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Dossier : 2015-4697(IT)G

ENTRE :

DAVID BROOKS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 19 novembre 2018 à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Diane Campbell

Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Craig C. Sturrock, c.r.

 

Avocate de l’intimée :

Me Christa Akey

 

ORDONNANCE

ATTENDU QUE l’intimée a présenté une requête :

1. au titre de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») :

a) en radiation des paragraphes 5, 6, 7, 10, 12, 14 et 23 de l’avis d’appel;

b) en radiation des passages du paragraphe 22 de l’avis d’appel qui renvoient spécifiquement aux articles 7, 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et

c) en radiation des alinéas 18a), 18b), 18c), 18d) et 18f) de l’avis d’appel;

2. en prolongation du délai accordé à l’intimée pour déposer une réponse à l’avis d’appel modifié à 60 jours après qu’une décision définitive ait été rendue à l’égard de cette requête conformément à l’alinéa 8b), au paragraphe 12(1) et à l’alinéa 44(1)b) des Règles;

3. en adjudication des dépens à l’intimée indépendamment de l’issue de la cause;

4. en toute autre réparation que la Cour estime juste.

ET APRÈS avoir lu les documents déposés et entendu les observations des avocats de l’appelant et de l’intimée;

LA COUR DÉCIDE :

1. La requête de l’intimée en radiation des éléments suivants de l’avis d’appel déposé le 19 octobre 2015 et de l’avis d’appel modifié déposé le 16 novembre 2018 est accueillie :

a) les paragraphes 5, 6, 7, 10, 12, 14 et 23;

b) les passages du paragraphe 22 qui renvoient expressément aux articles 7, 8 et 24 de la Charte;

c) les alinéas 18a), 18b), 18c), 18d) et 18f).

2. L’intimée doit déposer et signifier une réponse aux actes de procédure de l’appelant qui n’ont pas été radiés dans les 60 jours suivant la date de cette ordonnance.

3. Les dépens en faveur de l’intimée sont fixés à 1000 $, payables immédiatement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2019.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 47

Date : 20190228

Dossier : 2015-4697(IT)G

ENTRE :

DAVID BROOKS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Campbell

Introduction :

[1] La présente requête en radiation de certains passages de l’avis d’appel déposé le 19 octobre 2015 et de l’avis d’appel modifié déposé le 16 novembre 2018 a été déposée par l’intimée au titre de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (les « Règles ») et plus précisément :

1. au titre de l’article 53 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») :

a) en radiation des paragraphes 5, 6, 7, 10, 12, 14 et 23 de l’avis d’appel;

b) en radiation des passages du paragraphe 22 de l’avis d’appel qui renvoient spécifiquement aux articles 7, 8 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et

c) en radiation des alinéas 18a), 18b), 18c), 18d) et 18f) de l’avis d’appel;

2. en prolongation du délai accordé à l’intimée pour déposer une réponse à l’avis d’appel modifié à 60 jours après qu’une décision définitive ait été rendue à l’égard de cette requête conformément à l’alinéa 8b), au paragraphe 12(1) et à l’alinéa 44(1)b) des Règles;

3. en adjudication des dépens à l’intimée indépendamment de l’issue de la cause;

(Avis de requête daté du 8 novembre 2018)

La position de l’intimée

[2] L’intimée soutient qu’il est évident et manifeste que ces paragraphes doivent être radiés pour plusieurs raisons. Premièrement, l’intimée affirme que l’avis d’appel comporte des allégations à l’égard de la conduite des fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») qui ne sont d’aucune pertinence quant à l’exactitude de la cotisation d’un contribuable. Deuxièmement, l’avis d’appel comporte également des allégations concernant une atteinte aux droits de l’appelant garantis par les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») résultant de l’exercice des pouvoirs de vérification à caractère civil permettant de recueillir des dossiers et des renseignements, qui selon l’intimée ne révèlent aucun moyen valable et n’ont aucune chance d’être accueillies. Troisièmement, l’appelant sollicite l’annulation des nouvelles cotisations en vertu de l’article 24 de la Charte alors qu’il n’y a eu aucune violation de ses droits garantis par les articles 7 ou 8 de la Charte.

