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Dossier : 2017-2616(IT)G

ENTRE :

DOW CHEMICAL CANADA ULC

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Demande entendue le 14 mai 2019 à Toronto (Ontario) et observations écrites reçues le 10 janvier 2020, le 31 janvier 2020 et le 14 février 2020, en vertu de l’article 58 des

Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale)

Devant : l’honorable juge K.A. Siobhan Monaghan

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Daniel Sandler

Me Allison Blackler

Avocats de l’intimée :

Me Henry Gluch

Me Samantha Hurst

Me Aleksandrs Zemdegs

 

ORDONNANCE

VU le dépôt par l’appelante d’une demande, sur consentement, le 23 octobre 2018, sollicitant une ordonnance tranchant la question de droit suivante avant l’audition de l’appel en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) :

[traduction]

La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève-t-elle de la compétence exclusive conférée à la Cour canadienne de l’impôt par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR?

ET CONFORMÉMENT aux motifs de l’ordonnance ci-joints;

  1. La Cour conclut que, lorsque le ministre décide, en application du paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « LIR »), de rejeter la demande du contribuable sollicitant le redressement à la baisse du prix de transfert, cette décision relève de la compétence exclusive conférée à la Cour par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR, pourvu que la cotisation découlant de cette décision fasse l’objet d’un appel interjeté en bonne et due forme devant la Cour;

  2. Chaque partie assumera ses propres dépens relativement à la présente demande.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2020.

« K.A. Siobhan Monaghan »

La juge Monaghan

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2023.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2020 CCI 139

Date : 20201218

Dossier : 2017-2616(IT)G

ENTRE :

DOW CHEMICAL CANADA ULC

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge Monaghan

I. INTRODUCTION

[1] La présente décision porte sur la compétence de la Cour canadienne de l’impôt (la « Cour de l’impôt ») ou peut-être plus précisément la portée des appels interjetés à l’encontre de cotisations. Elle s’inscrit dans le contexte d’un appel interjeté par Dow Chemical Canada ULC (l’« appelante » ou « Dow Chemical ») à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie pour son année d’imposition 2006. Cette nouvelle cotisation a augmenté le revenu de Dow Chemical au titre des dispositions relatives aux prix de transfert de l’article 247 de la Loi de l’impôt sur le revenu[1].

[2] Les dispositions relatives aux prix de transfert exigent, lorsqu’il est satisfait aux conditions pertinentes, le rajustement des sommes qui augmentent le revenu d’un contribuable (ou diminuent la perte d’un contribuable). Cependant, on ne peut redresser à la baisse le revenu du contribuable (ou augmenter la perte subie par le contribuable) que si « le ministre estime que les circonstances le justifient ».

[3] Lorsqu’il a établi une nouvelle cotisation pour les années d’imposition de 2006 et de 2007 de Dow Chemical, le ministre a augmenté le revenu de Dow Chemical relativement à certaines opérations conclues avec des non-résidents auxquels Dow Chemical est liée. Le ministre a d’abord indiqué que les dispositions relatives aux prix de transfert donneraient également lieu à un redressement à la baisse du revenu de Dow Chemical pour ces années d’imposition, à l’égard d’une autre opération. Cependant, la nouvelle cotisation la plus récente établie pour l’année d’imposition 2006 de Dow Chemical ne comportait pas de redressement à la baisse, même si la nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2007 en comportait un. Dow Chemical a interjeté appel de la nouvelle cotisation de 2006.

[4] L’appel soulevait deux questions liées au redressement à la baisse. Les parties ont apparemment réglé la première question. La deuxième question concerne la décision du ministre de priver Dow Chemical de l’avantage du redressement à la baisse. Bien que le montant du redressement ne soit pas contesté, le ministre, comme il a le droit de le faire, a jugé que les circonstances ne justifiaient pas l’application du redressement. Le litige porte sur la question de savoir si cette décision était juste.

[5] La difficulté à laquelle Dow Chemical est confrontée est de savoir devant quelle instance elle doit présenter la question qui demeure en litige. La Cour de l’impôt a compétence pour examiner les appels visant des cotisations. La Cour fédérale a compétence pour contrôler judiciairement les décisions du ministre, mais uniquement si la question n’est pas autrement susceptible d’appel. L’incertitude quant à l’instance compétente pour régler le litige a amené les parties à poser à la Cour de l’impôt une question de droit, en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (l’« article 58 des Règles »). La présente décision répond à cette question.

II. CONTEXTE

A. Les dispositions relatives aux prix de transfert dans la partie XVI.1 de la LIR

[6] La partie XVI.1 de la LIR contient les dispositions relatives aux prix de transfert. La partie XVI.1 ne crée pas ou ne prévoit pas d’impôt distinct (même si elle impose une pénalité). Les dispositions relatives aux prix de transfert (à l’exception de la disposition relative aux pénalités) sont des règles qui s’appliquent au calcul des sommes d’argent assujetties à l’impôt au titre d’autres parties de la LIR, en particulier (mais pas exclusivement) la partie I.

[7] Les dispositions relatives aux prix de transfert dans la partie XVI.1 de la LIR traduisent les « principes de pleine concurrence » dans les opérations effectuées entre un contribuable et un non-résident avec lequel le contribuable a un lien de dépendance. Lorsque des opérations entre un contribuable et un non-résident ayant un lien de dépendance sont effectuées selon des modalités qui ne représentent pas les principes de pleine concurrence, le paragraphe 247(2) prescrit le redressement à la hausse ou à la baisse, selon les circonstances, des montants des opérations afin qu’ils correspondent à ceux dont auraient convenu des parties qui n’auraient pas eu de lien de dépendance.

[8] Le paragraphe 247(2) n’établit pas de distinction entre les redressements qui augmentent le revenu d’un contribuable et ceux qui diminuent son revenu :

[...] les montants qui, si ce n’était le présent article et l’article 245, seraient déterminés pour l’application de la présente loi quant au contribuable [...] pour une année d’imposition [...] font l’objet d’un redressement de façon qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si [les participants n’avaient eu aucun lien de dépendance] [...]

[9] Cependant, le paragraphe 247(10) exclut expressément tout redressement au titre du paragraphe 247(2) qui ne donne pas lieu à un redressement de capital ou à un redressement de revenu pour une année d’imposition, ou qui n’augmente pas le montant d’un tel redressement, à moins que le ministre n’estime que les circonstances le justifient.

[10] Les redressements de capital et les redressements de revenu donnent tous deux lieu à une augmentation du revenu du contribuable ou à une diminution de la perte subie par le contribuable[2]. Ils sont obligatoires. En revanche, les redressements compensatoires de revenu et les redressements compensatoires de capital donnent tous deux lieu à une diminution du revenu ou à une augmentation de la perte subie[3]. Ils ne peuvent être faits que si le ministre est convaincu que les circonstances le justifient. Néanmoins, les paragraphes 247(2) et 247(10) doivent être appliqués pour calculer le revenu (ou une autre somme pertinente) et donc l’impôt (ou une autre dette fiscale) en application de la partie I (ou d’une autre partie) de la LIR.

[11] L’appel interjeté par Dow Chemical concerne uniquement un redressement compensatoire de revenu – des frais d’intérêts. Dans les présents motifs, par souci de cohérence avec la terminologie utilisée par les parties, l’expression « redressement à la baisse du prix de transfert » se rapporte à un redressement compensatoire de revenu ou à un redressement compensatoire de capital.

B. L’appel sous-jacent

[12] Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits que j’ai joint aux présents motifs, à l’annexe A. Cependant, je résume ce que je considère comme étant les faits pertinents en l’espèce.

[13] L’appelante, Dow Chemical, est une société résidente du Canada régie par la Companies Act (Loi sur les sociétés) de la Nouvelle-Écosse[4] et qui est indirectement détenue par The Dow Chemical Company, une société des États-Unis (« Dow US »). L’appelante, la société emprunteuse, a conclu un contrat d’emprunt renouvelable daté du 17 février 2009, prenant effet le 1er janvier 2004, avec Dow Europe GmbH (« DowEur »), la société prêteuse. DowEur est une société exploitante suisse qui est également indirectement détenue par Dow US. Aux termes du contrat de prêt, l’appelante était tenue de verser des intérêts à DowEur, qui s’élevaient à 15 279 034 $ et 6 694 341 $ pour ses années d’imposition 2006 et 2007, respectivement.

[14] En 2011, le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelante, en s’appuyant sur les dispositions de l’article 247. La nouvelle cotisation établie en 2011 à l’égard de l’année d’imposition 2006 a augmenté le revenu de l’appelante qui se rapportait aux services de fabrication à façon qu’elle fournissait à DowEur (« sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur »). L’appelante s’est opposée à cette nouvelle cotisation et a demandé l’aide de l’autorité compétente canadienne relativement aux sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur. L’appelante n’a pas demandé l’aide de l’autorité compétente relativement à l’emprunt auprès de DowEur.

[15] Peu de temps après, le ministre a envoyé à l’appelante une lettre de proposition au sujet de redressements à la baisse en matière de prix de transfert. Plus précisément, le ministre a proposé d’augmenter de 3 260 704 $ les frais d’intérêts relativement à l’emprunt auprès de DowEur, pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante, et de 1 509 275 $ pour son année d’imposition 2007. Cependant, le ministre a par la suite informé l’appelante que les frais d’intérêts de 2006 ne changeraient pas du fait de l’expiration d’un délai de prescription prévu par la Convention fiscale entre le Canada et la Suisse.

[16] Le ministre a établi de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelante dans des avis de nouvelles cotisations datés du 12 décembre 2012. Ces nouvelles cotisations tenaient compte d’une augmentation des frais d’intérêts de l’appelante liés à l’emprunt auprès de DowEur pour 2007, mais pas pour 2006. Cependant, la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 comprenait des redressements en matière de prix de transfert qui augmentaient le revenu de l’appelante en lien avec des opérations qu’elle avait effectuées avec Dow US (les « sommes liées à Dow US »). L’appelante s’est opposée à cette nouvelle cotisation et a demandé l’aide de l’autorité canadienne compétente relativement aux sommes liées à Dow US.

[17] Le 14 janvier 2013, l’appelante a demandé au ministre d’effectuer un redressement à la baisse en matière de prix de transfert pour son année d’imposition 2006 relativement aux frais d’intérêts liés à l’emprunt auprès de DowEur. Cette demande a été rejetée au motif que le paragraphe 9(3) de la Convention fiscale entre le Canada et la Suisse interdisait les intérêts additionnels et que la somme ne serait pas imposée dans l’un ou l’autre pays (c’est-à-dire une double non-imposition).

[18] Par la suite, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour :

  1. l’année d’imposition 2006 de l’appelante, dans un avis daté du 14 décembre 2015, conformément à la résolution des redressements en matière de prix de transfert à laquelle sont arrivées les autorités compétentes canadiennes et suisses concernant les sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur, mais il n’a effectué aucun redressement relativement à l’emprunt auprès de DowEur;

  2. l’année d’imposition 2006 de l’appelante, dans un avis daté du 13 avril 2017, conformément à la résolution des redressements en matière de prix de transfert à laquelle sont arrivées les autorités compétentes canadiennes et américaines concernant les sommes liées aux services de fabrication fournis à Dow US, mais encore une fois, il n’a effectué aucun redressement relativement à l’emprunt auprès de DowEur.

[19] La nouvelle cotisation du 13 avril 2017, établie pour l’année d’imposition 2006, a fait l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt et a donné lieu à la question examinée dans la présente décision.

[20] Alors que, dans son avis d’appel, l’appelante contestait le point de vue du ministre quant au paragraphe 9(3) de la Convention fiscale entre le Canada et la Suisse, il semble que les parties aient réglé cette question. Le montant du redressement à la baisse en matière de prix de transfert n’est pas contesté. Par conséquent, la seule question qui demeure en litige concerne la décision du ministre prise en application du paragraphe 247(10) selon laquelle les circonstances ne justifieraient pas d’augmenter de 3 260 704 $ les frais d’intérêts de l’appelante pour son année d’imposition 2006. L’appelante affirme que cette décision n’était pas appropriée et que, par conséquent, la nouvelle cotisation est erronée.

III. LA QUESTION

[21] Les parties ont posé la question ci-après en vertu de l’article 58 des Règles :

[traduction]

La décision que rend le ministre du Revenu national lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR ») pour rejeter la demande d’un contribuable sollicitant un redressement à la baisse du prix de transfert relève-t-elle de la compétence exclusive conférée à la Cour canadienne de l’impôt par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt et l’article 171 de la LIR?

[22] En substance, la question est de savoir si une contestation de l’exercice qu’a fait le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) relève de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt ou si au contraire elle ne relève pas de cette compétence et relève plutôt de la compétence de contrôle judiciaire de la Cour fédérale.

