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Dossier : 2019-3607(GST)APP

ENTRE :

RICHARD A. BUREAU BARRISTER

& SOLICITOR INCORPORATED,

demanderesse,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Demande entendue le 3 septembre 2020, à Halifax (Nouvelle-Écosse)

Devant : L’honorable juge B. Russell

Comparutions :

Pour la demanderesse :

Richard Bureau

Avocat de l’intimée :

Terence Katerynych

 

ORDONNANCE

La demande présentée par la demanderesse, conformément à l’article 305 de la Loi sur la taxe d’accise fédérale, en vue d’obtenir une prorogation du délai pour interjeter appel devant notre Cour à l’encontre de la nouvelle cotisation établie le 21 août 2018 pour la période de déclaration allant du 1er février 2016 au 30 avril 2016, est accueillie, sans dépens.


 

Par conséquent, le délai dans lequel un avis d’appel peut être déposé est prolongé jusqu’à la date de la présente ordonnance, et l’avis d’appel reçu avec les documents de requête est considéré avoir été déposé à la date de la présente ordonnance, et l’intimée doit signifier et déposer sa réponse dans les 60 jours suivant la signification de l’avis d’appel.

Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de novembre 2020.

« B. Russell »

Le juge Russell


Référence : 2020 CCI 119

Date : 20201105

Dossier : 2019-3607(GST)APP

ENTRE :

RICHARD A. BUREAU BARRISTER

& SOLICITOR INCORPORATED,

demanderesse,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Russell

Introduction :

[1] La personne morale demanderesse, Richard A. Bureau Barrister & Solicitor Incorporated (RBBSI), a demandé une ordonnance autorisant la prorogation du délai pour introduire un appel devant notre Cour (par le dépôt d’un avis d’appel), conformément à l’article 305 de la Loi sur la taxe d’accise (LTA). L’intimée s’oppose à la demande, affirmant que RBBSI ne satisfait pas aux quatre conditions énoncées au paragraphe 305(5) de la LTA pour qu’une telle ordonnance puisse être accordée. Sauf indication contraire, les renvois à des dispositions légales en l’espèce sont des renvois aux dispositions de la LTA.

[2] Sous la rubrique « Prorogation du délai d’appel », le paragraphe 305(5) dispose de ce qui suit :

(5) Il n’est fait droit à la demande que si les conditions suivantes sont réunies :

a) la demande a été présentée dans l’année suivant l’expiration du délai d’appel par ailleurs imparti;

b) la personne démontre ce qui suit :

(i) dans le délai d’appel par ailleurs imparti,

elle n’a pu ni agir ni mandater quelqu’un pour agir en son nom,

ou avait véritablement l’intention d’interjeter appel,

(ii) compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à la demande,

(iii) la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient,

(iv) l’appel est raisonnablement fondé.

[3] L’intimée soutient que les quatre conditions qui suivent précisées au paragraphe 305(5) n’ont pas été satisfaites :

  1. sous-alinéa 305(5)b)(i) – la demanderesse doit démontrer que dans le délai de 90 jours imparti pour interjeter appel, elle a eu véritablement l’intention d’interjeter appel;

  2. sous-alinéa 305(5)b)(ii) – compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il est juste et équitable de faire droit à sa demande;

  3. sous-alinéa 305(5)b)(iii) – la demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient;

  4. sous-alinéa 305(5)b)(iv) – l’appel est raisonnablement fondé.

Contexte factuel

[4] À l’audience, un affidavit modifié de l’agent S. Faria de l’Agence du revenu du Canada a été déposé en preuve conformément au paragraphe 335(5). Il précise notamment que la déclaration de taxe de vente harmonisée (TVH) de RBBSI, pour la période de déclaration trimestrielle allant du 1er février 2016 au 30 avril 2016 conformément à la LTA, a fait l’objet d’une cotisation le 2 mai 2017; cette cotisation a été contestée le 28 juillet 2017 et une nouvelle cotisation a été établie le 21 août 2018. C’est au sujet de cette nouvelle cotisation que RBBSI, aux termes de l’avis d’appel proposé, souhaite interjeter appel. La demande déposée par RBBSI le 21 août 2019, aux termes de l’article 305, est accompagnée des trois documents suivants : (1) une lettre d’accompagnement datée du 20 août 2019, (2) le jugement de consentement rendu par notre Cour le 17 mai 2017 aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (LIR) concernant un appel au sujet des années d’imposition de RBBSI se terminant les 30 avril 2010, 2011 et 2012, et (3) l’avis d’appel proposé.