La position de l’appelant

[3] La position de l’appelant repose presque entièrement sur l’interprétation et l’application d'une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 RCS 765. L’appelant soutient que, selon cette jurisprudence, notre Cour, à titre de tribunal compétent, peut examiner des arguments fondés sur la Charte selon lesquels le ministre du Revenu national (le « ministre ») aurait porté atteinte aux droits d’un contribuable garantis par les articles 7 et 8 de la Charte, ce qui lui donne droit à une réparation au titre de l’article 24 de la Charte.

[4] L’avocat de l’appelant résume ainsi sa position :

[traduction] [...] L’argument repose entièrement sur le principe selon lequel la Cour de l’impôt est un tribunal compétent qui peut accorder toute réparation fondée sur la Charte qu’il estime convenable et juste eu égard des circonstances. C’est ça, le paragraphe 24(1). Son application ne se limite pas aux faits similaires à ceux de l’affaire O’Neill Motors; elle prévaut dans tous les cas où une violation d’un droit garanti par la Charte peut faire l’objet d’une réparation convenable et juste ou convenable et juste eu égard des circonstances au titre du paragraphe 24(1).

Si cela est inexact, alors mon ami a raison : les dispositions contestées de l’avis d’appel devront être radiées. […]

(Transcription, ligne 21 de la page 52 à la ligne 4 de la page 53)

[5] L’appelant soutient que la jurisprudence Conway a eu l’effet d’élargir la compétence de notre Cour d’accorder des mesures de réparation, y compris celle d’annuler une cotisation, en vertu de l’article 24 de la Charte :

[traduction]

Votre honorable Cour et la Cour d’appel fédérale enseignent que même si la Cour de l’impôt avait la compétence nécessaire pour se prononcer sur une violation de la Charte entourant l’admissibilité d’éléments de preuve et la constitutionnalité d’une loi ou d’une disposition législative, le paragraphe 24(1) de la Charte ne lui confère pas, néanmoins la compétence d’accorder à titre de réparation, lors d’un appel en matière d’impôt, une ordonnance visant à annuler une cotisation.

(Argumentation de l’appelant, paragraphe 5).

Par conséquent, l’ensemble de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale, tout particulièrement depuis la jurisprudence Conway, fait fausse route. La requête doit être rejetée puisque l’intimée s’appuie sur de la jurisprudence antérieure à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Conway et qui doit désormais [TRADUCTION] « [...] être complètement écartée et ignorée à la lumière de [...] la jurisprudence Conway » (Argument de l’appelant, paragraphe 49).

[6] En s’appuyant sur la jurisprudence Conway, il n’est pas évident et manifeste que les actes de procédures contestés de l’appelant reposant sur la Charte et les mesures prévues par l’article 24 n’ont aucune chance de succès comme le soutient l’intimée. Par conséquent, le ministre ne plus légitimement affirmer que la conduite de ses fonctionnaires n’a rien à voir avec la validité de la cotisation. L’appelant demande à ce que la cotisation soit annulée en raison de la conduite des fonctionnaires de l’ARC durant leur enquête sur l’appelant et de l'atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte.

Analyse

[7] L’intimée soutient que les questions en litige dans le présent appel, concernant les années d’imposition de 2004 à 2008, sont simples :

1. l’appelant a-t-il fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire relativement à ces années d’imposition?

2. l’appelant a-t-il omis de déclarer un revenu d’entreprise? et

3. les pénalités pour faute lourde ont-elles été imposées comme il se doit conformément au paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »).

[8] Les actes de procédure de l’appelant reposent principalement sur la conduite des fonctionnaires de l’ARC et la question de savoir si l’exercice des pouvoirs de vérification du ministère, afin de recueillir des témoignages et des éléments de preuve documentaire, a porté atteinte aux droits de l’appelant garantis par les articles 7 et 8 de la Charte. L’appelant soutient que ces éléments de preuve peuvent être écartés et que la nouvelle cotisation peut être annulée en application de l’article 24 de la Charte.

[9] L’intimée soutient que ces questions ne relèvent pas de la compétence de la Cour et qu’elles n’ont aucune chance d’être accueillies, car elles sont frivoles, abusives et pourraient retarder le déroulement de l’instance.

