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Dossier : 2016-1473(IT)G

ENTRE :

STELLARBRIDGE MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 10, 11, 12 et 13 avril et les 5, 6, 7 et 8 novembre 2018, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me David C. Nathanson, c.r.

Me Adrienne Woodyard (du 10 au 13 avril 2018, uniquement)

Me Ashley Boyes (du 5 au 8 novembre 2018, uniquement)

Avocates de l’intimée :

Me Dominique Gallant

Me Laura Rhodes

 

JUGEMENT

L’appel interjeté de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 par avis daté du 10 janvier 2014 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'avril 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2019 CCI 134

Date : 20190613

Dossier : 2016-1473(IT)G

ENTRE :


STELLARBRIDGE MANAGEMENT INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

I. APERÇU

1.  Appel

[1]  Le présent appel concerne la détermination de la juste valeur marchande, en date du 30 juin 2010 (la « date d’évaluation »), des terrains (les « terrains ») figurant dans l’inventaire de Stellarbridge Management Inc. (« Stellarbridge » ou l’« appelante ») et situés dans la ville de Bradford West Gwillimbury, en Ontario (« Bradford » ou la « ville »). Stellarbridge a acheté les terrains le 26 novembre 2006, pour un montant de 7,3 millions de dollars. Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2010, Stellarbridge a déduit, conformément au paragraphe 10(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LRC 1985, c. 1 (5e supp.), telle que modifiée (la « Loi »), le montant de 1,91 million de dollars (la « déduction ») en raison de la diminution de la juste valeur marchande des terrains par rapport à leur coût. Stellarbridge était d’avis que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 5,39 millions de dollars.

[2]  Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une nouvelle cotisation pour Stellarbridge et a refusé la déduction. Dans un avis de confirmation daté du 11 mars 2016, le ministre a confirmé la nouvelle cotisation au motif que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 8 millions de dollars. Dans sa réponse modifiée, l’intimée est d’avis que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’était pas inférieure à un montant de 7,3 millions de dollars. Selon l’intimée, comme la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’était pas inférieure à leur coût, Stellarbridge n’avait pas droit à la déduction.

[3]  À l’audience, les parties ont appelé cinq témoins, soit M. Galliano Tiberini, président de Stellarbridge, M. Geoff McKnight, directeur municipal ou chef des services municipaux de Bradford, et trois témoins experts (M. Galluzzo, M. Carlson et Mme Otway).

[4]  Dans les présents motifs, toute mention d’une disposition législative renvoie aux dispositions de la Loi, sauf indication contraire.

II. FAITS ET PROCÉDURES

1.  Exposé conjoint des faits partiel

[5]  Les parties ont produit un exposé conjoint des faits partiel, qui est rédigé ainsi :

[traduction] La demanderesse et le défendeur, par l’entremise de leurs avocats respectifs, reconnaissent les faits suivants, mais ces admissions sont cependant seulement faites aux fins des besoins de la présente instance.

  1. L’appelante a été constituée en personne morale en vertu des lois onteriennes. Son siège social est situé au 111, CredistoneRoad, Concord (Ontario), L4K 1N3.

  2. Les activités de l’appelante portent notamment sur l’acquisition, l’aménagement et la vente de terrains pour le marché de l’habitation.

  3. Tout au long de l’année d’imposition ayant pris fin le 30 juin 2010 (l’« année d’imposition 2010 »), l’appelante a eu dans son inventaire des terrains situés dans la ville de Bradford, WestGwillimbury, en Ontario (les « terrains »).

  4. Les terrains ont été achetés par l’appelante le 26 novembre 2006, pour le prix de 7 300 000 dollars.

  5. La dimension des terrains est d’environ 120,29 acres.

  6. La superficie aménageable nette des terrains est d’environ 72,71 acres.

  7. Dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2010, l’appelante a déduit un montant de 1,91 million de dollars (la « déduction ») en lien avec les terrains.

  8. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi une cotisation initiale à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2010 au moyen d’un avis daté du 17 janvier 2011.

  9. Dans un avis de nouvelle cotisation daté du 10 janvier 2014, le ministre a refusé la déduction de l’année d’imposition 2010 en lien avec les terrains.

  10. Dans un avis d’opposition daté du 22 janvier 2014, l’appelante s’est opposée à la nouvelle cotisation; dans un avis de confirmation daté du 11 mars 2016, le ministre a confirmé la nouvelle cotisation.

2.  Activités de Stellarbridge

[6]  M. Tiberini et sa famille contrôlent un groupe de plus de 90 sociétés (dont Stellarbridge) dont les activités sont liées à la fabrication, à l’approvisionnement et à l’homologation de systèmes de bâtiments, à la production et à la vente de pièces d’auto partout dans le monde, à la construction d’infrastructures, de maisons et de bâtiments industriels, à l’aménagement de terrains et à la gestion de diverses propriétés. Lesdites sociétés sont des joueurs importants dans leur milieu respectif.

[7]  Plus précisément, les activités de Stellarbridge incluent l’acquisition, l’aménagement et la vente de terrains pour le marché de l’habitation. Au cours des cinq à dix dernières années, Stellarbridge a acheté des terrains vacants qu’elle a aménagés ensuite de manière à les doter des services publics nécessaires pour que la construction domiciliaire puisse commencer. Stellarbridge voit à l’aménagement des terrains, puis une autre société du groupe construit les maisons. Les activités du groupe sont intégrées verticalement et sont menées dans le sud de l’Ontario. M. Tiberini a travaillé dans le milieu de l’aménagement de terrains durant les 35 à 40 dernières années. Par l’intermédiaire de Stellarbridge et d’autres sociétés du groupe, M. Tiberini a personnellement participé à 50 ou 60 projets d’aménagement de terrains.

3.  Les terrains

[8]  M. Tiberini a affirmé dans son témoignage qu’il avait pris la décision d’acheter les terrains en 2006. Le projet avait pour objectif l’aménagement des terrains et la construction de maisons. À cette époque, Stellarbridge possédait également une parcelle de terrain située juste en face des terrains, laquelle avait été achetée en 2000 ou à peu près (« Bradford Capital »). M. Tiberini a affirmé dans son témoignage que le projet Bradford Capital n’était pas encore achevé à la date de l’audience, puisque la construction d’une maison était toujours en cours sur cette parcelle de terrain. En 2006, les travaux relatifs au projet Bradford Capital n’avaient pas encore commencé.

[9]  Le prix d’achat des terrains a été établi en 2006. Un groupe d’employés de Stellarbridge, notamment des ingénieurs, des planificateurs, des avocats et des comptables, se sont réunis pour déterminer ce prix d’achat. Selon M. Tiberini, le calcul du prix d’achat tenait compte de la valeur des terrains par acre aménageable, et du temps nécessaire pour leur aménagement, en plus des coûts connexes (par exemple, le coût de la terre de remblai); ce montant a ensuite été comparé au prix auquel un lot résidentiel se vendrait dans quatre à cinq ans, et ajusté de manière à garantir que le projet serait rentable.

[10]  Après examen des terrains de son inventaire et en fonction de ses connaissances du milieu, M. Tiberini a estimé qu’à la date d’évaluation, la valeur des terrains avait diminué d’au moins [traduction] « un quart ». Dans une lettre datée du 4 décembre 2012 adressée à l’Agence du revenu du Canada, M. Tiberini a énuméré les facteurs allant dans le sens de la diminution de la juste valeur marchande des terrains (qui incluait les coûts propres au site, définis ci-dessous) et justifiant la déduction réclamée. M. Tiberini a affirmé dans son témoignage qu’il avait eu connaissance des facteurs donnant lieu aux coûts propres au site et autres faits expliquant la diminution de la valeur des terrains durant la préparation du plan préliminaire de lotissement. En l’espèce, un plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010, préparé par KLM Planning Partners Inc., qui devait vraisemblablement être approuvé par la Ville, a été produit en preuve. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que la préparation d’un plan préliminaire de lotissement nécessite des études poussées et des « discussions » avec la municipalité, et la date du 28 octobre 2010 n’est peut-être pas un bon indicateur du moment auquel l’appelante a pris connaissance des facteurs donnant lieu aux coûts propres au site. Ainsi, selon M. Galluzzo, l’appelante aurait été mise au courant de ces questions avant le 28 octobre 2010 en raison de tout le temps nécessaire pour préparer un plan préliminaire de lotissement.

[11]  M. Tiberini était d’avis qu’à la date d’évaluation, les terrains valaient environ 5,4 millions de dollars. Toutefois, aucune évaluation des terrains n’a été faite en juin 2010.

4.  Preuve d’expert

[12]  Selon M. John Galluzzo du Groupe Altus, que j’ai qualifié de témoin expert aux fins de l’évaluation des terrains à la date d’évaluation, la juste valeur marchande des terrains à cette date était de 5 650 000 dollars, tel qu’il est indiqué en détail dans son rapport (pièce A-9 telle que modifiée par la pièce A-10) (le « rapport Galluzzo »). Selon Mme Terri Otway de l’Agence du revenu du Canada, que j’ai aussi qualifié de témoin expert pour les fins de l’évaluation des terrains à la date d’évaluation, la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 13 833 000 dollars, tel qu’il est indiqué en détail dans son rapport (pièce R-9) (le « rapport Otway »). Chacun des témoins experts a utilisé une méthode d’évaluation différente pour en arriver au montant indiqué. M. Galluzzo a utilisé la « méthode du lotissement » et a confirmé le résultat obtenu avec cette méthode en le comparant avec le résultat obtenu avec la « méthode de comparaison directe ». Cependant, Mme Otway s’est appuyée uniquement sur la méthode de comparaison directe. Elle a également comparé les propriétés en fonction de leur superficie brute plutôt qu’en fonction de leur superficie aménageable nette.

[13]  Contrairement à M. Galluzzo, Mme Otway n’a pas pris en compte les coûts suivants dans la valeur des terrains (ensemble les « coûts propres au site ») : i) 250 000 dollars : le coût estimé de la construction d’un second accès routier sécurisé depuis Simcoe Road le long de Danube Lane afin de faciliter l’approbation du plan préliminaire de lotissement; ii) 300 000 dollars : le coût estimé de remise en état du cimetière des Premières Nations, touchant environ 20 acres dans le quadrant sud-est des terrains; iii) 2 959 000 dollars : coût estimé pour l’importation de terre de remblai; iv) 750 000 dollars : hausse estimée des coûts financiers des terrains en raison du retard dans la mise en place des services publics. M. Galluzzo a présenté les coûts propres au site comme conditions hypothétiques dans son rapport d’évaluation et a pris en considération ces coûts dans l’établissement de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

[14]  J’ai qualifié M. Orjan Carlson de Urban Ecosystems Limited (« UEL ») de témoin expert concernant la nécessité d’importer, de placer et de compacter de la terre de remblai sur les terrains et le coût de ces activités. M. Carlson a produit un rapport d’expert dans lequel il a estimé à 2 959 000 dollars le coût relatif à l’importation de terre de remblai sur les terrains à la date d’évaluation (le « rapport UEL »).

III. QUESTION EN LITIGE

[15]  L’unique question en litige en l'espèce est de savoir si l’appelante a droit à la déduction. Pour répondre à cette question, je dois rechercher si la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était inférieure à leur coût (soit 7,3 millions de dollars) et, si tel est le cas, calculer le montant de la différence entre la juste valeur marchande des terrains et le coût des terrains.

IV. LE DROIT

[16]  Les dispositions législatives applicables se lisent comme suit :

9(1) Revenu — Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

[…]

10(1) Évaluation des biens figurant à l’inventaire — Pour le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition tiré d’une entreprise qui n’est pas un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, les biens figurant à l’inventaire sont évalués à la fin de l’année soit à leur coût d’acquisition pour le contribuable ou, si elle est inférieure, à leur juste valeur marchande à la fin de l’année, soit selon les modalités réglementaires.

9(1) Income — Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property is the taxpayer’s profit from that business or property for the year.

. . . 

10(1) Valuation of inventory — For the purpose of computing a taxpayer’s income for a taxation year from a business that is not an adventure or concern in the nature of trade, property described in an inventory shall be valued at the end of the year at the cost at which the taxpayer acquired the property or its fair market value at the end of the year, whichever is lower, or in a prescribed manner.

[Non souligné dans l’original.]

V. LES THÈSES DES PARTIES

1.  L’appelante

[17]  L’appelante est d’avis qu’elle s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui était imposé en démontrant que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 5 650 000 dollars. Comme la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était inférieure à leur coût, la déduction au montant de 1 650 000 dollars doit être accordée, dans le calcul du revenu de Stellarbridge pour l’année d’imposition 2010, conformément au paragraphe 10(1).

[18]  Notre Cour doit reconnaître l’évaluation des terrains faite par M. Galluzzo, et expliquée en détail dans le rapport Galluzzo, comme reflétant la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation, en tenant compte des coûts propres au site. La méthode du lotissement constitue la méthode d’évaluation appropriée. En outre, le rapport UEL contient une estimation raisonnable et fiable des coûts relatifs à l’importation de terre de remblai à la date d’évaluation.

[19]  Selon l’appelante, je dois rejeter l’évaluation de Mme Otway et le rapport Otway, étant donné que Mme Otway a fait des erreurs importantes dans son rapport; plus précisément, elle a utilisé la mauvaise méthode. De plus, Mme Otway a commis les erreurs suivantes : elle n’a pas parcouru les terrains, ou demandé à avoir accès aux terrains, ni demandé des renseignements à l’appelante; elle a tenu compte de facteurs sans pertinences; elle a fondé son analyse sur la superficie brute des terrains plutôt que sur la superficie aménageable nette des terrains; elle n’a pas tenu compte des coûts propres au site dans son évaluation.

2.  L’intimée

[20]  Selon l’intimée, la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’était pas inférieure à 7,3 millions de dollars. Comme la juste valeur marchande des terrains n’était pas inférieure à leur coût, la déduction doit être refusée.

[21]  Compte tenu des questions relatives à l’admissibilité du rapport Galluzzo, aux termes de l’article 145 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), et de la fiabilité des éléments de preuve produits à l’audience, il ne faut pas s’appuyer sur le rapport Galluzzo; pour cette raison, l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait et l’appel doit être rejeté.

[22]  Toutefois, l’intimée est d’avis que, si je devais conclure que le rapport Galluzzo est admissible, les éléments de preuve produits à l’audience par M. Galluzzo ne sont pas suffisamment indépendants et fiables. La Cour ne doit pas tenir compte des méthodes employées par M. Galluzzo pour évaluer les terrains, étant donné qu’il a apporté divers ajustements sans produire de données : il a décidé d’évaluer les terrains en se fondant sur la superficie aménageable nette et non sur la superficie brute; il n’a attribué aucune valeur aux terres protégées selon des critères environnementaux, ce qui constitue une erreur; il a tenu compte des coûts propres au site sans vérifier si ces coûts pouvaient également s’appliquer aux ventes comparables sur lesquelles il s’est appuyé dans son analyse.