[23] Avant de poursuivre, je souhaite formuler quelques observations sur l’expression « pouvoir discrétionnaire ». Cette expression n’est pas employée au paragraphe 247(10), mais elle est utilisée dans la question dont je suis saisie et à maintes reprises dans la jurisprudence. Cependant, le terme « pouvoir » ou l’expression « pouvoir discrétionnaire » ou le terme « décision » peuvent tous aussi être utilisés : au titre du paragraphe 247(10), on confère au ministre le pouvoir de décider si les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Dans les présents motifs, j’utilise les termes « pouvoir », « pouvoir discrétionnaire », « décision » ou « opinion » pour désigner la mesure prise par le ministre en vertu du paragraphe 247(10). Chacune de ces expressions vise à indiquer que le ministre a le pouvoir (et l’obligation) de décider si les circonstances justifient le redressement à la baisse en matière de prix de transfert et que, dans le contexte d’un tel redressement, ce qui compte est l’opinion du ministre.

IV. LES THÈSES DES PARTIES

[24] L’intimée sollicite une réponse négative à la question, soutenant que tout contrôle judiciaire de la décision du ministre est hors du ressort de la Cour de l’impôt, bien qu’il puisse relever de la compétence de la Cour fédérale.

[25] L’appelante sollicite une réponse positive, affirmant que, tout bien considéré, contester la décision que le ministre a rendue en application du paragraphe 247(10) est un appel interjeté à l’encontre de la cotisation[5] qui traduit cette décision et que, par conséquent, cela relève de la compétence d’appel exclusive de la Cour de l’impôt.

[26] Les circonstances illustrent le dilemme auquel est confrontée l’appelante : qui de la Cour de l’impôt ou de la Cour fédérale est le tribunal ayant compétence pour trancher le litige concernant le pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre? Même si l’appelante affirme que la Cour de l’impôt a compétence, elle a demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre devant la Cour fédérale. Cette procédure a été mise en suspens en attendant qu’il soit répondu à la question en l’espèce.

[27] Les cotisations établies sous le régime de la LIR ne peuvent être portées en appel que devant la Cour de l’impôt, qui a la compétence exclusive pour entendre les appels de cotisations. Il est tout aussi clair que la Cour fédérale a compétence pour examiner les demandes de contrôle judiciaire, notamment les décisions du ministre ou des employés de l’Agence du revenu du Canada, mais uniquement si une loi fédérale ne prévoit pas d’appel devant une autre instance, notamment la Cour de l’impôt.

[28] Par conséquent, la réponse à la question dépend de la question de savoir si la décision que le ministre a rendue en vertu du paragraphe 247(10) porte sur l’exactitude de la cotisation et donc si elle est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, ce qui correspond à la thèse de l’appelante, ou si cette décision ne peut être contestée que par contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, ce qui est la thèse de l’intimée.

V. LA RÉPONSE

[29] Pour les motifs qui suivent, j’ai décidé de répondre à la question par l’affirmative. Je suis d’avis que la décision du ministre rendue en application du paragraphe 247(10) est un élément essentiel de la cotisation, qu’elle concerne l’exactitude de la cotisation et par conséquent qu’elle est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt au titre de sa compétence d’appel exclusive quant à l’exactitude des cotisations (c’est-à-dire examiner si la cotisation est fondée sur les faits et est conforme au droit applicable)[6]. J’estime que cette conclusion est tout à fait conforme à la jurisprudence, aux dispositions législatives et aux moyens dont dispose la Cour de l’impôt une fois qu’elle a rendu une décision sur un appel visant une cotisation.

[30] Cependant, ça ne veut pas dire que la Cour de l’impôt peut substituer sa propre opinion à celle du ministre. Je ne suis pas saisie de cette question. Même si une bonne partie de la jurisprudence examinée ci-dessous indique que la Cour de l’impôt ne peut pas le faire (parce que le législateur voulait que la décision revienne au ministre), cette approche n’a pas été appliquée de façon universelle. En outre, des décisions plus récentes, notamment de la Cour suprême du Canada[7] et de la Cour d’appel fédérale, ont pris en considération les pouvoirs et devoirs des cours lorsqu’elles font le contrôle judiciaire de décisions discrétionnaires. Ces décisions seraient manifestement utiles pour répondre à cette question. Les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme répondant à la question de savoir si la Cour de l’impôt peut ou non substituer sa propre décision à celle du ministre lorsqu’elle examine une décision qu’a prise le ministre en vertu du paragraphe 247(10) dans le contexte d’un appel visant une cotisation établie à la suite de cette décision.

VI. LE PARAGRAPHE 247(11) CONFÈRE-T-IL LE DROIT D’INTERJETER APPEL DE LA DÉCISION DU MINISTRE?

[31] À l’appui de son argument selon lequel la décision ministérielle prise en vertu du paragraphe 247(10) est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, l’appelante invoque entre autres le paragraphe 247(11). Le paragraphe 247(11) est rédigé ainsi :

(11) Les articles 152, 158, 159 et 162 à 167 et la section J de la partie I s’appliquent à la présente partie, avec les adaptations nécessaires.

[32] La section I de la partie I s’intitule « Déclarations, cotisations, paiement et appels » et la section J de la partie I s’intitule « Appels auprès de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale ».

[33] Des dispositions de cette nature se trouvent un peu partout dans la LIR. Par souci de simplicité, je les appellerai dispositions mutatis mutandis, même si je reconnais que cette ancienne formulation n’est plus employée dans la LIR. Ces dispositions de la LIR ont pour objet de conférer les mêmes droits d’opposition et d’appel à l’égard des cotisations établies en vertu de parties de la LIR autres que la partie I sans qu’il soit nécessaire de reproduire toutes les dispositions dans chacune de ces autres parties de la LIR.

[34] L’intimée fait valoir que le paragraphe 247(11) n’est pertinent que lorsqu’il s’agit de pénalités imposées en application du paragraphe 247(3), car la seule cotisation qui peut être établie au titre de la partie XVI.1 est une cotisation qui impose des pénalités en application du paragraphe 247(3). Toute autre cotisation fondée sur les dispositions relatives aux prix de transfert est établie aux termes d’une autre partie de la LIR.

[35] L’appelante soutient que le paragraphe 247(11) a une application plus large que celle qui consiste à permettre l’appel de pénalités imposées en application du paragraphe 247(3). L’appelante affirme que le paragraphe 247(11) a été rédigé pour qu’il s’applique à toute la partie XVI.1 (il est précisé que les dispositions s’appliquent « à la présente partie ») et pour que les mécanismes d’opposition et d’appel prévus dans la partie I puissent servir à contester toutes les mesures prises par le ministre au titre des règles en matière de prix de transfert, notamment la décision du ministre de refuser un redressement à la baisse en matière de prix de transfert en application du paragraphe 247(10). L’appelante soutient que les renvois aux articles 162 à 167 et à la section J figurant dans le paragraphe 247(11) ont pour effet que la décision discrétionnaire du ministre relève de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt.

[36] À l’appui de cette thèse, l’appelante se fonde principalement sur deux arguments :

  1. le passage « avec les adaptations nécessaires » fait que les dispositions adoptées par le paragraphe 247(11) s’interprètent comme si le renvoi à la cotisation ou à l’avis de cotisation désignait [traduction] « la décision du ministre concernant un redressement à la baisse en matière de prix de transfert prise en vertu du paragraphe 247(10) »;

  2. le paragraphe 247(11) s’applique depuis une date antérieure à la date d’application de la disposition relative aux pénalités, ce qui indique que son objet est notamment de conférer aux contribuables le droit de faire appel de toutes les mesures prises par le ministre en application de la partie XVI.1, y compris sa décision prise en application du paragraphe 247(10).

[37] Les dispositions de la LIR doivent être interprétées selon les principes textuels, contextuels et téléologiques énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada[8]. Le libellé d’une disposition législative doit être interprété en fonction de son contexte et de son objet législatif afin d’en « dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble »[9]. Lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’une signification, le sens ordinaire des mots, bien que pertinent, jouera un rôle moindre dans le processus d’interprétation que le contexte et l’objet des dispositions législatives. Le contexte comprend non seulement les mots environnants (c’est-à-dire le libellé de la disposition en tant que telle), mais aussi le contexte plus large des dispositions connexes et de la LIR dans son ensemble.

A. Remplacement de « décision du ministre » par « cotisation »

[38] Dans certaines dispositions mutatis mutandis de la LIR, les mots « avec les adaptations nécessaires » correspondent en anglais à « with any modifications », tandis que dans d’autres dispositions, ces mêmes mots en français ont pour équivalent anglais « with such modifications ». L’intimée soutient que, parce que le paragraphe 247(11) en anglais ne permet que certainessuch ») modifications nécessaires (plutôt que n’importe quelleany ») modification), la portée du paragraphe 247(11) est plus restreinte. Pour les motifs énoncés par l’appelante dans ses observations écrites, je ne suis pas convaincue que la différence entre les deux expressions en anglais est importante dans les circonstances. Cependant, il n’est pas nécessaire que je tranche cette question en l’espèce.

[39] À mon avis, ni l’une ni l’autre des expressions ne permettrait de substituer « la décision du ministre de refuser un redressement à la baisse en matière de prix de transfert rendue en application du paragraphe 247(10) » aux termes « cotisation » ou « avis de cotisation » dans les dispositions pertinentes. Si l’intention du législateur avait été que le paragraphe 247(11) comme tel étende, de manière aussi directe que ce que l’appelante indique, les droits d’opposition et d’appel pour qu’ils s’appliquent à la décision du ministre, je me serais attendue à un libellé beaucoup plus clair, à l’instar de celui d’autres dispositions mutatis mutandis de la LIR.

[40] Par exemple, la LIR impose au ministre l’obligation de déterminer certains éléments[10]. Les dispositions qui régissent les avis d’opposition et les droits d’appel sont expressément rendues applicables à ces déterminations, ne laissant subsister aucun doute[11]. De même, la LIR précise que, lorsque le ministre avise de son intention de révoquer l’enregistrement d’un contribuable en tant que donataire reconnu, les dispositions pertinentes s’appliquent « avec les adaptations nécessaires, comme si l’avis [de révocation] était un avis de cotisation »[12]. Une approche similaire est adoptée à la partie V pour les avis de suspension[13] et à la partie X pour les avis de remboursement[14]. Ces exemples de libellé explicite corroborent un point de vue plus restrictif des adaptations envisagées et permises par le paragraphe 247(11) que ce que l’appelante soutient.

[41] Pour tirer ma conclusion concernant la première thèse de l’appelante au sujet de la portée du paragraphe 247(11), j’ai pris en considération la décision Lord Rothermere Donation c. La Reine[15]. Dans cette décision, la Cour de l’impôt a affirmé que les mots « les adaptations » dans ces dispositions permettent un plus large éventail de remplacements ou d’adaptations que ce qu’une ancienne disposition « mutatis mutandis » aurait pu permettre, ce qui indique que le libellé modernisé pouvait viser des changements qui constituaient plus qu’« un point de détail ». Cependant, j’estime que la substitution dans cette affaire était d’une nature complètement différente de celle proposée en l’espèce par l’appelante.

[42] Dans cette affaire, il ressort clairement de la disposition mutatis mutandis pertinente que le paragraphe 164(3) – qui impose le paiement d’intérêts sur les remboursements d’impôt – est incorporé par renvoi pour l’application des remboursements d’impôt de la partie XIII[16]. Le paragraphe 164(3) exige que soit indiquée la date à partir de laquelle les intérêts sont calculés. Pour l’application du paragraphe 164(3) à un non-résident, la Cour de l’impôt a tenté de trouver quelque chose comme une déclaration faite au titre de l’article 150 afin de déterminer le début de la période pertinente. À cette fin, étant donné qu’une déclaration de revenus établie suivant la partie I et déposée en application de l’article 150 (donnant lieu à une cotisation établie en application de la partie I) et une demande de remboursement d’impôt faite suivant la partie XIII (le moyen par lequel un non-résident obtient l’établissement d’une cotisation d’impôt en fonction de la partie XIII), la Cour de l’impôt a conclu qu’elle pouvait considérer la demande de remboursement comme équivalant à une déclaration déposée en application de l’article 150.

[43] Ces circonstances ne sont pas comparables à celles en l’espèce. Le paragraphe 247(11) peut avoir son plein effet sans être appliqué comme l’appelante le soutient. Il s’applique à l’imposition d’une pénalité et il est nécessaire pour que le contribuable puisse s’y opposer et en faire appel.

[44] Je note que le paragraphe 247(11) exige que le ministre décide si les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert et que le paragraphe 152(1.2) comporte les mots « détermination ou nouvelle détermination ». Bien que le paragraphe 152(1.2) figure parmi les dispositions auxquelles renvoie le paragraphe 247(11), je ne pense pas que ce soit utile à l’appelante. Le paragraphe 152(1.2) porte sur des montants déterminés (et non des décisions). Le paragraphe 247(10) ne confère pas au ministre le pouvoir de déterminer un montant et ne comporte ni le verbe « déterminer », ni le substantif « détermination », ni la locution « avis de détermination ».