[10] Le critère applicable en matière de radiation d’actes de procédure a été réitéré par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltd., 2011 CSC 42, [2011] 3 RCS 45, au paragraphe 17, à la page 66 :

[17] [...] l’action ne sera rejetée que s’il est évident et manifeste, dans l’hypothèse où les faits allégués seraient avérés, que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable : Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, par. 15; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, p. 980. Autrement dit, la demande doit n’avoir aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Sinon, il faut lui laisser suivre son cours : voir généralement Syl Apps Secure Treatment Centre c. B.D., 2007 CSC 38, [2007] 3 R.C.S. 83; Succession Odhavji; Hunt; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.

Notre jurisprudence a retenu et appliqué à plusieurs reprises le critère de la chose « évidente et manifeste » à une requête déposé au titre de l’article 53 des Règles.

[11] L'arrêt Ronald Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, au paragraphe 16, expose la norme de contrôle à utiliser lorsque la Cour doit décider d’accueillir ou non une requête en radiation :

[16] La décision du juge d’accueillir ou de rejeter une requête en radiation est de nature discrétionnaire. Notre Cour confirme une telle décision en appel en l’absence d’une erreur de droit, d’une mauvaise appréciation des faits, de l’omission d’accorder le poids voulu à tous les facteurs pertinents ou d’une injustice évidente (voir par exemple, Collins c. Canada, 2011 CAF 140, au paragraphe 12; Domtar Inc. c. Canada, 2009 CAF 218, au paragraphe 24, Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, au paragraphe 15; Elders Grain Co. c. M.V. Ralph Misener (Navire), 2005 CAF 139, [2005] 3 R.C.F. 367, au paragraphe 13; Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., 2005 CAF 50, au paragraphe 9).

[12] Le juge en chef Bowman expose, au paragraphe 4 de ses motifs dans Sentinel Hill Productions (1999) Corporation et al c. Canada, 2008 DTC 2544, les principes qui doivent être appliqués dans le cadre d’une requête présentée au titre de l’article 53 des Règles :

[traduction]

[4] [...]

a) Les faits allégués dans l’acte de procédure contesté doivent être considérés comme véridiques, sous réserve des limitations exposées dans l'arrêt Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la page 455. Il n’est pas loisible à une partie qui s’attaque à un acte de procédure en s’appuyant sur l’article 53 des Règles de contester les faits qui y sont allégués.

b) Pour faire radier un acte de procédure ou une partie de celui-ci au titre de l’article 53 des Règles, il doit être évident et manifeste que la position avancée n’a aucune chance d’être accueillie. Il s’agit d’un critère rigoureux et le pouvoir de radier un acte de procédure doit être exercé avec le plus grand soin.

c) Le juge saisi de la requête doit éviter d’usurper le pouvoir du juge du fond en tirant des conclusions quant aux faits ou à leur pertinence. Ces questions doivent être laissées au juge qui entend la preuve.

[…]

[13] La Cour a compétence exclusive pour ce qui est de déterminer la validité des avis de cotisation. Toutefois, sa compétence est restreinte par les dispositions de la Loi. Plus précisément, l’article 171 de la Loi définit les paramètres encadrant notre Cour en ce qui a trait à l'examen des appels interjetés par des contribuables en application de la Loi. À cet égard, la Cour peut accueillir ou rejeter un appel, annuler ou modifier une cotisation ou renvoyer celle-ci au ministre pour réexamen et nouvelle cotisation.

[14] Tant notre jurisprudence que celle de la Cour d’appel fédérale va dans le sens de la thèse de l’intimée portant que la conduite du ministre et des fonctionnaires de l’ARC n’est pas pertinente quant à la détermination de la validité ou de l’exactitude d’une cotisation. La Cour d’appel fédérale a confirmé ce principe dans l'arrêt Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Canada, 2004 CAF 403, ainsi que dans l’arrêt Ereiser. Voici ce que la juge Sharlow a observé au paragraphe 40 de l’arrêt Ereiser :

[40] [...] Le fait qu’une saisie de documents est illégale peut avoir une incidence sur l’admissibilité d’éléments de preuve obtenus en raison de la saisie, mais la conduite fautive sans rapport avec une question de preuve n’est pas, en règle générale, pertinente quant à l’admissibilité d’éléments de preuve. [...]