[23]  De plus, en ce qui concerne les coûts propres au site, l’intimée est d’avis qu’il ne faut pas en tenir compte dans l’évaluation des terrains, puisque l’appelante n’a pas réussi à établir qu’à la date d’évaluation, elle avait connaissance de ces coûts ou des facteurs y donnant lieu. Le témoignage de M. Tiberini n’était pas fiable, sous plusieurs aspects. Par contre, sur ces mêmes questions, la Cour doit retenir le témoignage de M. McKnight, qui s’est révélé un témoin crédible et fiable. L’intimée remet également en question le résultat auquel est arrivé M. Carlson dans son estimation du coût pour l’importation de terre de remblai à la date d’évaluation.

[24]  Fait plus important encore, selon l’intimée, la Cour doit rejeter la méthode du lotissement, utilisée dans le rapport Galluzzo, puisque cette méthode contient de trop nombreuses estimations et des chiffres non fondés.

VI. ANALYSE

[25]  Dans le calcul du revenu que le contribuable tire d’une entreprise en application de l’article 9, le paragraphe 10(1) exige que les biens figurant à l’inventaire soient évalués à la fin de l’année soit à leur coût d’acquisition pour le contribuable ou, si elle est inférieure, à leur juste valeur marchande. L’article 9 et le paragraphe 10(1) donnent à l’appelante le droit à une déduction si la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation est inférieure à leur coût. Pour avoir droit à une déduction dans le calcul de son revenu, l’appelante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était inférieure à 7,3 millions de dollars (coût non controversé des terrains).

[26]  J’examinerai d’abord les principes d’évaluation pertinents à appliquer en l’espèce et trancherai la question de savoir s’il convenait de prendre en considération les coûts propres au site dans l’évaluation des terrains à la date d’évaluation. Ensuite, je trancherai la question de savoir si le rapport Galluzzo doit être exclu, en tout ou en partie, parce qu’il ne répond pas aux exigences de l’article 145 des Règles. Enfin, j’examinerai la preuve des experts et déterminerai la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

1.  Principes d’évaluation applicables et coûts propres au site

  1. Principes d’évaluation aux termes de la Loi

[27]  La Loi ne définit pas l’expression « juste valeur marchande ». Le juge Cattanach de la Cour fédérale a donné à cette expression la définition suivante à l'occasion de l’affaire Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 73 DTC 5471, [1973] CTC 636 [Succession Henderson] (p. 5476 OTC) :

[...] Dans son sens courant, me semble-t-il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. [...]

[28]  Cette définition a été favorablement citée à maintes reprises par la Cour d’appel fédérale et notre Cour (voir Canada (Procureur Général) c. Nash, 2005 CAF 386, 2005 DTC 5696; Canada c. Gilbert, 2007 CAF 136, 2008 DTC 6295 [Gilbert]; Kruger Wayagamack Inc. c. La Reine, 2015 CCI 90, 2015 DTC 1112).

[29]  Le problème classique des difficultés inhérentes à la détermination de la juste valeur marchande d’immobilisations a été bien formulé dans l’arrêt Gold Coast Selection Trust Ltd. v. Humphrey (Inspector of Taxes), [1948] A.C. 459, [1948] 2 All ER 379, un arrêt de principe rendu par la Chambre des Lords. Le vicomte Simon a énoncé à la page 473 :

[TRADUCTION] [...] Si le bien est difficile à évaluer, mais s’il a néanmoins une valeur pécuniaire, il faut procéder à la meilleure évaluation possible. L’évaluation est un art, et non une science exacte. La certitude mathématique n’est pas nécessaire, ni certainement possible. Il revient aux commissaires de formuler leur estimation en attribuant une valeur pécuniaire au bien, et il s’agit là d’une conclusion de fait à tirer d’après la preuve dont ils disposent.

[30]  Toute recherche relative à la juste valeur marchande d’un bien est surtout fondée sur les connaissances d’acheteurs informés et disposés à acheter au moment opportun. Cela ressort de la définition de la juste valeur marchande consacrée par la jurisprudence Succession Henderson, citée précédemment et avalisée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gilbert, précité, au paragraphe 18 :

[...] le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre. J’ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l’expression « juste valeur marchande » comprend ce que j’estime être l’élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l’offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et disposés à acheter et à vendre. [...]

[31]  Plus récemment, le juge Boyle de notre Cour a reconnu que la définition de la juste valeur marchande dans une affaire fiscale « fait [...] renvoi à des acheteurs avertis et disposés à acheter » (McCuaig Balkwill c. La Reine, 2018 CCI 99, 2018 DTC 1084 (au paragraphe 14)).

[32]  De plus, comme l’a observé la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Trask v. Groves Memorial Community Hospital, 2014 ONSC 26, lorsqu’on évalue un bien, [traduction] « [...] il n’y a pas lieu de tenir compte des faits et conditions qui n’étaient pas disponibles ou connus du public ou raisonnablement vérifiables par l’exercice d’une diligence raisonnable à la date d’évaluation » (paragraphe 31).

[33]  Enfin, notre Cour est libre de retenir l’opinion d’un expert, ou de faire sa propre estimation de la valeur compte tenu des éléments de preuve présentés à l’audience (Petro­Canada c. Canada, 2004 CAF 158, 2004 DTC 6329, au paragraphe 48).

  1. Coûts propres au site

[34]  Comme je l’ai indiqué plus haut, Mme Otway, contrairement à M. Galluzzo, n’a pas tenu compte des coûts propres au site dans l’évaluation des terrains.

[35]  L’intimée semble faire valoir qu’étant donné que l’appelante a pris connaissance des facteurs donnant lieu aux coûts propres au site à la date d’acquisition ou vers la date d’acquisition des terrains, la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’était pas inférieure au coût des terrains. Cependant, je suis d’avis que la connaissance qu’avait l’appelante, à la date d’acquisition des terrains, de la présence ou de la possibilité de présence de facteurs donnant lieu aux coûts propres au site ne signifie pas nécessairement que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’était pas inférieure à leur coût. Comme l'enseigne la jurisprudence, la recherche relative à la juste valeur marchande des terrains doit se concentrer sur le prix des terrains à la date d’évaluation auquel en arriveraient l'acheteur et le vendeur avertis et disposés à acheter et à vendre, prix déterminé de manière objective en fonction des renseignements connus à la date d’évaluation.

[36]  Les témoignages portant sur la connaissance qu’avait l’appelante peuvent aider à déterminer quels faits étaient connus à la date d’évaluation. Le témoignage de M. Tiberini constitue le principal élément de preuve attestant la connaissance qu’avait l’appelante des facteurs donnant lieu aux coûts propres au site à la date d’évaluation. Par conséquent, si M. Tiberini n’était pas au courant des faits qui ont une incidence sur la juste valeur marchande des terrains, il peut être raisonnable de conclure que l’acheteur averti et disposé à acheter a pu ne pas être au courant de ces faits. Inversement, si M. Tiberini était au courant des faits qui ont une incidence sur la juste valeur marchande des terrains, il peut être raisonnable de conclure que l’acheteur averti et disposé à acheter a pu être au courant de ces faits et en tenir compte dans le calcul du prix des terrains. En outre, il convient de prendre en considération d’autres faits objectifs présentés en preuve à l’audience afin de trancher la question de savoir si les facteurs donnant lieu aux coûts propres au site étaient connus à la date d’évaluation.

[37]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, je suis d’avis que les coûts relatifs à la remise en état du cimetière des Premières Nations et à la construction du second accès routier depuis Simcoe Road ne peuvent être pris en considération dans l’évaluation des terrains à la date d’évaluation. Toutefois, pour les motifs également énoncés ci-dessous, je suis d’avis que le retard dans la mise en place des services publics était connu à la date d’évaluation et qu’il fallait en tenir compte dans l’évaluation des terrains, sous réserve de considérations liées à la méthodologie employée par l’évaluateur foncier : le montant de 750 000 dollars est raisonnable à cet égard. De plus, je suis d’avis que la nécessité d’importer de la terre de remblai était également connue à la date d’évaluation et qu’il fallait en tenir compte dans l’évaluation des terrains : le montant de 1 965 600 dollars est raisonnable à cet égard.

a)  Cimetière des Premières Nations

[38]  M. Tiberini a dit dans son témoignage que lors de la seconde étude environnementale exigée par la ville, des restes humains vieux de plusieurs siècles ont été retrouvés dans le quadrant sud-est des terrains, et un lieu d'habitation des Premières Nations a été découvert. Des bandes et des experts des Premières Nations sont intervenus et les terrains ont été creusés par une équipe d’archéologues; le processus a été très laborieux. Selon M. Tiberini, le cimetière des Premières Nations a été découvert en 2009 ou en 2010, avant la préparation du plan préliminaire de lotissement. À la date d’évaluation, M. Tiberini ne connaissait pas le nombre exact d’études supplémentaires qui seraient nécessaires, ni les coûts relatifs à la remise en état des terrains. L’appelante n’avait pas signé de contrat avec une entreprise d’assainissement à la date d’évaluation, mais connaissait l’étendue de la zone excavée (environ 20 acres de la parcelle).

[39]  Le rapport Galluzzo faisait référence à un coût estimé de remise en état de 300 000 dollars pour le cimetière des Premières Nations comme condition hypothétique considérée dans l’évaluation des terrains. M. Galluzzo a réduit la juste valeur marchande des terrains du montant de 300 000 dollars afin de tenir compte de ces coûts de remise en état. Dans son témoignage, M. Galluzzo a indiqué que sa cliente, Stellarbridge, lui avait fourni l’estimation des coûts de remise en état. M. Galluzzo a également indiqué dans son témoignage que les coûts réels engagés par Stellarbridge pour la remise en état s’élevaient à environ 380 000 dollars. Une fois encore, Stellarbridge a fourni cette information à M. Galluzzo.

[40]  Le témoignage de M. Galluzzo quant aux coûts réels engagés par Stellarbridge pour la remise en état du cimetière des Premières Nations est inadmissible, à titre de ouï-dire, en preuve des faits invoqués (Wilband v. The Queen, [1967] S.C.R. 14). Qui plus est, les éléments de preuve présentés à l’audience par M. Galluzzo sur la question de l’estimation des coûts de remise en état à la date d’évaluation constituent également du ouï-dire et ne sont pas admissibles pour établir la véracité de leur contenu. Il était toutefois loisible à M. Galluzzo de fonder son opinion sur l’hypothèse portant que les coûts estimés de remise en état étaient de 300 000 dollars à la date d’évaluation, mais je ne tiendrai pas compte du témoignage de M. Galluzzo sur cette question. L’information provenait de Stellarbridge, qui est partie au litige, et aucun élément de preuve indépendant n’a été présenté à l’audience allant dans le sens de cette estimation des coûts.

[41]  Comme l’a observé le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. Lavallee, [1990] 1 RCS 852 [Lavallee], à la page 900 :

Lorsque, toutefois, les données sur lesquelles un expert fonde son opinion proviennent d’une partie au litige ou d’une autre source fondamentalement suspecte, un tribunal devrait exiger que ces données soient établies par une preuve indépendante. [...]

[42]  Toutefois, je retiens le témoignage de M. Tiberini, selon lequel le cimetière des Premières Nations a été découvert avant la date d’évaluation. Il ressort également des éléments de preuve que l’existence du cimetière des Premières Nations sur les terrains était une information publique. Par conséquent, l'acheteur averti et disposé à acheter aurait été au courant de l’existence du cimetière des Premières Nations à la date d’évaluation. La difficulté en l’espèce tient au manque d’éléments de preuve concernant l’estimation des coûts de remise en état du cimetière des Premières Nations. Aucun document n’a été produit en preuve à l'appui du montant estimé des coûts de remise en état. Dans son témoignage, M. Galluzzo a mentionné le rapport de conseil technique d’UEL contenant les coûts estimés d’aménagement relativement au plan préliminaire de lotissement existant (rapport Galluzzo, annexe A : le rapport d’estimation des coûts d’UEL), lequel indiquait un budget de 300 000 dollars pour une [traduction] « étude archéologique (phase II) ». Toutefois, à l’audience, M. Tiberini n’a pas précisé dans son témoignage le montant estimé des coûts de remise en état ni expliqué comment il en était arrivé à ce montant.

[43]  L’appelante n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que le montant de 300 000 dollars constitue une estimation raisonnable des coûts de remise en état. Par conséquent, je suis d’avis que les coûts relatifs au cimetière des Premières Nations ne peuvent être pris en considération dans la détermination de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

b)  Accès depuis Simcoe Road

[44]  M. Tiberini a témoigné que la nécessité de construire un second accès routier au site depuis Simcoe Road était connue durant les négociations en vue d’obtenir l’approbation du plan préliminaire de lotissement, soit avant la date d’évaluation. Comme il existait déjà une entrée au site, qui avait seulement besoin d’être élargie pour répondre aux normes municipales, il croyait que la ville exproprierait une partie d’un terrain appartenant à une église pour permettre l’élargissement de l’entrée. Si la ville avait procédé par voie d’expropriation, la construction de l’accès routier aurait coûté beaucoup moins cher. M. Tiberini a témoigné que parce que la ville a refusé de procéder à l’expropriation, Stellarbridge n’a pas eu d’autre choix que de négocier avec l’église, qui demandait 1,8 million de dollars pour la petite bande de terrain nécessaire à l’élargissement de l’entrée. Selon M. Tiberini, ce prix était déraisonnable et il a fallu envisager un autre plan. L’appelante a acheté une parcelle de terrain additionnelle d’un acre dans la partie sud du site, sur laquelle était érigée une maison, afin de permettre la construction de la seconde entrée au site depuis Simcoe Road pour répondre aux normes municipales.

[45]  Selon M. McKnight, l’appelante aurait pour la première fois été informée du nombre de points d’accès requis depuis Simcoe Road par l’intermédiaire du processus d’élaboration du plan secondaire (ou plan communautaire de Green Valley), qui a débuté à l’automne 2005, et au plus tard au moment de l’approbation et de l’adoption du plan secondaire par le conseil de ville en mai 2008. M. McKnight a témoigné que le processus d’élaboration du plan secondaire est un processus public : une équipe de consultants embauchée par la ville fait des recommandations à la ville. Selon M. McKnight, Stellarbridge aurait certainement participé à ce processus.

[46]  Le témoignage de M. McKnight corroborait le témoignage de M. Tiberini, en ce sens que la nécessité de construire un second accès routier était connue à la date d’évaluation ou avant la date d’évaluation. Toutefois, comme je l’ai indiqué précédemment, la question de savoir si M. Tiberini était au courant ou non de la question avant ou à la date d’acquisition des terrains n’est pas pertinente pour la détermination de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

[47]  Selon M. Galluzzo, et d’après les renseignements que lui a fournis l’appelante, le coût estimé de construction de cette seconde entrée au site depuis Simcoe Road s’élevait à 250 000 dollars. Le rapport Galluzzo faisait référence à un coût estimé de 250 000 dollars pour la construction d’une seconde entrée au site depuis Simcoe Road comme condition hypothétique prise en considération dans l’évaluation des terrains. M. Galluzzo a réduit la juste valeur marchande des terrains d’un montant de 250 000 dollars afin de tenir compte de ce coût.

