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Dossier : 2016-77(IT)G

ENTRE :

SILVER WHEATON CORP.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

JOE ELEK, THOMAS BARTSCH, LARRY BRANDOW,

DIANA CHOI, BENJAMIN POTARACKE,

JEDRZEJ BOROWCZYK, CHARLES REMMEL,

demandeurs (requérants).

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 16 mai 2019, à Vancouver (Colombie-Britannique)

Devant : L’honorable juge Steven K. D’Arcy

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Thomas Gelbman

Me Carly Fidler

Avocats de l’intimée :

Me Matthew Turnell

Me Perry Derksen

Me Michael Taylor

Avocat des demandeurs :

Me Paul Miller

 


ORDONNANCE

Conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints :

1. Les requérants sont autorisés par la Cour à déposer leur requête;

2. La requête des requérants concernant l’engagement implicite de confidentialité, tel qu’elle est décrite plus en détail dans les Motifs de l’ordonnance ci-joints, est rejetée; et

3. Les dépens sont accordés à Silver Wheaton Corp., 70 % sont payables par les requérants et 30 % par l’intimée. Les parties disposeront d’un délai de 30 jours à compter de la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi elles seront invitées à déposer leurs observations écrites sur les dépens dans les 60 jours suivant la date du présent jugement. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages.

Signé à Antigonish (Nouvelle-Écosse), ce 19e jour d’août 2019.

« S. D’Arcy »

Le juge D’Arcy

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de novembre 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2019 CCI 170

Date : 20190819

Dossier : 2016-77(IT)G

ENTRE :

SILVER WHEATON CORP.

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

JOE ELEK, THOMAS BARTSCH, LARRY BRANDOW,

DIANA CHOI, BENJAMIN POTARACKE,

JEDRZEJ BOROWCZYK, CHARLES REMMEL,

demandeurs (requérants).

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge D’Arcy

[1] Sept personnes qui ne font pas partie de l’appel dont la Cour a été saisie présentent cette requête. J’appellerai ces sept personnes les « Tiers ». Comme je l’expliquerai plus loin, les Tiers sont les représentants demandeurs dans le cadre d’un recours collectif intenté en Californie.

[2] La requête porte sur l’application de l’engagement implicite de confidentialité à l’interrogatoire préalable de l’appelante Silver Wheaton Corp. Dans la requête déposée initialement, on demandait ce qui suit :

  • - Une ordonnance de la Cour accordant aux Tiers l’autorisation de déposer et de signifier la présente requête;

  • - Une ordonnance de la Cour exigeant que Silver Wheaton Corp. (« SilverWheaton ») fournisse aux Tiers des copies des documents suivants pour utilisation dans des litiges connexes en Californie :

  1. Tous les documents que Silver Wheaton a désignés dans toute liste de documents (et toute modification ou tout supplément à ces documents) déposés dans le présent appel;

  2. Tous les documents que Silver Wheaton a produits en réponse aux engagements pris au cours de l’interrogatoire préalable dans le présent appel;

  3. Toutes les réponses écrites pour satisfaire aux engagements pris au cours de l’interrogatoire préalable dans le présent appel;

  4. Les transcriptions de tous les interrogatoires préalables des représentants de Silver Wheaton dans le présent appel;

  5. Tous les affidavits des représentants de Silver Wheaton dans le présent appel; et

  6. Toutes les réponses aux demandes d’aveux dans le présent appel.

[3] Peu de temps après que l’avocat des Tiers a commencé à présenter ses arguments, je lui ai demandé si la Cour avait compétence pour rendre une ordonnance de production exigeant que Silver Wheaton produise des documents à une personne qui n’est pas une partie à l’instance devant la Cour. Après avoir examiné cette question, les avocats des Tiers, avec le consentement de l’avocat de Silver Wheaton et de l’avocat de l’intimée (la Couronne), ont modifié la requête des Tiers de sorte qu’ils ne demandent plus d’ordonnance de production de documents, mais se concentrent plutôt uniquement sur l’application de l’engagement implicite de confidentialité pris à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton. Plus précisément, la requête modifiée vise ce qui suit :

Une ordonnance déclarant que l’engagement implicite de confidentialité ne s’applique pas ou, s’il s’applique, qu’il fait l’objet d’une exemption à l’égard de :

  1. Tous les documents que Silver Wheaton a désignés dans toute liste de documents (et toute modification ou tout supplément à ces documents) déposés dans le présent appel;

  2. Tous les documents que Silver Wheaton a produits en réponse aux engagements pris au cours de l’interrogatoire préalable dans le présent appel;

  3. Toutes les réponses écrites fournies en réponse aux engagements pris au cours de l’interrogatoire préalable par Silver Wheaton dans le présent appel;

  4. Les transcriptions de tous les interrogatoires préalables des représentants de Silver Wheaton dans le présent appel;

  5. Tous les affidavits des représentants de Silver Wheaton dans le présent appel; et

  6. Toutes les réponses aux demandes d’aveux de Silver Wheaton dans le présent appel.

[4] Silver Wheaton s’oppose à la requête modifiée.

[5] La Couronne appuie la thèse des Tiers selon laquelle l’engagement implicite de confidentialité ne s’applique pas à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton. Elle ne prend pas position à l’égard de la demande des Tiers visant à ce que la Cour accorde une exemption en ce qui concerne l’engagement implicite de confidentialité à l’égard de l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton. Comme je l’expliquerai plus loin, je trouve troublant que la Couronne, qui est partie à toutes les instances devant cette Cour, appuie une thèse qui, si elle était acceptée, affaiblirait sérieusement l’application de l’engagement implicite de confidentialité devant cette Cour.

I. Résumé des faits

[6] Le 8 janvier 2016, Silver Wheaton a interjeté appel devant cette Cour (l’« appel devant la Cour de l’impôt ») de nouvelles cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 24 septembre 2015.

[7] Les questions soulevées dans les nouvelles cotisations et dans l’appel devant la Cour de l’impôt ont trait aux rajustements des prix de transfert en application de l’article 247 de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2005 à 2010. Les sommes en jeu dépassaient 280 millions de dollars.

[8] Au cours de l’appel, les parties ont franchi de nombreuses étapes du litige, notamment en fournissant leurs listes de documents et en procédant à l’interrogatoire préalable des représentants de l’autre partie.

[9] Silver Wheaton a informé la Cour que Silver Wheaton et la Couronne avaient divulgué environ 32 000 documents dont les dates s’échelonnent de 2004 à 2011. Les deux représentants de Silver Wheaton qui se sont présentés à l’interrogatoire préalable ont été interrogés au cours de 23 jours d’interrogatoires. Silver Wheaton a répondu à environ 900 engagements.

[10] Le 13 décembre 2018, Silver Wheaton, au nom des parties, a informé la Cour que les parties avaient conclu un règlement amiable à cette date et que Silver Wheaton avait annoncé les modalités de l’entente de règlement par voie de communiqué.

[11] Le règlement a été conclu avant la fin de l’interrogatoire préalable.

[12] Tous les documents déposés à la Cour canadienne de l’impôt dans le cadre du présent appel, y compris toutes les transcriptions et les requêtes, à l’exception de l’avis d’appel, de la réponse à l’avis d’appel et de la réplique, sont assujettis à une ordonnance de mise sous scellés rendue par mon collègue, le juge Hogan. Cette ordonnance expire le 30 septembre 2019. L’une ou l’autre des parties peut présenter, au plus tard le 30 septembre 2019, une requête en prorogation de l’ordonnance de mise sous scellés ou une requête en vue d’une ordonnance permanente de mise sous scellés.

[13] Le 18 décembre 2015, les Tiers ont déposé un recours collectif fédéral en valeurs mobilières devant la Cour de district des États-Unis, District central de Californie (que j’appellerai le « Recours collectif américain »). Les Tiers ont déposé le Recours collectif américain au nom d’un groupe de toutes les personnes et entités qui ont acheté ou autrement acquis les titres de Silver Wheaton du 30 mars 2011 au 6 juillet 2015. Les défendeurs dans le Recours collectif américain sont Silver Wheaton et trois particuliers. Les trois particuliers sont des dirigeants et d’anciens dirigeants de Silver Wheaton.