Notre Cour n’a pas la compétence nécessaire d'annuler une cotisation en raison d’une conduite répréhensible au cours du processus ayant abouti à cette cotisation. Dans l’arrêt M.N.R. et C.R.A. c. J.P. Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, au paragraphe 83, la Cour d’appel fédérale a énoncé succinctement ce principe :

[83] [...] Si une cotisation est bien-fondée [sic] au regard des faits et du droit, le contribuable doit payer l’impôt.

[15] Le juge Webb, dans Johnson c. Canada, 2015 CAF 52, [2015] ACF nº 216, au paragraphe 4, a réitéré l’approche retenue par la jurispridence :

[4] […] Les raisons pour lesquelles le ministre a établi ces cotisations et les mesures de recouvrement qu’il a prises à cet égard ne sont pas pertinentes au regard de cette question.

[16] Les paragraphes 5, 6, 7, 10, 12 et 14 ainsi que l’alinéa 18d) visent la conduite des fonctionnaires de l’ARC, notamment des allégations selon lesquelles le vérificateur a déféré le cas à la division de l’application de la loi tout en poursuivant la vérification à caractère civil afin d’obtenir des renseignements, des mandats de perquisition ont été émis, des documents ont été saisis à divers emplacements, le vérificateur n’a jamais cessé de collaborer avec la division de l’application de la loi et des déclarations de revenus au format papier pour trois années d’imposition ont été détruites ou perdues. Bien qu’il pourrait y avoir d’autres mesures sanctionnant la conduite répréhensible des fonctionnaires de l’ARC, comme une action en dommages-intérêts ou un recours administratif, le législateur a choisi de ne pas élargir la compétence de notre Cour de cette manière.

[17] Après avoir appliqué le critère consacré par la Cour suprême du Canada en matière de radiation des actes de procédure, et examiné la longue série de décisions où celui-ci est appliqué, il est « évident et manifeste » que les arguments exposés dans ces paragraphes des actes de procédure de l’appelant relatant la conduite de l’ARC n’ont aucune possibilité raisonnable d’être retenus à l’audience de l’appel et doivent être radiés.

[18] Il y a ensuite les paragraphes qui, selon l’intimée, doivent être radiés, car ils contestent l’autorité du ministre de recueillir des éléments de preuve en vue d’établir l’obligation fiscale du contribuable puisqu’elle porte atteinte aux droits de l’appelant garantis par les articles 7 et 8 de la Charte, et sollicitent indûment une réparation au titre de l’article 24 de la Charte. Une fois de plus, il y a plusieurs autorités, à commencer par l'arrêt R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 RCS 757, de la Cour suprême du Canada et son arrêt complémentaire R. c. Ling, 2002 CSC 74, [2002] 3 RCS 814, qui portent sur les pouvoirs d’inspection et de demande péremptoire du ministre en ce qui a trait à la capacité du ministre d'obtenir et d'examiner les dossiers et les documents d’un contribuable afin de vérifier les renseignements contenus dans la déclaration de revenu d’un contribuable. Lorsque l’objet prédominant d’une vérification devient de nature pénale, il est alors interdit au ministre de recourir aux pouvoirs de contrainte qui lui sont conférés par la loi afin de recueillir des renseignements dans le but de faire avancer l’enquête pénale. Toutefois, selon le critère consacré par l’arrêt Jarvis, le ministre peut continuer de mener une enquête pénale simultanément et parallèlement à sa vérification administrative,

[...] [t]ant que l’enquête parallèle a effectivement pour objet prédominant d’évaluer l’obligation fiscale du contribuable, les vérificateurs peuvent continuer d’avoir recours aux par. 231.1(1) et 231.2(1). […]

(Jarvis, au paragraphe 97).