[48]  À l’instar de son témoignage déjà mentionné relatif au cimetière des Premières Nations, le témoignage de M. Galluzzo concernant le coût estimé de construction d’un accès routier à la date d’évaluation n’est pas admissible pour établir la véracité de son contenu, puisqu’il s’agit de ouï-dire et que la Cour ne peut en tenir compte. Une fois encore, cette information provenait de Stellarbridge, qui est partie à la présente procédure contentieuse, et aucun élément de preuve indépendant n’a été présenté à l’audience à l'appui de cette estimation du coût de construction. M. Tiberini n’a pas parlé dans son témoignage des coûts relatifs à la construction de cette seconde entrée, ni fourni à la Cour des documents attestant de tels coûts. En outre, aucun élément de preuve n’a été présenté concernant les facteurs pris en considération dans le calcul d’un coût estimé de construction de 250 000 dollars.

[49]  Compte tenu des éléments de preuve présentés à l’audience, je suis d’avis qu’à la date d’évaluation, l'acheteur averti et disposé à acheter aurait eu connaissance de l’obligation de construire une seconde entrée depuis Simcoe Road. Comme pour la question du cimetière des Premières Nations, la difficulté en l’espèce tient au manque d’éléments de preuve concernant le montant nécessaire pour la construction de l’accès routier. À l’audience, M. Tiberini n’a pas indiqué dans son témoignage comment il en était arrivé au coût estimé de construction de l’accès routier. Aucun document appuyant cette estimation n’a été présenté à la Cour.

[50]  L’appelante n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que le montant de 250 000 dollars constitue une estimation raisonnable des coûts de construction du second accès routier au site. Je suis d’avis que les coûts relatifs au second accès routier ne peuvent être pris en considération dans la détermination de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

c)  Retard dans la mise en place des services publics

[51]  Le plan secondaire inclut un document intitulé « Master Environmental Servicing Plan » (plan de services directeur ou MESP), un document de fond préparé durant l’élaboration du plan secondaire. Le processus d’élaboration du MESP aurait également débuté à l’automne 2005. Le MESP est principalement un exercice technique permettant de voir comment un nouveau quartier peut être doté des services publics nécessaires, comme les réseaux d’égout et d’aqueduc, et de gestion des eaux pluviales; le plan aurait fait référence à la nécessité de la station de pompage de Green Valley et à la construction d’un réseau connexe de conduites principales et de canalisations forcées à travers le réseau routier municipal jusqu’à l’usine de gestion des eaux usées.

[52]  M. McKnight a témoigné que Bradford comptait sur une taxe de lotissement ou une redevance d’aménagement pour financer la construction de l’infrastructure nécessaire pour répondre aux demandes de services publics pour les nouveaux quartiers. La taxe de lotissement ou redevance d’aménagement est une taxe par unité perçue des promoteurs quand ils font une demande de permis de construction. Dans ces circonstances, Bradford aurait dû emprunter de l’argent à l’avance pour financer les infrastructures. M. McKnight a témoigné qu’il existait une autre façon de financer les infrastructures sans qu’il soit nécessaire d’emprunter de l’argent : la ville pouvait signer une entente de paiement anticipé (une « EPA ») avec les promoteurs résidentiels. Les ententes de paiement anticipé permettaient à la ville de Bradford de collecter les redevances d’aménagement plus tôt, même avant la construction des infrastructures elles-mêmes. Selon M. McKnight, les ententes de paiement anticipé ne sont pas uniques à Bradford. La ville a suivi cette approche au cours des dernières années pour financer une partie des grands projets situés sur son territoire, y compris sur les terrains en cause. Lorsqu’un promoteur signe une entente de paiement anticipé, il reçoit une allocation d’eau et une allocation d’eaux usées pour la mise en place des services publics sur les lots qui doivent être aménagés. L’entente de paiement anticipé 1 a été signée en janvier 2007. Les négociations entre les parties ont duré de 8 à 12 mois. Selon M. McKnight, la ville avait communiqué avec les propriétaires terriens qui auraient pu être intéressés à signer une entente plus tôt en 2006. L’entente de paiement anticipé 2 a été signée en 2010 (comme elle avait été autorisée par la ville le 7 septembre 2010, toutes les parties auraient signé avant cette date) à titre de modification à l’entente de paiement anticipé 1. L’entente de paiement anticipé 1 et l’entente de paiement anticipé 2 ont permis à la Ville de Bradford d’obtenir des fonds pour les infrastructures nécessaires pour l’approvisionnement en eau et les eaux usées (expansion de l’usine de traitement des eaux usées, la construction d’une large conduite principale permettant le raccordement à une municipalité voisine, et la conception et la construction de la station de pompage de Green Valley, en plus de la construction du système connexe de conduites principales et de canalisations forcées à travers le réseau routier municipal jusqu’à l’usine de gestion des eaux usées.

[53]  M. McKnight a témoigné que la ville n’avait pas prévu en 2010 qu’il y aurait un retard dans la construction de la station de pompage de Green Valley. La ville espérait que la station de pompage et les égouts principaux seraient opérationnels en 2010. La station de pompage de Green Valley devait débuter ses opérations en 2010. Toutefois, la construction n’a pas commencé avant 2014; la station était pratiquement terminée à la fin de 2015 et pleinement en service en 2016. Selon M. McKnight, cela a donné lieu à un retard d’un à deux ans dans les projets d’aménagement. Les retards dans la mise en place des services municipaux ont touché tous les promoteurs de Bradford entre 2006 et 2010, et non uniquement Stellarbridge.

[54]  M. Tiberini a témoigné qu’il savait qu’il y avait des problèmes d’approvisionnement en eau quand Stellarbridge a acheté les terrains en 2006. Avec la signature de l’entente de paiement anticipé 1 et de l’entente de paiement anticipé 2, il croyait que le problème serait résolu, puisque Stellarbridge avait payé à l’avance les redevances d’aménagement à la ville de Bradford, qui s’élevaient à 4,2 millions de dollars. Toutefois, l’allocation d’eau reçue en vertu de l’entente de paiement anticipé 1 et l’entente de paiement anticipé 2 n’était pas suffisante pour desservir tous les lots. Il y a également eu des problèmes avec les égouts sanitaires. De plus, Bradford n’a pas procédé à la construction de la station de pompage de Green Valley et du système connexe de conduites principales et de canalisations forcées qui étaient prévus en vertu de l’entente de paiement anticipé 1 et de l’entente de paiement anticipé 2.

[55]  Selon M. Tiberini, il est devenu manifeste en 2010 que Bradford était en difficulté financière et n’avait pas les moyens d’assumer les coûts relatifs à la mise en place des infrastructures pour l’aménagement de nouveaux lotissements (infrastructure sanitaire, approvisionnement en eau et routes). La ville devait entreprendre ces travaux pour que Stellarbridge puisse pleinement aménager les terrains. M. Tiberini a témoigné qu’en 2010, il ne savait pas quand Stellarbridge serait en mesure de doter les lots sur les terrains des services nécessaires, puisque l’aménagement des lots nécessitait la construction de la station de pompage de Green Valley et du système connexe de conduites principales et de canalisations forcées à travers le réseau routier municipal jusqu’à l’usine de gestion des eaux usées. M. Tiberini ne savait pas exactement à quel moment les services publics seraient en place. Selon M. Tiberini, en 2010, il pensait que ce projet ne pourrait être achevé avant 2015 au plus tôt ou même avant 2016. De plus, la capacité en eau de Bradford était insuffisante pour permettre le plein aménagement des terrains. En 2010, M. Tiberini prévoyait que les services publics seraient en place au plus tôt d’ici quatre à cinq ans. M. Tiberini a affirmé qu’en date d’avril 2018, les terrains ne disposaient toujours pas de tous les services et n’avaient pas encore été pleinement aménagés, étant donné que l’allocation en eau était insuffisante.

[56]  Bradford et les promoteurs résidentiels ont alors signé l’entente de paiement anticipé 3. Selon M. McKnight, l’entente de paiement anticipé 3 a été signée en mars 2014 après une période de négociations de deux ans. Ainsi, les parties ont dû se rencontrer au printemps 2012. L’entente de paiement anticipé 3 différait quelque peu de l’entente de paiement anticipé 1 et de l’entente de paiement anticipé 2. Les contributions que devait faire Stellarbridge en application de l’entente de paiement anticipé 3 étaient élevées, totalisant environ 13 millions de dollars. M. McKnight est d’avis qu’à la date d’évaluation, un promoteur n’aurait pu connaître l’étendue des contributions à verser en vertu de l’entente de paiement anticipé 3. Toutefois, M. Tiberini a témoigné qu’il ne se souvenait pas exactement à quel moment les négociations avaient commencé relativement à l’entente de paiement anticipé 3, mais il a affirmé que c’est en 2009-2010 que Bradford a demandé aux promoteurs de signer l’entente de paiement anticipé 3. Dans son témoignage, M. Tiberini a affirmé qu’il faut tenir compte des contributions que devait verser Stellarbridge en application de l’entente de paiement anticipé 3 pour déterminer la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

[57]  Tout bien pesé, je suis d’avis qu’à la date d’évaluation un acheteur averti et disposé à acheter n’aurait pas eu connaissance de l’existence de l’entente de paiement anticipé 3 ni connu l’ampleur des contributions à verser en application de l’entente de paiement anticipé 3. Le témoignage de M. Tiberini quant à la date de l’entente de paiement anticipé 3 n’était pas clair et n’est pas plausible, étant donné que l’entente de paiement anticipé 2 a été signée en 2010. Je suis d’avis que les contributions versées en application de l’entente de paiement anticipé 3 (13 millions de dollars) ne peuvent être prises en compte dans l’établissement de la juste valeur marchande des terrains.

[58]  Toutefois, les témoignages de M. Tiberini et de M. McKnight ont clairement établi que la construction de la station de pompage de Green Valley et du système connexe de conduites principales et de canalisations forcées à travers le réseau routier municipal jusqu’à l’usine de traitement des eaux usées était essentielle avant que des projets d’aménagement puissent avoir lieu sur les terrains. À la date d’évaluation, la construction n’avait pas encore commencé.

[59]  À la date d’évaluation, un acheteur averti et disposé à acheter aurait su que la station de pompage de Green Valley et le système connexe de conduites principales et de canalisations forcées n’avaient pas encore été construits, que l’allocation en eau était insuffisante et qu’un certain retard dans les projets d’aménagement était à prévoir. Je conclus que le chiffre avancé par M. McKnight, concernant un retard d’un à deux ans dans les projets d’aménagement, est sous-estimé. Le témoignage de M. Tiberini est davantage plausible et crédible à cet égard.

[60]  Il ressort également des preuves que la construction de la station de pompage de Green Valley n’a commencé qu’en 2014. Même s’il s’agit d’éléments de preuve obtenus a posteriori, ils démontrent le caractère raisonnable de l’hypothèse avancée par M. Galluzzo, selon laquelle les projets d’aménagement seraient retardés en raison du retard dans la mise en place des services publics pour les terrains. M. Galluzzo a affirmé dans son rapport et dans son témoignage que la mise en place des services municipaux avait été retardée et qu’elle devait être achevée d’ici 2015 pour les terrains (à mi-chemin entre 2014 et 2018). M. Galluzzo a estimé le coût de ce retard à 750 000 dollars, en se fondant sur l’hypothèse d’un prêt de 5 millions de dollars à un taux d’intérêt de 5 % pour une période d’aménagement additionnelle de 3 ans.

[61]  Je suis d’avis qu’il est raisonnable de tenir pour acquis un retard additionnel de trois ans dans l’aménagement des terrains, comme il est indiqué dans le rapport Galluzzo, et sous réserve de ce qui est observé dans le paragraphe qui suit immédiatement, de tenir compte dans l’évaluation des terrains d’un coût estimé de 750 000 dollars en lien avec ce retard additionnel de trois ans dans l’aménagement des terrains.

[62]  Je reconnais qu'il ressort des éléments de preuve que le retard dans la mise en place des services publics jouerait pour tous les promoteurs de Bradford en 2010. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas inclure un certain montant pour ce retard dans l’évaluation des terrains. Je suis d’avis que la méthode employée par l’évaluateur sera pertinente pour déterminer ce montant. Selon la méthode du lotissement, il faudra tenir compte des estimations de coût pour le retard dans la mise en place des services publics. Toutefois, je suis d’avis que selon la méthode de comparaison directe, les lieux et les dates des ventes comparables utilisées par l’évaluateur permettront de déterminer si les estimations de coût pour le retard dans l’installation des services publics doivent être prises en compte dans l’évaluation.

d)  Importation de terre de remblai

[63]  M. McKnight a affirmé dans son témoignage que le plan secondaire et le plan de services directeur auraient indiqué que l’importation de terre de remblai serait nécessaire sur une certaine partie des terrains. En outre, le plan de services directeur soulignait que les terrains étaient assez plats, et qu’il faudrait procéder à du remplissage et à du nivellement pour assurer une pente suffisante pour permettre un écoulement efficace.

[64]  M. Tiberini a affirmé dans son témoignage que le défi le plus coûteux concernant les terrains avait trait à la nécessité d’importer de la terre de remblai. Ce facteur est très important pour les promoteurs, puisque la dépense pour importer de la terre de remblai est très élevée; par conséquent, les ingénieurs et les planificateurs s’assurent que les terrains sont au niveau quand ils planifient les routes et les services. Comme il n’était pas possible de mettre les terrains au niveau, une grande quantité de terre de remblai a dû être importée sur les terrains. Il a ensuite fallu déplacer, niveler et compacter cette grande quantité de terre de remblai. Tout cela a ajouté un coût imprévu dans l’aménagement des terrains.

[65]  Selon M. Tiberini, la quantité de terre de remblai à importer était connue aux environs de la date d’évaluation. Pendant qu’ils travaillaient à l’élaboration du plan intérimaire de lotissement, les planificateurs et les ingénieurs de l’appelante ont estimé la quantité de terre de remblai nécessaire à environ 200 000 à 250 000 mètres cubes. Toutefois, le coût réel n’était pas connu à la date d’évaluation. M. Tiberini a affirmé dans son témoignage qu’il restait encore 140 000 mètres cubes de terre de remblai à importer en 2018, en plus des 130 000 mètres cubes importés en 2017.