[45] Si on interprétait le paragraphe 247(11) de la manière soutenue par l’appelante, on s’aventurerait dans le domaine de l’adoption des lois plutôt que de rester dans celui de leur application. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zen c. Canada (Revenu national)[17], qui est postérieur à la décision Lord Rothermere :

[73] Une disposition législative prévoyant un pouvoir de modification confère un pouvoir inusité aux tribunaux. Le rôle habituel de l’organe judiciaire de l’État relativement aux lois consiste à interpréter et à appliquer les lois édictées par le législateur. Une des pierres angulaires de la démocratie parlementaire est le principe voulant qu’il faille obtenir l’autorisation du législateur pour pouvoir modifier la loi. Toutefois, les impératifs que commande l’administration des États modernes obligent depuis longtemps les assemblées législatives à déléguer des pouvoirs législatifs étendus. Au Canada, ces pouvoirs sont le plus souvent délégués à des organismes tenus de rendre des comptes sur le plan politique ou encore à des autorités possédant des compétences spécialisées institutionnelles en administration publique, tels que le gouverneur en conseil (ou le lieutenantgouverneur), certains ministres de la Couronne ou les municipalités.

[74] Le fait que les tribunaux ne possèdent aucune de ces qualités invite à faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’examiner la portée du pouvoir qui leur est délégué en matière de modification aux dispositions de la LIR, et il permet de penser que ce pouvoir devrait être interprété plus restrictivement que ce que le texte actuel donne à penser. Ainsi, pour déterminer si une modification proposée est permise par le pouvoir délégué (pour reprendre la terminologie associée avec l’expression mutatis mutandis : s’agitil d’une modification portant sur un point de détail ou d’une modification de fond?), le tribunal doit déterminer si les considérations relatives à l’efficacité l’emportent sur les avantages que représente le fait d’assujettir la modification à l’examen minutieux du processus législatif habituel.

[Non souligné dans l’original.]

[46] Enfin, j’ai pris en considération les déclarations prononcées dans le contexte de l’adoption de la partie XVI.1. Même si les commentaires dans les exposés budgétaires ou dans les notes explicatives qui accompagnaient l’avant-projet de loi ne sont pas déterminants, ils peuvent renseigner sur l’intention du législateur. Rien dans le message budgétaire de 1997[18], dans les notes explicatives qui accompagnaient l’avant-projet de loi rendu public le 11 septembre 1997[19] ou dans les notes explicatives qui accompagnaient l’avant-projet de loi révisé rendu public le 8 décembre 1997[20] n’indique que l’objet de la disposition mutatis mutandis dans les règles en matière de prix de transfert était de permettre l’interprétation avancée par l’appelante.

[47] Par conséquent, bien que le libellé du paragraphe 247(11) soit large (si on fait abstraction du débat concernant les mots anglais « any » et « such »), il doit néanmoins être interprété et appliqué de manière étroite dans le contexte de lois qui, à l’instar de la LIR, circonscrivent la compétence de la Cour de l’impôt. D’autres dispositions de la LIR, qui disposent expressément que les mots « avis de cotisation » doivent être interprétés comme visant autre chose – une approche qui n’a pas été adoptée au paragraphe 247(11) – étayent cette conclusion. À mon avis, le libellé et le contexte du paragraphe 247(11), interprétés selon les principes de l’arrêt Trustco Canada, n’étayent pas la thèse de l’appelante selon laquelle la « décision du ministre » peut se substituer à la « cotisation » ou l’« avis de cotisation » dans l’application des dispositions auxquelles renvoie le paragraphe 247(11).

B. Objet du paragraphe 247(11)

(1) Date d’application

[48] Les modifications aux règles en matière de prix de transfert ont été annoncées dans le budget de février 1997. Même si les règles énoncées à l’article 247 n’ont été adoptées qu’en 1998[21], à partir de la date de leur adoption, la plupart des dispositions de l’article 247[22], notamment le paragraphe (11), ont été rendues applicables aux années d’imposition ou aux exercices commençant après 1997. Cependant, la disposition relative aux pénalités, soit le paragraphe 247(3), ainsi que les dispositions connexes que sont les paragraphes 247(4), (5) et (9) [appelées collectivement les « dispositions relatives aux pénalités »], ne s’appliquaient qu’aux années d’imposition et aux exercices commençant après 1998.

[49] L’appelante affirme que, si le législateur avait eu l’intention de limiter le paragraphe 247(11) à l’imposition de pénalités, on se serait attendu à ce que ce paragraphe se soit appliqué en même temps que les dispositions relatives aux pénalités. L’appelante soutient que la date d’application antérieure a été choisie pour que le contribuable puisse contester une décision rendue par le ministre de refuser un redressement à la baisse en matière de prix de transfert au titre du paragraphe 247(10).

[50] L’appelante souligne que, dans les premières versions publiées des dispositions relatives aux prix de transfert, la disposition mutatis mutandis figurait au paragraphe (3) de l’article 247.1 proposé. Tout l’article 247.1 proposé se rapportait aux pénalités proposées à l’article 247 proposé. Le paragraphe 247.1(1) proposé indiquait le délai de paiement de la pénalité et le paragraphe 247.1(2) proposé imposait des intérêts aux pénalités qui n’étaient pas payées à la date d’échéance. La disposition mutatis mutandis du paragraphe 247.1(3) proposé devait s’appliquer en même temps que les dispositions relatives aux prix de transfert qui n’étaient pas les dispositions relatives aux pénalités. En revanche, les deux premiers paragraphes de l’article 247.1 (relatifs aux intérêts sur la pénalité et au paiement de ceux-ci) devaient s’appliquer en même temps que les dispositions relatives aux pénalités.

[51] L’appelante affirme que cette distinction entre les dates d’application au sein même de l’article 247.1 proposé étaye sa thèse selon laquelle le paragraphe 247(11) a une portée plus large qui ne se limite pas à permettre l’opposition et l’appel à l’égard de l’imposition d’une pénalité. L’appelante soutient que, si l’intention du législateur était que la disposition mutatis mutandis ne concerne que les pénalités, il aurait été proposé que les trois parties de l’article 247.1 s’appliquent en même temps, à la date à laquelle il était proposé que la pénalité elle-même s’applique.

[52] Selon la thèse de l’intimée, le paragraphe 247(11) ne s’applique qu’aux cotisations établies en application de la partie XVI.1. Seules des pénalités peuvent être imposées en application de la partie XVI.1 et, par conséquent, selon l’intimée, le paragraphe 247(11) de la LIR ne s’applique qu’à l’imposition de pénalités[23].

[53] L’intimée soutient qu’il convient de faire preuve de prudence à l’égard des avant-projets de loi qui n’ont pas été édictés. En outre, même si les commentaires n’expliquent pas pourquoi la disposition qui, selon elle, s’applique uniquement aux pénalités a été rendue applicable avant celle permettant l’imposition des pénalités, l’intimée fait valoir que le décalage dans la date d’application des dispositions relatives aux pénalités était une exception à la date d’application de toutes les autres dispositions relatives aux prix de transfert. La pénalité s’applique lorsqu’un contribuable n’a pas respecté ce qui (à l’époque) constituait les nouvelles obligations de documentation contemporaine. L’intimée soutient que le décalage avait pour but de donner aux contribuables du temps pour s’adapter aux nouvelles obligations avant que les pénalités ne s’appliquent.

[54] L’intimée souligne que la date d’application antérieure du paragraphe 247(11), une disposition qui, selon elle, ne se rapporte qu’à l’imposition de pénalités en application de l’article 247 de la LIR, s’applique aussi aux définitions figurant au paragraphe 247(1) qui ne visent que les dispositions relatives aux pénalités. Même si le paragraphe 247(11) de la LIR ainsi que ces définitions s’appliquaient aux années d’imposition et exercices ayant commencé après 1997, il n’était pas nécessaire de décaler leur application étant donné qu’ils n’imposaient aux contribuables aucune obligation. Bien qu’applicables, ces dispositions ne pouvaient avoir aucune conséquence jusqu’à ce que les dispositions relatives aux pénalités s’appliquent (c’est-à-dire à une année d’imposition ou un exercice commençant après 1998).

[55] Les notes explicatives du 11 septembre 1997 qui accompagnaient les avant-projets de loi n’abordent pas cet écart dans les dates d’application proposées pour l’ébauche de l’article 247.1. De même, les notes explicatives qui accompagnaient l’avant-projet de loi du 8 décembre 1997 (la version de l’article 247 qui a en fin de compte été adoptée) sont muettes sur la raison pour laquelle la date d’application du paragraphe 247(11) de la LIR était antérieure à celle des dispositions relatives aux pénalités.

[56] Même si on pouvait considérer que le décalage entre les dates d’application étaye l’opinion de l’appelante sur l’objet du paragraphe 247(11) de la LIR, je ne suis pas disposée à conclure que cette opinion est exacte pour ce motif uniquement. Ce décalage me donne plutôt à penser qu’il est nécessaire d’examiner l’objet du paragraphe 247(11) de la LIR en l’interprétant dans le contexte des autres dispositions de la partie XVI.1 et dans le contexte de la LIR dans son ensemble.

(2) Cotisations fondées sur les dispositions relatives aux prix de transfert

[57] À l’exception des pénalités imposées au titre du paragraphe 247(3), la cotisation fondée sur les dispositions de l’article 247 sera établie en application d’une autre partie de la LIR, plus précisément la partie I ou la partie XIII[24]. Par exemple, un redressement en matière de prix de transfert peut donner lieu à une augmentation du revenu d’un contribuable et une nouvelle cotisation tenant compte de cette augmentation sera établie en application de la partie I. Le sous-alinéa 152(4)b)(iii) prévoit expressément une période plus longue pour l’établissement de nouvelles cotisations concernant des opérations assujetties aux dispositions relatives aux prix de transfert. La cotisation étant établie en application de la partie I, les dispositions de la partie I qui régissent l’opposition et l’appel visant cette cotisation s’appliquent automatiquement. Le paragraphe 247(11) ne joue aucun rôle.

[58] À cet égard, la partie XVI.1 fonctionne comme la partie XVI. Cette partie contient la règle générale anti-évitement [la « RGAÉ »[25]] et une disposition sur les avantages qui, s’il y a lieu, s’applique de manière à ajouter les avantages au revenu pour l’application de la partie I ou de manière à ce que les avantages soient considérés comme des paiements à un non-résident pour l’application de la partie XIII. À l’instar des dispositions relatives aux prix de transfert, la partie XVI ne crée pas d’impôt, mais elle comporte plutôt des règles qui s’appliquent pour le calcul de l’impôt pour l’application d’autres parties de la LIR. Lorsque ces règles s’appliquent, à l’instar des dispositions relatives aux prix de transfert, des redressements sont apportés, qui touchent les calculs réalisés en application d’autres parties de la LIR. Par conséquent, la cotisation fondée sur l’application des règles de la partie XVI découle de l’application de l’autre partie de la LIR.

[59] En ce qui concerne la RGAÉ, cela ne laisse aucun doute. Le paragraphe 245(7) dispose ce qui suit :

[...] les attributs fiscaux d’une personne, par suite de l’application du présent article [245], ne peuvent être déterminés que par avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire ou que par avis d’un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11), compte tenu du présent article.

[Non souligné dans l’original.]

[60] La cotisation est établie par suite de l’application de la RGAÉ, mais au titre de la partie pertinente de la LIR, et non de la partie XVI. De même, une cotisation établie par suite de l’application des paragraphes 247(2) et (10) l’est non pas au titre de la partie XVI.1, mais de la partie pertinente de la LIR.

[61] Lorsqu’une personne fait l’objet d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une opération ou qu’elle reçoit un avis de détermination en application du paragraphe 152(1.11), qui implique l’application de la RGAÉ, une autre personne peut demander au ministre d’établir une cotisation ou de faire une détermination en application du paragraphe 152(1.11) à l’égard de cette même opération[26]. Dans ce cas, le ministre doit examiner la demande et établir une cotisation ou faire une détermination[27]. L’obligation d’établir une cotisation se trouve dans la partie XVI, mais encore une fois, la cotisation serait établie en application d’une autre partie de la LIR.

[62] Malgré ces dispositions précises portant sur les cotisations fondées sur l’article 245, la partie XVI ne comporte pas de disposition mutatis mutandis. Aucune disposition de cette nature n’est nécessaire, car la cotisation établie après l’application des dispositions de la partie XVI n’est pas établie au titre de la partie XVI, mais au titre d’une autre partie[28]. Le droit de faire appel de cette cotisation ou de s’y opposer se trouve dans cette autre partie. De même, si le ministre fait une détermination en application du paragraphe 152(1.11), après l’application de l’article 245, le droit du contribuable de s’opposer et de faire appel se trouve dans la partie I[29].