[5] Dans l’avis d’appel proposé, RBBSI réclame, conformément à la LTA, des crédits de taxe sur les intrants supplémentaires pour ladite période de déclaration de la TVH allant du 1er février 2016 au 30 avril 2016. Le jugement de consentement rendu le 17 mai 2017 prévoyait l’établissement d’une nouvelle cotisation aux termes de la LIR, de manière à autoriser des dépenses déductibles supplémentaires pour l’année de déclaration 2010 de RBBSI (totalisant, avec les dépenses admissibles antérieures, 110 386 $).

[6] RBBSI n’a pas déposé d’avis d’appel concernant cette nouvelle cotisation du 21 août 2018 dans le délai de 90 jours imparti pour le faire de plein droit (article 302), délai d’appel de 90 jours qui allait du 21 août au 19 novembre 2018. Aux termes de l’alinéa 305(5)a), il est possible de demander une prorogation du délai pour déposer un avis d’appel dans l’année suivant l’expiration de ce délai d’appel de 90 jours. Cette période d’un an a débuté le 19 novembre 2018, et aurait pris fin le 19 novembre 2019. Comme il est souligné, la présente demande en vue d’obtenir une prorogation du délai d’appel a été présentée bien en deçà de cette période d’un an (21 août 2019).

[7] La lettre d’accompagnement datée du 20 août 2019 incluse dans les documents de requête explique pourquoi une prorogation du délai d’appel est demandée. Elle contient ce qui suit :

[traduction] [...] [le jugement de consentement du 17 mai 2017 rendu aux termes de la LIR appuyait les CTI réclamés par la société mais refusés par l’ARC. Toutefois, la société n’a pas reçu les [nouvelles] cotisations qui devaient suivre, et le dossier de la TVH n’a jamais été ajusté.

De plus, une demande personnelle de redressement d’une T1 a été déposée par le propriétaire de la société. Cette demande de redressement a été acceptée et traitée par l’ARC. Ils acceptent également les CTI réclamés par la société. Ces nouvelles cotisations ont été établies le 15 juin 2018 – deux mois avant la [nouvelle cotisation] accueillant en partie l’objection concernant la TVH.

Compte tenu des nombreux problèmes entourant le dossier et les nombreux retards de l’ARC, la société a attendu les nouvelles cotisations fondées sur le jugement [de consentement] de la Cour, mais ne les a jamais reçues. Les nouvelles cotisations établies à l’égard de la société, de même que mes déclarations personnelles, auraient dû résoudre la question, mais la société ne peut plus attendre.

[8] Dans l’avis d’appel proposé, la demanderesse RBBSI affirme au paragraphe 13, sous l’en-tête [traduction] « Raisons que l’appelante entend invoquer » que [traduction] « l’ordonnance de la Cour faisant suite à un jugement de consentement [le jugement de consentement du 17 mai 2017], de même que les nouvelles cotisations établies concernant les déclarations de revenus personnelles du propriétaire, appuient les CTI réclamés ».

[9] De plus, au paragraphe 8 de l’avis d’appel proposé, RBBSI affirme que [traduction] « RBBSI a attendu aussi longtemps que possible pour que l’ARC corrige la situation en fonction du jugement de consentement pour le compte de RC et des nouvelles cotisations traitées concernant les déclarations de revenus personnelles du propriétaire ».