[19] Depuis la jurisprudence Jarvis, la Cour d’appel fédérale a retenu cette approche fondée sur la distinction entre la vérification administrative et l'enquête pénale visant une infraction réprimée par l’article 239. Au paragraphe 7 de l’arrêt Romanuk c. Canada, 2013 CAF 133, le juge Webb, citant l’arrêt Jarvis, a fait l’observation suivante :

[7] Au paragraphe 103 de l’arrêt Jarvis, la Cour suprême a également confirmé qu’« il est évident que l’on peut continuer d’avoir recours aux pouvoirs de vérification, même après le commencement d’une enquête, quoique les résultats de cette vérification ne puissent pas servir pour les besoins de l’enquête ou de la poursuite ». Comme les pouvoirs de vérification peuvent encore être exercés, les résultats obtenus, quoiqu’ils ne puissent servir aux fins d’une enquête ou d’une poursuite, peuvent encore servir à des fins administratives, comme une nouvelle cotisation.

[20] Même si le ministre envisageait de mener une enquête pénale sur l’appelant avant de lui adresser une demande de renseignements dans le cadre du processus de vérification, le ministre est toujours en droit d’utiliser les renseignements recueillis pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant (Romanuk, au paragraphe 10). Au final, si les renseignements et les documents sont recueillis et utilisés dans le cadre d’une enquête pénale ou d’une poursuite intentée en vertu de l’article 239 de la Loi, il revient à la juridiction pénale saisie de l’affaire, et non à la Cour de l’impôt, de déterminer l’objet prédominant de l’exercice des pouvoirs du ministre.

[21] Dans Piersanti c.Canada, 2014 CAF 243, même si les renseignements ou les documents avaient été demandés par un enquêteur, plutôt que par un vérificateur, dans le cadre d’une enquête pénale, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits du contribuable garantis par la Charte malgré le fait que le ministre avait utilisé les renseignements recueillis au cours d’une enquête pénale pour établir une nouvelle cotisation concernant l’impôt à payer par le contribuable. Même lorsque des renseignements recueillis dans le cadre d’une enquête pénale servent à établir une nouvelle cotisation à l’égard de la responsabilité fiscale d’un contribuable, il n’y a pas violation des droits du contribuable garantis par les articles 8 et 9 de la Charte. La question de savoir si le ministre peut utiliser à bon droit les renseignements pour poursuivre le contribuable pour des infractions pénales n’est pas pertinente quant au processus de vérification à caractère civil (Piersanti, au paragraphe 9). Lorsque des éléments de preuve recueillis au cours du processus de vérification sont utilisés dans le cadre d’une poursuite intentée en vertu de l’article 239 de la Loi relativement à une infraction, le tribunal saisi de l’affaire aura la tâche de déterminer l’objet prédominant de l’exercice des pouvoirs du ministre en ce qui a trait à la collecte des renseignements ou des documents (Romanuk, au paragraphe 8).

[22] Dans l'arrêt Bauer c. Canada. 2018 CAF 62, au paragraphe 13, la Cour d’appel fédérale a conclu que même si une enquête pénale a été diligentée et qu’elle pourrait aboutir au dépôt d’accusations en vertu de l’article 239 de la Loi, [TRADUCTION] « [...] cela n’empêche pas l’ARC d’avoir recours à des demandes de renseignements pour obtenir des renseignements ou des documents qui étaient censés ne servir qu’à l’établissement de nouvelles cotisations ». La Cour d’appel fédérale a ensuite déclaré, au paragraphe 14, ce qui suit en ce qui a trait à l’admissibilité devant notre Cour des éléments de preuve recueillis à l’aide de demandes de renseignements :

[traduction]

[14] Bien qu’adresser une demande au titre de 231.2 de la Loi pour obtenir des renseignements ou des documents après le début d’une enquête peut résulter en leur inadmissibilité dans le cadre de poursuites intentées relativement à des infractions réprimées par l’article 239 de la Loi, cela n’empêche pas les renseignements ou les documents d’être recevables dans le cadre d’une procédure devant la Cour canadienne de l’impôt où la question en litige est celle de la validité d’une cotisation établie en vertu de la Loi. C’est la question de l’utilisation des renseignements ou des documents qui est pertinente, et non celle de l’identité du fonctionnaire de l’ARC qui en a fait la demande.

[23] Selon les motifs de l’arrêt Bauer, les contribuables portant en appel une cotisation établie en fonction de documents reçus à la suite d’une demande de renseignements émise en vertu de l’article 231.2 de la Loi ne doivent pas avoir un avantage sur les autres contribuables simplement parce qu’ils font également l’objet d’une enquête pénale en vertu de l’article 239 de la Loi (Bauer, au paragraphe 16).