[63] À deux exceptions près, l’appelante souscrit à cette analyse. L’appelante convient qu’un redressement du revenu fondé sur les paragraphes 247(2) ou (10) serait traité comme un redressement du revenu ayant fait l’objet d’une détermination et d’une cotisation au titre de la partie I, lesquelles seraient régies par les dispositions d’opposition et d’appel de la partie I. Cependant, l’appelante indique que les « motifs de l’opposition » et la « question à trancher » seraient liés uniquement à la partie XVI.1, là où se trouve le fondement du litige. Même si ça peut être vrai, ça ne diffère pas d’une cotisation fondée sur la RGAÉ ou sur l’article 246 de la LIR. Le motif de l’opposition et la question à trancher seraient fondés, du moins en partie, sur la partie XVI : par exemple, existe-t-il un avantage fiscal, une opération d’évitement, quels sont les attributs fiscaux raisonnables permettant de supprimer l’avantage fiscal et un avantage a-t-il été conféré, directement ou indirectement, à un contribuable?

[64] L’appelante affirme que la différence entre la partie XVI et la partie XVI.1 ne réside pas seulement dans le fait que la partie XVI ne comporte pas de disposition relative aux pénalités, mais aussi dans le fait que la partie XVI ne comporte pas de disposition fondée sur le pouvoir discrétionnaire du ministre. L’appelante soutient que c’est une des raisons pour lesquelles cette partie ne comporte pas de disposition mutatis mutandis. Je ne puis affirmer que cette distinction soit importante dans le contexte de la thèse de l’appelante selon laquelle le paragraphe 247(11) rend la décision du ministre susceptible d’appel.

[65] Le paragraphe 247(10) exige une décision, mais il en est de même du paragraphe 245(2). Aux termes du paragraphe 247(10), le ministre doit décider si, selon son estimation, les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Aux termes du paragraphe 245(2), le ministre doit déterminer quels sont les attributs fiscaux raisonnables dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal. Même si, dans le premier cas, c’est l’opinion du ministre qui compte et, dans le second cas, il est possible que la Cour de l’impôt tire une conclusion différente de celle du ministre au sujet des attributs fiscaux raisonnables, dans les deux cas, la décision du ministre donne lieu à une cotisation établie en application d’une autre partie de la LIR.

[66] L’appelante avance que la deuxième distinction entre les parties XVI et XVI.1 est que, dans certaines circonstances, le refus du ministre d’effectuer un redressement à la baisse en matière de prix de transfert ne donnera pas lieu à une nouvelle cotisation, mais à une lettre de décision. L’appelante affirme que, dans de telles circonstances, à moins que le paragraphe 247(11) ne soit interprété comme étendant le droit d’appel à la lettre de décision du ministre, le contribuable devra demander un contrôle judiciaire, même si un autre contribuable dont la situation est semblable, mais qui a fait l’objet d’une nouvelle cotisation, pourra interjeter appel de la nouvelle cotisation devant la Cour de l’impôt. Par conséquent, pour éviter ce que l’appelante qualifie d’absurdité, il faudrait considérer que le paragraphe 247(11) a pour objet d’étendre le droit d’opposition ou d’appel énoncé à la partie I pour qu’il s’applique à la décision rendue par le ministre en application du paragraphe 247(10), que cette décision se traduise ou non par une cotisation.

[67] En toute déférence, cette thèse ne me convainc pas non plus. Il me semble vraisemblable qu’un redressement à la baisse en matière de prix de transfert ne serait effectué que dans le contexte d’une vérification ou d’une nouvelle cotisation ou peut-être en réponse à la demande de redressement formulée par le contribuable parce qu’un autre redressement a été effectué conformément aux règles en matière de prix de transfert dans un État étranger. Il est peu probable qu’un redressement soit effectué parce que le ministre choisit d’examiner séparément une opération et d’envoyer au contribuable une lettre indiquant qu’un redressement à la baisse en matière de prix de transfert a été déterminé, mais qu’il ne sera pas effectué.

[68] Cependant, si cette situation survient et qu’aucun appel n’est interjeté devant la Cour de l’impôt parce qu’il n’y a pas de cotisation, je conviens que le seul recours du contribuable pourrait être de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du ministre devant la Cour fédérale. Cependant, cette supposée absurdité n’est pas propre au redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Dans de nombreuses circonstances, le contribuable lésé n’a pas de droit d’appel. Parfois, le contribuable qui ne pouvait pas interjeter appel d’une cotisation[30] a été autorisé à demander un contrôle judiciaire[31]. D’autres fois, le contribuable ne pourra pas faire appel parce qu’il aura reçu un avis indiquant qu’aucun impôt n’est à payer (c’est-à-dire une cotisation d’un montant nul), ce qui l’obligera à attendre jusqu’à une année d’imposition où la somme sera pertinente (p. ex. qui fait partie d’une perte autre qu’en capital).

[69] Ainsi, cette limite au droit du contribuable de contester la décision ne me convainc pas que l’objet du paragraphe 247(11) est d’autoriser les appels de décisions prises par le ministre en application du paragraphe 247(10) et ne donnant pas lieu à une cotisation traduisant cette décision.

[70] À mon avis, tant les ressemblances que les différences entre la partie XVI.1 et la partie XVI étayent la conclusion selon laquelle l’unique objet du paragraphe 247(11) est de permettre l’imposition de pénalités en application du paragraphe 247(3) et d’autoriser les oppositions et les appels à l’égard de ces cotisations. Comme c’est le cas pour la RGAÉ, les cotisations fondées sur l’application des paragraphes 247(2) et (10) et le droit de s’y opposer et d’en appeler découlent d’autres dispositions.

(3) Comparaison avec d’autres dispositions mutatis mutandis

[71] Chaque partie de la LIR qui impose un impôt ou une pénalité[32] prévoit une possibilité d’appel. Généralement[33], ces parties comportent une disposition mutatis mutandis semblable au paragraphe 247(11), qui rend la section I (ou des parties de cette section) et la section J de la partie I applicables pour l’application de la partie pertinente. Bien que la section J (qui porte sur les appels interjetés devant une cour) soit rendue applicable invariablement dans sa totalité, les parties de la section I que la disposition mutatis mutandis pertinente rend applicables varient. Parfois, des dispositions précises sont nommées, comme le paragraphe 247(11), tandis que d’autres fois c’est toute la section I qui est visée[34], malgré le fait que de nombreuses parties de la section I seraient inutiles à l’établissement de cotisations au titre de la partie pertinente.

[72] Ces variations s’expliquent parfois par d’autres dispositions de la partie pertinente ou le but de cette partie. Par exemple, les parties IV.1, VI.1, X.1 et X.2 comportent chacune une disposition qui impose l’obligation de produire une déclaration. Leurs dispositions mutatis mutandis n’incorporent pas le paragraphe 150(1), qui exige la production d’une déclaration en application de la partie I, mais elles incorporent parfois les paragraphes 150(2) et (3), qui confèrent au ministre le droit de demander la production d’une déclaration et qui obligent certains représentants à produire une déclaration[35]. Cependant, toutes ces dispositions incorporent au moins des parties de l’article 152, celles qui obligent le ministre à établir une cotisation après la production d’une déclaration et selon lesquelles les nouvelles cotisations sont réputées valides et exécutoires, sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de leur annulation lors d’une opposition ou d’un appel et sous réserve d’une nouvelle cotisation.

[73] Par contre, les parties XIII.1 et XIV, qui régissent les impôts de succursale, ne comportent aucune disposition exigeant la production de déclarations. Leurs dispositions mutatis mutandis renvoient toutefois à l’article 150 dans sa totalité, ce qui devrait inclure l’obligation de produire une déclaration dans les mêmes délais que ceux prévus dans la partie I. En outre, évidemment, elles renvoient à l’article 152.

[74] La partie III n’impose pas l’obligation de produire une déclaration et sa disposition mutatis mutandis n’incorpore aucune partie de l’article 150 (qui porte sur la production d’une déclaration) ou du paragraphe 152(1), qui oblige le ministre à établir une cotisation à l’égard d’une déclaration. La partie III impose plutôt au ministre l’obligation de fixer, après avoir pris connaissance du choix fait relativement aux dividendes en capital ou d’un autre choix pertinent, l’impôt que le contribuable doit payer en vertu de cette partie. Ainsi, l’obligation d’établir une cotisation se trouve dans la partie III. La disposition mutatis mutandis de la partie III prévoit que cette cotisation est susceptible d’opposition et d’appel en incorporant par renvoi d’autres dispositions pertinentes de la section I et l’intégralité de la section J.

[75] Bien que la plupart des parties de la LIR qui imposent de l’impôt ou des pénalités disposent qu’un ou plusieurs des articles 150, 151, 153 et 161 (ou certaines parties de ces dispositions) s’appliquent, le paragraphe 247(11) ne le fait pas. C’est logique, étant donné que les cotisations établies au titre de la partie XVI.1 se limitent à l’imposition de la pénalité prévue au paragraphe 247(3). Il n’est pas nécessaire que soit produite une déclaration faisant état de la pénalité. Toute autre cotisation établie en raison d’un redressement en matière de prix de transfert est établie au titre d’une autre partie de la LIR.

[76] Le paragraphe 247(11) renvoie aux articles 152, 158, 159 et 162 à 167 de la section I. L’article 152 traite des cotisations et il est donc pertinent pour l’imposition d’une pénalité en application de l’article 247[36]. La partie XVI.1 imposant une pénalité établie par une cotisation faite au titre de la partie XVI.1, il y a lieu d’accorder au contribuable le droit de s’opposer à cette cotisation et d’en faire appel. À l’exception de l’article 162, qui porte sur les pénalités, toutes les dispositions mentionnées au paragraphe 247(11) jouent un certain rôle dans l’imposition d’une pénalité et comportent le droit d’opposition et d’appel. En d’autres termes, aucune des dispositions n’incite à penser qu’elles sont mentionnées pour tout autre motif, y compris permettre une opposition ou un appel à l’égard de la décision du ministre prise en application du paragraphe 247(10). C’est conforme aux conséquences des dispositions relatives aux prix de transfert, autres que les dispositions relatives aux pénalités, qui s’appliquent : la cotisation qui en découle n’est pas établie au titre de la partie XVI.1.

[77] Bien que je ne sache pas trop quel rôle l’article 162 joue dans l’imposition de pénalités en application du paragraphe 247(3), le fait qu’il soit mentionné au paragraphe 247(11) ne change pas mon point de vue. Même si je souscrivais à la thèse de l’appelante relativement à l’objet élargi du paragraphe 247(11), l’article 162 n’est ni nécessaire ni pertinent.

(4) Notes explicatives

[78] Comme cela a été mentionné plus haut, les notes explicatives présentées ou les déclarations formulées à la Chambre des communes peuvent donner certaines indications quant à l’objet de la disposition. Les notes explicatives qui accompagnaient le paragraphe 247(11) sont au mieux neutres sur la question de savoir laquelle de la thèse de l’appelante ou celle de l’intimée au sujet de l’objet du paragraphe 247(11) devrait être retenue[37]. Elles ne suffisent assurément pas pour faire pencher la balance en faveur de la thèse de l’appelante.

(5) Conclusion concernant l’objet du paragraphe 247(11)

[79] L’appelante invoque le paragraphe 247(11) pour étayer sa thèse selon laquelle la Cour de l’impôt a compétence pour faire le contrôle de la décision qu’a prise le ministre en application du paragraphe 247(10). Plus précisément, l’appelante soutient que l’un des objectifs du paragraphe 247(11) est de permettre au contribuable d’interjeter appel de décisions prises par le ministre en application du paragraphe 247(10) qui refusent un redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Je conclus que l’objet et la portée du paragraphe 247(11) se limitent aux cotisations établies au titre de la partie XVI.1, ce qui ne peut être que l’imposition de pénalités, et que son application ne s’étend pas aux cotisations établies au titre d’une autre partie de la LIR sur le fondement d’autres dispositions relatives aux prix de transfert de la partie XVI.1.

[80] Par conséquent, je conclus que le paragraphe 247(11) ne permet pas en soi à l’appelante de contester la décision prise par le ministre en application du paragraphe 247(10).

[81] Si, comme le fait valoir l’appelante, l’opinion à laquelle arrive le ministre en application du paragraphe 247(10) porte sur l’exactitude de la cotisation, le droit d’interjeter appel de cette cotisation existe déjà, dans la partie de la LIR au titre de laquelle la cotisation fondée sur l’article 247 est établie. Dans ces circonstances, le paragraphe 247(11) n’ajoute rien.

VII. LA COMPÉTENCE D’APPEL DE LA COUR DE L’IMPÔT

[82] J’examine maintenant la seconde thèse de l’appelante, selon laquelle la décision du ministre quant au redressement à la baisse en matière de prix de transfert porte sur l’exactitude de la cotisation.

[83] La cotisation est la procédure ou l’opération effectuée par le ministre afin de vérifier l’impôt que doit le contribuable au titre de la LIR. Le rôle de la cotisation est de déterminer l’impôt, les intérêts et les pénalités, s’il y a lieu, dus par le contribuable.