[10] À l’audience, M. Richard Bureau, avocat et directeur de RBBSI, a témoigné et présenté des observations à titre d’avocat pour RBBSI, observations semblables à celles présentées dans la lettre d’accompagnement du 20 août 2019 et dans l’avis d’appel proposé, dont il est fait mention plus haut. De plus, il a affirmé dans son témoignage que l’avis de nouvelle cotisation attendu daté du 5 mars 2018, faisant suite au jugement de consentement du 7 mai 2017, a été envoyé à une ancienne adresse de RBBSI récemment périmée, et n’a donc pas été reçu en temps opportun. M. Bureau a affirmé dans son témoignage qu’il avait appris cela plusieurs mois plus tard, lors d’échanges avec les services de recouvrement de l’ARC. (M. Bureau a reconnu que l’ARC n’avait pas été informée du changement d’adresse, mais a soutenu que dans les circonstances, l’ARC connaissait de toute façon la nouvelle adresse.)

Analyse juridique :

[11] La première des quatre questions en litige mentionnées ci-dessus est celle de savoir si, conformément au sous-alinéa 305(1)b)(i), RBBSI a démontré que, dans le délai de 90 jours imparti pour interjeter appel (23 août au 21 novembre 2018), elle n’a pu ni agir ni mandater quelqu’un pour agir en son nom, ou qu’elle avait véritablement l’intention d’interjeter appel.

[12] M. Bureau a affirmé dans son témoignage que tout au long du délai imparti de 90 jours, RBBSI a eu véritablement l’intention d’interjeter appel. L’avocat de l’intimée affirme qu’il y a peu ou pas d’éléments de preuve tendant à corroborer cette affirmation en particulier. Quoi qu’il en soit, en prenant en considération le dossier dans son ensemble, lequel indique une intention générale de contester les cotisations et nouvelles cotisations de l’ARC, et en accordant le bénéfice du doute à RBBSI, j’accepte l’affirmation faite par M. Bureau, que dans le délai applicable de 90 jours, RBBSI a eu véritablement l’intention d’amener l’affaire plus loin, en interjetant appel de la nouvelle cotisation établie concernant la TVH. Mais elle ne l’a pas fait dans le délai de 90 jours imparti, puisqu’elle a d’abord continué d’attendre de recevoir les nouvelles cotisations établies à l’égard de RBBSI et de M. Bureau personnellement, espérant qu’elles appuieraient son argument relatif à la TVH.

[13] La deuxième des quatre questions en litige mentionnées ci-dessus est celle de savoir si, conformément au sous-alinéa 305(5)b)(ii), compte tenu des raisons indiquées dans la demande et des circonstances de l’espèce, il serait juste et équitable de faire droit à sa demande. De manière raisonnable, l’intimée affirme que non. J’ai examiné les documents de requête plus attentivement que lors de l’audience. J’en ai donné une description ci-dessus. Ils renvoient tous au jugement de consentement dont M. Bureau a également beaucoup fait mention à l’audience. Donc, la thèse de RBBSI affiche une certaine constance.

[14] Cette thèse semble sous-entendre qu’autoriser certaines dépenses supplémentaires en tant que déductions au titre de dépenses d’entreprise, conformément au jugement de consentement rendu en application de la LIR, ouvre la voie à la reconnaissance de CTI supplémentaires découlant d’activités commerciales plutôt que personnelles. M. Bureau n’a pas expliqué très clairement cette thèse lors de l’audience. Toutefois, j’estime que cette thèse ne manque pas de fondement en général, nonobstant le fait que les périodes indiquées (année de déclaration 2010 selon la LIR; période de déclaration allant du 1er février au 30 avril 2016 selon la LTA) ne coïncident pas et ne se chevauchent pas, et sont en fait séparées de plusieurs années.

[15] Naturellement, il revient au juge de première instance de déterminer le bien-fondé de l’affaire, en tenant compte du dossier de preuve détaillé et des observations présentées. À titre de juge des requêtes, j’estime qu’il est juste et équitable de permettre à une partie de défendre sa cause en cour, faute d’un motif clair pour lui refuser ce droit. En outre, dans les circonstances de la présente affaire, les erreurs procédurales commises ne sont pas si flagrantes qu’elles nécessitent ou exigent le rejet de la présente demande. Pour ces motifs, je conclus qu’il serait juste et équitable de faire droit à la demande, conformément au sous-alinéa 305(5)b)(ii).

