est pas un avocat est la « présomption d’absence de tautologie ». Cette présomption est un principe fondamental d’interprétation des lois. Ruth Sullivan décrit ce principe en ces termes dans son traité Sullivan on the Construction of Statutes (2014, 6e éd.), à la page 211 :

[traduction] Le législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement ni s’exprimer en vain. [P.G. (Qué.) c. Carrières Ste-Thérèse Ltée, [1985] A.C.S. no 37, [1985] 1 R.C.S 831, à la p. 838 (C.S.C.)]. Chaque mot d’une loi est présumé avoir un sens et un rôle précis à jouer dans la réalisation de l’objectif du législateur.

[7] Dans l’arrêt R. c. Proulx, [2000] A.C.S. no 6, [2000] 1 R.C.S. 61 (C.S.C.), le juge en chef Lamer a déclaré ce qui suit, au paragraphe 28 :

Suivant un principe d’interprétation législative reconnu, une disposition législative ne devrait jamais être interprétée de façon telle qu’elle devienne superfétatoire.

[8] Ainsi, il faut donner un sens au libellé du paragraphe 17.1(1) « [l]es parties [...] peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat ». Le terme « parties », utilisé ici sans restriction, inclut donc toutes les formes de parties, y compris les personnes animées (comme les personnes physiques) et les personnes inanimées (comme les personnes morales). Par conséquent, les personnes morales aussi bien que les personnes physiques « peuvent comparaître en personne ou être représentées par avocat ».

[9] Le législateur devrait savoir que, contrairement à une personne physique, une personne morale, étant une personne inanimée, ne peut comparaître en personne au sens littéral de l’expression. Si l’on applique la présomption d’absence de tautologie, il s’ensuit que le législateur voulait qu’une personne morale puisse être représentée par un avocat ou un individu qui n’est pas un avocat.

[10] En effet, si l’on applique la présomption d’absence de tautologie, la question pertinente n’est pas de savoir si les mots utilisés par législateur au paragraphe 17.1(1) doivent être appliqués aux personnes morales appelantes, mais plutôt de savoir comment ils devraient l’être. Et c’est ici que le paragraphe 30(2) des Règles entre en jeu, en permettant que soit présentée à la Cour une demande par laquelle elle autoriserait une personne qui n’est pas un avocat à représenter une personne morale appelante.

(2) Les textes législatifs l’emportent sur la common law

[11] Dans la décision Masa Sushi, aux paragraphes 15 et 16, il semble que la Cour conclut que le paragraphe 17.1(1) de la Loi ne permet pas aux personnes morales appelantes d’être représentées par des personnes qui ne sont pas des avocats, parce qu’en common law, une personne morale ne peut comparaître en personne. Mais en l’espèce, nous nous penchons sur un texte législatif, soit le paragraphe 17.1(1) de la Loi. Si elle est constitutionnelle, une disposition législative doit avoir prépondérance sur la common law en cas d’incompatibilité.

(3) L’interprétation textuelle, contextuelle et téléologique

[12] Les dispositions législatives doivent faire l’objet d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique (Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 66). Le fondement textuel du paragraphe 17.1(1) de la Loi est clair. La disposition dispose explicitement, comme la Cour le souligne dans la décision BCS Group, qu’une partie, qu’elle soit une personne morale ou une personne physique, a le droit de comparaître en personne.

[13] Pour ce qui est de l’analyse contextuelle, la décision Masa Sushi confirme, aux paragraphes 35 à 37, bien qu’on n’y précise pas qu’il s’agit d’une conclusion fondée sur l’analyse contextuelle, comme je le fais ici, que la Cour détient implicitement le pouvoir de faire respecter sa procédure, ce qui comprend normalement qui peut comparaître devant elle.

[14] En ce qui concerne l’interprétation téléologique, mon collègue, le juge Graham, a explicitement reconnu ce qui suit dans la décision Masa Sushi au paragraphe 28, et je souscris entièrement à ses propos :

Le fait de permettre aux personnes morales de comparaître en personne accroît l’accès à la justice. C’est particulièrement le cas pour les personnes morales qui sont des petites sociétés fermées qui ne pourraient pas autrement se payer les services d’un avocat et pour les personnes morales engagées dans un litige portant sur un montant inférieur à celui qu’elles dépenseraient en frais d’avocat.

[15] Dans la décision Masa Sushi, la Cour fait ensuite porter son analyse téléologique sur l’origine de l’article 17.1, afin de déterminer quel était l’objet recherché à l’origine. À mon avis, le passage admirable cité ci-dessus, concernant l’objectif de l’accès à la justice qui se dégage de la loi, prévaut largement, que ce soit maintenant ou par le passé. Les dispositions législatives, conformément à l’article 10 de la Loi d’interprétation fédérale, ont vocation permanente.

[16] Par conséquent, je conclus que les analyses textuelle, contextuelle et téléologique mènent à la même conclusion : le sens que voulait donner le législateur au libellé clair du paragraphe 17.1(1) est que les parties, terme qui englobe à la fois les personnes morales et les personnes physiques, peuvent comparaître en personne dans un appel régi par la procédure générale.