[84] L’appelante affirme que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu du paragraphe 247(10) est différent des autres pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre par la LIR, parce que le revenu du contribuable, et donc l’impôt, les intérêts et les pénalités, s’il y a lieu, que doit le contribuable ne peuvent pas être établis (faire l’objet d’une cotisation) tant que ce pouvoir n’a pas été exercé. Lorsqu’un redressement à la baisse en matière de prix de transfert est établi, il incombe au ministre de décider si, selon son estimation, les circonstances justifient que ce redressement soit effectué.

[85] Le contribuable a le droit d’interjeter appel d’une cotisation devant la Cour de l’impôt. Par conséquent, l’appelante soutient que le rôle de la Cour de l’impôt lorsqu’elle examine l’exactitude de la cotisation est notamment de faire le contrôle de la décision du ministre au sujet du redressement à la baisse en matière de prix de transfert.

A. Dispositions législatives pertinentes pour la compétence dans les affaires relatives à l’impôt sur le revenu : répartition des compétences

[86] La compétence de la Cour de l’impôt dans les affaires relatives à l’impôt sur le revenu est limitée par l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt[38] et par la LIR. L’article 12 de la Loi sur la CCI confère à la Cour de l’impôt la « compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels [...] sur les questions découlant de l’application » de la LIR lorsque cette dernière le prévoit. Ainsi, dans le contexte de questions découlant de l’application de la LIR, la compétence de la Cour de l’impôt est limitée à ce que la LIR prévoit expressément.

[87] La Cour de l’impôt peut entendre les appels interjetés à l’encontre d’une cotisation[39], d’une confirmation ou d’une nouvelle détermination de la juste valeur marchande d’un bien écosensible ayant fait l’objet d’un don[40] et de certaines déterminations précises effectuées en vertu de la LIR[41]. La Cour de l’impôt a aussi compétence pour trancher les questions de fait, les questions de droit ou les questions mixtes de droit et de fait[42] et pour entendre les demandes de prorogation du délai pour signifier un avis d’opposition ou un avis d’appel[43].

[88] Certaines autres questions découlant de l’application de la LIR sont de la compétence exclusive de la Cour d’appel fédérale[44] et, en pareil cas, ni la Cour de l’impôt ni la Cour fédérale n’a compétence[45].

[89] Aux termes de la Loi sur les Cours fédérales[46], la Cour fédérale a compétence pour procéder au contrôle judiciaire de décisions ou mesures prises par un ministre ayant exercé, exerçant ou censé exercer sa compétence ou ses attributions en vertu d’une loi fédérale[47], à moins qu’une loi fédérale ne prévoie expressément la possibilité d’interjeter appel auprès d’une autre cour ou instance[48]. Cette limite à la compétence de la Cour fédérale vise à éviter l’introduction d’une procédure parallèle devant la Cour fédérale lorsqu’une loi fédérale prévoit la possibilité d’interjeter appel devant un autre tribunal[49].

[90] Dans les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada c. Addison & Leyen Ltd.[50] :

Personne ne conteste que le ministre fasse partie de la catégorie de personnes et d’entités visée par l’exercice de la compétence de la Cour fédérale prévue à l’art. 18.5. Le recours au contrôle judiciaire demeure possible dans la mesure où la question n’est pas autrement susceptible d’appel.

[Non souligné dans l’original.]

[91] La condition énoncée à la fin de cet extrait est au centre de la présente affaire. Si une décision ou une ordonnance rendue par le ministre ne peut pas faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt ou la Cour d’appel fédérale, elle est susceptible de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale[51]. Cependant, il est également vrai que, si la question est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, elle échappe à la compétence de la Cour fédérale.

[92] Il convient d’examiner attentivement le libellé applicable de l’article 18.5 de la Loi sur les CF, particulièrement en ce qui concerne les appels interjetés en application de la LIR :

[...] lorsqu’une loi fédérale [la LIR] prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant [...] la Cour canadienne de l’impôt [...] d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

[Non souligné dans l’original.]

[93] L’article 18.5 de la Loi sur les CF ne fait pas de distinction entre les décisions qui découlent de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et celles qui découlent de l’exercice d’un autre pouvoir décisionnel. La LIR comporte de nombreuses dispositions au titre desquelles le ministre prend une décision avant l’établissement d’une cotisation. Certaines de ces décisions peuvent être attaquées devant la Cour de l’impôt dans un appel visant la cotisation qui en découle; d’autres décisions ne peuvent pas être attaquées.

[94] Le paragraphe 247(10) exige du ministre qu’il prenne une décision. La question est donc de savoir si cette décision fait partie de celles pour lesquelles la LIR prévoit la possibilité d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt. Si c’est le cas, la Cour fédérale n’a pas compétence.

B. Qu’en est-il des procédures parallèles?

[95] Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Sifto Canada Corp.[52], la Cour d’appel fédérale reconnaît que la répartition des compétences peut donner lieu à des procédures parallèles devant la Cour de l’impôt et la Cour fédérale ou parfois à une procédure devant la Cour de l’impôt suivie d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Bien qu’elle puisse comporter des difficultés – notamment celle de décider de l’action qui devrait être intentée en premier –, cette répartition est une conséquence de la manière dont le législateur a décidé de restreindre la compétence de la Cour de l’impôt[53].

[96] En revanche, la Cour d’appel fédérale a rappelé aux cours qu’elles doivent tenir compte de la véritable nature de la demande. Le passage suivant tiré de l’arrêt JP Morgan est pertinent :

Forts d’outils perfectionnés pour jouer sur les mots et d’un esprit rusé, les plaideurs habiles peuvent faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien. Lorsque ces plaideurs ont illégitimement gain de cause, ils détournent l’intention du législateur de voir la Cour canadienne de l’impôt trancher exclusivement les questions qui relèvent de la Cour canadienne de l’impôt. Par conséquent, lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande.

La Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme : Canada c. Domtar Inc., 2009 CAF 218, au paragraphe 28; Canada c. Roitman, 2006 CAF 266, au paragraphe 16; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, au paragraphe 78[54].

[97] Même si l’arrêt JP Morgan concernait une requête en radiation, le principe énoncé dans ce passage s’applique lorsqu’il s’agit de déterminer si une demande de contrôle judiciaire est, en réalité, un appel visant la cotisation[55].

[98] Plusieurs demandes de contrôle judiciaire de décisions ministérielles sont rejetées au motif qu’elles constituent une attaque de la validité ou de l’exactitude d’une cotisation, ce qui, comme l’ont reconnu les cours à plusieurs reprises, relève de la compétence de la Cour de l’impôt[56]. Par ailleurs, l’exactitude de la cotisation ne se limite pas au montant de l’impôt ou à l’assujettissement du contribuable à celui-ci, mais il s’étend à « la question plus fondamentale du pouvoir du ministre d’établir les cotisations en cause »[57]. En d’autres termes, le ministre a-t-il bien compris ou vérifié tous les faits pertinents? Le ministre a-t-il interprété et appliqué correctement le droit aux faits?

[99] La question à laquelle il faut répondre en l’espèce est de savoir si le fait pour le contribuable de contester la décision qu’a prise le ministre en application du paragraphe 247(10) constitue une attaque de l’exactitude de la cotisation qui en découle (en fait ou en droit) et, par conséquent, si cette question relève de la Cour de l’impôt.

C. Perspective historique

[100] Pour examiner cette question, la jurisprudence de l’époque où la Cour de l’Échiquier avait à la fois compétence d’appel en matière fiscale et compétence pour examiner les mesures prises par les ministres du gouvernement est instructive.

[101] La Loi de l’impôt de guerre sur le revenu[58] prévoyait la possibilité d’interjeter appel devant la Cour de l’Échiquier des cotisations fiscales établies en application de cette loi.

[102] Plus précisément, le contribuable qui « objecte au montant auquel il a été cotisé, ou prétend qu’il n’est pas sujet à l’impôt » en vertu de la LIGR pouvait d’abord interjeter appel auprès du ministre en exposant les motifs de l’appel et les faits pertinents. À la réception d’un avis d’appel, le ministre était tenu de l’examiner, de confirmer ou de modifier la cotisation faisant l’objet de l’appel et d’aviser le contribuable par écrit de sa décision. Après réception de la décision du ministre, le contribuable, s’il était toujours insatisfait, pouvait interjeter appel auprès de la Cour de l’Échiquier en envoyant un avis de mécontentement au ministre, qui était tenu de répondre en admettant ou en niant les faits allégués et en confirmant ou en modifiant la cotisation. Dans les deux mois suivant sa réponse, le ministre était tenu d’envoyer à la Cour de l’Échiquier les documents pertinents relatifs à l’appel, notamment l’avis de mécontentement et la réponse à cet avis. L’affaire était ensuite portée en appel sous forme d’action devant la Cour de l’Échiquier. Le non-respect des délais entraînait la perte du droit d’appel[59].

[103] Cette procédure prévue par la LIGR ressemble à la procédure d’opposition et d’appel que prévoit désormais la LIR : le contribuable qui n’est pas satisfait d’une cotisation peut produire une opposition auprès du ministre, qui est tenu d’examiner de nouveau la cotisation, puis de l’annuler, de la confirmer ou de la modifier. Le contribuable qui est encore insatisfait peut interjeter appel de la cotisation auprès de la Cour de l’impôt. Des délais sont établis et, s’ils ne sont pas respectés, l’appel peut cesser de constituer un recours.

[104] Aux termes de la Loi sur la Cour de l’échiquier[60], la Cour de l’Échiquier avait compétence exclusive dans toutes les affaires où était demandé un redressement contre un fonctionnaire de la Couronne en raison d’un acte ou d’une omission de ce dernier dans l’exercice de ses fonctions[61]. Cette compétence est semblable à la compétence en matière de contrôle judiciaire conférée à la Cour fédérale par la Loi sur les CF.

[105] La LIGR comportait des dispositions liées au calcul du revenu qui dépendait du pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre (c’est-à-dire le calcul d’une somme d’argent). Dans plusieurs appels, la question en litige était l’exercice qu’avait fait le ministre d’un pouvoir discrétionnaire. La jurisprudence établit que, lorsque la plainte du contribuable à l’égard d’une cotisation établie en application de la LIGR était fondée sur l’exercice par le ministre d’un pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré à la LIGR, la Cour de l’Échiquier exerçait sa compétence d’appel au titre de la LIGR, plutôt que sa compétence au titre de la Loi sur la CÉ. L’un des premiers exemples d’une telle affaire est la décision Pioneer Laundry & Dry Cleaners Ltd. v. Minister of National Revenue[62].

[106] Dans le calcul du revenu pour l’application de la LIGR, le contribuable n’était pas autorisé à demander de déduction pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui était permis par la LIGR[63]. L’article 5 de la LIGR prévoyait une « déduction raisonnable que le ministre peut, à sa discrétion, accorder pour ». Dans la déclaration de revenus qu’elle a déposée, Pioneer Laundry & Dry Cleaners Ltd. a demandé une déduction pour amortissement correspondant aux taux indiqués dans une circulaire publiée par le ministre. Le ministre a rejeté la demande, n’a accordé à la société aucune déduction pour amortissement des machines et de l’équipement et a établi la cotisation de la société en conséquence. La société a fait appel.

[107] L’appel a été rejeté à la Cour de l’Échiquier et à la Cour suprême du Canada. Cependant, en appel devant l’instance supérieure, le Conseil privé a souscrit à l’opinion dissidente du juge Davis et du juge en chef Duff de la Cour suprême du Canada[64] : le contribuable avait le droit d’obtenir la déduction prévue par la loi, le ministre avait l’obligation de la fixer à une somme raisonnable et cette obligation était une fonction administrative quasi judiciaire, donc qui n’était pas définitive. Le contribuable insatisfait avait au contraire un droit d’appel.

[108] À la Cour suprême, les juges dissidents ont clairement considéré l’affaire comme étant un appel interjeté contre la cotisation, même si le fondement de l’appel était une plainte concernant le pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre :

[traduction]

L’article 60 de la Loi donne au contribuable qui, après avoir reçu la décision du ministre en réponse à un appel interjeté contre une cotisation, est insatisfait de celle-ci, a le droit de faire appel devant la Cour. La décision est susceptible d’appel, mais il n’y a pas lieu d’intervenir dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire, sauf s’il est manifestement contraire aux principes rigoureux et fondamentaux[65].

[Non souligné dans l’original.]

[109] La décision du ministre visée dans ce passage désigne la décision de confirmer ou de modifier la cotisation après l’opposition du contribuable au montant de la cotisation[66]. Dans leurs motifs dissidents, le juge Davis et le juge en chef Duff ont indiqué qu’ils auraient accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au ministre.