[16] La troisième des quatre questions en litige mentionnées ci-dessus est celle de savoir si, conformément au sous-alinéa 305(5)b)(iii), la présente demande a été présentée dès que les circonstances le permettaient. Je comprends que l’approche de RBBSI était d’attendre pour voir si d’autres affaires également devant le ministre, concernant la reconnaissance de dépenses d’entreprise supplémentaires au titre de la LIR, y compris des dépenses en lien avec la situation personnelle de M. Bureau en matière d’impôt sur le revenu, de même qu’en lien avec RBBSI elle-même, seraient tranchées de telle sorte que la question des CTI en litige pourrait plus facilement être tranchée en faveur de RBBSI.

[17] Cela expliquerait pourquoi au paragraphe 8 de l’avis d’appel proposé, on affirme que RBBSI [traduction] « a attendu aussi longtemps que possible ». (RBBSI a apparemment jugé que la période applicable d’un an s’était écoulée, alors qu’en fait il ne s’était écoulé que neuf mois sur cette période d’un an pour présenter une demande de prorogation de délai). Compte tenu de cela, je considère que RBBSI a d’une certaine façon démontré que la demande a été déposée dès que les circonstances le permettaient, de l’avis de M. Bureau à titre de tête dirigeante de RBBSI. Ces circonstances étaient que M. Bureau négociait avec le ministre sur trois fronts – impôt sur le revenu et déclaration de TVH pour RBBSI et impôt sur le revenu personnel de M. Bureau – et que la stratégie apparente de M. Bureau était de voir si les nouvelles cotisations anticipées concernant l’impôt sur le revenu (de l’entreprise et de M. Bureau) pourraient aider la cause de RBBSI concernant la TVH dans un appel interjeté devant notre Cour. Avec tout le respect que je dois à la thèse contraire défendue par l’intimée, y compris que RBBSI aurait quand même pu introduire l’appel sans attendre que ces questions touchant la LIR soient tranchées, je penche aussi en faveur de RBBSI pour ce qui est de la troisième question en litige.

[18] La quatrième et dernière question en litige est celle de savoir si, conformément au sous-alinéa 305(5)b)(iv), l’appel est raisonnablement fondé. J’ai abordé ce point concernant la deuxième question en litige ci-dessus, et j’ai conclu qu’à titre de juge des requêtes je ne pouvais affirmer que la thèse défendue par RBBSI en appel était sans fondement. À mon avis, sa thèse semble logique, suffisamment pour constituer un motif raisonnable d’interjeter appel devant notre Cour.

[19] J’ai examiné la décision Sapi c. La Reine, 2016 CCI 239, à laquelle renvoie l’intimée. Elle traite d’une situation factuelle assez différente. En fait, au cours des années, notre Cour a rendu de nombreuses décisions concernant des demandes de prorogation du délai pour déposer un avis d’appel, au titre de la LTA comme de la LIR, qui avaient chacune leur propre situation factuelle unique, à l’instar de la présente décision.

Conclusion

[20] Par conséquent, je penche en faveur de RBBSI concernant les quatre motifs en litige. Tout en reconnaissant les représentations très habiles de M. Katerynych au nom de l’intimée, la demande sera accueillie, sans dépens.

Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de novembre 2020.

« B. Russell »

Le juge Russell


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 119

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-3607(GST)APP

INTITULÉ :

RICHARD A. BUREAU BARRISTER & SOLICITOR INCORPORATED c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 septembre 2020

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge B. Russell

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 5 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Pour la demanderesse :

Richard Bureau

Avocat de l’intimée :

Terence Katerynych

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour la demanderesse :

Nom :

Richard Bureau

Cabinet :

[En blanc]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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