[14] Dans le Recours collectif américain, les Tiers soutiennent qu’ils ont subi un préjudice en raison d’une baisse du cours de l’action de Silver Wheaton dont celle-ci serait responsable en raison de son omission alléguée de divulguer, en temps opportun, la nouvelle cotisation du ministre établie en application de l’article 247 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le Recours collectif américain est décrit comme suit dans une décision de la Cour de district des États-Unis, District central de Californie :

[traduction]

Les demandeurs, dans leur plainte consolidée, . . . allèguent que Silver [Silver Wheaton]. . . a déposé des états financiers faux et trompeurs auprès de la Securities and Exchange Commission (« SEC ») des États-Unis, à savoir que Silver a omis de divulguer un risque que l’Agence du revenu du Canada (« Agence ») établisse probablement une nouvelle cotisation à l’égard de son obligation fiscale aux termes des règles canadiennes sur les prix de transfert pour les bénéfices réalisés par sa filiale aux îles Caïmans, pour lesquels Silver ne paie aucun impôt canadien. . . . Le 6 juillet 2015, Silver a annoncé qu’elle avait reçu de l’Agence une proposition d’établissement d’une nouvelle cotisation de son revenu gagné par ses filiales étrangères pour les années d’imposition 2005 à 2010, aux termes des dispositions en droit fiscal canadien sur les prix de transfert. . . . Silver conteste cette nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt. Ces actions en justice consolidées ont été déposées les 8 et 9 juillet 2015, alléguant que Silver aurait été informée de l’intention de l’Agence d’effectuer une vérification au plus tard en février 2011. . . . Par conséquent, la période visée par les recours collectifs va du 30 mars 2011 au 6 juillet 2015. . . . [1]

[15] À un moment donné, les Tiers ont déposé une requête dans le cadre du Recours collectif américain pour obtenir la production de documents. Plus précisément, les Tiers ont demandé la production de deux catégories de documents : les premiers avis juridiques fournis par Silver Wheaton à son vérificateur, Deloitte & Touche LLP (Canada), et à son consultant, PricewaterhouseCoopers LLP (Canada); et les seconds, toutes les preuves produites lors de l’interrogatoire préalable dans cet appel, c’est-à-dire l’appel devant la Cour de l’impôt. Cela comprenait des éléments de preuve produits par Silver Wheaton et par la Couronne lors de l’interrogatoire préalable.

[16] La Cour de district des États-Unis a accueilli la requête à l’égard du premier groupe de documents [2] , mais a rejeté la requête à l’égard de la preuve produite lors de l’interrogatoire préalable dans le cadre de l’appel devant la Cour de l’impôt. La Cour a déclaré ce qui suit en rendant sa décision en ce qui concerne l’interrogatoire préalable :

[traduction]

Les demandeurs réclament une ordonnance en vue d’obtenir la production de tous les interrogatoires préalables qui ont eu lieu devant la Cour canadienne de l’impôt où Silver [Silver Wheaton] conteste la nouvelle cotisation de l’Agence. Cela comprendrait les transcriptions des témoignages du personnel de Silver et les documents communiqués à Silver par l’Agence. Silver soutient que le principe canadien de common law d’un « engagement implicite » interdit à une partie d’utiliser des documents communiqués lors d’un interrogatoire préalable dans une autre instance sans avoir obtenu au préalable l’approbation du tribunal canadien à qui l’engagement est dû. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la doctrine de l’» engagement implicite » s’appliquerait à tous les interrogatoires préalables visés par les demandeurs.

Dans un premier temps, les documents de la Cour canadienne de l’impôt concernent exclusivement une instance canadienne qui ne « touche pas » les États-Unis. Ainsi, le droit canadien en matière de privilège s’applique aux documents de la Cour canadienne de l’impôt. De plus, il semble que la doctrine canadienne de l’« engagement implicite » s’applique de façon à interdire la communication des documents dans l’instance en question, en l’absence d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt. Le juge Bastarache [le témoin expert de Silver Wheaton dans la requête de la Cour de district des États-Unis] note dans sa déclaration que, d’après la jurisprudence, [traduction] « puisque l’engagement est pris a l’égard du tribunal qui préside le litige, seul le tribunal auquel l’engagement a été pris a compétence pour modifier son application ». (Document no 171, au paragraphe 40.) Un demandeur peut chercher à modifier un engagement implicite en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un intérêt public ayant plus de poids que le principe de la protection de la vie privée et de la conduite efficace des litiges civils. (Id., au paragraphe 41.) Les demandeurs soutiennent que l’intérêt public dans cette affaire justifierait une exemption par rapport au principe de l’engagement implicite, mais, même en supposant qu’il en soit ainsi, les demandeurs doivent présenter cet argument à la Cour canadienne de l’impôt pour qu’elle tranche la question en premier lieu [3] .

[17] Les Tiers ont par la suite présenté cette requête. Cependant, les Tiers ne demandent que l’accès à la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton. Pour le moment, ils ne demandent pas le prononcé d’une ordonnance à l’égard de la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable de la Couronne.

II. Questions soulevées par les parties

[18] Les parties, en particulier les Tiers, soulèvent les questions suivantes :

  1. La Cour a-t-elle compétence pour ordonner que l’engagement implicite ne s’applique pas à l’interrogatoire préalable de SilverWheaton ou pour accorder une ordonnance d’exemption à l’engagement implicite?

  2. Les Tiers ont-ils qualité pour soumettre la présente requête?

  3. L’engagement implicite s’applique-t-il aux documents ou transcriptions de l’interrogatoire préalable de SilverWheaton ainsi qu’aux réponses écrites?

  4. Si l’engagement implicite s’applique à l’interrogatoire préalable de SilverWheaton, la Cour devrait-elle accorder une exemption à l’engagement qui s’applique à l’interrogatoire préalable de SilverWheaton?

III. L’engagement implicite de confidentialité

[19] Les règles de la Cour canadienne de l’impôt ne contiennent pas de disposition particulière traitant de l’utilisation de la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable en dehors de l’appel dans lequel elle a été présentée. Par conséquent, la Cour doit se tourner vers la common law.

[20] L’arrêt Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157 [arrêt Juman] de la Cour suprême du Canada fait jurisprudence sur l’engagement implicite de confidentialité.

[21] L’appelante dans l’arrêt Juman a fourni des services de garderie à son domicile. Un enfant de 16 mois a subi une crise convulsive alors qu’il était sous la garde de l’appelante. L’enfant et ses parents ont poursuivi en dommages-intérêts les propriétaires et les exploitants de la garderie. Au moment de l’audience devant la Cour suprême du Canada, le service de police de Vancouver menait une enquête criminelle visant l’appelante. L’appelante a été arrêtée en mai 2004, mais à la date de l’audience devant la Cour suprême du Canada, aucune accusation n’avait été portée.

[22] L’appelante a présenté à la Cour suprême de la Colombie-Britannique (CSCB) une requête interlocutoire visant à interdire aux parties à l’instance civile de fournir les transcriptions de l’interrogatoire préalable (qui n’avait pas encore eu lieu) à la police. Elle a également demandé une ordonnance empêchant la communication de renseignements tirés des transcriptions à la police ou au procureur général de la Colombie-Britannique et une ordonnance interdisant au procureur général de la Colombie-Britannique, à la police et à la GRC d’obtenir et d’utiliser des copies des transcriptions et des notes du procureur en l’absence de toute ordonnance judiciaire. Elle s’est appuyée sur l’engagement implicite de confidentialité.