[24] Les faits des affaires Piersanti, Romanuk et Bauer sont quasi-identiques aux faits présentés dans les actes de procédure de l’appelant concernant la requête dont je suis saisie. À la lumière des conclusions des arrêts Piersanti, Romanuk et Bauer, les paragraphes des actes de procédure de l’appelant contestant l’admissibilité des éléments de preuve recueillis dans le cadre du processus de vérification doivent être radiés, puisqu’il est évident et manifeste que les faits allégués ne révèlent aucune atteinte aux droits garantis par les articles 7 et 8 de la Charte et que par conséquent, aucune réparation ne doit être accordée en vertu de l’article 24. Les actes de procédure de l’appelant mettent en cause les actes et la conduite des fonctionnaires de l’ARC et les contestations fondées sur la Charte concernant les renseignements recueillis au cours d’une enquête ayant ensuite servi à établir une nouvelle cotisation. Il n’y rien qui me permet de faire la distinction entre les faits de la présente affaire et ceux des affaires Piersanti, Romanuk et Bauer.

L’argument de l’appelant concernant la jurisprudence Conway

[25] L’avocat de l’appelant soutient que l’argument et les observations concernant la jurisprudence Conway de la Cour suprême du Canada présentés à l'occasion de l’affaire Bauer sont les mêmes qu’en l’espèce, mais que la Cour ne n'est pas prononcée sur eux. À mon avis, la jurisprudence Conway n’élargit pas le champ de compétence de la Cour de la manière soutenue par l’appelant, pas plus qu’elle ne s'écarte de la jurisprudence actuelle de notre Cour ou celle de la Cour d’appel fédérale.

[26] Avant 2010, toute une jurisprudence a eu pour point culminant l'arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des Relations de Travail), [1991] 2 RCS 5; elle enseigne que les tribunaux spécialisés ont le pouvoir de se prononcer sur des questions relatives à la Charte et d’accorder des réparations fondées sur la Charte lorsqu’elles sont liées à leur mandat conféré par la loi. A l'occasion de l'affaire Conway, la Cour suprême du Canada a de nouveau, en 2010, eu à se prononcer sur la question de savoir si les tribunaux, après avoir entendu des allégations de violations de la Charte, peuvent accorder des mesures de réparation fondées sur la Charte. La Cour a regroupé sa jurisprudence antérieure et formulé un critère à deux volets permettant de déterminer si un tribunal a compétence pour trancher des questions de droit et si l’intention de la loi était d’exclure la Charte de son champ d’application. La Cour a fait le relevé de la jurisprudence existante et retenu une approche plus large en concluant que les tribunaux administratifs doivent être en mesure d’entendre et de trancher des questions qui ne concernent que la seule Charte, évitant ainsi le fractionnement des recours qui ferait en sorte que ce serait une cour supérieure qui devrait se prononcer sur les questions relatives à la Charte plutôt que le tribunal. La jurisprudence Conway oblige désormais les tribunaux à se prononcer sur les questions relatives à la Charte. Notre Cour n’échappe pas à cette obligation en tant que tribunal spécialisé.

[27] Dans Martin c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 15, [2014] 3 RCF 117, aux paragraphes 94 et 95, la Cour d’appel fédérale a discuté l’effet de la jurisprudence Conway de la Cour suprême sur l’état actuel du droit :

[94] Dans l’arrêt Conway, la Cour suprême a fusionné les analyses relatives au paragraphe 24(1) et à l’article 52 en une seule s’appuyant de manière unifiée sur les mêmes concepts fondamentaux. Vu le cadre élaboré par la jurisprudence Conway, la question pertinente est toujours de savoir si le tribunal administratif est investi par la loi de la compétence d’examiner les questions de droit.

[95] À ce titre, la jurisprudence Conway ne marque donc pas véritablement une rupture de la jurisprudence antérieure sur les questions d’interprétation constitutionnelle. Elle est plus utile quant à l’examen de la compétence dont disposent, ou non, les tribunaux administratifs d’accorder des mesures en application du paragraphe 24(1). On semble en fait y adopter un raisonnement très semblable à celui suivi dans l’arrêt Martin, et ainsi effacer toute distinction pouvant encore exister entre les différents types d’analyses constitutionnelles.