[66]  En 2013, l’appelante a demandé à M. Carlson et à sa firme, UEL, de déterminer le coût d’importation de terre de remblai pour les terrains. M. Carlson a témoigné que la quantité de terre de remblai nécessaire pour les terrains et le projet Bradford Capital était imposante. Il a également affirmé que la nécessité d’importer de la terre de remblai est très inhabituelle pour des lotissements résidentiels parce que le promoteur peut jouer avec la pente des terrains et les types d’habitation. Toutefois, il sera toujours nécessaire de déplacer et de compacter la terre de remblai. C’est autre chose pour les lotissements industriels étant donné qu’on a moins de souplesse. M. Carlson a indiqué qu’à part les terrains et le projet Bradford Capital, il ne connaissait que deux autres projets résidentiels pour lesquels il a fallu importer de la terre de remblai. M. Carlson a témoigné qu’une fois que UEL eut commencé à travailler sur le plan de conception préliminaire (soit avant l’élaboration du plan préliminaire de lotissement), elle a réalisé que les terrains manqueraient de terre de remblai, tout comme le projet Bradford Capital.

[67]  UEL a transmis une lettre d’opinion préliminaire datée du 25 avril 2013 (pièce R-2). En se fondant sur le plan de conception technique préliminaire, lequel contient un plan de nivellement préliminaire, et sur le plan préliminaire de lotissement, UEL a estimé qu’il était nécessaire d’importer un volume de terre de remblai pour les terrains de 168 000 mètres cubes (volume net, en raison du manque de terre de remblai), au coût de 12,50 dollars par mètre cube, pour un total de 2 100 000 dollars (sans tenir compte d’un coût pour le remplissage lui-même, parce que durant ces années, on ne payait pas pour le remplissage). Cette estimation portait sur un coût unitaire générique de 12,50 dollars par mètre cube, ce qui constituait une estimation raisonnable selon l’expérience de la firme. M. Carlson a témoigné que si on appliquait cette estimation à 2010 en utilisant les séries de l’indice des prix de la construction de l’Ontario, publiées par CanaData (l’« indice des prix de la construction »), le prix aurait été de 11,70 dollars par mètre cube, pour un coût total de remplissage de 1 965 600 dollars. M. Carlson a également indiqué dans son témoignage qu’en octobre 2009, sa firme avait préparé un rapport fonctionnel sur les services publics, un document qui vient appuyer le plan préliminaire de lotissement. Avec ce document, il aurait été en mesure d’estimer la quantité de terre de remblai nécessaire pour les terrains. L’estimation de coût indiquée dans sa lettre du 25 avril 2013 était fondée sur cette information.

[68]  En 2017, l’appelante a demandé à M. Carlson de revoir son estimation des coûts de remplissage de 2013. Le rapport d’expert de M. Carlson daté du 18 décembre 2017, le rapport UEL, a été produit comme pièce A-3. Selon ce rapport, le volume de terre de remblai qu’il faut importer sur les terrains est estimé à 254 000 mètres cubes, pour un coût total d’environ 2 959 000 dollars, d’après un prix de 11,65 dollars par mètre cube (prix pour 2010). Pour déterminer ce que cela aurait coûté en 2010, M. Carlson a utilisé l’indice des prix de la construction. De plus, UEL avait ses propres statistiques, qui ont été utilisées par M. Carlson. Les différences dans les résultats sont attribuables au fait qu’en 2017, UEL avait accès au plan final de conception technique (qui a été achevé en 2014), aux calculs détaillés de nivellement, et aux coûts réels associés à l’importation de terre de remblai pour le projet Bradford Capital engagés en 2016. Selon M. Carlson, les terrains Bradford Capital et les terrains en cause sont de taille semblable et situés directement les uns en face des autres; il était donc d’avis qu’il était approprié d’utiliser l’expérience de Bradford Capital pour faire les calculs pour les terrains.

[69]  Selon le rapport UEL, les coûts relatifs à l’importation de terre de remblai pour le projet Bradford Capital se sont élevés à 1 894 028,58 dollars pour 145 740 mètres cubes de terre de remblai importée. En 2016, le coût par mètre cube aurait été d’environ 13,00 dollars. M. Carlson a expliqué que, pour ajuster ces coûts afin qu’ils reflètent les coûts pour l’importation de terre de remblai en 2010, il a utilisé l’indice des prix de la construction. Pour juin 2010, l’indice composé était de 131,4 alors qu’il était de 146,7 pour juin 2016, ce qui représente un changement de 15,3 points, ou de 11,64 %. M. Carlson a expliqué qu’il aurait fallu réduire de 10,43 % le prix de 2016 de 13,00 dollars par mètre cube, ce qui donne 11,65 dollars par mètre cube, si les travaux avaient été effectués en 2010.

[70]  Selon M. Carlson, l’utilisation de l’indice des prix de la construction constitue la bonne façon de calculer le coût de la terre de remblai pour 2010, puisqu’une bonne partie de l’indice se rapporte au coût de l’équipement de construction. C’est la moins variable des variables. Les séries de l’indice des prix de la construction de l’Ontario incluent une large gamme de différents types de coûts de construction, mais une des composantes clés pour l’importation de terre de remblai, c’est bien sûr le coût de l’équipement de construction; pour estimer le coût de la terre de remblai, nous n’avons besoin ici que du coût de l’équipement lourd de construction, et ces pièces d’équipement ont des tarifs unitaires relativement normalisés en Ontario.

[71]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’est pas possible de se fonder sur le rapport UEL pour estimer le coût de l’importation de terre de remblai sur les terrains à la date d’évaluation, puisque ce rapport repose essentiellement sur des renseignements obtenus a posteriori. Quand il a préparé le rapport UEL, M. Carlson avait l’avantage de pouvoir utiliser le plan final de conception technique et il avait accès à des calculs détaillés de nivellement, renseignements qui n’étaient pas disponibles à la date d’évaluation. De plus, M. Carlson a utilisé les coûts engagés pour l’importation de terre de remblai en 2016 pour un autre projet de l’appelante, le projet Bradford Capital. Je suis d’avis que cela représente une utilisation illicite de renseignements obtenus a posteriori. M. Carlson n’a pas utilisé les renseignements obtenus a posteriori pour vérifier le caractère raisonnable de ses hypothèses, ce qui aurait constitué une utilisation admissible de renseignements obtenus a posteriori, mais plutôt pour faire ses calculs, ce qui n’est pas admissible (Douglas Zeller and Leon Paroian Trustees of the Estate of Margorie Zeller c. La Reine, 2008 CCI 426, 2008 DTC 4441, au paragraphe 42 [Succession Zeller]; Ford Motor Co. of Canada v. Ontario Municipal Employees Retirement Board, 2000 CarswellOnt 1530, [2000] O.J. No. 1480 (QL), au paragraphe 11 [Ford Motor]).

[72]  De plus, le principe général est que l’évaluation doit être fondée sur les connaissances disponibles à la date réelle de l’évaluation (Debora v. Debora, 83 O.R. (3d) 81, au paragraphe 50). En l’espèce, les connaissances disponibles à la date d’évaluation auraient inclus le plan préliminaire de conception technique, le plan préliminaire de nivellement, le plan préliminaire de lotissement et le rapport fonctionnel sur les services publics d’octobre 2009. Toutefois, les connaissances disponibles à la date d’évaluation n’auraient pas inclus le plan final de conception technique et les calculs détaillés de nivellement. Pour les mêmes motifs, M. Carlson ne peut utiliser l’expérience relative à l’importation de terre de remblai sur les terrains du projet Bradford Capital en 2016 pour estimer le coût de l’importation de terre de remblai sur les terrains en cause à la date d’évaluation.

[73]  Je précise également que même si le MESP indique qu’il sera nécessaire de procéder à l’importation de terre de remblai pour la partie est des terrains, et que ce renseignement était disponible depuis 2005, cela n’est pas pertinent pour déterminer la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation. L’intimée semblait soutenir que puisque M. Tiberini savait, ou aurait dû savoir, qu’il serait nécessaire de procéder à l’importation de terre de remblai quand les terrains ont été achetés en 2006, les coûts à l’égard de cette importation ne peuvent être pris en considération dans le calcul de la valeur des terrains en 2010. Comme je l’ai mentionné plus haut, je dois déterminer la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation, et non trancher la question de savoir si M. Tiberini connaissait la nécessité d’importer de la terre de remblai en 2006. Je dois décider, en fonction de la preuve présentée à l’audience, si, à la date d’évaluation, un acheteur averti et disposé à acheter aurait connu la nécessité d’importer de la terre de remblai et, dans l’affirmative, déterminer la quantité de terre de remblai nécessaire et le prix par mètre cube à l’époque.

[74]  Je suis d’avis que, tout bien pesé, il ressort des éléments de preuve que l’acheteur averti et disposé à acheter aurait connu la nécessité d’importer de la terre de remblai sur les terrains à la date d’évaluation, compte tenu du plan préliminaire de conception technique, du plan préliminaire de nivellement et du plan préliminaire de lotissement. Le témoignage de M. Tiberini était crédible et fiable concernant le fait que les ingénieurs et les planificateurs de Stellarbridge avaient compris qu’il serait nécessaire d’importer entre 200 000 et 250 000 mètres cubes de terre de remblai sur les terrains pendant qu’ils travaillaient à l’élaboration du plan intérimaire de lotissement avant la date d’évaluation. De plus, M. Carlson a témoigné que UEL, quand elle a commencé à travailler sur le plan préliminaire de conception (soit avant la création du plan préliminaire de lotissement), avait compris que les terrains manqueraient de terre de remblai (comme ce serait également le cas pour le projet Bradfor Capital). M. Carlson a aussi affirmé dans son témoignage que si on lui avait demandé en 2010 d’estimer la quantité de terre de remblai nécessaire sur les terrains, il aurait été d’avis, en fonction des renseignements disponibles à ce moment, qu’il faudrait 168 000 mètres cubes de terre de remblai.

[75]  Par conséquent, étant donné l’expérience et l’expertise de M. Carlson, je conclus qu’à la date d’évaluation, un acheteur averti et disposé à acheter aurait estimé que les terrains avaient besoin de 168 000 mètres cubes de terre de remblai. En outre, je conviens que conformément à ce qu’a affirmé M. Carlson, il est raisonnable d’utiliser l’indice des prix de la construction pour déterminer le coût de la terre de remblai en 2010, et je conviens qu’un prix de 12,50 dollars par mètre cube en avril 2013 équivaut à un prix de 11,70 dollars par mètre cube en juin 2010. Par conséquent, je suis d’avis qu’il est raisonnable d’estimer le coût total de la terre de remblai pour les terrains à la date d’évaluation à 1 965 600 dollars, et qu’il convient de tenir compte de cette estimation de coût dans l’évaluation des terrains.

2.  Admissibilité du rapport Galluzzo

[76]  L’article 145 des Règles établit les directives de procédure à l’égard des témoins experts et de leurs rapports.

[77]  Les dispositions pertinentes des Règles sont les suivantes :

145(2) Le rapport d’expert :

a) reproduit entièrement la déposition du témoin expert;

[…]

145(3) La Cour peut exclure tout ou partie du rapport d’expert si le témoin expert ne se conforme pas au Code de conduite régissant les témoins experts.

[…]

145(2) An expert report shall

(a) set out in full the evidence of the expert;

. . . 

145(3) If an expert fails to comply with the Code of Conduct for Expert Witnesses, the Court may exclude some or all of their expert report.

. . . 

ANNEXE III

(alinéa 145(2)c) et formule 145(2) de l’annexe I)

Code de conduite régissant les témoins experts

Rapport d’expert

3 Le rapport d’expert visé au paragraphe 145(1) des présentes règles comprend :

[...]

d) les faits et les hypothèses sur lesquels les opinions figurant dans le rapport sont fondées;

[...]

h) les ouvrages ou les documents invoqués expressément à l’appui des opinions;

[...]

SCHEDULE III

(Paragraph 145(2)(c) and Form 145(2) of Schedule I)

Code of Conduct for Expert Witnesses

Expert Reports

3 An expert report referred to in subsection 145(1) of the Rules shall include

. . . 

(d) the facts and assumptions on which the opinions in the report are based;

. . . 

(h) any literature or other materials specifically relied on in support of the opinions;

. . . 

[78]  L’intimée a soutenu, dans son plaidoyer final, que le rapport Galluzzo est inadmissible parce qu’il n’est pas conforme aux Règles et au Code de conduite régissant les témoins experts. L’intimée s’appuie sur les décisions Bekesinski c. La Reine, 2014 CCI 35, 2014 DTC 1066 [Bekesinski], Gerbro Holdings Company c. La Reine, 2016 CCI 173, 2016 DTC 1165 [Gerbro] et Grimes c. La Reine, 2016 CCI 280, 2016 DTC 1210. Selon l’intimée, l'inobservation découle de le non-inclusion des études environnementales concernant les terrains, l’information sur le marché et certains calculs. Cela est, selon l’intimée, contraire à l’alinéa 145(2)a) des Règles et aux alinéas 3d) et 3h) du Code de conduite régissant les témoins experts.

[79]  Selon l’intimée, on s’est appuyé dans le rapport Galluzzo sur les documents suivants mais ces documents n’ont pas été inclus dans le rapport :

  • évaluation environnementale du site, phase 1 et phase 2, et rapport d’étude géotechnique, préparés par Toronto Inspection Ltd. et datés d’août 2006;

  • rapport d’étude hydrogéologique, préparé par Cole Engineering, daté d’août 2011;

  • rapport sur les services publics, préparé par UEL, daté du 16 octobre 2009;

  • étude d’impact environnemental, préparée par Cunningham Environmental Associates, datée d’avril 2010;

  • entente de paiement anticipé 1, entente de paiement anticipé 2 et entente de paiement anticipé 3 (annexes sur le partage des coûts).

[80]  De plus, selon l’intimée, même si le rapport Galluzzo contenait des extraits du plan officiel de Bradford West Gwillimbury, des données et des statistiques tirées de l’aperçu sur le marché de l’habitation publié par Trimart, et des données sur le marché publiées par la Société d’évaluation foncière des municipalités (SEFM), ces documents auraient dû être inclus dans le rapport Galluzzo dans leur totalité.

[81]  L’intimée s’appuie sur la lecture donnée dans la décision Gerbro de la décision Bekesinski, précitée, pour affirmer que le rapport Galluzzo est inadmissible aux termes de l’alinéa 145(2)a) des Règles. Dans la décision Bekesinski, précitée, la juge Campbell a conclu qu’un rapport d’expert peut être exclu s’il n’expose pas les faits et le raisonnement sur lesquels se fondent les conclusions, y compris les données quantitatives sur lesquelles on s’est appuyé pour formuler ces conclusions (paragraphe 27 à 32). L’intimée s’appuie également sur l’ancien libellé de l’alinéa 145(2)b) des Règles, qui exigeait « qu’un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l’expert entend établir » figure dans le rapport d’expert.

[82]  La version actuelle de l’article 145 des règles est quelque peu différente, en ce sens qu’on y énumère les exigences précises à l’égard du contenu du rapport d’expert. Ce nouvel texte atteint cet objectif en ajoutant, en annexe, un « Code de déontologie régissant les témoins experts », qui énumère le contenu précis devant être inclus dans un rapport d’expert. L’ancien et le nouvel article 145 ont pour objet de préserver l’équité procédurale et d’éviter les « procès par embuscade ».