[23] Le procureur général de la Colombie-Britannique s’est opposé aux requêtes de l’appelante et a présenté sa propre requête à la CSCB pour obtenir une ordonnance portant que :

[traduction]

[. . .] l’engagement implicite auquel est assujettie la transcription de l’interrogatoire préalable de la défenderesse, Suzette Juman, aussi connue sous le nom de Suzette McKenzie, soit modifié de façon à permettre :

1. à toute personne en possession légitime de la transcription d’en transmettre une copie à la police ou au procureur général pour aider au déroulement de l’enquête et/ou à la poursuite de toute infraction criminelle susceptible d’avoir été commise;

2. à la police ou au procureur général d’utiliser tout outil d’enquête (y compris, mais non de façon limitative, les mandats de perquisition et les assignations à comparaître) qui pourrait autrement leur être remis afin d’obtenir une copie de la transcription [4] .

[24] Après l’audience de la CSCB, l’appelante a été interrogée lors d’un interrogatoire préalable pendant quatre jours entre juin 2005 et septembre 2006. En 2006, les parties ont réglé le litige civil. L’interrogatoire préalable de l’appelante n’a jamais été présenté en preuve au procès, et son contenu n’a jamais été divulgué en audience publique.

[25] La CSCB a rejeté les requêtes de l’appelante, mais a déclaré que l’engagement implicite s’appliquait à l’interrogatoire préalable de l’appelante. Plus précisément, la CSCB déclarait ce qui suit dans son ordonnance :

[traduction]

LA COUR DÉCLARE que :

1. Le procureur général de la Colombie-Britannique et le service de police de Vancouver, ainsi que leurs préposés et mandataires, ont l’obligation légale de ne pas faire en sorte que l’une ou l’autre des parties à cette action ou leurs avocats violent leur engagement à l’égard des interrogatoires préalables de la défenderesse, Suzette McKenzie, soumis dans ces instances sans le consentement de la défenderesse, Suzette McKenzie, ou sans autre ordonnance du présent tribunal. . . . [5]

[26] Le procureur général de la Colombie-Britannique a interjeté appel de l’ordonnance de la CSCB devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (CACB). La CACB a accueilli l’appel et a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[88] L’engagement implicite de confidentialité dans le processus de l’interrogatoire préalable civil n’empêche pas les parties à cette action de divulguer de bonne foi à la police les éléments de preuve fournis par Mme McKenzie lors de son interrogatoire préalable dans le but d’aider la police dans son enquête criminelle.

[89] Le procureur général de la Colombie-Britannique, le SPV et la GRC peuvent obtenir la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable de Mme McKenzie par des moyens d’enquête licites, y compris des assignations à comparaître et des mandats de perquisition.

[27] L’appelante, Suzette Juman, a interjeté appel de la décision de la CACB devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel en déclarant ce qui suit au paragraphe 58 de sa décision :

[58] Comme nous l’avons vu, aucune des parties soumise à l’engagement implicite n’a demandé à la cour d’être libérée de ses obligations. La demande est présentée uniquement par le procureur général de la Colombie-Britannique et vise à permettre à

[traduction] toute personne en possession légitime de la transcription d’en transmettre une copie à la police ou au procureur général pour aider au déroulement de l’enquête et/ou à la poursuite de toute infraction criminelle susceptible d’avoir été commise. [C.S.C.-B. par. 6]

Je ne contesterais pas au procureur général la qualité requise pour demander la modification d’un engagement implicite auquel il n’est pas partie, mais je conviens avec le juge en chambre que sa demande doit être rejetée compte tenu des faits de l’espèce. Le but de la demande est de contourner le droit de l’appelante de garder le silence lors de l’enquête policière sur sa conduite. Les autorités ne devraient pas pouvoir se procurer indirectement une transcription qu’elles ne peuvent obtenir directement au moyen d’un mandat de perquisition habituel faute de motifs suffisants.

[28] Avant de rendre sa décision, la Cour suprême du Canada a procédé à un examen détaillé de la common law concernant l’engagement implicite de confidentialité. Au paragraphe 27 de l’arrêt Juman, le juge Binnie a déclaré ce qui suit au sujet de la règle applicable aux renseignements documentaires et oraux obtenus lors de l’interrogatoire préalable :

À juste titre donc, la loi impose aux parties à un litige civil un engagement envers la cour de ne pas utiliser les documents ou les réponses pour toute autre fin que la recherche de la justice dans l’instance civile au cours de laquelle ils ont été obtenus (que ces documents ou réponses aient été ou non à l’origine confidentiels ou incriminants). [. . .]

[29] Comme la Cour l’a fait remarquer dans la décision Armstrong c. La Reine, 2013 CCI 59, [2013] A.C.I. 208 (QL), au paragraphe 26, en invoquant l’arrêt Juman, le but d’un engagement implicite est de fournir une mesure raisonnable de protection du droit à la vie privée de la personne interrogée lorsque la production de documents et de renseignements est obligatoire, et d’encourager une divulgation complète et franche.

[30] Dans l’arrêt Juman, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que l’engagement implicite peut être modifié ou peut faire l’objet d’une exemption dans certaines situations particulières et qu’il disparaît lorsqu’un document est présenté en audience publique. La Cour a également noté que l’engagement implicite avait survécu au règlement de la poursuite civile. Le fait qu’un règlement ait rendu l’interrogatoire préalable sans objet n’a aucune incidence sur le droit à la vie privée de l’appelante. L’engagement continue de lier les parties [6] .

[31] Dans ses motifs dans l’arrêt Juman, la Cour suprême du Canada a fait référence à sa décision antérieure dans l’arrêt Lac d’Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 RCS 743 [arrêt Lac d’Amiante]. Dans l’arrêt Lac d’Amiante, il s’agissait de déterminer s’il existe une règle implicite de confidentialité concernant la preuve ou l’information obtenue lors de l’interrogatoire préalable en vertu du Code de procédure civile du Québec. Les appelants ont soutenu qu’une telle règle n’existait pas en droit civil québécois. L’intimé a soutenu que la règle implicite de confidentialité est acceptée dans les provinces et territoires de common law partout au Canada et que l’introduction de cette règle en droit civil québécois serait utile pour faciliter la tenue des interrogatoires. En outre, l’intimé a fait valoir que les changements survenus dans la procédure civile québécoise et dans les règles de droit substantiel appuient la règle.

[32] La Cour suprême du Canada a conclu, au paragraphe 78 de l’arrêt Lac d’Amiante, que « [c]ette règle de confidentialité, analogue dans ses effets aux mécanismes juridiques créés par la common law, peut être reconnue au Québec, conformément aux techniques d’une analyse civile, à partir des principes fondamentaux qui structurent le droit civil et la procédure judiciaire ».

[33] Lorsqu’elle a rendu cette décision, la Cour suprême a formulé un certain nombre d’observations au sujet de l’application de l’engagement implicite de confidentialité, en se fondant, en partie, sur la common law. Bien que certains de ces commentaires aient été répétés dans l’arrêt Juman, la Cour suprême a fait un commentaire précis soulignant que, si l’information n’est pas produite en audience publique, elle demeure confidentielle. Plus précisément, au paragraphe 65, la Cour suprême a fait la déclaration suivante :

En retenant cette règle, même si la confidentialité est compromise en partie dès l’étape de l’interrogatoire préalable, une certaine protection de la vie privée subsiste. Si le procès n’a jamais lieu, l’information demeure en principe confidentielle. Par ailleurs, lorsque la partie qui procède à un interrogatoire décide de ne pas se servir du contenu de celui-ci pour les fins du procès, le droit à une pleine confidentialité subsiste, sous réserve des conséquences pratiques de la communication de l’information.

[Non souligné dans l’original.]

IV. Les thèses des parties

[34] Les Tiers notent que la présente Cour a une compétence inhérente de faire respecter sa propre procédure. Puisque la protection aux termes de l’engagement implicite découle des obligations d’une partie aux termes des règles de l’interrogatoire préalable de la Cour, les décisions relatives à la divulgation permise aux termes de la règle de l’engagement implicite font partie de la procédure de la Cour. De plus, puisque l’engagement est envers la Cour, seule la Cour peut renoncer à l’engagement implicite. Pour ces motifs, la Cour a compétence pour entendre la requête des Tiers.