[traduction]

La Loi de l’impôt de guerre sur le revenu donne le droit d’interjeter appel des décisions du ministre [dans l’appel interjeté contre la cotisation auprès du ministre] et, bien que cette Loi n’impose aucune limite à la compétence d’appel, la Cour ne s’immisce normalement pas dans l’exercice que le ministre fait d’un pouvoir discrétionnaire, sauf pour des motifs juridiques. Cependant, en l’espèce, le commissaire, qui a agi pour le compte du ministre, a exercé un pouvoir discrétionnaire sur le fondement de ce que j’estime être de mauvais principes de droit et, en pareilles circonstances, il incombe à la Cour de renvoyer l’affaire, comme le dispose le paragraphe 65(2) de la Loi [la LIGR], pour nouvel examen de la question portée en appel, sans de l’application de ces mauvais principes[67].

[Non souligné dans l’original.]

[110] En d’autres termes, la possibilité de contester l’exercice que faisait le ministre de son pouvoir discrétionnaire était comprise dans le droit d’interjeter appel d’une cotisation prévu par la LIGR :

[traduction]

À mon avis, il ne s’agit pas d’un exercice légitime du pouvoir discrétionnaire [...] Je n’ai pas le moindre doute que le commissaire était aussi désireux que moi de rendre justice, mais la population s’est fait accorder le droit d’interjeter appel de la décision du ministre devant la Cour[68] […]

[Non souligné dans l’original.]

et

[traduction]

En l’espèce, le ministre devait préciser ce qui constituait « une somme raisonnable » à accorder relativement à l’amortissement, ce qu’il n’a en réalité pas fait. La Loi accorde expressément au contribuable le droit d’interjeter appel de la décision du ministre[69].

[Non souligné dans l’original.]

[111] Le Conseil privé a souscrit à l’opinion dissidente et a renvoyé l’affaire au ministre, comme le juge en chef et le juge Davis l’auraient fait :

[traduction]

Leurs Seigneuries sont d’accord avec le juge en chef et le juge Davis pour dire que la raison invoquée pour expliquer la décision rendue par le ministre n’était pas un motif valable de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il n’avait pas le droit, en l’absence de fraude ou de conduite inappropriée, de ne pas tenir compte de l’existence juridique distincte de la société appelante et de s’informer de l’identité de ses actionnaires et du rapport qu’elle entretenait avec les sociétés remplacées. [...] Leurs Seigneuries souscrivent aux motifs énoncés par ces savants juges [le juge en chef et le juge Davis], et à leur façon d’appliquer la jurisprudence à laquelle ils ont renvoyé, et il n’est pas nécessaire de les reprendre.

Il s’ensuit que la cotisation devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée à l’intimé[70] […]

[Non souligné dans l’original.]

[112] La LIGR exigeait que le ministre détermine, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, quelle serait la déduction pour amortissement raisonnable qu’il pourrait accorder. Dans l’affaire Pioneer Laundry, le ministre a mal exercé ce pouvoir discrétionnaire et l’affaire a donc été renvoyée au ministre pour nouvel examen. Ce contrôle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre a été entrepris en vertu de la LIGR (c’est-à-dire le droit d’entendre un appel interjeté contre une cotisation). La compétence conférée à la Cour de l’Échiquier par la Loi sur la CÉ n’était pas pertinente.

[113] L’arrêt The King v. Noxzema Chemical Company of Canada, Ltd.[71] portait sur une demande de paiement des taxes d’accise et de vente présentée par le gouvernement, en application de la Loi spéciale des revenus de guerre[72]. L’article 98 de cette loi disposait que, lorsque des marchandises étaient vendues à un prix qui, « de l’avis du ministre, est inférieur au prix raisonnable sur lequel la taxe de vente devrait être imposée », le ministre avait le pouvoir de fixer le prix raisonnable et la taxe serait payée en conséquence. Le gouvernement a intenté une action contre Noxzema Chemical Company of Canada, Limited devant la Cour de l’Échiquier, pour le paiement des taxes qui, selon le gouvernement, étaient dues sur le fondement des prix raisonnables établis par le ministre. Noxzema Chemical Company of Canada, Limited a fait valoir en défense qu’elle avait acquitté toutes les taxes auxquelles elle était assujettie et elle affirmait que ces taxes étaient fondées sur des prix raisonnables.

[114] Contrairement à la LIGR, la LSRG ne prévoyait pas d’appel[73]. Néanmoins, selon l’interprétation de la Cour de l’Échiquier, le pouvoir du ministre de fixer les prix en vertu de la LSRG était limité. La Cour suprême n’était pas d’accord et a dit de la tâche du ministre de fixer les prix en vertu de la LSRG qu’elle était purement administrative et, selon elle, l’arrêt Pioneer Laundry ne s’appliquait pas. À cet égard, le juge Kerwin a fait observer ce qui suit, au nom de la majorité :

[traduction]

Même si la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, qui est à l’étude en l’espèce, ne prévoyait pas d’appel de la décision rendue par le ministre quant à l’amortissement, elle prévoyait un appel de la détermination du montant des impôts à payer et la procédure qui a mené à la décision du Conseil privé était à l’origine un appel découlant de cette détermination. Il a été conclu qu’en établissant le montant des impôts sur le revenu que la société Pioneer Laundry & Dry Cleaners, Ltd. devait payer, le ministre n’avait pas en réalité exercé le pouvoir discrétionnaire que lui conférait la Loi relativement à l’amortissement, donc l’affaire lui a été renvoyée afin qu’il exerce ce pouvoir. En l’espèce, le ministre a examiné et tranché les deux questions visées à l’article 98 de la Loi spéciale des revenus de guerre[74].

[Non souligné dans l’original.]

[115] Dans l’arrêt Noxzema, la LSRG ne prévoyant pas d’appel, toute compétence de contrôler le pouvoir discrétionnaire du ministre devait vraisemblablement découler de la Loi sur la CÉ[75]. Cependant, rien n’indiquait que le ministre n’avait pas agi de manière honnête et impartiale ou que le contribuable n’avait pas eu toutes les chances d’être entendu :

[traduction]

[...] il est assez évident que le ministre a agi d’une manière honnête et impartiale et qu’il a donné à l’intimée [Noxzema] toutes les chances d’être entendue et il a effectivement entendu tout ce qu’elle souhaitait lui présenter[76].

[116] Ainsi, les deux affaires pouvaient être invoquées ensemble. La LSRG ne prévoyait pas de droit d’appel, tandis que la LIGR en prévoyait un. Quant à la compétence de la Cour de l’Échiquier d’accorder des mesures de redressement à l’encontre du ministre concernant l’exécution de son obligation de fixer des prix raisonnables, dans l’affaire Noxzema, le ministre a correctement exercé le pouvoir discrétionnaire qu’il était tenu d’exercer. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait peut-être été de la compétence de la Cour de l’Échiquier de se pencher sur la question en vertu de sa compétence de contrôler tout acte ou toute omission du ministre dans l’exercice de ses attributions, mais cette question n’a été examinée dans ni l’une ni l’autre des affaires. Dans l’affaire Pioneer Laundry, le droit d’appel visant le montant d’impôt à payer (c’est-à-dire la cotisation) prévu dans la LIGR permettait à la Cour de l’Échiquier d’examiner la manière dont le pouvoir discrétionnaire ayant mené à cette cotisation était exercé. La compétence conférée par la Loi sur la CÉ n’était pas nécessaire et ne jouait aucun rôle.

[117] On pourrait affirmer que, selon l’arrêt Pioneer Laundry, le ministre avait commis une erreur en n’accordant aucune déduction pour amortissement alors que la LIGR exigeait qu’il y ait une déduction pour amortissement raisonnable et, bien que ce type d’erreur survenant lors de la prise d’une décision touche à l’exactitude de la cotisation, il s’agissait d’une erreur de nature différente de celle commise dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 247(10) de la LIR. Autrement dit, dans l’affaire Pioneer Laundry, l’erreur commise par le ministre résidait dans son interprétation de la loi, selon laquelle aucune déduction pour amortissement ne pouvait être raisonnable, alors que la Loi exigeait qu’il y ait une déduction raisonnable[77].

[118] On pourrait considérer que la manière dont la Cour suprême, dans l’arrêt Noxzema, a établi une distinction avec l’arrêt Pioneer Laundry confirmait cette interprétation plus étroite. Cependant, des affaires subséquentes étayent une interprétation qui concorde avec la thèse de l’appelante en l’espèce : toute erreur de droit commise dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé avant l’établissement de la cotisation fiscale (l’erreur peut, entre autres, comprendre une interprétation erronée du texte législatif qui confère le pouvoir discrétionnaire) est une question qui relève de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt.

[119] Dans la décision D.R. Fraser and Co. v. Minister of National Revenue[78], le Conseil privé abonde dans le même sens, en expliquant ainsi son arrêt Pioneer Laundry : les appelantes avaient droit à cette déduction pour amortissement que le ministre pouvait accorder et [traduction] « le ministre n’avait pas exercé correctement son pouvoir discrétionnaire du fait qu’il avait tenu compte de considérations irrecevables »[79].

[120] L’arrêt Minister of National Revenue v. Wrights’ Canadian Ropes Ltd.[80] portait sur un appel visant une cotisation dans laquelle le ministre avait refusé d’accorder la déduction des commissions que Wrights’ Canadian Ropes Ltd. avait versées à une autre société. Aux termes de la LIGR, le ministre pouvait refuser la déduction de tout traitement, de toute gratification, de toute commission ou de tous honoraires d’administrateurs qu’il jugeait comme « excédant ce qui est raisonnable [...] en ce qui concerne l’entreprise du contribuable ». La Cour de l’Échiquier a rejeté l’appel du contribuable et ce dernier a interjeté appel devant la Cour suprême du Canada. La Cour suprême du Canada a accueilli l’appel et a renvoyé l’affaire au ministre. Le Conseil privé a rejeté l’appel que le ministre avait interjeté à l’égard de cette décision.

[121] Lord Greene, qui s’est exprimé au nom du Conseil unanime, a formulé les observations suivantes :

[traduction]

En vérité, l’expression « pouvoir discrétionnaire » ne convient guère dans le contexte, étant donné qu’avant de refuser de déduire [des commissions], le ministre est tenu d’« établir » qu’une dépense dépasse « ce qui est raisonnable ou normal en ce qui concerne l’entreprise du contribuable ». Selon l’avis de leurs Seigneuries, dans ce contexte, l’expression « pouvoir discrétionnaire » renvoie uniquement au fait que le ministre juge ce qui est raisonnable ou normal. Si l’affaire en était restée là et qu’il n’existait pas de droit d’appel de la décision du ministre, la position de leurs Seigneuries sur cette question aurait été différente de leur position actuelle. Cependant, par rapport aux affaires [...] où la décision du ministre doit être « définitive et sans appel », le droit d’appel devant la Cour de l’Échiquier est accordé et l’appel doit être considéré comme une action intentée devant cette Cour. De l’avis de leurs Seigneuries, pour que ce droit d’interjeter appel soit réel, il doit avoir été prévu par le législateur. Par conséquent, cela implique le fait que la Cour a le droit d’examiner la détermination du ministre et qu’elle n’est pas nécessairement tenue de l’accepter[81].

[Non souligné dans l’original.]

[122] Il ressort clairement de ce passage que le Conseil privé considérait que le droit d’appel conféré au contribuable par la LIGR (c’est-à-dire le droit d’interjeter appel de cotisations) permettait à la Cour de l’Échiquier d’examiner la décision du ministre quant au caractère raisonnable de la commission. Cependant, il est également clair que le droit d’appel ne permettait pas à la Cour de l’Échiquier d’infirmer la décision du ministre uniquement parce qu’elle serait parvenue à une conclusion différente.

[traduction]

Néanmoins, de l’avis de leurs Seigneuries, les limites dans lesquelles la Cour est autorisée à intervenir sont définies de façon stricte. Il incombe au contribuable de démontrer les motifs qui justifient l’intervention et, s’il ne le fait pas, la décision du ministre doit être confirmée. En outre, de l’avis de leurs Seigneuries, à moins qu’il ait été démontré que le ministre a agi en contravention d’un principe de droit, la Cour ne peut pas intervenir : l’article dispose que le ministre est l’unique juge de ce qui est raisonnable ou normal et la Cour n’est pas libre de substituer son propre avis à celui du ministre. Le pouvoir conféré au ministre n’est toutefois pas un pouvoir arbitraire qu’il peut exercer à sa guise[82].

[Non souligné dans l’original.]

[123] Si on place l’arrêt Wrights’ Ropes dans le contexte de l’appel de Dow Chemical, le ministre, aux termes du paragraphe 247(10) de la LIR, est chargé de former un jugement sur la question de savoir si les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Le ministre est l’unique juge. Cependant, si le ministre ne forme pas ce jugement et ne parvient pas à sa décision conformément aux principes juridiques appropriés, la Cour de l’impôt peut intervenir dans le cadre d’un appel interjeté contre la cotisation qui découle de la décision du ministre.