[83]  La question se résume à déterminer si les divers documents mentionnés ci-dessus sont des « documents invoqués expressément à l’appui des opinions ». Le terme « expressément » (« specifically » dans la version anglaise) est la pierre angulaire, tout comme l’expression « invoqués […] à l’appui des » (« relied on in support of » dans la version anglaise).

[84]  Pour déterminer l’inobservation, selon les règles régissant les rapports d’experts, la Cour mettra en balance la gravité de l’inobservation et le préjudice pour la partie adverse. Dans la décision Gerbro, précitée, la juge en chef adjointe Lamarre a noté que l’inobservation en cause dans l'affaire Bekesinski, précitée, qui a résulté en l’exclusion d’un rapport d’expert, était plus grave que dans l’affaire Gerbro, précitée, où l’omission de données n’était que partielle (au paragraphe 144). Néanmoins, dans la décision Gerbro, précitée, la juge en chef adjointe Lamarre a écarté le rapport d’expert parce qu’elle était d’avis que l’équité du procès pourrait être compromise si le rapport d’expert incomplet était admis en preuve (au paragraphe 147).

[85]  Comme il s’agit d’une question d’équité procédurale, les cas particuliers d’inobservation alléguée et leur effet sur l’opinion de l’expert et la capacité de l’intimée à défendre sa cause ont leur importance.

[86]  En l’espèce, l’intimée n’a pas établi l’effet préjudiciable des lacunes, notamment l’effet sur sa capacité de défendre sa cause. L’intimée n’a fait connaître son objection qu’après le contre-interrogatoire de M. Galluzzo. Même s’il est vrai qu’il n’incombait pas à l’intimée de vérifier la conformité du rapport d’expert (Gerbro, précité, au paragraphe 147), il ressort de la liste des documents du rapport Galluzzo et de l’objection tardive de l’intimée que ces lacunes n’ont pas porté préjudice à l’intimée. Je suis d’avis que cette situation n’est pas assimilable à un « procès par embuscade », puisque l’intimée ne semble pas avoir été victime d’une embuscade.

[87]  M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage qu’il ne s’était pas fondé directement sur les rapports d’évaluation environnementale, phase 1 et phase 2, et sur le rapport d’étude géotechnique préparés par Toronto Inspection Ltd., et datés d’août 2006. Ces études sont habituellement effectuées pour déterminer si une propriété est contaminée. Le rapport Galluzzo présumait simplement que les terrains ne soulevaient pas de questions relatives à l’environnement qui pourraient influer sur leur juste valeur marchande (rapport Galluzzo, p. 23).

[88]  M. Galluzzo a également indiqué dans son témoignage que le rapport d’étude hydrogéologique, daté d’août 2011, préparé par Cole Engineering, le rapport sur les services publics daté du 16 octobre 2009, préparé par UEL, et l’étude d’impact environnemental datée d’avril 2010 préparée par Cunningham Environmental Associates ne fournissaient qu’une orientation concernant le drainage, les caractéristiques physiques et les exigences en matière de services publics à l’égard des terrains.

[89]  L’étude des ventes comparables menée par M. Galluzzo et son avis concernant la valeur des terrains, avant l’intégration des coûts propres au site, ne semblent pas avoir été fondés sur ces études.

[90]  De plus, M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que les paiements prévus par l’entente de paiement anticipé n’étaient pas inclus dans l’évaluation des terrains, selon l’une ou l’autre des méthodes utilisées. Il ressort de l'examen du rapport Galluzzo, de façon très claire, que nul des paiements prévus à l’entente de paiement anticipé (y compris les paiements prévus à l’entente de paiement anticipé 3) n’a été inclus dans le calcul de la juste valeur marchande des terrains. Je ne puis trouver aucune indication que ces paiements ont été pris en considération dans son analyse faite selon la méthode de comparaison directe. De plus, selon la méthode du lotissement, les frais d’aménagement pris en considération sont ceux chargés par la ville à la date d’évaluation lors de l’émission d’un permis de construction, soit 32 582 dollars par unité, ou 13 065 382 dollars au total, ce qui inclut les frais régionaux et municipaux (p. 76). Si les paiements faits en application des ententes de paiement anticipé avaient été pris en considération, les frais d’aménagement auraient été de 43 237 dollars par unité, pour un total de 17 337 980 dollars (p. 48). Il est manifeste que M. Galluzzo ne s’est pas fondé sur les paiements prévus dans les ententes de paiement anticipé pour calculer la juste valeur marchande des terrains.

[91]  Compte tenu du témoignage de M. Galluzzo, et après avoir examen du rapport Galluzzo, je suis d’avis que les références aux divers documents indiquées dans ce rapport ne permettent pas de conclure que ces documents entrent dans les prévisions de l’alinéa 3h) du Code de conduite régissant les témoins experts.

[92]  En ce qui concerne le plan officiel, les extraits du document de Trimart, et les extraits du document de la SEFM, l’intimée n’a pas indiqué, de façon claire, comment l’inclusion des rapports dans leur totalité serait pertinente pour l’évaluation des terrains. Comme les extraits pertinents ont été inclus dans le rapport Galluzzo, je conclus que cela suffisait à les rendre conformes aux Règles.

[93]  On ne peut dire que la simple prise en compte de ces différents documents pour parvenir à émettre une opinion signifie que ces documents ont par conséquent « expressément appuyé » cette opinion. Par conséquent, je suis d’avis que le rapport Galluzzo est conforme aux Règles et qu’il ne doit pas être écarté par la Cour.

[94]  En outre, l’intimée soutient que les éléments de preuve présentés par M. Galluzzo n’étaient pas suffisamment indépendants et fiables parce que l’appelante l’a informé du montant de la déduction avant qu’il ne termine son évaluation. Je ne peux retenir cet argument. M. Galluzzo possède une vaste expérience de l’évaluation des biens immobiliers, puisqu’il a effectué plus de 1 500 évaluations au cours de sa carrière. M. Galluzzo est un professionnel qualifié et il a accepté d’être lié par le Code de conduite régissant les témoins experts. M. Galluzzo n’est pas l'employé de Stellarbridge; il est plutôt à l’emploi d’une importante firme, indépendante et de bonne réputation, qui n’est pas sous le contrôle de Stellarbridge. Même si je retiens pas tous les détails de l’opinion de M. Galluzzo, je ne constate aucun élément dont il ressort que son opinion est partiale ou n’est pas suffisamment indépendante, de telle sorte qu’on ne saurait en tenir compte.

3.  Témoignage des experts et juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation

[95]  Selon le rapport Galluzzo, la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 5 650 000 dollars, ou 77 706 dollars par acre aménageable net, en tenant compte des coûts propres au site, en application de la méthode du lotissement. En raison du nombre limité de ventes de terrains réellement comparables, et compte tenu de ce que la construction future d’habitations constituait l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel des terrains, M. Galluzzo était d’avis que la meilleure méthode pour évaluer les terrains était la méthode du lotissement et il s’est donc fondé en grande partie sur cette approche. Dans son témoignage, M. Galluzzo a confirmé qu’il avait utilisé la méthode de comparaison directe pour valider les résultats obtenus avec la méthode du lotissement.

[96]  En plus de prendre en considération les coûts propres au site, l’évaluation de M. Galluzzo tient compte des conditions hypothétiques suivantes (rapport Galluzzo, p. 4) : i) plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010 et indiquant qu’une superficie aménageable nette de 72,71 acres serait vraisemblablement approuvée; ii) 401 unités résidentielles (sur 262 lots) pourraient être construites sur les terrains.

[97]  Mme Otway a évalué les terrains à la date d’évaluation à 13 833 000 dollars ou 115 000 dollars par acre brut. Comme je l’ai indiqué précédemment, elle a uniquement utilisé la méthode de comparaison directe pour établir la juste valeur marchande des terrains. Elle a témoigné qu’elle avait inspecté les terrains le 10 avril 2017, mais qu’elle n’avait pas visité la propriété et n’avait pas parcouru les terrains. Elle n’a pas tenu compte des coûts propres au site. En outre, elle n’a pas demandé de renseignements à l’appelante.

[98]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il n’est pas possible de se fier au rapport Otway et que notre Cour ne doit y accorder aucun poids compte tenu des erreurs et lacunes importantes qu’il contient. Après avoir examiné les ventes comparables utilisées par les deux évaluateurs, je conclus que la méthode de comparaison directe n’était pas la méthode qu’il convenait d’utiliser pour évaluer les terrains, puisqu’il n’existait qu’une seule vente comparable fiable. En outre, je conclus qu’avec la méthode de comparaison directe, il fallait utiliser comme mesure d’évaluation l’acre aménageable net et non la superficie brute des terrains qu’a utilisée Mme Otway. Je conclus également que la méthode du lotissement constitue une méthode appropriée pour évaluer les terrains, compte tenu des indices existants concernant l’aménagement des terrains à la date d’évaluation.

[99]  Après avoir examiné la méthode de comparaison directe, telle qu’utilisée par M. Galluzzo et Mme Otway, et après avoir exposé certaines des lacunes et des erreurs que contient le rapport Otway, je me pencherai maintenant sur la méthode du lotissement qu’a appliquée M. Galluzzo et déterminerai la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

3.1.  Méthodologie

a)  Méthode de comparaison directe appliquée par Mme Otway

[100]  Pour établir la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation, Mme Otway a utilisé six ventes comparables enregistrées entre mai 2008 et octobre 2012. Elle a témoigné qu’étant donné que les ventes de terrains visés par des projets d’aménagement sont souvent négociées quelques années avant d’être enregistrées et sont sujettes à certains conditions, elle a pensé qu’il était raisonnable d’utiliser des transactions intervenues après la date d’évaluation pour déterminer la valeur des terrains (notamment la vente comparable no 4 (octobre 2012) et la vente comparable no 5 (janvier 2012)). Après analyse des six ventes comparables, Mme Otway a conclu que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation se situait entre la vente comparable no 4 (limite supérieure) à 126 500 dollars par acre et la vente comparable no 3 (limite inférieure) à 113 400 dollars par acre, tout en se rapprochant davantage de cette dernière. Toutefois, selon M. Galluzzo, seules les ventes survenues moins de six mois après la date réelle de l’évaluation pouvaient être incluses en application de la méthode de comparaison directe.

[101]  Comme je l’ai signalé précédemment, le principe général veut que l’information obtenue a posteriori ne soit pas admissible, sauf pour vérifier le caractère raisonnable des hypothèses des évaluateurs (Succesion Zeller, précité, Ford Motor, précité). Selon le principe général, une évaluation doit être fondée sur les connaissances disponibles à la date réelle de l’évaluation (Debora v. Debora, précité, au paragraphe 50). Comme la Cour suprême du Canada l’a indiqué dans l’arrêt Tabco Timber Limited c. La Reine, [1971] RCS 361 [Tabco], à la page 367, la règle portant sur l’admissibilité de ventes réalisées après la date d’évaluation consacrée par la même Cour dans l’arrêt Roberts et Bagwell c. La Reine, [1957] RCS 28, est la suivante : « La règle devrait permettre à la Cour d’admettre la preuve de telles ventes qu’elle juge, compte tenu du lieu, de l’époque et des circonstances, être logiquement concluante quant au fait à établir ».

[102]  Je suis d’avis que Mme Otway n’aurait pas dû utiliser les ventes comparables no 4 et no 5, puisqu’il s’agissait d’un usage non approprié de renseignements obtenus a posteriori. Ces ventes ont été enregistrées en octobre 2012 et en janvier 2012 respectivement, soit plus d’un an et demi après la date d’évaluation. Mme Otway a affirmé dans son témoignage qu’elle n’était pas en mesure de confirmer la date réelle de vente de ces deux propriétés. De plus, compte tenu des conditions du marché, qui étaient meilleures en octobre 2012, l’exception permettant l’utilisation de renseignements obtenus a posteriori consacrée par la Cour suprême dans l’arrêt Tabco, précité, ne joue pas en l’espèce. Mme Otway a indiqué dans son rapport que les prix des lots résidentiels avaient augmenté de façon importante, soit de 10,8 % en 2011, un indicateur d’un marché résidentiel robuste en 2010. De plus, les prix des lots résidentiels ont augmenté de 6,82 % en 2012. Il ne serait donc pas approprié de se fonder sur une vente réalisée en 2012 pour établir la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

[103]  Mme Otway a utilisé la vente comparable no 4 comme limite supérieure de la valeur des terrains; elle n’a pas utilisé les renseignements obtenus a posteriori pour vérifier si ses hypothèses étaient raisonnables, mais plutôt pour en arriver à sa conclusion. Aucun élément de preuve n’a été produit en Cour concernant le retard dans l’enregistrement des ventes relatives à des sites visés par des projets d’aménagement. En outre, les services municipaux étaient disponibles pour la vente comparable no 4 et la vente comparable no 5, ce qui n’était pas le cas pour les terrains à la date d’évaluation. De plus, les terrains des ventes comparables no 3 (113 402 dollars par acre brut) et no 2 (65 868 dollars par acre brut) étaient désignés zone agricole, n’étaient pas dotés des services municipaux, et étaient situés en dehors du territoire urbain de Bradford. Les terrains de la vente comparable no 2 auraient besoin d’ajustements importants pour devenir comparables aux terrains en cause, étant donné leurs dimensions plus grandes, leur emplacement moins intéressant et l’état de planification plus avancé des terrains. Dans son témoignage, Mme Otway a reconnu que la vente comparable no 1 aurait pu être écartée de son rapport, puisqu’elle constitue la vente la moins comparable. À mon avis, comme la vente comparable no 1 se trouve dans une autre municipalité et dans une zone agricole, elle doit être écartée. En conclusion, il ne reste qu’une seule vente comparable à utiliser, soit la vente comparable no 6, pour déterminer la valeur des terrains.

b)  Méthode de comparaison directe appliquée par M. Galluzzo

[104]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que M. Galluzzo a appliqué la méthode de comparaison directe de façon raisonnable, sous réserve de ma conclusion à l’égard de l’applicabilité ou de la non-applicabilité de chacun des coûts propres au site dans l’évaluation. Toutefois, étant donné qu’une seule vente comparable constitue réellement une vente comparable (vente comparable no 4, qui est la vente comparable no 6 dans le rapport Otway), je suis d’avis que la méthode de comparaison directe n’était pas une méthode qu’il convenait d’utiliser pour évaluer les terrains, puisqu’il ne serait pas raisonnable d’évaluer les terrains en fonction d’une seule vente comparable fiable. En outre, compte tenu de cette conclusion, je ne trancherai pas la question de savoir si les estimations de coûts relatives au retard dans la mise en place des services publics devraient être prises en considération en application de la méthode de comparaison directe.