[35] En ce qui concerne la qualité pour agir des Tiers pour présenter cette requête, les Tiers s’appuient sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Juman. Ils soutiennent que la Cour suprême du Canada déclare clairement qu’un tiers peut présenter une requête pour modifier l’engagement implicite.

[36] L’argument clé des Tiers est que la règle de l’engagement implicite ne s’applique pas aux documents demandés par les Tiers parce qu’[TRADUCTION] « ils ne cherchent que les documents produits par Silver Wheaton à l’interrogatoire préalable, et non ceux de l’Agence du revenu du Canada (Agence) ou d’autres parties ou témoins » [7] . Ils soutiennent que l’engagement implicite ne s’applique pas aux documents, aux transcriptions des déclarations ou aux réponses écrites d’une partie fournis conformément à ses engagements pris dans le cadre d’un interrogatoire préalable. En fait, ils soutiennent que, même si l’engagement implicite s’appliquait s’ils demandaient à la Couronne de produire la preuve obtenue au cours de l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton, il ne s’applique pas lorsque, comme dans la présente requête, ils demandent à Silver Wheaton de produire cette preuve.

[37] Subsidiairement, les Tiers soutiennent qu’il faudrait accorder une exemption l’égard de l’engagement implicite puisque les parties et les questions en jeu dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt et dans le recours collectif américain sont suffisamment semblables pour justifier la divulgation des documents demandés par les Tiers. Les avocats des Tiers soutiennent qu’entre les deux demandes, il suffit qu’il y ait une pertinence « directe ou indirecte » de la preuve. Dans une telle situation, il est peu probable que la partie divulgatrice subisse un jour un préjudice. De plus, les Tiers soutiennent qu’il incombe à Silver Wheaton de démontrer qu’elle serait victime d’un préjudice important ou d’une injustice substantielle.

[38] Les Tiers soutiennent également que Silver Wheaton, en produisant des documents dans le cadre de l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt en application de l’article 81 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), a reconnu la pertinence de ces documents par rapport aux mérites techniques de sa thèse fiscale.

[39] L’avocat de la Couronne a commencé son argumentation en faisant remarquer que l’intérêt de la Couronne dans cette requête est limité parce que les Tiers ne demandent pas de documents à la Couronne et ne demandent pas les documents de la Couronne à Silver Wheaton.

[40] Bien que l’avocat ait décrit l’intérêt de la Couronne comme étant limité, cette description n’est pas conforme aux actions de la Couronne. La Couronne a déposé un mémoire détaillé dans lequel elle soutenait fermement que la Cour devrait accueillir la requête des Tiers. De plus, alors qu’un seul avocat représentait les Tiers et que deux avocats représentaient Silver Wheaton, la Couronne a choisi d’avoir trois avocats présents à l’audience.

[41] La Couronne a fait valoir que notre Cour a le pouvoir d’examiner dans quelle mesure l’engagement implicite de confidentialité s’applique et si toute modification de l’engagement implicite est appropriée. La Couronne n’a pas pris position sur la question de savoir si la Cour devait accorder une exemption à l’égard de l’engagement implicite.

[42] Toutefois, la Couronne était d’accord avec l’argument clé des Tiers. Elle a soutenu que l’engagement implicite de confidentialité ne s’applique pas à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton, y compris les transcriptions de l’interrogatoire, parce qu’il s’agit des documents et de l’interrogatoire de Silver Wheaton. L’avocat de la Couronne a fait remarquer que la Couronne n’appuierait pas la thèse des Tiers si ceux-ci avaient continué de demander la preuve de tous les interrogatoires préalables qui ont eu lieu au Canada, y compris ceux de la Couronne. L’avocat a déclaré : [TRADUCTION] « Nous sommes d’accord que l’engagement implicite s’appliquait, surtout en ce qui concerne les documents de la Couronne ». Bref, la Couronne a adopté l’argument des Tiers selon lequel, même si l’engagement implicite s’appliquait si les Tiers demandaient à la Couronne la production de la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton, il ne s’applique pas lorsque, comme dans cette requête, elles demandent à Silver Wheaton de produire cette preuve.

[43] Je trouve troublante la thèse de la Couronne à l’égard de l’application de la règle de confidentialité à l’interrogatoire préalable d’une partie. Je me serais attendu à ce que la Couronne, qui est toujours l’une des parties devant la Cour, plaide en faveur de la protection d’une règle qui est un élément essentiel de la procédure de la Cour. La règle facilite la divulgation complète pendant l’interrogatoire préalable, en particulier l’interrogatoire du représentant d’une partie. Les interrogatoires préalables sont essentiels au bon fonctionnement de la Cour. En plus de permettre un procès efficace et d’éviter les « litiges par embuscade », un interrogatoire préalable conduit souvent les parties à régler l’appel en question. Bref, la Couronne soutient une thèse qui nuirait au bon fonctionnement de la Cour.

[44] De plus, la Couronne appuie une thèse qui aura des répercussions négatives sur elle dans l’avenir. La règle de la confidentialité vise à protéger les renseignements confidentiels de la personne interrogée au cours de l’interrogatoire préalable, c’est-à-dire le représentant de l’appelant et celui de la Couronne.

[45] Si j’acceptais l’argument de la Couronne, cela signifierait que l’interrogatoire préalable de la Couronne dans un appel, en particulier les transcriptions de la communication orale et les réponses aux engagements, pourrait être utilisé dans une autre instance devant la Cour. Par exemple, un appelant dans une affaire mettant en cause la règle générale anti-évitement (la « RGAE ») pourrait demander l’interrogatoire préalable de la Couronne dans d’autres affaires de RGAE comportant des dispositions semblables.

[46] Lorsque j’ai soulevé ce scénario auprès des trois avocats de la Couronne, ils m’ont répondu que, dans une telle situation, la Couronne se fonderait sur les paragraphes 241(1) et (2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. À mon avis, en raison de l’application du paragraphe 241(3), l’interrogatoire préalable de la Couronne ne serait pas protégé par les paragraphes 241(1) et (2). Comme l’a fait remarquer mon ancien collègue, le juge Jorré, dans la décision Dominion Nickel Investments Ltd. c. La Reine [8] , c’est la règle elle-même que la Couronne cherche à détruire, l’engagement implicite de confidentialité, qui offre une protection. Le juge Jorré a expliqué l’application de l’alinéa 241(3)b) et l’importance de l’engagement implicite comme suit :

[. . .]

[26] À l’article 241 de la Loi, le législateur a clairement exprimé un solide principe qui protège la vie privée dans les affaires d’impôt sur le revenu. Cependant, l’alinéa 241(3)b) autorise clairement la production d’éléments de preuve dans les « procédures judiciaires ayant trait à l’application ou à l’exécution de « la Loi.

[27] En conséquence, bien que le caractère privé des informations de nature fiscale soit, bien sûr, un aspect important, l’article 241 ne s’applique pas directement en l’espèce.

[28] La règle générale est la suivante : si un document est pertinent, il doit être produit dans son intégralité. Toutefois, des éléments du document peuvent être expurgés s’ils sont « manifestement dénués de pertinence ».

[. . .]

[32] Lorsqu’on examine les droits relatifs à la vie privée, il est important de garder à l’esprit qu’il existe aujourd’hui un solide engagement implicite au Canada, à savoir que les informations que l’on obtient lors de la communication préalable ne peuvent être utilisées que pour l’action au cours de laquelle elles ont été obtenues. À moins que les informations deviennent publiques pendant le procès, l’engagement se poursuit après la fin de l’action.

[33] Cet engagement limite en soi la divulgation ultérieure des informations et aide à protéger les droits relatifs à la vie privée d’autres parties.

[47] Silver Wheaton soutient que notre Cour n’a pas compétence pour accorder une exemption à l’engagement implicite de confidentialité au profit des Tiers. Elle soutient que la compétence de notre Cour prévue par le législateur ne l’habilite pas à trancher des questions collatérales par rapport au fond d’un appel en matière fiscale, en particulier lorsque l’allégement est demandé par de tierces parties étrangères.