(4) L’article 12 de la Loi d’interprétation fédérale

[17] L’article 12 de la Loi d’interprétation fédérale est rédigé ainsi :

Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[18] Toute interprétation du libellé clair du paragraphe 17.1(1) du législateur qui aurait pour effet d’exclure la possibilité pour une personne morale de comparaître en personne ne respecterait pas cette disposition fondamentale de la Loi d’interprétation. Comment peut-on considérer que dénier absolument aux personnes morales appelantes le droit d’être représentées par une personne qui n’est pas un avocat dans un appel régi par la procédure générale constitue une interprétation faite « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de [l’]objet [du paragraphe 17.1(1)] »? À mon avis, l’objet de la disposition est reflété dans son objectif, énoncé plus haut, soit favoriser l’accès à la justice.

[19] Sur le fondement de ces quatre motifs, je conclus que le paragraphe 17.1(1) de la Loi prévoit que la personne morale partie à un appel interjeté sous le régime de la procédure générale devant la Cour peut comparaître en personne (par opposition à être représentée par un avocat), ce qui signifie nécessairement (étant donné que la société en tant que telle est un objet inanimé) qu’elle peut être représentée par une personne qui n’est pas un avocat, si elle en obtient l’autorisation après avoir présenté une demande au titre du paragraphe 30(2) des Règles, comme en l’espèce.

[20] Pour ce qui est de la demande présentée en vertu du paragraphe 30(2) des Règles par la personne morale appelante, aucun élément de preuve n’a été fourni montrant que la société était financièrement incapable de retenir les services d’un avocat pour le présent appel interjeté sous le régime de la procédure générale. Il est important qu’un avocat représente un appelant, car l’avocat est censé connaître la jurisprudence applicable, la procédure à l’audience et la procédure avant l’audience. La procédure générale n’est pas une procédure informelle.

[21] De plus, en ce qui concerne M. El Shaboury, il est considéré comme un [traduction] « comptable externe » dont les services ont été retenus par les quatre appelants, y compris la personne morale appelante. Par conséquent, il pourrait être un témoin important, sinon essentiel, lors des audiences relatives à l’appel. Sur le plan de la procédure judiciaire, cela fait de lui un candidat moins attrayant à la fonction de représentant qui n’est pas avocat, étant donné qu’une personne qui n’est pas représentée par un avocat (comme une personne physique peut le faire en vertu du paragraphe 17.1(1)) sera normalement autorisée à témoigner pour son propre compte.

[22] Pour les deux motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter la demande présentée par la personne morale appelante au titre du paragraphe 30(2) des Règles, sans dépens.

Les personnes physiques appelantes

[23] Il semble que les Règles ne prévoient pas, pour les personnes physiques appelantes dans les appels régis par la procédure générale, la possibilité de présenter une demande pour faire défendre leur cause par une personne autre qu’un avocat ou qu’elles-mêmes. Le paragraphe 30(1) des Règles semble établir clairement qu’une personne qui est un appelant « peut agir en son nom ou se faire représenter par un avocat ». En me fondant sur ce qui précède, vu que les trois appelants, qui sont des particuliers, ne souhaitent pas agir en leur propre nom (ce qui, même si les termes sont interprétés littéralement, est possible, contrairement aux personnes morales appelantes), je dois rejeter leur demande d’autorisation d’être représentés par M. El Shaboury, qui n’est pas un avocat.

Conclusion

[24] Les demandes des quatre appelants sont rejetées, sans dépens. La Cour leur enjoint de retenir les services d’un avocat pour les quatre appels en l’espèce interjetés sous le régime de la procédure générale et d’informer le greffe de l’identité de leur avocat ou de leurs avocats dans les 60 jours suivant la présente ordonnance, à défaut de quoi l’intimée pourra présenter une requête en rejet des appels. Si les appelants ou l’un d’entre eux souhaitent que leur appel soit entendu sous le régime de la procédure informelle, la question de la représentation dans de tels appels pourra être réexaminée sur présentation d’une nouvelle demande à cet égard.

Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement datés du 21 janvier 2019.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 7e jour de février 2019.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d’octobre 2020.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 20

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :

2018-3663(IT)G

2018-3838(IT)G

2018-3840(IT)G

2018-3836(IT)G

INTITULÉ :

SUTLEJ FOODS INC. ET SA MAJESTÉ LA REINE

SURINDER SINGH DHERIA ET SA MAJESTÉ LA REINE

RAVINDER SINGH DHERIA ET SA MAJESTÉ LA REINE

PARAMJIT SINGH DHERIA ET SA MAJESTÉ LA REINE

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge B. Russell

DATE DE L’ORDONNANCE :

DATE DES MOTIFS DE L’ORDONNANCE MODIFIÉS :

Le 21 janvier 2019

Le 7 février 2019

COMPARUTIONS :

Représentant des appelants :

Hesham El Shaboury

Avocat de l’intimée :

Me Sébastien Budd

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

[en blanc]

Cabinet :

[en blanc]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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