[124] Dans l’arrêt Wrights’ Ropes, le Conseil privé a renvoyé à son propre arrêt Pioneer Laundry et a affirmé que le motif de contestation dans cette dernière affaire était différent, car, dans l’affaire Pioneer Laundry, le ministre avait justifié sa décision par des motifs qui n’étaient pas défendables en droit, tandis que, dans l’affaire Wrights’ Ropes, le ministre n’avait présenté aucun motif justifiant sa décision. Le Conseil privé convenait que la LIGR n’exigeait pas que le ministre fournisse des motifs à l’appui de sa décision de refuser la déduction de la dépense. Or, de l’avis du Conseil privé, cela n’empêchait pas le contribuable de disposer d’un droit d’appel.

[traduction]

En revanche, cela ne signifie pas nécessairement que le ministre, en demeurant silencieux, peut annuler le droit d’appel du contribuable. Conclure le contraire signifierait que le ministre pourrait, dans chaque affaire ou du moins dans la grande majorité des affaires, rendre inopérant le droit d’appel conféré par la loi. La Cour, de l’avis de leurs Seigneuries, a toujours le droit d’examiner les faits qui, comme les éléments de preuve l’attestent, ont été présentés au ministre au moment où il a pris sa décision. Si, de l’avis de la Cour, ces faits sont insuffisants en droit pour étayer la décision, cette dernière ne peut pas être maintenue. En pareil cas, il ne peut s’agir que d’une décision arbitraire. Si, par contre, parmi les faits dont il a été démontré qu’ils ont été présentés au ministre, il y a suffisamment de faits substantiels qui étayent sa décision, la Cour n’est pas libre de l’annuler simplement parce qu’elle serait elle-même parvenue, en se fondant sur ces faits, à une conclusion différente. Comme cela a déjà été dit, le ministre est, de l’effet de cette disposition, l’unique juge de ce qui est raisonnable et normal, mais, comme dans le cas de n’importe quel autre juge des faits, les faits substantiels doivent être suffisants en droit pour étayer sa décision[83].

[Non souligné dans l’original.]

[125] En d’autres mots, le rôle de la Cour de l’Échiquier n’était pas de juger ce qui était raisonnable – les législateurs avaient accordé ce pouvoir au ministre. Cependant, le rôle de la Cour de l’Échiquier, dans les appels de cotisations, était de veiller à ce que la décision du ministre fût bien fondée en droit et étayée par les faits.

[126] Dans le contexte de l’appel interjeté par Dow Chemical, en vertu du paragraphe 247(10), avant que le ministre puisse établir une cotisation à l’égard du contribuable qui a établi un redressement à la baisse en matière de prix de transfert, le ministre est tenu de décider si, selon lui, les circonstances justifient ce redressement. Il n’est pas précisé que l’opinion du ministre est définitive et sans appel. La LIR confère à Dow Chemical le droit d’interjeter appel de la cotisation. Ce droit doit être vu comme ayant un effet réel. Par conséquent, en vertu de sa compétence d’appel, la Cour de l’impôt a le droit d’examiner l’opinion du ministre (et la décision qui en découle) quant à la question de savoir si les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert et de vérifier si cet avis est bien-fondé en fait et en droit. Si ce n’était pas le cas, comment pourrait-on affirmer que la cotisation fondée sur cette opinion est exacte?

[127] La décision Nicholson Ltd. v. Minister of Natioanl Revenue[84] portait également sur le rejet d’une demande de déduction de dépenses au titre du paragraphe 6(2) de la LIGR. La Cour de l’Échiquier a décrit elle-même l’affaire comme un appel qui :

[traduction]

[…] soulève directement pour la première fois au Canada la question de savoir si la Cour, en vertu de sa compétence d’appel, peut examiner l’exercice réel des pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre par la Loi lorsque cet exercice est susceptible d’avoir une incidence sur la cotisation faisant l’objet de l’appel, et si elle peut substituer son avis à celui du ministre.

[128] Après avoir examiné le régime d’appel prévu par la LIGR, l’objet de l’appel et la compétence de la Cour de l’Échiquier, le juge Thorson a tiré la conclusion suivante : (i) la LIGR conférait au contribuable un droit d’appel; (ii) l’appel visait la cotisation; (iii) les contribuables pouvaient interjeter appel de la cotisation pour des motifs de fait et de droit; (iv) la compétence de la Cour de l’Échiquier consistait à examiner l’exactitude de la cotisation faisant l’objet de l’appel.

[129] Même si le contribuable avait affirmé que la compétence d’appel de la Cour de l’Échiquier lui donnait le pouvoir et l’obligation d’exercer le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre, le juge Thorson a rejeté cet argument. Bien qu’il ait reconnu la vaste compétence d’appel conférée à la Cour de l’Échiquier par la LIGR, selon lui :

[traduction]

[...] il faut établir une distinction entre la décision du ministre et la cotisation. Il ne s’agit pas de la même chose. La décision doit être prise avant que la cotisation ne puisse être établie. Les faits qui ont été présentés au ministre n’entrent pas en compte lors de l’établissement de la cotisation. C’est la décision du ministre qui entre en compte. La décision en soi est donc un fait lié à la cotisation. Les faits qui sont présentés au ministre sont liés à sa décision, et non à la cotisation. Les questions qui ont été soumises au ministre pour décision et celles qui ont été soumises à la Cour saisie de l’appel ne sont pas les mêmes. Je ne trouve rien qui étaye l’observation selon laquelle la Cour peut examiner des questions de novo que le législateur a confiées à la décision discrétionnaire du ministre. La Cour est saisie d’un appel interjeté à l’encontre de la cotisation et non à l’encontre de la décision du ministre. L’unique question que la Cour doit trancher dans un appel porté sous le régime de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu est celle de savoir si la « cotisation qui fait le sujet de l’appel » est bien fondée en fait et en droit. Si on répond à cette question par l’affirmative, l’appel doit être rejeté; sinon, il doit être accueilli[85].

[130] Même si on peut considérer que cet extrait, en soi, indiquait que la Cour de l’Échiquier n’avait aucun rôle à jouer au titre de sa compétence d’appel, lorsqu’il est lu dans le contexte du jugement dans son ensemble, ce n’est pas la conclusion qui y était tirée. L’opinion du juge Thorson était plutôt que la compétence d’appel avait des limites : même si elle autorisait la Cour de l’Échiquier à examiner la décision discrétionnaire du ministre qui sous-tendait la cotisation afin de déterminer si elle était défendable, elle n’autorisait pas la Cour de l’Échiquier à se mettre à la place du ministre et de substituer sa décision à celle du ministre.

[131] Cependant, il a affirmé clairement que le résultat de l’exercice qu’avait fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire (c’est-à-dire la décision du ministre) était un fait lié à la cotisation. Par conséquent, la décision du ministre est un fait que la Cour de l’Échiquier pouvait examiner dans un appel visant une cotisation, car le contribuable peut interjeter appel à l’encontre d’une cotisation pour des motifs de fait ainsi que de droit.

[132] La LIR comporte beaucoup de dispositions qui exigent que le ministre détermine un élément avant de pouvoir établir une cotisation, même si la plupart d’entre elles ne sont pas considérées comme conférant un pouvoir discrétionnaire. Par exemple, avant d’établir une cotisation, le ministre doit établir si le montant des intérêts à payer dépasse le montant raisonnable (aux termes l’alinéa 20(1)c)), déterminer les attributs fiscaux d’un contribuable par suite de l’application de la RGAÉ (selon le paragraphe 245(2)), déterminer si des personnes non liées entre elles n’ont effectivement pas de lien de dépendance (selon l’alinéa 251(1)c)) ou déterminer si des arrangements conclus de bonne foi l’ont été en vue du remboursement d’un prêt à un actionnaire (selon le paragraphe 15(2.4)). Pour reprendre les termes du juge Thorson, chacune de ces décisions, à l’instar de celle prévue au paragraphe 247(10) (estimer si les circonstances justifient le redressement à la baisse en matière de prix de transfert) [traduction] « doit être prise avant que la cotisation ne puisse être établie » et constitue [traduction] « un fait lié à la cotisation ». Les faits liés à une cotisation ont une incidence sur l’exactitude de la cotisation et ils peuvent donc être contestés dans un appel interjeté à l’encontre de la cotisation.

[133] Il est vrai qu’avec le paragraphe 247(10), le législateur a conféré au ministre le pouvoir de décider si les circonstances justifient un redressement à la baisse en matière de prix de transfert, une caractéristique de ce pouvoir que ne partagent pas les autres décisions semblables mentionnées dans le paragraphe ci-dessus. Mais quelle est la conséquence de cette distinction? À mon avis, la distinction (et la jurisprudence) n’étaye pas l’observation selon laquelle la compétence d’appel de la Cour de l’impôt n’englobe pas les contestations visant les deux types de décision. La distinction n’est pertinente qu’en ce qui concerne le rôle de la Cour de l’impôt (ou la norme de contrôle) dans l’appel visant la cotisation. Rien dans la LIR ni dans la jurisprudence ne montre que les décisions sont à ce point foncièrement différentes que l’une doit être examinée par la Cour de l’impôt, tandis que l’autre ne peut pas l’être. À mon avis, la fonction de chacune de ces décisions lors de l’établissement d’une cotisation est la même. Elles ont toutes une incidence sur l’exactitude de la cotisation et elles peuvent toutes être contestées dans un appel interjeté devant la Cour de l’impôt à l’encontre de la cotisation.

[134] Mais jusqu’à quel point la Cour de l’impôt peut aller dans l’appel d’une cotisation attaquant la décision prise par le ministre en application du paragraphe 247(10) est une autre question. Même si ce n’était pas pertinent dans l’affaire dont il était saisi, le juge Thorson a fortement donné à penser que la compétence d’appel de la Cour de l’Échiquier sous le régime de la LIGR s’étendait à l’examen de la manière dont le pouvoir discrétionnaire avait été exercé par le ministre, mais pas à la possibilité de modifier le résultat lorsque le ministre avait correctement exercé son pouvoir discrétionnaire.

[traduction]

Le pouvoir discrétionnaire du ministre [...] doit être exercé correctement. Si en prenant sa décision, le ministre n’a pas agi de façon judiciaire, au sens de la jurisprudence citée, il n’a pas du tout exercé le pouvoir discrétionnaire comme l’exige l’article et, si la décision ainsi prise est incluse dans la cotisation, cette dernière est, dans cette mesure, erronée. Par conséquent, savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement est une question liée à la cotisation, pour laquelle la Cour a compétence. La Cour a effectivement un devoir de contrôle sur la façon dont le pouvoir est exercé pour s’assurer que le ministre agit comme le droit l’ordonne. Le fait qu’elle ait une compétence d’appel ne modifie pas la nature des principes qu’elle doit appliquer pour s’acquitter de son obligation de contrôle; ce sont les mêmes principes que ceux qu’appliquent les cours dans les affaires de certiorari et de mandamus. Cette question a été tranchée dans la décision Pioneer Laundry[86] […]

[Non souligné dans l’original.]

[135] Il est entendu par là que, si la décision est un fait sur lequel est fondée la cotisation, la question de savoir si elle a été prise correctement est une question liée à la cotisation sur laquelle la Cour de l’Échiquier avait compétence. En outre, cette compétence faisait partie de sa compétence d’appel sous le régime de la LIGR : sa compétence de déterminer si la cotisation est exacte au regard des faits et du droit.

[136] Cependant, dans l’affaire dont il était saisi, rien n’indiquait que le ministre n’avait pas agi de façon judiciaire dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Ainsi, dans l’arrêt Nicholson, il s’agissait de savoir si la compétence d’appel de la Cour de l’Échiquier allait jusqu’à permettre à la Cour de substituer sa décision à celle du ministre. Le juge Thorson a répondu à cette question par la négative et a par conséquent rejeté l’appel.

[137] Dans la décision Pure Spring Co. v. Minister of National Revenue[87], le juge Thorson a encore une fois été saisi d’un appel contestant l’exercice qu’avait fait le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 6(2) de la LIGR. Dans cette décision, il a exprimé plus clairement ses observations de la décision Nicholson : dans un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en application de la LIGR, l’obligation de la Cour de l’Échiquier à l’égard du pouvoir discrétionnaire exercé par le ministre en est une de contrôle. Cependant, cette obligation de contrôle découle de sa compétence d’appel, c’est-à-dire la compétence de déterminer si une cotisation est exacte au regard des faits et du droit :

[traduction]

Le fait que l’accès à la Cour se fait par voie d’appel visant la cotisation et non par de demande de certiorari ou de mandamus ne change pas la nature de l’obligation de contrôle de la Cour ni celle des principes à appliquer[88].