[48] Silver Wheaton accepte que les documents présentés dans le cadre de ses activités, comme une lettre écrite à une date précise, doivent être présentés dans le cadre du recours collectif américain, s’ils sont pertinents aux fins de cette instance. Elle ne prétend pas qu’un document est confidentiel ou couvert par le secret simplement parce qu’il a été présenté lors de l’appel devant la Cour d’appel de l’impôt. Toutefois, elle soutient que la transcription de l’interrogatoire préalable de son représentant et « la masse [sic] en liasse » des documents présentés lors de son interrogatoire préalable dans l’appel devant la Cour de l’impôt sont assujettis à l’engagement implicite de confidentialité. L’engagement implicite met tous les documents présentés lors de l’interrogatoire préalable à l’abri de leur transmission à un tiers contre la volonté de la partie qui les produit.

[49] Silver Wheaton soutient que l’engagement implicite de confidentialité ne devrait pas faire l’objet d’une exemption ou d’une modification puisque les Tiers n’ont pas satisfait au critère d’exemption ou de modification énoncé dans l’arrêt Juman.

V. Décision sur la requête

[50] J’aborderai d’abord la question de savoir si la Cour a compétence pour accorder la mesure demandée par les Tiers. En plus de demander une ordonnance d’exemption à l’engagement implicite de confidentialité, les Tiers demandent une ordonnance déclarant que l’engagement implicite de confidentialité ne s’applique pas à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton elle-même.

[51] Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Juman, l’engagement des parties de ne pas utiliser les documents obtenus à l’interrogatoire préalable, les transcriptions de cet interrogatoire ou les réponses aux questions posées lors de l’interrogatoire à des fins autres que d’obtenir justice dans l’instance civile où les réponses ont été demandées est un engagement envers le tribunal devant lequel l’interrogatoire a lieu. Par conséquent, seule la Cour canadienne de l’impôt peut accorder une exemption à l’engagement implicite de confidentialité pris lors de l’interrogatoire préalable dans l’appel devant la Cour de l’impôt.

[52] Je suis d’avis que ce fait, combiné à la compétence inhérente de la Cour, fait en sorte que la Cour a compétence pour accorder la réparation demandée par les Tiers.

[53] Dans l’arrêt R. c. Cunningham, le juge Rothstein a écrit ce qui suit au nom de la Cour suprême du Canada :

[18] Une cour supérieure a la compétence inhérente nécessaire à l’exercice de sa fonction judiciaire ainsi qu’à l’exécution de son mandat d’administrer la justice (voir I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970), 23 Curr. Legal Probs. 23, p. 27-28), ce qui comprend le pouvoir de décider du déroulement de l’instance, de prévenir l’abus de procédure et de veiller au bon fonctionnement des rouages de la cour. [. . .]

[19] De même, dans le cas d’un tribunal d’origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s’infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice. Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d’un tribunal d’origine législative peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » :

[. . .] sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif . [. . .]

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)

Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d’origine législative [9] .

[54] La Cour canadienne de l’impôt est à la fois une cour supérieure et un tribunal d’origine législative. À mon avis, à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cunningham, la Cour canadienne de l’impôt a clairement compétence pour déterminer si l’engagement implicite de confidentialité devrait faire l’objet d’une exemption. Cela fait partie de la compétence inhérente de la Cour pour faire respecter sa procédure et prévenir les abus de procédure. Seule la Cour peut accorder une exemption à l’égard de l’engagement implicite de confidentialité et c’est la Cour qui remédie à toute violation de cet engagement.

[55] Dans la requête présentée à la Cour, la compétence de la Cour canadienne de l’impôt se limite à décider s’il y a lieu d’accorder une exemption à l’engagement implicite de confidentialité. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour préciser dans une ordonnance à la Cour de district des États-Unis quels documents constituent ou non des documents faisant partie de l’interrogatoire préalable. Bien que les transcriptions de l’interrogatoire préalable et les réponses aux engagements fassent clairement partie de l’interrogatoire préalable, il se peut fort bien que d’autres documents demandés par les Tiers ne fassent pas partie de l’interrogatoire préalable. C’est à la Cour de district des États-Unis d’en décider. Comme nous l’avons mentionné précédemment, Silver Wheaton reconnaît qu’un document commercial qui existait avant l’interrogatoire préalable ne devient pas confidentiel simplement parce qu’il a été présenté lors de l’appel devant la Cour de l’impôt. En fait, il semble qu’un certain nombre de documents commerciaux préexistants de Silver Wheaton aient été présentés dans les deux appels.

[56] La compétence de la Cour pour décider s’il y a lieu d’accorder une exemption à l’engagement implicite de confidentialité n’entre en jeu que si une obligation envers la Cour existe aux termes de cet engagement implicite. Ainsi, la Cour canadienne de l’impôt a compétence pour déterminer si, dans la situation qui m’est soumise, une obligation aux termes d’un engagement implicite existe envers la Cour.

[57] Au cours de l’audition de la requête, j’ai soulevé la question de savoir si l’argument des Tiers et de la Couronne selon lequel l’engagement implicite de confidentialité ne s’applique pas à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton constitue une attaque indirecte contre la décision de la Cour de district des États-Unis. Après avoir examiné les motifs de la United States District Court, j’ai conclu que ce tribunal n’avait pas rendu d’ordonnance portant sur la question de savoir si l’engagement implicite de confidentialité s’appliquait ou non à l’interrogatoire préalable d’une partie.

[58] La prochaine question que je dois aborder est celle de savoir si les Tiers ont qualité pour présenter cette requête.

[59] J’ai conclu que les Tiers ont qualité pour présenter cette requête. Dans l’arrêt Juman, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’elle n’empêcherait pas, sur la base de la qualité pour agir, une demande d’un tiers de modifier un engagement, bien qu’il soit inhabituel qu’une telle demande soit acceptée [10] . Dans la décision Livent Inc. v. Drabinsky, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a mentionné, au paragraphe 14, qu’en [traduction] « common law, il semble que les tiers pouvaient demander une mesure à l’encontre de l’engagement, mais que cette mesure serait difficile à obtenir » [11] .

[60] Bien que les Tiers aient une haute montagne à gravir avant que la Cour n’accorde une exemption à l’engagement implicite de confidentialité, elles ont qualité pour faire valoir leurs arguments.

[61] J’en viens maintenant à la troisième question : l’engagement implicite de confidentialité s’applique-t-il à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton, y compris à l’interrogatoire de son représentant? Pour les raisons suivantes, je suis d’avis que l’engagement implicite de confidentialité s’applique à l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton.

[62] L’engagement implicite de confidentialité est, comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lac d’Amiante, une règle de confidentialité. La règle est que ni les renseignements documentaires ni les renseignements oraux obtenus lors de l’interrogatoire préalable ne doivent être utilisés à d’autres fins que celles d’obtenir justice dans les instances civiles où les réponses ont été demandées. La règle peut être modifiée par le tribunal devant lequel l’instance civile s’est déroulée, et une partie est toujours libre d’utiliser les renseignements divulgués dans le cadre de son interrogatoire préalable à toutes fins qu’elle juge utiles.

[63] La règle a été établie en raison du conflit entre le droit aux renseignements personnels de la personne interrogée et l’obligation légale de participer pleinement à l’interrogatoire préalable et à la communication de renseignements. La règle existe pour faciliter la divulgation complète pendant l’interrogatoire préalable et pour assurer une certaine protection des renseignements confidentiels de la personne interrogée. La Cour suprême du Canada a expliqué les raisons qui sous-tendent la règle comme suit :

[24] Premièrement, l’enquête préalable est une atteinte au droit de garder pour soi ses pensées et ses documents, aussi embarrassants, diffamatoires ou scandaleux soient-ils. Dans chaque poursuite, au moins une partie est réticente. Or, l’étape de l’enquête préalable est essentielle pour éviter les surprises ou les « litiges par guet-apens », pour encourager les règlements une fois les faits connus et pour circonscrire les questions en litige même lorsqu’un règlement s’avère impossible. [. . .]