[28] Je suis d’avis que l’interprétation défendue par l’appelant de la jurisprudence Conway et son opposabilité à notre Cour ne peuvent être exactes au regard des dispositions législatives pertinentes et de la jurisprudence actuelle. La compétence de la Cour est définie par les pouvoirs énoncés dans sa loi habilitante, laquelle doit prévaloir. Par exemple, elle ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder une réduction d’impôt ou un allégement à un contribuable ou régler des différends relatifs à l’impôt provincial. De plus, l’intention du législateur était également de ne pas lui conférer le pouvoir d’accorder aux contribuables des mesures de réparation comme les dommages-intérêts. La loi restreint le pouvoir de la Cour à ka détermination du montant à payer en impôt, le cas échéant. Il n'est pas controversé entre les parties que notre Cour est un tribunal compétent disposant du pouvoir de trancher des questions de droit relatives à la Charte, notamment de se prononcer sur la validité d’une disposition. Toutefois, les mesures que peut accorder la Cour sont recensées au paragraphe 171(1) de la Loi et se limitent expressément à celles-ci. Contrairement à ce que l’appelant laisse entendre, les pouvoirs de réparation de notre Cour sont restreints par la loi. Notre Cour a le pouvoir de se pencher sur des questions relatives à la Charte qui se rapportent aux questions qui lui ont été présentées en bonne et due forme. La jurisprudence Conway porte principalement sur les tribunaux spécialisés et, bien que ces motifs puissent logiquement s’appliquer à notre Cour, son applicabilité est restreinte par les dispositions législatives qui encadrent notre Cour. La jurisprudence Conway ne peut l’emporter sur cette intention législative.

[29] L’appelant a cité la décision O’Neil Motors Ltd. c. Canada, 96 DTC 1486, à titre d’exemple de la compétence de la Cour conférée par l’article 24 d’accorder des mesures de réparation fondées sur la Charte. Dans cette affaire, le juge Bowman (qui était alors juge de la Cour canadienne de l’impôt) a conclu que la mise à l’écart des éléments de preuve à elle seule ne constituait pas une réparation suffisante. Il a ainsi annulé la nouvelle cotisation du contribuable. La Cour d’appel fédérale a confirmé cette décision au motif que notre Cour avait compétence d'intervenir de la sorte dans ces circonstances particulières (voir [1998] 4 CF 180). Toutefois, l’affaire O’Neill se distingue de la présente requête dans la mesure où les documents dans l’affaire O’Neill avaient été saisis grâce à un mandat de perquisition émis de façon invalide. Des dossiers ont été saisis en application d’une disposition de la Loi qui a ensuite été jugée inconstitutionnelle. Les faits que j’ai devant moi ne correspondent pas à ceux de l’affaire O’Neill, mais à ceux des affaires Piersanti, Romanuk et Bauer. Par conséquent, bien que la Cour dispose du pouvoir d’accorder des réparations au titre de l’article 24 de la Charte conformément à son régime légal, il est évident et manifeste que je ne peux accorder une réparation à l’appelant dans ces circonstances, car il n’y a pas eu atteinte à ses droits garantis par les articles 7 et 8.

[30] En conclusion, est accueillie la requête de l’intimée en radiation des éléments suivants : les paragraphes 5, 6, 7, 10, 12, 14 et 23; les passages du paragraphe 22 qui renvoient spécifiquement aux articles 7, 8 et 24 de la Charte; et les alinéas 18a), 18b), 18c), 18d) et 18f).

[31] L’intimée doit déposer et signifier une réponse aux actes de procédure de l’appelant qui n’ont pas été radiés dans les 60 jours suivant la date de cette ordonnance.

[32] Les dépens en faveur de l’intimée sont fixés à 1000 $, payables immédiatement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de février 2019.

« Diane Campbell »

Juge Campbell

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de février 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 47

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2015-4697(IT)G

INTITULÉ :

DAVID BROOKS et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 novembre 2018

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Diane Campbell

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 28 février 2019

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Craig C. Sturrock, c.r.

Avocate de l’intimée :

Me Christa Akey

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Craig C. Sturrock, c.r.

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 

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