[105]  À partir de la méthode de comparaison directe, M. Galluzzo a examiné cinq ventes comparables, trois étant situées à l’extérieur du territoire urbain (ventes comparables no 1, no 2 et no 3), une étant de taille relativement petite (5,5 acres) et sans accès aux services municipaux (vente comparable no 5), et la dernière étant la vente comparable no 4.

[106]  Les ventes comparables no 1, no 2 et no 3 étaient toutes situées à l’extérieur du territoire urbain. Par conséquent, il n’a pas été possible de déterminer à quel moment ces terrains seraient dotés des services municipaux et à quel moment ils seraient inclus dans le territoire urbain. De plus, les terrains étaient situés en zone agricole ou dans une zone d’emplois futurs. À mon avis, ces ventes n’offraient pas une comparabilité fiable avec les terrains en cause. Qui plus est, je suis d’avis que la vente comparable no 5 n’offre pas une base fiable pour estimer la valeur des terrains, étant donné sa taille beaucoup plus petite, une caractéristique susceptible d’attirer des promoteurs d’un type différent de ceux qui pourraient être intéressés par les terrains en cause.

[107]  Le prix par acre aménageable net de la vente comparable no 4 était de 141 252 dollars; la vente a eu lieu en janvier 2009; la superficie aménageable nette était de 66 acres; la superficie aménageable brute était de 66,4 acres. Après quelques ajustements portant notamment sur le facteur temps, le lieu, la taille et l’usage des terrains (zonage, plan officiel et état du plan préliminaire), M. Galluzzo a conclu que le prix de vente ajusté de la vente comparable no 4 était de 124 302 dollars par acre aménageable net, sans tenir compte des coûts propres au site.

[108]  Les ajustements apportés par M. Galluzzo au facteur temps étaient quantitatifs, afin de refléter les conditions du marché; cet ajustement était de 0,5 % par mois. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage qu’étant donné que la hausse moyenne du prix de vente des maisons était d’environ 6 % par année en 2008, en 2009 et en 2010, il a choisi d’utiliser un ajustement moyen par mois de 0,5 % afin de refléter les conditions du marché. Je conclus que cette approche est raisonnable étant donné les conditions du marché durant cette période.

[109]  De plus, les ajustements étaient également qualitatifs en ce qui concerne la taille, l’emplacement et la planification. Il ne disposait d’aucune vente appariée sur laquelle se fonder pour faire ces ajustements. M. Galluzzo s’est plutôt appuyé sur son propre jugement et sur son expérience professionnelle pour faire ces ajustements, qui étaient à la fois raisonnables et utiles dans les circonstances. Mme Otway a contesté la manière dont les ajustements au prix de vente ont été faits. Elle a souligné qu’il n’était pas possible de quantifier des ajustements qualitatifs sans disposer de données du marché sur lesquelles s’appuyer. Je rejette les remarques de Mme Otway sur ce point. Le rôle des évaluateurs est de fournir un avis sur la valeur d’une propriété, en utilisant leurs compétences, leur jugement et leur expérience. Il est raisonnable d’effectuer des ajustements quantitatifs pour aider la Cour à déterminer la nature de l’incidence qu’aura une variable précise sur la valeur. Lorsqu’un ajustement quantitatif n’est pas appuyé par les données du marché, il est vrai que l’ajustement sera imprécis. Toutefois, il s’agit là d’une question de force probante.

[110]  Après avoir tenu compte des coûts propres au site totalisant 4 259 000 dollars (incluant le coût révisé pour l’importation de terre de remblai calculé par UEL le 18 décembre 2017), ou 58 575 dollars par acre aménageable net, le prix de vente de la vente comparable no 4 a été ajusté pour passer de 58 575 dollars par acre aménageable net à 65 727 dollars, soit une valeur totale pour les terrains estimée à 4 779 010 dollars (65 727 dollars x 72,71 acres) à la date d’évaluation. Comme il n’est pas possible d’arriver à une valeur exacte, M. Galluzzo a estimé que la juste valeur marchande des terrains se situait entre 60 000 dollars et 70 000 dollars environ par acre aménageable nette. Il a ensuite estimé que la juste valeur marchande des terrains, en utilisant la méthode de comparaison directe, serait de 4 800 000 dollars, en tenant compte des coûts propres au site.

[111]  Même si je retiens la méthode de comparaison directe utilisée par M. Galluzzo, j’estime que l’appelante n’a pas établi certaines des hypothèses factuelles sur lesquelles s’est appuyé M. Galluzzo pour formuler son opinion sur la valeur. Son analyse doit être ajustée pour tenir compte de ces hypothèses qui ne sont pas des faits, c’est-à-dire les coûts estimés à 250 000 dollars et 300 000 dollars pour le second accès routier depuis Simcoe Road et la remise en état du cimetière des Premières Nations, respectivement. En outre, je conclus que l’estimation des coûts d’importation de terre de remblai devrait être de 1 965 600 dollars et non de 2 959 000 dollars. Compte tenu de ces conclusions, les coûts propres au site seront inférieurs à ce qu’a supposé M. Galluzzo, et totaliseront 2 715 600 dollars ou 37 348 dollars par acre aménageable net. Le prix de la vente comparable no 4 doit être ajusté de 37 348 dollars par acre, soit 86 954 dollars par acre (124 302 dollars - 37 348 dollars = 86 954 dollars), pour en arriver à une valeur estimée à 6 322 425 dollars (86 954 dollars x 72,71 acres). L’estimation de la valeur marchande des terrains se situera autour de 82 000 dollars à 92 000 dollars par acre aménageable net pour un total de 5 962 220 dollars au minimum et de 6 689 320 dollars au maximum, arrondi à 6 000 000 dollars au minimum et 6 700 000 dollars au maximum.

[112]  Si je devais utiliser la méthode de comparaison directe pour déterminer la valeur des terrains, l’estimation de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation serait de 6 350 000 dollars ou 87 333 dollars par acre aménageable net. Toutefois, je conclus que la méthode de comparaison directe n’est pas la méthode qu’il convient d’utiliser en l'espèce, compte tenu du nombre limité de ventes comparables. Je conclus qu’il faut se fonder sur une autre méthode pour établir comme il se doit la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

c)  Méthode du lotissement : une autre méthode d'évaluation des terrains

[113]  La méthode du lotissement permet d’évaluer une propriété par l'estimation des revenus projetés tirés de la vente des lots obtenus par subdivision et par la soustraction de ce montant les coûts d’aménagement pour transformer le terrain brut en lots dotés de services publics, ainsi que la marge de profit du promoteur.

[114]  Mme Otway n’a pas utilisé ni mentionné la méthode du lotissement dans son rapport. La thèse de l’intimée porte que la méthode du lotissement ne convient pas dans les circonstances, parce que l’aménagement des terrains n’était pas imminent et que les coûts et les revenus n’étaient pas connus avec suffisamment de précision. Toutefois, l’intimée n’a fait cité aucune jurisprudence à l'appui de sa thèse.

[115]  Je suis d’avis que le rapport Otway est incomplet, en ce sens qu’on n’y explique pas pour quelle raison la méthode du lotissement n’a pas été utilisée ni même envisagée. De plus, Mme Otway a concédé dans son témoignage que son rapport était incomplet, parce qu’elle n’y expliquait pas pour quelle raison elle avait choisi de ne pas utiliser la méthode du lotissement.

[116]  L’Institut canadien des évaluateurs a affirmé que la méthode la plus appropriée pour évaluer des terrains vacants pour lesquels un plan d’aménagement est en place était la méthode du lotissement (pièce A-11, p. 18). L’Institut canadien des évaluateurs précise dans un Bulletin d’excellence professionnelle (pièce A-11, jointe) que la méthode du lotissement ne doit être utilisée que lorsque l’aménagement du site n’est pas trop éloigné, qu’il y a une demande manifeste pour le produit, et qu’il existe au moins certains éléments de preuve documentaire dont il ressort qu’un tel aménagement sera approuvé.

[117]  En outre, comme l’a fait valoir l’appelante, une certaine jurisprudence avalise l’utilisation de la méthode du lotissement ou d’une méthode autre que la méthode de comparaison directe. La Cour suprême du Canada a observé dans l’arrêt Saint-Laurent (Ville de) c. Canadair Ltd., [1978] 2 RCS 79, à la page 94 : « [l]a méthode d’évaluation fondée sur la capitalisation des revenus comporte des risques d’inexactitude mais ce n’est pas une hérésie que d’y avoir recours lorsque les autres méthodes font défaut ou en même temps que d’autres méthodes qui ne donnent pas pleinement satisfaction ». Dans l’arrêt Ministre du Revenu National c. Allarco Developments Ltd., [1974] RCS 730, à la page 740, la Cour suprême du Canada a également observé que la « méthode du calcul de la valeur résiduelle des terrains » est une méthode reconnue d’évaluation des terrains, qui s’applique dans les cas où il n’est pas possible de déterminer la valeur d’après les ventes de propriétés comparables.

[118]  L’appelante a également cité une certaine jurisprudence anglaise et américaine à l'appui de la méthode du lotissement : (Lehigh­Northampton Airport Authority v. Fuller (Joint Book of Authorities, onglet 5); Bank of Ireland (UK) plc v. Patterson and others, [2014] NIQB 140; Xerox Corporation v. Clackamas County Assessor, and Department of Revenue, State of Oregon (Appellant’s Book of Authorities, onglet 24).

[119]  Il ressort des éléments de preuve qu’à la date d’évaluation, les terrains ne seraient pas dotés des services publics nécessaires avant quatre à cinq ans approximativement. Les terrains ont fait l’objet d’un plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010, lequel serait vraisemblablement approuvé par la ville. À la date d’évaluation, l’appelante avait une très bonne idée de la façon dont serait aménagés les terrains. Je suis également d’avis qu’il était plus probable que le contraire que l’appelante procéderait à l’aménagement des terrains. L’appelante participe à l’aménagement de terrains à des fins résidentielles depuis de nombreuses années. L’entente de paiement anticipé 1 et l’entente de paiement anticipé 2 ont été signées en 2007 et en 2010 respectivement et l’appelante était partie à ces ententes. L’appelante a versé des paiements à la ville en application de ces ententes. De plus, UEL a préparé un rapport sur la mise en place des services publics en octobre 2009. Ce sont tous des signes d’un aménagement futur. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que la méthode du lotissement pouvait être utilisée quand l’aménagement d’un lotissement doit se faire dans les cinq ans.

[120]  Compte tenu du nombre très limité de ventes comparables, comme je l’ai mentionné précédemment, et des signes relevés plus haut d’un aménagement futur probable, je suis d’avis que Mme Otway aurait dû utiliser la méthode du lotissement, ou du moins l’envisager, pour établir la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation.

[121]  En ce qui concerne l’imprécision des coûts et des revenus avec la méthode du lotissement, je suis d’avis que la question n’est pas pertinente à ce stade; nous y reviendrons plus loin.

d)  Autres lacunes dans le rapport Otway

  Hypothèse sortant de l’ordinaire

[122]  Le rapport Otway contient une hypothèse sortant de l’ordinaire selon laquelle il n’y aurait eu aucun changement significatif apporté aux terrains entre la date d’évaluation et la date d’inspection, le 10 avril 2017. Qui plus est, le rapport Otway indiquait que les terrains [traduction] « étaient dotés de tous les services municipaux, y compris l’électricité, le gaz naturel, l’eau, la télévision par câble, les égouts et le téléphone » (p. 22).

[123]  Toutefois, il ressort des éléments de preuve qu’entre la date d’évaluation et la date d’inspection, des changements significatifs ont été apportés aux terrains. L’accès routier sécurisé depuis Simcoe Road a été construit, la remise en état du cimetière des Premières Nations a été achevée, l’infrastructure de service était en voie d’installation ou déjà en place, y compris la station de pompage de Green Valley.

[124]  En outre, il ressort des éléments de preuve que les services municipaux n’étaient pas disponibles sur les terrains à la date d’évaluation. Les terrains appelaient des améliorations, comme les égouts et une station de pompage permanente, le prolongement du réseau principal d’aqueduc existant jusqu’à la zone aménageable, afin d’assurer un approvisionnement en eau potable et une protection contre l’incendie, l’installation d’un système de transport des eaux pluviales, la construction d’une installation de gestion des eaux pluviales, et la construction d’un réseau routier et de trottoirs. Il ressort des éléments de preuve que la construction résidentielle ne pouvait commencer sur les terrains tant que les services adéquats n’étaient pas assurés. À la date d’évaluation, il n’y avait aucune certitude quant à la date à laquelle la station de pompage de Green Valley et les conduites principales et canalisations connexes seraient construites.

[125]  Dans son rapport, Mme Otway a également présumé qu’aucun problème de contamination environnementale n’avait été noté. Toutefois, je suis d’avis que si elle avait questionné les autorités municipales, Mme Otway aurait appris l’existence du cimetière des Premières Nations, mais elle ne l’a pas fait.

  Usage le plus rémunérateur et le plus rationnel des terrains

[126]  Selon l’appelante, si l’on évalue les terrains à partir de la méthode de comparaison directe, la valeur doit être ajustée pour tenir compte de la superficie aménageable et non de la superficie brute. De plus, aucune valeur ne doit être accordée à la superficie non aménageable.

[127]  A l'appui de sa thèse, l’appelante a cité l’arrêt Alberta (Transportation) v. Kerr, 1981 ABCA 9 [Kerr], lequel enseignerait que lorsque différentes parties d’un terrain peuvent servir à différents usages, il n’est pas approprié d’évaluer la totalité de la parcelle, puis d’attribuer une valeur au pro rata à la parcelle de terre expropriée. L’appelante a également cité l’arrêt Mannix v. Alberta (Environment, Minister), 1984 ABCA 348 [Mannix], lequel enseignerait que lorsqu’une parcelle de terre comporte à la fois des terrains aménageables et des terrains non aménageables (terrains sur lesquels aucun aménagement donnant lieu à un profit ne peut se faire), la valeur à attribuer à ces derniers est nulle.

[128]  Toutefois, l’intimée fait valoir que la superficie brute constitue la mesure d’évaluation appropriée selon la méthode de comparaison directe. Les parties non aménageables ajoutent de la valeur aux parties aménageables et comportent elles-mêmes une valeur inhérente. L’intimée est d’avis qu’il n’existe pas, au sein de la communauté des évaluateurs, un consensus concernant l’usage de la superficie brute ou de la superficie aménageable.

[129]  L’intimée a cité la décision Ordman v. Red Deer (City), 2005 CanLII 78457 (AB LCB), à l'appui de la thèse selon laquelle les acheteurs et les vendeurs ne se contentent pas d’acheter et de vendre uniquement les parties qui sont aménageables lorsqu’un terrain brut est disponible pour un aménagement urbain; les parties non aménageables constituent ainsi un facteur à considérer pour calculer le prix total de la parcelle. C’est la totalité de la parcelle qui sera achetée et vendue et c’est pour cette parcelle qu’il faut déterminer l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel. L’intimée a également cité la décision United Management Ltd. and Genstar Corp. v. Calgary (City), (1986) 70 A.R. 23 (AB LCB), à l'appui de la thèse selon laquelle les terrains non aménageables ont un effet, positif ou négatif, sur la valeur des terrains aménageables; le marché ne s’intéresse pas uniquement aux parties aménageables ou non aménageables d’un terrain.