[25] Dans une action civile, l’intérêt qu’a le public à découvrir la vérité l’emporte sur le droit de la personne interrogée à sa vie privée, lequel mérite néanmoins une certaine protection. La loi n’oblige à fournir des réponses et à produire des documents que pour l’action civile, et elle exige donc que l’atteinte à la vie privée se limite généralement à la mesure nécessaire à ces fins. Même si la présente affaire soulève la question de l’auto-incrimination de l’appelante, il ne s’agit pas d’une condition préalable à la protection. En fait, il n’est même pas nécessaire que les renseignements divulgués satisfassent aux exigences légales de confidentialité énoncées dans Slavutych c. Baker, [1976] 1 R.C.S. 254. L’idée générale est que, métaphoriquement, tout ce qui est divulgué dans la pièce où se déroule l’interrogatoire préalable reste dans cette pièce, sauf si cela est finalement révélé en salle d’audience ou révélé par suite d’une ordonnance judiciaire.

[26] Une deuxième raison justifie l’existence d’un engagement implicite. La partie qui a une certaine assurance que les documents et les réponses qu’elle fournit ne seront pas utilisés à des fins connexes ou ultérieures à l’instance où ils sont exigés sera incitée à donner des renseignements plus exhaustifs et honnêtes. Cela est particulièrement intéressant à une époque où la production de documents est d’une envergure telle (« litige par avalanche ») qu’elle empêche, bien souvent, les particuliers ou les entreprises devant produire les documents de procéder à une présélection approfondie. [. . .] [12]

[Non souligné dans l’original.]

[64] Comme nous l’avons mentionné précédemment, dans l’arrêt Lac d’Amiante, la Cour suprême du Canada a souligné que le droit à la confidentialité complète demeure si la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable n’est pas utilisée en audience publique.

[65] Dans des remarques semblables à celles qu’elle a formulées dans l’arrêt Juman, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Lac d’Amiante, a fait remarquer que l’un des motifs de politique judiciaire de la règle de confidentialité est de faciliter la divulgation complète pendant l’interrogatoire préalable. La Cour a fait les commentaires suivants aux paragraphes 74 et 75 de sa décision :

[74] D’autres motifs de politique judiciaire rendent légitime la reconnaissance de la règle de confidentialité. Le régime de l’interrogatoire préalable, comme nous l’avons vu, revêt un caractère exploratoire. Comme le juge Fish l’a souligné dans son opinion, malgré l’impératif de protection de la vie privée, à cette occasion, cette finalité de l’interrogatoire favorise le dévoilement le plus complet des informations disponibles. Par contre, lorsqu’une partie redoute que des informations soient rendues publiques à la suite d’un tel interrogatoire, cette situation peut l’inciter à ne pas dévoiler des documents ou à ne pas répondre franchement à certaines questions, au détriment de la bonne administration de la justice et de l’objectif de communication complète de la preuve. La reconnaissance de l’obligation implicite de confidentialité réduit ce risque, en protégeant l’intéressé contre la divulgation d’informations qui resteraient par ailleurs inutilisées pour les fins du litige qui a donné lieu à l’interrogatoire, et au cours duquel les informations ont été divulguées.

[75] Par ailleurs, à l’étape de l’interrogatoire préalable, un plaideur évalue parfois difficilement la pertinence et l’utilité des informations pour la résolution du litige. Cela pose un problème à l’égard des personnes qui se voient contraintes de dévoiler des informations personnelles potentiellement préjudiciables à leurs intérêts. On s’étonnerait alors qu’une information personnelle et préjudiciable communiquée au cours d’un interrogatoire serve à des fins externes au litige, sans toutefois être utilisée pour celui-ci. [. . .]

[Non souligné dans l’original.]

[66] La Cour suprême du Canada a été claire lorsqu’elle a déclaré que les réponses et les documents sont requis par la loi uniquement aux fins de l’action civile : « tout ce qui est divulgué dans la pièce où se déroule l’interrogatoire préalable reste dans cette pièce, sauf si cela est finalement révélé en salle d’audience ou révélé par suite d’une ordonnance judiciaire. » Comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Lac d’Amiante, il serait surprenant que des renseignements personnels préjudiciables qui ont été communiqués lors d’un interrogatoire préalable puissent être utilisés à des fins non liées à l’appel devant la Cour, sans avoir été préalablement utilisés dans cet appel.

[67] Pourtant, c’est exactement ce que les Tiers et la Couronne proposent. Ils soutiennent que les renseignements personnels préjudiciables qui ont été communiqués lors d’un interrogatoire préalable peuvent être utilisés par une tierce partie à des fins non liées à l’appel. La tierce partie n’a qu’à demander la production à la partie qui a fait l’objet de l’interrogatoire. À mon avis, cela irait à l’encontre de l’objet de l’engagement implicite de confidentialité.

[68] Les appelants qui interjettent appel devant cette Cour sont des contribuables. Leurs appels portent sur leur obligation fiscale en application de la Loi de l’impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe sur les produits et services. Par conséquent, ils sont toujours tenus de divulguer des renseignements financiers personnels.

[69] Par exemple, l’avocat de Silver Wheaton a fait remarquer qu’au cours de l’interrogatoire préalable, les représentants de Silver Wheaton ont fourni des réponses à des questions visant à obtenir des renseignements confidentiels sur des pratiques commerciales confidentielles, des négociations commerciales avec des tierces parties et sur la façon dont Silver Wheaton a désigné, évalué, tarifé et négocié les dix opérations en cause dans l’appel. Les représentants devaient fournir des renseignements confidentiels sur des actionnaires, d’anciens employés et d’anciens administrateurs.

[70] La Couronne et les Tiers soutiennent maintenant que les renseignements fournis par Silver Wheaton ne sont pas protégés par la règle de confidentialité. Je ne peux pas accepter une telle argumentation.

[71] Il est essentiel pour le bon fonctionnement de la Cour qu’il y ait un interrogatoire préalable complet et exhaustif. Les renseignements fournis lors de l’interrogatoire préalable, comme ceux divulgués par Silver Wheaton, doivent être protégés par la règle de la confidentialité, sinon les personnes interrogées hésiteront à divulguer ces renseignements ou, à tout le moins, feront très attention aux renseignements qu’elles divulgueront au cours de l’interrogatoire préalable. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, un tel effet dissuasif à divulguer des documents ou à répondre franchement à certaines questions est contraire à la bonne administration de la justice et à l’objectif de divulgation complète de la preuve.

[72] Par exemple, une telle situation entraînerait de longs combats procéduraux. La Cour voit déjà trop de requêtes pour introduire une nouvelle preuve, ce qui prend beaucoup de temps et entraîne des retards dans l’audition des appels.

[73] De plus, la divulgation complète facilite le règlement. Au cours des dernières années, la Cour a constaté une augmentation spectaculaire du nombre de règlements à l’amiable, comme celui qui a été conclu dans le cadre de cet appel. Les règlements à l’amiable permettent aux parties d’éviter de longues audiences coûteuses et contribuent au bon fonctionnement de la Cour.

[74] Il n’y a pas de meilleur exemple que ce qui s’est produit dans le présent appel. Après la divulgation de 32 000 documents et après un long interrogatoire des représentants de Silver Wheaton, les parties ont pu en arriver à un règlement à l’amiable, évitant ainsi un très long et coûteux procès.

[75] Comme l’a ordonné la Cour suprême du Canada, la règle doit être appliquée d’une manière qui assure à la personne ou à l’entité interrogée au préalable une certaine protection de sa vie privée et facilite une communication complète et franche. À mon avis, cela ne se produit que si la règle de la confidentialité s’applique au propre interrogatoire préalable d’une personne.