[130]  Comme l’a expliqué Mme Otway [traduction], « le concept de l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel représente la prémisse sur laquelle la valeur de la propriété est fondée. [...] Il doit être légalement permissible, physiquement possible, financièrement faisable et productif au maximum » (rapport Otway, p. 29). Selon le rapport Otway, à la date d’évaluation, l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel des terrains vacants était la construction résidentielle, avec une partie des terrains en zone protégée, et cet usage aurait été conforme au plan secondaire.

[131]  En ce qui concerne les terrains, la superficie non aménageable se compose d’un espace ouvert (blocs 282 et 283 totalisant 1,112 acres) et d’une terre à bois/vallée située dans une zone protégée (blocs 289 et 290 totalisant 46,461 acres). La partie non aménageable des terres protégées occupe environ 40 % de la superficie totale des terrains, ce qui représente une superficie très importante, si l’on compare avec les chiffres fournis pour les ventes comparables mentionnées dans le rapport Otway : 14 % pour la vente comparable no 4; 30 % pour la vente comparable no 5; 1 % pour la vente comparable no 6. Comme les ventes comparables nos 1, 2 et 3 sont situées à l’extérieur du territoire urbain et que le plan préliminaire les concernant n’a pas encore été approuvé, il n’est pas possible d’établir avec précision la superficie aménageable nette de ces propriétés.

[132]  M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel de la superficie aménageable est l’aménagement de lots, mais ce n’est pas le cas pour la partie non aménageable, qui est réservée à la protection de l’environnement. Selon M. Galluzzo, l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel aurait dû être fondé sur la superficie aménageable nette de 72,713 acres et non sur la superficie brute de 120 286 acres, étant donné que la partie non aménageable peut uniquement être utilisée à des fins de protection de l’environnement et qu’aucun aménagement n’y est autorisé. La juste valeur marchande de la partie non aménageable est nulle puisqu’elle ne représente aucune valeur pour un promoteur et devra être cédée à la municipalité sans contrepartie, et que sa valeur est incluse dans la valeur de la superficie aménageable.

[133]  De plus, M. Galluzzo a témoigné qu’il n’avait jamais vu, tout au long de sa carrière, une évaluation fondée sur une superficie brute. Cependant, si une propriété n’est pas visée par un plan préliminaire de lotissement et que personne ne sait combien de lots elle pourrait comprendre, elle pourrait être évaluée en fonction de sa superficie brute. S’il y a en place un plan préliminaire de lotissement, l’évaluation sera toujours faite en fonction de la superficie aménageable nette de la propriété. M. Galluzzo a également admis qu’un promoteur paierait une prime pour un terrain bien situé, mais que cette prime serait incluse dans la valeur de la superficie aménageable nette de la propriété.

[134]  Le rapport Otway fait également valoir que la partie non aménageable ajoute de la valeur à la partie aménageable. Fait important toutefois, le rapport Otway n’indique pas pour quelle raison la partie non aménageable a valeur d’agrément et en quoi elle ajoute en tant qu’agrément de la valeur à la partie aménageable; le rapport ne quantifie pas non plus la valeur de cet agrément. Dans son témoignage, Mme Otway a admis que l’usage le plus rémunérateur et le plus rationnel de la partie des terrains constituée d’un espace ouvert était d’en faire un territoire protégé; elle a reconnu que chaque partie des terrains devait être évaluée séparément, mais elle ne l’a pas fait dans son évaluation.

[135]  Je retiens la thèse de l’appelante portant que l’arrêt Kerr, précité, enseigne que lorsque différentes parties d’un terrain peuvent servir à différents usages, il n’est pas approprié d’évaluer la totalité de la parcelle, puis d’attribuer une valeur au pro rata à la parcelle de terre expropriée. De plus, en ce qui concerne l'affaire Mannix, précitée, concernant l’expropriation de terrains de quelques 300 acres, comportant une partie aménageable et une partie non aménageable, la Cour a retenu l'approche consistant en la division des terrains en parties aménageables et non aménageables afin d’en déterminer la valeur. De plus dans la décision Canadian National Railway Co. v. Industrial Estates Ltd., (1986), 5 F.T.R. 170 (TD), au paragraphe 8, la Cour fédérale a conclu qu’étant donné que l’ensemble de la parcelle de terrain n’était pas homogène, il serait erroné d’évaluer l’ensemble de la parcelle sur la même base.

[136]  Je suis d’avis que la superficie aménageable constitue une mesure appropriée pour la méthode de comparaison directe en l’espèce. Utiliser la superficie brute pour comparer les terrains aux ventes comparables entraînerait une surévaluation non appropriée des terrains, étant donné la présence de terres protégées, sans intérêt économique, d’une superficie appréciable. Si Mme Otway avait utilisé comme mesure la superficie aménageable, plutôt que la superficie brute, son évaluation aurait été substantiellement réduite, passant de 13 833 000 dollars à 8 361 995 dollars. De plus, l’appelante ne peut faire quelque usage économique que ce soit de la partie non aménageable des terrains. Je retiens le témoignage de M. Galluzzo, selon lequel la partie non aménageable des terrains n’avait aucune valeur économique pour un acheteur averti et disposé à acheter qui achèterait les terrains pour un projet d’aménagement. L’erreur importante dans le rapport Otway constitue un facteur décisif dans ma décision de n’accorder aucun poids à son évaluation faite avec la méthode de comparaison directe.

  Autres remarques concernant le rapport Otway

[137]  Mme Otway n’a pas parcouru les terrains et n’a pas communiqué avec l’appelante pour obtenir des renseignements pertinents sur les terrains. Toutefois, elle a indiqué dans son rapport que des efforts concertés avaient été faits pour vérifier l’exactitude des renseignements contenus dans le rapport (rapport Otway, p. 16). Dans son témoignage, Mme Otway a concédé qu’étant donné qu’elle n’avait pas communiqué avec l’appelante, cette affirmation n’était pas exacte. Elle a expliqué qu’elle était sous l'impression erronée qu’elle ne pouvait communiquer avec l’appelante, mais a également admis qu’elle avait tort de supposer cela.

[138]  Comme elle n’a pas communiqué avec l’appelante, elle n’a pas apprécié les facteurs donnant lieu aux coûts propres au site. Toutefois, elle a concédé durant l’audience qu’il serait raisonnable de tenir compte des coûts de remise en état du cimetière des Premières Nations, évalués à 300 000 dollars, si la Cour devait en venir à la conclusion que ces coûts étaient connus à la date d’évaluation. Mme Otway a affirmé dans son témoignage qu’au moment où elle a fait ses recherches pour trouver des ventes comparables, elle a essayé de communiquer avec le propriétaire des terrains pour voir si les terrains présentaient certaines particularités. Je conclus qu’elle aurait dû faire de même quand elle a procédé à l’évaluation des terrains. Elle aurait dû communiquer avec l’appelante afin de déterminer si les terrains présentaient certaines particularités.

[139]  Mme Otway a également fait des hypothèses factuelles erronées, comme le fait que tous les terrains de Bradford nécessitaient de la terre de remblai. Toutefois, il ressort des éléments de preuve que l’importation de terre de remblai est exceptionnelle dans le cas de l’aménagement d’un lotissement domiciliaire. Dans son témoignage, M. Carlson, que j’ai trouvé crédible et fiable, a clairement affirmé que l’importation de terre de remblai était exceptionnelle dans le cas de l’aménagement d’un lotissement domiciliaire.

[140]  Enfin, Mme Otway a affirmé dans son témoignage qu’étant donné qu’elle ne disposait pas de ventes appariées pour apporter des ajustements à l’égard des ventes comparables, elle a été dans l’impossibilité d’apporter des ajustements aux prix de vente des comparables. Je ne suis pas d’accord avec Mme Otway. Le rôle d’un évaluateur est d’évaluer des propriétés. Elle aurait dû utiliser son expérience pour arriver à des ajustements appropriés.

3.2.  Méthode du lotissement appliquée par M. Galluzzo et détermination de la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation

[141]  M. Galluzzo avait confiance que la méthode du lotissement était la bonne méthode à utiliser pour déterminer la juste valeur marchande des terrains, parce que le plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010 serait vraisemblablement approuvé par la ville, et qu’il précisait le nombre et le type de lots qui seraient aménagés. De plus, M. Galluzzo avait accès aux estimations de coûts préparées par UEL (le « rapport d’estimation des coûts d’UEL »). En outre, il avait accès au sondage de MCAP et comptait une vaste expérience en matière de calcul de la marge de profit raisonnable d’un promoteur pour ce type de projet d’aménagement.

[142]  M. Galluzzo a expliqué qu’il avait estimé les revenus totaux et déduit les coûts totaux à engager pour élaborer un plan conceptuel préliminaire de lotissement, c’est-à-dire le plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010. Comme il est indiqué dans le rapport Galluzzo (p. 70) : [traduction] « Les revenus du projet d’aménagement sont tirés de notre étude de marché. Les estimations des coûts d’aménagement ont été faites d’après un budget préliminaire préparé par UEL en juin 2010, en plus d’être fondées sur une base de données interne et l’expérience antérieure de Altus Group Ltd. concernant les projets de lotissement dans la région du Grand Toronto ». Par conséquent, le profit du promoteur serait inclus dans le calcul.

[143]  L’intimée semble rejeter la méthode du lotissement, qui n’est pas selon elle une méthode appropriée en général. Les critiques de l’intimée portent notamment sur ce que les dépenses sont toutes des estimations, qu’une petite erreur peut résulter en un large écart dans l’évaluation finale, et qu’il n’existe pas de consensus sur ce qui constitue un profit raisonnable. Même s’il s’agit de critiques valables, conformément à ce que j’ai signalé plus haut, je conclus que la méthode du lotissement est une méthode appropriée dans les circonstances. Je suis prête à retenir les « risques d’incertitude » parce que les conditions de l’Institut canadien des évaluateurs sont satisfaites et parce qu’en raison du manque de qualité des ventes comparables, la méthode de comparaison directe ne donne pas « pleinement satisfaction », comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Saint-Laurent (Ville de) c. Canadair Ltd., précité.

[144]  L’intimée a également affirmé que parce que M. Galluzzo s’est appuyé sur des estimations de coûts fournies par UEL (dans le rapport d’estimation des coûts d’UEL) pour déterminer certains des coûts inclus dans ses calculs, lesquels n’ont pas été présentés en preuve par M. Carlson ou étayés par un rapport d’expert indépendant, il faut accorder peu de poids à l’analyse faite par M. Galluzzo à partir de la méthode du lotissement. M. Carlson a été qualifié de témoin expert sur un sujet entièrement différent. L’intimée fait donc valoir qu’il ne faudrait pas accorder beaucoup de poids au rapport d’estimation des coûts d’UEL, dans la mesure où M. Galluzzo s’est appuyé sur ce rapport dans son analyse faite à partir de la méthode du lotissement.

[145]  Les estimations de coûts produites par UEL dans le rapport d’estimation des coûts d’UEL ont été faites par UEL en 2013, mais tenaient compte des coûts à la date d’évaluation. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage qu’il avait, tout comme le consultant en matière de coûts chez Altus Group, examiné les coûts estimés par UEL, les avait comparés avec les connaissances internes d’Altus Group concernant ces coûts, puis avait conclu qu’ils étaient raisonnables. M. Galluzzo a également fourni des estimations des coûts financiers à l’égard des terrains.

[146]  L’opinion de M. Galluzzo n’est pas fondée entièrement sur le rapport d’estimation des coûts d’UEL. En outre, UEL n’est pas partie au présent contentieux. L’intimée ne m’a pas convaincue que les renseignements produits par UEL sont en soi suspects, de telle façon qu’un élément de preuve indépendant soit nécessaire dans les circonstances, comme c’est le cas pour certains des coûts propres au site. Je conclus qu’il s’agit d’un cas où l'expert « forme une opinion en ayant recours à des méthodes d’enquête et à des pratiques qui constituent dans le domaine en question des moyens acceptés d’arriver à une décision » (Lavallee, précité, à la page 899). M. Galluzzo est un évaluateur expert comptant une expérience considérable en matière d’utilisation d’estimations de coûts similaires à celles produites par UEL pour former une opinion sur la question de la juste valeur marchande, après avoir vérifié le caractère raisonnable de ces coûts en se fondant sur son expérience et son expertise. Je suis conclus que le jugement et l’expérience de M. Galluzzo lui ont permis de tenir compte du caractère raisonnable des estimations de coûts, lorsqu’il a utilisé le rapport d’estimation des coûts d’UEL. L’intimée ne m’a pas fourni suffisamment de raisons de douter du caractère raisonnable des estimations de coûts d’UEL et ne m’a présenté aucun élément de preuve en sens contraire. Par conséquent, sous réserve des observations qui suivent, je retiens le fait que M Galluzzo s'est appuyé sur les estimations de coûts tirées du rapport d’estimation des coûts d’UEL.

[147]  Les revenus totaux découlant de la vente des lots, que M. Galluzzo a estimés à un montant global de 48 293 325 dollars, semblent raisonnables. Je conclus que la méthode qu’a utilisée M. Galluzzo pour calculer les revenus totaux découlant de la vente des lots était appropriée et raisonnable. M. Galluzzo a estimé les revenus tirés de la vente de lots résidentiels à 47 595 600 dollars, en se fondant sur le nombre de lots et la valeur par pied-façade pour chaque type de lot (maisons unifamiliales, maisons jumelées et maisons en rangée). Il a fondé son estimation de la valeur par pied-façade sur son étude des ventes de lots comparables à des constructeurs de la région de Bradford (moyenne de 3 320 dollars par pied-façade), de même que sur l’enquête sur la valeur des lots de MCAP de mai 2010 pour Newmarket (un marché supérieur) et Barrie (un marché inférieur), qui tenait compte des frais d’aménagement. Les différents chiffres ont été inclus dans le rapport Galluzzo. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que les revenus projetés pour les lots dotés de services étaient fondés sur un échéancier de trois ans (augmentation de 5 % par année selon une étude du marché de Bradford pour les années 2008 à 2010 effectuée par M. Galluzzo). Comme M. Galluzzo l’a indiqué, les revenus projetés pour les lots dotés de services peuvent sembler un peu plus élevés que les transactions signalées concernant les lots dotés de services dans la région, mais il a tenu compte du fait qu’une partie des lots des terrains seraient de qualité supérieure par rapport aux transactions comparables, et que les transactions comparables avaient probablement été négociées avant la date de vente enregistrée.