[76] Les Tiers et la Couronne adoptent une interprétation restrictive de la description donnée par la Cour suprême du Canada de l’engagement implicite de confidentialité. Elles se concentrent sur les parties de la décision qui font référence à l’engagement implicite de confidentialité donné à l’autre partie et sur le fait qu’il est décrit comme un engagement. Selon eux, un engagement implicite de confidentialité ne peut être donné qu’à une partie à l’instance. Je n’accepte pas que la Cour suprême du Canada ait voulu que la règle de confidentialité s’applique sur une base aussi étroite.

[77] Un engagement implicite ne peut être donné que par une partie à l’instance. Les parties sont les seules à avoir des copies des documents et des transcriptions. L’engagement implicite est un moyen de faire respecter la règle de la confidentialité.

[78] Cela ne signifie pas que la règle de la confidentialité ne s’applique qu’afin de limiter la divulgation de l’interrogatoire préalable d’une personne par les autres parties à l’instance. Un tel résultat affaiblirait sérieusement, sinon compromettrait, l’objectif de la règle de la confidentialité. La règle ne sécuriserait pas les parties à l’interrogatoire si elles croyaient qu’un tiers pourrait avoir libre accès au contenu de leur interrogatoire préalable.

[79] L’interrogatoire préalable d’une personne est soumis à la règle de la confidentialité. La preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable ne sera divulguée à un tiers qu’avec le consentement de la personne ou par ordonnance de la Cour. Comme le juge Phelan, de la Cour fédérale du Canada, l’a suggéré dans la décision Peak Energy Services Ltd [13] , décider autrement irait à l’encontre des directives fournies par la Cour suprême du Canada.

[80] Les défendeurs dans la décision Peak Energy Services Ltd. ont soulevé la même question que les Tiers ont soulevée dans la requête présentée à notre Cour. Plus précisément, les défendeurs ont soutenu que « l’engagement implicite ne s’opère pas ou ne devrait pas s’opérer, car ce principe vise à empêcher la partie qui reçoit (l’« interrogateur ») les renseignements d’utiliser ces transcriptions à l’extérieur du litige. Ils avancent que l’engagement implicite n’a pas été conçu pour protéger la partie qui répond aux questions; à ce titre, ils évoquent la décision Tanner c. Clark, 63 O.R. (3d) 508 (CA) de la Cour d’appel de l’Ontario » (paragraphe 20).

[81] Le juge Phelan n’a pas retenu cet argument. Il a déclaré ce qui suit en concluant que l’engagement implicite de confidentialité s’appliquait au propre interrogatoire préalable d’une partie :

[25] La Cour reconnaît depuis longtemps que tout document ou renseignement produit ou donné sous la contrainte d’un processus civil de notre Cour par toute personne est confidentiel à celle-ci, sauf démonstration contraire, [à] l’exception des renseignements communiqués à une audience publique. (Voir N.M. Paterson & Sons Ltd. c. St. Lawrence Seaway Management Corp., 2002 FCT 1247.)

[26] Contrairement à la position des défendeurs, c’est la vie privée de la personne contrainte de répondre que protège la Cour suprême. Dans l’espèce, il s’agit des représentants de l’intimée questionnés dans ces autres actions. Les défendeurs ignorent également le fait que les interrogatoires préalables réalisés dans le cadre d’autres actions pourraient également divulguer, par la voie des questions ou des réponses, des renseignements à propos de tiers au litige actuel ou non. Bien qu’il ne s’agisse pas du type de renseignements de tiers dont il est question au paragraphe 75 de l’arrêt Lac d’Amiante, précité, le même principe de protection s’applique.

[27] Dans la décision Tanner, évoquée par les défendeurs, les rapports médicaux en cause avaient été divulgués dans le cadre d’un arbitrage public. Le document avait donc perdu son caractère confidentiel pour ce seul motif. De plus, ce document devait être produit en vertu de « l’obligation permanente de divulguer », laquelle s’applique à tous les litiges de ce type.

[28] À mon sens, la Cour d’appel de l’Ontario, n’a aucunement miné la règle d’engagement implicite. Si tel était le cas, notre Cour, étant donné les conseils de la Cour suprême, ne devrait pas faire de même.

[82] Ma conclusion sur cette question est également conforme aux décisions antérieures de la Cour intitulées Welford c. La Reine [14] et Morrison c. La Reine [15] .

[83] Les Tiers et la Couronne se fondent sur la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique intitulée Schober v. Tyson Creek Hydro Corporation [16] . Toutefois, cette décision aborde la question de savoir si une partie peut volontairement divulguer son propre interrogatoire préalable à une tierce partie. Tyson Creek Hydro Corporation voulait communiquer la transcription de l’interrogatoire préalable de M. Schober, l’un de ses dirigeants, administrateurs et gestionnaires, à un organisme de réglementation qui n’était pas partie à l’action dans laquelle M. Schober avait été interrogé. M. Schober s’est opposé à la divulgation au motif que son interrogatoire était protégé par la règle de l’engagement implicite. Au paragraphe 24 de sa décision, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté la requête de M. Schober au motif que [TRADUCTION] « l’engagement n’a jamais constitué un empêchement à la divulgation volontaire par une partie des renseignements ou des témoignages obtenus lors de son propre interrogatoire préalable ». Encore une fois, il ne s’agit pas des mêmes circonstances dont la Cour est saisie ici. Dans la requête dont la Cour est saisie, Silver Wheaton ne consent pas à la divulgation volontaire du témoignage de ses représentants.

[84] Les Tiers s’appuient également sur la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Tanner v. Clark [17] (arrêt Tanner). Cet arrêt est antérieur à l’arrêt Juman de la Cour suprême du Canada. Quoi qu’il en soit, à mon avis, l’arrêt Tanner va dans le sens de la proposition selon laquelle l’engagement implicite de confidentialité ne permet pas d’invoquer un privilège couvrant la preuve présentée devant un tribunal administratif. Cela est conforme à l’arrêt Juman de la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt Tanner, la Cour d’appel de l’Ontario a ordonné la divulgation des documents sur une base qui, à mon avis, constituerait une exemption à l’engagement implicite de confidentialité tel que l’a énoncé ultérieurement la Cour suprême du Canada.

[85] La dernière question sur laquelle la Cour doit se pencher est de savoir si elle doit accorder une exemption en ce qui concerne l’engagement implicite de confidentialité. Pour les raisons suivantes, la Cour n’accordera pas une exemption à l’égard de l’engagement implicite de confidentialité ou ne le modifiera pas.

[86] La Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Juman que l’engagement implicite de confidentialité peut être modifié ou faire l’objet d’une exemption dans des circonstances exceptionnelles. La Cour suprême a déclaré, comme suit, que cela peut se produire en raison d’un intérêt public impérieux :

[30] L’engagement est imposé pour protéger le droit de la personne interrogée à sa vie privée ainsi que l’intérêt qu’a le public dans le déroulement efficace des litiges civils. Toutefois, ces valeurs ne sont pas absolues. Elles peuvent, à leur tour, céder le pas devant un intérêt public plus impérieux. Ainsi, en cas de non‑consentement de la partie interrogée, la partie liée par l’engagement peut demander au tribunal l’autorisation d’utiliser les renseignements ou les documents pour une autre fin que celle de l’action, comme il est indiqué dans Lac d’Amiante, par. 77 :

Avant d’employer l’information, la partie concernée devra cependant présenter une demande à cette fin. Cette dernière précisera les buts de l’utilisation et les motifs qui la justifient et sera ensuite débattue contradictoirement [18] .

[87] La Cour suprême a ajouté qu’en plus de la partie liée par l’engagement implicite de confidentialité, un tiers peut également demander à la Cour de modifier la règle ou d’accorder une exemption à son égard. La Cour suprême a souscrit à la déclaration de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Livent Inc. v. Drabinsky [19] selon laquelle il serait inhabituel qu’une telle demande soit accueillie.

[88] La Cour suprême du Canada a souligné que, pour protéger l’intégrité de l’engagement implicite de confidentialité, celui-ci ne devrait être modifié ou faire l’objet d’une exemption que dans des circonstances exceptionnelles. En ce qui concerne une demande présentée par une tierce partie, elle a déclaré ce qui suit :

[. . .] un tiers qui est partie à un autre litige avec la personne interrogée et qui apprend le témoignage potentiellement contradictoire qu’elle a donné lors d’un interrogatoire préalable auquel il n’est pas partie aurait qualité pour demander une modification de l’engagement implicite et pourrait bien obtenir gain de cause pour les raisons déjà indiquées. Évidemment, si les parties à l’engagement en respectent les conditions, les tiers ne posséderont vraisemblablement pas suffisamment d’information de toute façon, à part celle obtenue par recherche aléatoire, pour demander une modification. Mais il reste possible que des tiers fassent une demande. Si elle est présentée en bonne et due forme, il faudra soupeser les intérêts opposés, en tenant compte du fait qu’un engagement écarté trop facilement donne l’impression qu’il est risqué de s’y fonder et ne permettra pas de réaliser son vaste objectif [20] .

[Italiques ajoutés.]

[89] Le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder une exemption ou une modification exige que l’on mette soigneusement en balance l’intérêt public invoqué par un demandeur et l’intérêt public de protéger la vie privée d’une partie et de promouvoir un processus de justice civile efficace [21] . La Cour peut accorder une exemption à la règle ou la modifier si le demandeur démontre que l’intérêt de la justice l’emporte sur tout préjudice qui en résulterait pour la partie qui a divulgué la preuve au cours de l’interrogatoire préalable.

[90] Contrairement à ce qu’ont fait valoir les Tiers, c’est à eux qu’il incombe de démontrer que l’engagement implicite de confidentialité doit faire l’objet d’une exemption. Plus précisément, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un intérêt public ayant plus de poids que les valeurs que l’engagement implicite de confidentialité vise à protéger, à savoir la vie privée et le déroulement efficace des litiges civils [22] .

[91] La Cour suprême du Canada a donné un certain nombre d’exemples de situations où la règle peut faire l’objet d’une exemption ou d’une modification, répétant qu’« un engagement visant notamment à encourager une communication préalable franche et généreuse en garantissant la confidentialité aux parties interrogées ne pourra atteindre son objectif si les parties réticentes voient qu’on écarte trop facilement cette confidentialité » [23] .

[92] Les Tiers s’appuient sur deux exemples. Le premier est celui où l’on cherche à utiliser des documents obtenus lors d’un interrogatoire préalable dans le cadre d’une instance afin de les utiliser dans le cadre d’une autre instance opposant les mêmes parties ou des parties similaires et où les questions en litige sont identiques ou similaires. La Cour suprême du Canada a fait remarquer que, dans une telle situation, le préjudice causé à la personne interrogée est pratiquement inexistant et l’autorisation sera généralement accordée [24] .

[93] Le deuxième exemple est la situation mentionnée précédemment en ce qui concerne la mise en doute de la crédibilité d’un témoignage incohérent antérieur.

[94] En ce qui concerne le premier exemple, les parties ne sont pas les mêmes dans l’appel devant la Cour de l’impôt et dans le Recours collectif américain. La seule partie commune est Silver Wheaton. De plus, il n’y a aucune similitude entre le groupe de parties au Recours collectif américain, représenté par les Tiers, et la Couronne, l’autre partie au présent appel.

[95] De plus, les enjeux ne sont pas les mêmes et ne sont même pas semblables. La question en litige dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt est le montant du revenu imposable de Silver Wheaton en application de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada pour chaque année, de 2005 à 2010. La question en litige dans le Recours collectif américain concerne une violation des lois américaines sur les valeurs mobilières qui se serait produite à compter de février 2011.

[96] Silver Wheaton a produit, dans le Recours collectif américain, plus de 115 000 documents comprenant près d’un million de pages. De plus, ses comptables ont produit plus de 1 800 autres documents [25] .

[97] Malgré cette divulgation exhaustive (qui semble inclure de nombreux documents produits dans le cadre du présent appel), les Tiers n’ont pas été en mesure de faire référence à un document particulier dans le présent appel dont la divulgation serait dans l’intérêt public. Ils n’ont pas non plus fourni de preuve que l’interrogatoire préalable de Silver Wheaton contient des déclarations incompatibles avec sa divulgation dans le Recours collectif américain.

[98] À mon avis, la seule raison pour laquelle les Tiers ont présenté cette requête est qu’ils espèrent trouver quelque chose dans l’interrogatoire préalable complet de Silver Wheaton dans le cadre de l’appel devant la Cour de l’impôt qui pourrait les aider dans leur action devant la Cour de district des États-Unis ou qui pourrait appuyer une requête future devant la Cour en vue d’obtenir des documents provenant de l’interrogatoire préalable de la Couronne. En d’autres termes, la requête des Tiers est une recherche à l’aveuglette qui n’est fondée sur aucun intérêt public et que la divulgation de renseignements commerciaux confidentiels importants, y compris ceux de tierces parties, causerait un préjudice à Silver Wheaton.

[99] L’approbation de la requête des Tiers aurait pour conséquence d’entraîner le mal contre lequel la Cour suprême nous met en garde : faire échec à l’atteinte de l’objectif de l’engagement implicite de confidentialité, qui est d’encourager une communication préalable franche et généreuse en garantissant aux parties interrogées la confidentialité.

[100] Pour ces motifs, la requête est rejetée. Silver Wheaton a droit à ses dépens, dont 70 % sont payables par les Tiers et 30 % par la Couronne. Les parties disposeront d’un délai de 30 jours à compter de la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi elles seront invitées à déposer leurs observations écrites sur les dépens dans les 60 jours suivant la date du présent jugement. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages.

Signé à Antigonish, Nouvelle-Écosse, ce 19e jour d’août 2019.

« S. D’Arcy »

Le juge D’Arcy

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de novembre 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2019 CCI 170

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

Dossier : 2016-77(IT)G

INTITULÉ :

SILVER WHEATON CORP. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mai 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Steven K. D’Arcy

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 19 août 2019

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Thomas Gelbman

Me Carly Fidler

Avocats de l’intimée :

Me Matthew Turnell

Me Perry Derksen

Me Michael Taylor

Avocat des demandeurs (requérants) :

Me Paul Miller

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Al Meghji

Me Thomas Gelbman

Me Amanda Heale

Me Carly Fidler

Me David Ross

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Affidavit de Trinh Hoang, pièce B, page 1.

[2] Cette partie de la décision du tribunal a été annulée en appel.

[3] Affidavit de Trinh Hoang, pièce B, pages 4 et 5.

[4] Doucette v. Wee Watch Day Care Systems Inc., 2005 BCSC 400, au paragraphe 6.

[5] Doucette v. Wee Watch Day Care Systems Inc., 2006 BCCA 262, au paragraphe 13.

[6] Arrêt Juman, paragraphe 51.

[7] Avis de requête des Tiers, paragraphe 38.

[8] Dominion Nickel Investments Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 14, 2015 DTC 1069, aux paragraphes 26 à 28, ainsi que 32 et 33.

[9] R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, paragraphes 18 et 19.

[10] Arrêt Juman, paragraphe 53.

[11] Livent Inc. v. Drabinsky, 53 O.R. (3d) 126.

[12] Arrêt Juman, paragraphes 24, 25 et 26.

[13] Peak Energy Services Ltd. c. Douglas J. Pizycki Holdings Ltd, 2007 CF 824.

[14] 2006 CCI 31.

[15] 2015 CCI 319, confirmée par 2016 CAF 256.

[16] Schober v. Tyson Creek Hydro Corporation, 2014 BCCA 12.

[17] Tanner v. Clark, [2003] O.J. No 677 (QL).

[18] Arrêt Juman, paragraphe 30.

[19] Précitée, note 11.

[20] Arrêt Juman, paragraphe 53.

[21] Arrêt Juman, paragraphe 33.

[22] Arrêt Juman, paragraphe 32.

[23] Arrêt Juman, paragraphe 38.

[24] Arrêt Juman, paragraphe 35.

[25] Déclaration en réponse faite sous serment pour l’appelante par Elon B. Slutsky, le 24 avril 2019.

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