[148]  L’intimée a soutenu que la méthode utilisée par M. Galluzzo ne contenait pas les calculs détaillés ayant permis d’en arriver aux chiffres indiqués dans son rapport. Toutefois, je suis prête à retenir les calculs des revenus préparés par M. Galluzzo, puisqu’il n’était pas nécessaire de faire des calculs pour en arriver aux différents chiffres, ces derniers étant simplement tirés des données du marché.

[149]  De plus, les revenus tirés d’un bloc scolaire et d’un bloc prévu pour un projet d’aménagement futur (bloc 295) ont été inclus. À l’audience, M. Galluzzo a également affirmé que les revenus tirés de trois autres blocs doivent être inclus, jusqu’à concurrence de 81 300 dollars.

[150]  Comme je l’ai signalé précédemment, il fallait estimer les coûts d’aménagement pour amener les terrains de leur état brut à un lotissement doté de tous les services publics et prêt à recevoir un permis de construction; ils seront déduits des revenus totaux estimés. Conformément au rapport d’estimation des coûts d’UEL, les coûts d’aménagement des terrains, selon le plan préliminaire de lotissement daté du 28 octobre 2010, ont été estimés au total de 34 250 000 dollars (y compris un coût de 2 100 000 dollars pour l’importation de terre de remblai, un coût de 300 000 dollars pour une étude archéologique (Phase II) et un coût de 1 500 000 dollars pour les frais de financement). À partir de la méthode du lotissement, M. Galluzzo a estimé les coûts d’aménagement à 34 085 617 dollars au total, en tenant compte des coûts propres au site.

[151]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il est raisonnable d’estimer le total des coûts d’aménagement des terrains à 31 481 362 dollars.

[152]  Comme je l’ai conclu ci-dessus, l’estimation des coûts de 300 000 dollars pour la remise en état du cimetière des Premières Nations et de 250 000 dollars pour le second accès routier depuis Simcoe Road ne doit pas être incluse dans l’estimation des coûts d’aménagement. L’estimation du coût d’importation de terre de remblai incluse dans les coûts d’aménagement doit être réduite de 3 000 000 dollars à 1 965 600 dollars. De plus, pour les motifs indiqués ci-après, la réserve pour éventualités équivalant à 5 % de tous les coûts d’aménagement doit être réduite, passant de 1 623 125 dollars à 653 270 dollars, et les frais de financement devraient être réduits, passant de 200 000 dollars à 150 000 dollars.

[153]  Je reconnais que les coûts d’aménagement suivants totalisant 12 507 460 dollars sont raisonnables et doivent être inclus dans le total des coûts d’aménagement en application de la méthode du lotissement :

  • i) coûts de base pour doter les terrains des services publics (égouts sanitaires, gestion des eaux pluviales, aqueduc, routes et trottoirs) (6 592 000 dollars);

  • ii) réseau électrique et système d’éclairage des rues (1 804 500 dollars au total ou 4 500 dollars par lot);

  • iii) coûts pour l’aménagement paysager et le clôturage (401 000 dollars au total ou 1 000 dollars par unité);

  • iv) coût des travaux d’ingénierie (730 700 dollars);

  • v) coûts pour l’embauche de spécialistes évaluateurs/géotechniques/divers (200 500 dollars au total ou 500 dollars par lot);

  • vi) frais de génie municipal (353 815 dollars);

  • vii) frais divers (50 000 dollars);

  • viii) frais de gestion et de développement (802 000 dollars au total ou 2 000 dollars par unité);

  • ix) frais juridiques et de marketing (300 750 dollars au total ou 750 dollars par unité);

  • x) taxes foncières et assurances (357 195 dollars);

  • xi) frais de lettres de crédit (200 000 dollars);

  • xii) coûts pour le raccordement de l’infrastructure de service externe (715 000 dollars).

[154]  Je conclus également que les estimations des frais d’aménagement (13 065 382 dollars) sont raisonnables et doivent être incluses dans le total des coûts d’aménagement. Comme je l’ai signalé précédemment, ces coûts sont payables à la délivrance d’un permis de construction. Ce montant n’a pas été calculé en fonction des montants payés ou payables en application des ententes de paiement anticipé; il a plutôt été calculé en tenant compte des frais d’aménagement à l’intérieur de Bradford à la date d’évaluation pour les maisons unifamiliales, les maisons jumelées et les maisons en rangées. Les calculs de M. Galluzzo sont raisonnables.

[155]  Les coûts d’aménagement tels qu’ils ont été estimés par M. Galluzzo incluaient les frais de financement de 200 000 dollars qui ont été estimés pour un prêt de 20 000 000 dollars (couvrant 60 % des coûts d’aménagement des terrains) avec une commission d’engagement du prêteur de 1 %. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que la commission d’engagement du prêteur est une commission que facture la banque pour entreprendre les démarches relatives au financement d’un projet ou des coûts de mise en place des services pour un projet; il s’agit d’une commission unique qui s’ajoute aux intérêts. Je suis d’avis qu’il est raisonnable d’estimer la commission d’engagement du prêteur à 150 000 dollars et non à 200 000 dollars Le montant estimé par M. Galluzzo représente le montant maximal qu’un promoteur devra payer à cet égard. Comme il est indiqué dans le rapport Galluzzo, [traduction] « La plupart des promoteurs sont en mesure de négocier une commission du prêteur s’élevant entre 50 et 100 points de base, tout dépendant des risques liés au projet d’aménagement, de leurs relations financières et de leur crédit. À la limite supérieure de cette fourchette, les frais de financement seront de 200 000 dollars » (rapport Galluzzo, p. 76). Il ne serait pas raisonnable d’estimer que la commission d’engagement du prêteur équivaudrait à la limite supérieur de la fourchette; c’est pourquoi j’ai conclu qu’un montant se situant entre 100 000 dollars et 200 000 dollars, soit 150 000 dollars, serait approprié.

[156]  Je conclus que l’estimation de coût de 800 000 dollars pour les intérêts, calculé sur la base d’un prêt pour la mise en place des services de 20 000 000 dollars au taux d’intérêt de 4 %, avec un terme de 24 mois par phase, est raisonnable et doit être incluse dans les coûts d’aménagement des terrains.

[157]  Je conclus également que l’estimation de coût de 1 500 000 dollars pour le financement des terrains, basée sur un prêt de 5 000 000 dollars pour l’achat des terrains, un terme de six ans et un taux d’intérêt de 5 %, est raisonnable et doit être incluse dans les coûts d’aménagement des terrains. Ces coûts tiennent compte du fait que la mise en place des services publics nécessaires se ferait seulement entre 2014 et 2018, en raison de retards; ils incluent une estimation de coût de 750 000 dollars relative au retard additionnel de trois ans dans l’aménagement des terrains. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que si ce n’était du retard concernant les terrains, il aurait utilisé une période de trois ans seulement, soit le temps habituellement nécessaire pour un projet d’aménagement, quand les terrains sont dotés des services nécessaires. Comme je l’ai indiqué précédemment, je suis d’avis que la mise en place des services a été retardée en raison du retard dans la construction de la station de pompage de Green Valley et du réseau connexe de conduites principales et de canalisations forcées à travers le réseau routier municipal jusqu’à l’usine de gestion des eaux usées.

[158]  M. Galluzzo a inclus une réserve pour éventualités pour les services de 839 650 dollars dans les estimations de coûts. Ce montant représente 10 % du total des coûts de base pour la mise en place des services (6 592 000 dollars), ainsi que des coûts pour l’installation du réseau électrique et du système d’éclairage des rues (1 804 500 dollars). Selon M. Galluzzo, il est habituel de tenir compte d’une réserve pour éventualités pour les services, et un taux de 10 % est considéré comme raisonnable dans le milieu de l’aménagement de terrains. En outre, selon M. Galluzzo, comme les coûts de base et les coûts relatifs au réseau électrique constituent des estimations et non des montants garantis, il est justifié de tenir compte de cette réserve pour éventualités pour les services, laquelle constitue une réserve pour toute modification potentielle de ces coûts. Considérant qu’il est habituel dans l’industrie de prévoir une réserve pour éventualités de 10 % pour les services, j’inclus cette réserve pour éventualités dans le calcul des coûts d’aménagement des terrains.

[159]  De plus, une réserve pour éventualités pour l’aménagement équivalant à 5 % du total des coûts d’aménagement, soit un montant de 1 623 125 dollars, a été incluse dans l’estimation des coûts. M. Galluzzo a affirmé dans son témoignage que l’objectif de la réserve pour éventualités pour l’aménagement est de tenir compte de ce que les frais d’aménagement d’environ 13 millions de dollars pourraient changer, et ils ont bel et bien augmenté à Bradford après la date d’évaluation; elle tient également compte de l’incertitude quant à la date de mise en place des services (environ 8,3 millions de dollars) et au financement des terrains. M. Galluzzo a témoigné qu’étant donné que tous les coûts sont en fait des estimations, on prévoit habituellement un montant pour éventualités en dollars applicable à tous les coûts estimés. Je suis d’avis qu’en ce qui concerne la réserve pour éventualités pour l’aménagement, il est raisonnable de l’appliquer aux estimations de coûts pour les frais d’aménagement et non aux autres coûts; elle doit être limitée au montant de 653 270 dollars. Je suis également d’avis qu’il ne faudrait pas l’appliquer aux coûts de base pour la mise en place des services et aux coûts pour le réseau électrique et le système d’éclairage des rues, étant donné qu’une réserve pour éventualités de 10 % pour les services a déjà été incluse dans l’estimation des coûts. Il n’est pas approprié d’ajouter un montant pour éventualités pour l’aménagement au montant pour éventualités pour les services. En outre, je suis également d’avis que le retard dans la mise en place des services publics a déjà été pris en compte dans les coûts de financement additionnels des terrains; il ne serait pas approprié de tenir compte d’un montant additionnel pour éventualités pour ce risque. Enfin, je suis d’avis qu’il ne faut appliquer aucun montant pour éventualités aux autres estimations de coûts, puisque la nature de ces coûts ne va pas dans le sens l’idée que l’on y applique un montant pour éventualités pour l’aménagement (par exemple, les frais de lettres de crédit) ou parce qu’il est établi dans le rapport Galluzzo que les estimations de coûts sont raisonnables.

[160]  Pour estimer la valeur du futur projet d’aménagement des terrains (9 567 964 dollars), la marge de profit du promoteur, estimée à 15 % du total des revenus bruts de 48 293 325 dollars, soit un montant de 7 243 999 dollars, doit être déduite du résultat obtenu en soustrayant de l’estimation des revenus totaux (48 293 325 dollars) le total des coûts estimés d’aménagement (31 481 362 dollars). Le taux de 15 % était fondé sur ce qui constitue, de l’avis de M. Galluzzo, la marge de profit des promoteurs lors de projets d’aménagement de lotissement (laquelle se situe généralement entre 10 % et 15 %), de même que sur le fait que Bradford constituait un marché secondaire en comparaison de la région du Grand Toronto. Il est raisonnable de conclure qu’une marge de profit correspondant à la limite supérieure de la fourchette est justifiée, compte tenu des risques liés à l’aménagement et des retards, conformément à ce qu’a indiqué M. Galluzzo. Dans le rapport Galluzzo, la valeur du futur projet d’aménagement des terrains est estimée à 6 894 605 dollars. La différence découle des différentes estimations des coûts d’aménagement dont j’ai refusé de tenir compte dans les calculs, pour les motifs exposés plus haut.

[161]  Compte tenu de ma conclusion, la valeur estimée du futur projet d’aménagement serait donc de 9 567 964 dollars, ou 131 591 dollars par acre aménageable net, en fonction d’un échéancier de trois ans. Comme je l’ai indiqué précédemment, puisque les terrains n’étaient pas dotés des services publics nécessaires à la date d’évaluation et que la construction de la station de pompage de Green Valley avait été retardée, je retiens l'opinion de M. Galluzzo portant qu’il est raisonnable de prévoir un retard additionnel de trois ans. M. Galluzzo a estimé que la valeur des terrains devait être réduite de 7 % par année durant trois ans pour en arriver à la valeur actuelle des terrains. En appliquant le même raisonnement, et en ayant recours en l’espèce à la méthode du lotissement, on peut conclure que la valeur marchande des terrains à la date d’évaluation peut être estimée à 7 810 309 dollars, ou 107 417 dollars par acre aménageable net.

[162]  En appliquant la méthode du lotissement exposée dans le rapport Galluzzo, je conclus que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 7 800 000 dollars, ou 107 275 dollars par acre aménageable net.

VII. CONCLUSION

[163]  Le présent appel mettait en cause des opinions sur l’évaluation de terrains qui divergeaient considérablement. Si le prix payé par l’appelante pour acquérir les terrains constituait le reflet exact de leur juste valeur marchande en 2006, les différences dans les positions des parties étaient particulièrement prononcées. L’expert embauché par l’appelante a soutenu que la juste valeur marchande des terrains avait diminué d’environ 23 % au cours d’une période de trois ans et demi. L’expert embauché par l’intimée a soutenu que leur juste valeur marchande avait augmenté d’environ 90 % au cours de la même période de trois ans et demi. Je retiens en grande partie l’analyse de M. Galluzzo, sous réserve d’ajustements afin de tenir compte d’hypothèses que je ne tiens pas pour avérées et d’estimations des coûts d’aménagement qui selon moi ne doivent pas être incluses en application de la méthode du lotissement.

[164]  J’estime que la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation était de 7 800 000 dollars. Par conséquent, l’appelante n’a pas droit à une déduction en application du paragraphe 10(1), puisque la juste valeur marchande des terrains à la date d’évaluation n’est pas inférieure au coût des terrains.

[165]  Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté. Les parties disposent de 30 jours pour s’entendre sur les dépens, à défaut de quoi elles devront chacune présenter des observations d’une longueur d’au plus cinq pages sur la question. L’intimée disposera alors d’un délai de dix jours pour présenter ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’appelante disposera d’un délai de dix jours pour présenter sa réponse par écrit. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et ne déposent pas d’observations dans les délais susmentionnés, les dépens seront adjugés à l’intimée selon ce que prévoit le tarif; toutefois, compte tenu de ma conclusion sur le rapport Otway, aucuns dépens ne doivent être adjugés à l’intimée à l’égard des honoraires de témoins experts.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2019.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour d'avril 2020.

François Brunet, réviseur


 

RÉFÉRENCE :

2019 CCI 134

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1473(IT)G

INTITULÉ :

STELLARBRIDGE MANAGEMENT INC.,

c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 10, 11, 12 et 13 avril 2018 et

les 5, 6, 7 et 8 novembre 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 juin 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me David C. Nathanson, c.r.

Me Adrienne Woodyard (du 10 au 13 avril 2018, uniquement)

Me Ashley Boyes (du 5 au 8 novembre 2018, uniquement)

Avocates de l’intimée :

Me Dominique Gallant

Me Laura Rhodes

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me David C. Nathanson, c.r.

Me Adrienne K. Woodyard

Me Ashley Boyes

Cabinet :

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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