[138] En d’autres termes, les principes à appliquer dans un appel d’une cotisation qui met en question l’exercice qu’a fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire sont les mêmes que ceux qui s’appliquent dans un autre contexte. Cependant, l’obligation de les appliquer découle de la compétence d’appel qu’a la Cour de l’Échiquier de déterminer si la cotisation obtenue est exacte au regard des faits et du droit. Encore une fois, le juge Thorson n’était pas convaincu que le droit d’interjeter appel prévu par la LIGR conférait à la Cour de l’Échiquier le droit d’exercer le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre. Selon lui, ce pouvoir n’appartenait qu’au ministre :

[traduction]

L’avocat de l’appelante a fermement soutenu que les dispositions concernant les appels de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu conféraient à la Cour un plus vaste pouvoir de contrôle sur les pouvoirs discrétionnaires du ministre prévus par la Loi que le pouvoir qu’elle aurait eu si elle devait se limiter à effectuer un contrôle uniquement au moyen des brefs de prérogative de mandamus ou de certiorari, que le contribuable lésé a toujours droit à la protection offerte par le pouvoir de la Cour de délivrer ces brefs, mais que son droit d’interjeter appel en application de la Loi lui conférait un droit légal qui s’ajoutait à ses droits issus de la common law. Il a aussi affirmé qu’en vertu de sa compétence d’appel, la Cour était investie du même pouvoir discrétionnaire que le ministre, qu’elle pouvait examiner l’exercice qu’a fait le ministre de ce pouvoir et substituer son propre jugement à celui du ministre. À mon avis, rien n’étaye ces observations[89].

[139] Le juge Thorson a renvoyé à sa décision antérieure Nicholson[90] et il a expliqué qu’il y avait conclu que le droit d’appel n’était pas assorti d’un droit d’appeler de la décision du ministre. Cependant, ce qu’il fallait comprendre est que le droit d’appel n’autorisait pas la Cour de l’Échiquier à exercer le pouvoir discrétionnaire en vertu de sa compétence d’appel. Il a ainsi constaté qu’il existait une différence entre la décision discrétionnaire du ministre et la cotisation établie par le ministre après cette décision :


 

[traduction]

Les deux opérations sont bien distinctes tant pour le moment où elles sont effectuées que pour leur portée intrinsèque, et les fonctions du ministre afférentes à ces activités sont fondamentalement différentes. La décision discrétionnaire du ministre doit être prise avant l’opération qui consiste à établir la cotisation. Par nécessité, il s’agit d’une opération préalable [...] La nature de ces deux opérations diffère aussi fondamentalement. Dans la mesure où la décision du ministre peut comprendre des fonctions quasi judiciaires comme, par exemple, le fait de donner au contribuable l’occasion de présenter ses observations, il doit les exécuter. Par contre, l’opération qui consiste à établir une cotisation ne comporte l’exécution d’aucune fonction quasi judiciaire. Cette opération est purement administrative. Il existe même une différence encore plus essentielle. La décision implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire dont la nature relève de politiques administratives, c’est-à-dire d’une nature législative en fait. Une fois cette fonction remplie, tout ce que le ministre doit prendre en compte à cet égard, à l’étape de l’opération consistant à établir la cotisation, est le montant qu’il a décidé conformément à la loi. L’opération consistant à établir la cotisation est bien distincte. Aucun pouvoir discrétionnaire n’est impliqué[91].

[Non souligné dans l’original.]

[140] Même si le juge Thorson a clairement conclu que la détermination du montant d’une dépense raisonnable était un pouvoir discrétionnaire que seul le ministre pouvait exercer, il a également expliqué clairement que le droit d’interjeter appel à l’encontre d’une cotisation permettait à la Cour d’intervenir lorsque, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, le ministre n’appliquait pas les principes juridiques appropriés. Il a indiqué qu’il ne s’agissait pas du tout d’un exercice du pouvoir discrétionnaire. En d’autres termes, dans ces circonstances, le ministre n’a pas rempli la fonction exigée par la loi et la cotisation qui en a découlé était erronée, parce qu’elle n’était pas fondée en droit.

[141] Il est revenu sur ce principe à maintes reprises :

[traduction]

Le droit d’appel est un droit fondamental et la Cour ne doit pas étendre ce droit au-delà du but pour lequel il a été conféré. Le droit d’interjeter appel de la cotisation est prévu afin de garantir au contribuable que la cotisation sera bien fondée en fait et en droit[92].

[Non souligné dans l’original.]

[traduction]

La Cour n’a à trancher que la question de savoir si le ministre n’a pas en fait exercé le pouvoir discrétionnaire que le législateur lui a conféré. S’il s’avère que le ministre a appliqué les principes juridiques appropriés pour rendre sa décision, la Cour n’a pas d’autre obligation de contrôle dans l’affaire[93].

[Non souligné dans l’original.]

[traduction]

Si le pouvoir discrétionnaire a en fait été exercé, aucune ingérence dans son exercice n’est possible. Cela veut dire que, si le présumé exercice du pouvoir discrétionnaire va manifestement à l’encontre de principes valables et fondamentaux, ce n’est pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi[94].

[Non souligné dans l’original.]

[142] Autrement dit, bien que ce ne soit pas indiqué expressément dans la Loi, l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire est un principe de droit. Le juge Thorson a décrit le fait d’agir de façon judiciaire comme étant le fait d’exercer le pouvoir discrétionnaire équitablement et honnêtement et conformément à des principes valables et fondamentaux. Si le ministre n’agit pas de cette manière, il n’a pas du tout exercé le pouvoir discrétionnaire et la cotisation obtenue n’est pas fondée en droit.

[143] Dans d’autres affaires semblables, on a conclu que la manière dont un pouvoir discrétionnaire est exercé peut être contestée en interjetant appel de la cotisation[95].

[144] Un examen de la jurisprudence m’amène à conclure que, si un contribuable soutient avoir droit à un redressement à la baisse du prix de transfert, la décision du ministre rendue en application du paragraphe 247(10) de la LIR, à l’instar des décisions que le ministre devait rendre en application de la LIGR, doit être rendue avant que puisse être établie la cotisation concernant les impôts du contribuable. Cette décision doit être rendue de façon judiciaire, c’est-à-dire en conformité avec les principes de droit qui s’appliquent, sans quoi la cotisation en découlant sera erronée. Ainsi, dans un appel visant la cotisation découlant d’une telle décision, la Cour de l’impôt, en vertu de sa compétence d’appel, a à la fois le pouvoir et l’obligation d’examiner la manière dont le ministre en est arrivé à sa décision en application du paragraphe 247(10) de la LIR.

VIII. LA JURISPRUDENCE SUR LA COMPÉTENCE D’APPEL DE LA COUR DE L’IMPÔT EN VERTU D’AUTRES LOIS DONNE-T-ELLE UNE AUTRE RÉPONSE À LA QUESTION?

[145] La compétence de la Cour de l’impôt ne se limite pas aux appels interjetés sous le régime la LIR et il est évident que, sous le régime d’autres lois, la Cour de l’impôt peut, au titre de sa compétence d’appel, examiner les décisions discrétionnaires du ministre. Par conséquent, on peut conclure que la présente affaire n’est pas une nouvelle interprétation de la portée de la compétence de la Cour de l’impôt.

[146] Aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi[96], un emploi assurable est l’un des facteurs clés qui déterminent le droit aux prestations. Dans ce contexte, un emploi ne sera pas assurable si l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance[97]. La LAE intègre par renvoi le sens de l’expression lien de dépendance établi dans la LIR, à une exception importante près.

[147] Si l’employé et l’employeur sont des personnes liées, selon la LIR, ils seront réputés avoir un lien de dépendance. Cependant, aux termes de la LAE, si le ministre est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, qu’un employeur et un employé qui sont des personnes liées auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance, ils sont réputés ne pas être des personnes liées[98]. Le ministre doit donc exercer un pouvoir discrétionnaire (il doit être convaincu) et décider si l’emploi d’un employé qui est lié à son employeur devrait être considéré comme un emploi assurable.

[148] Une demande peut être présentée pour qu’il soit décidé si l’emploi particulier d’une personne liée est assurable[99]. Cette décision peut faire l’objet d’un appel auprès du ministre, puis devant la Cour de l’impôt. Dans un appel interjeté contre une décision, la Cour de l’impôt peut annuler, confirmer ou modifier la décision du ministre. La LAE n’autorise pas la Cour de l’impôt à renvoyer l’affaire au ministre pour nouvel examen[100].

[149] Bien que la décision sur le caractère assurable de l’emploi d’une personne liée soit fondée sur le fait que le ministre est convaincu de la nature « à peu près semblable » du contrat de travail, il est manifeste qu’au titre de sa compétence d’appel, la Cour de l’impôt peut modifier la décision du ministre. Ce faisant, la Cour de l’impôt doit examiner l’appel en gardant à l’esprit les principes du contrôle judiciaire. En d’autres termes, la Cour de l’impôt doit décider si les éléments de preuve établissent « que le Ministre a agi de mauvaise foi, ou de façon arbitraire ou illégale, a fondé sa décision sur des faits non pertinents ou n’a pas tenu compte des faits pertinents »[101]. Si la Cour de l’impôt estime que le ministre n’a pas agi comme il aurait dû, la Cour peut substituer sa décision à celle du ministre. Le pouvoir d’agir ainsi provient du fait que la Cour de l’impôt peut modifier la décision du ministre :

Une fois que la Cour de l'impôt a statué que le règlement du ministre ne peut être confirmé, le pouvoir de « modification » qu’il tire du paragraphe 70(2) de la Loi implique qu'il peut exercer pleinement les pouvoirs qui sont conférés au ministre par la Loi. À mon avis, il n’y a pas de raison d’établir ici une distinction entre une décision quasi-judiciaire rendue par le ministre […] et une décision discrétionnaire[102] […]

[Non souligné dans l’original.]

[150] En exerçant cette fonction, la Cour de l’impôt ne détermine pas si la décision du ministre était correcte, mais plutôt si elle découlait de l’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire[103]. La Cour d’appel fédérale l’a formulé en ces termes dans l’arrêt Légaré c. Canada (Ministre du revenu national)[104] :

La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du Ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[Non souligné dans l’original.]

[151] Le pouvoir du ministre de considérer des personnes liées comme étant sans lien de dépendance est discrétionnaire. Néanmoins, il est manifeste qu’il est assujetti au contrôle de la Cour de l’impôt au titre de sa compétence d’appel. Il faut faire preuve de retenue envers la personne qui exerce le pouvoir discrétionnaire, à moins qu’il ne soit établi que cette personne a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui est contraire à la loi[105].

[152] Par conséquent, la portée de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt, comme elle a été interprétée sous le régime de la LAE, est tout à fait conforme à la portée de sa compétence d’appel à l’égard d’une cotisation selon la jurisprudence relative à la LIGR examinée plus haut.

IX. LES POUVOIRS QU’A LA COUR DANS LES APPELS DE COTISATIONS APPORTENT-ILS UNE AUTRE RÉPONSE À LA QUESTION?

[153] Les contribuables ont le droit d’interjeter appel devant la Cour de l’impôt pour faire annuler ou modifier une cotisation. Une fois que l’appel a été examiné, les seules possibilités à la disposition de la Cour de l’impôt sont les suivantes :

  • a)rejeter l’appel – ce qui de fait confirme la cotisation;

  • b)accueillir l’appel et, conjointement, ordonner l’une des trois mesures suivantes :

  • i)annuler la cotisation,

  • ii)modifier la cotisation,

  • iii)déférer la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation[106].

[154] Ces droits sont semblables aux obligations qui incombent au ministre lorsqu’un contribuable dépose un avis d’opposition. Le ministre doit « examine[r] de nouveau la cotisation et l’annule[r], la ratifie[r] ou la modifie[r] ou établi[r] une nouvelle cotisation » et en aviser par écrit le contribuable[107].

[155] La jurisprudence sur la compétence d’appel de la Cour de l’Échiquier à l’égard des appels relatifs à l’impôt sur le revenu et sur la compétence de la Cour de l’impôt sous le régime de la LAE confirme que les cours doivent hésiter à substituer leur opinion à celle que le ministre a formulée en application du paragraphe 247(10), car le législateur a conféré au ministre le pouvoir d’établir ce qui est justifié dans les circonstances. Cependant, les pouvoirs que la Cour de l’impôt peut exercer sur un appel visant une cotisation établie sous le régime de la LIR sont tout à fait conformes à ce principe.

[156] Dans les appels de cotisations établies en application de la LIR, la Cour de l’impôt peut renvoyer l’affaire au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation, un pouvoir qu’elle n’a pas dans les appels visant les décisions rendues en application de la LAE. Par conséquent, si dans l’appel interjeté par Dow Chemical, la Cour de l’impôt conclut que le ministre n’a pas agi de manière appropriée (c’est-à-dire de façon judiciaire) pour former son jugement pour l’application du paragraphe 247(10), la Cour de l’impôt peut renvoyer l’affaire au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux principes appropriés.

[157] L’intimée soutient que le pouvoir de renvoyer l’affaire n’aide pas la cause de l’appelante, car le mot « et » dans l’expression « nouvel examen et nouvelle cotisation » revêt un sens conjonctif. L’intimée affirme que, si la Cour de l’impôt renvoie l’affaire, mais que le ministre, en appliquant les principes appropriés, tire la même conclusion, le ministre ne procéderait pas à une nouvelle cotisation. Par conséquent, les limites imposées aux pouvoirs que la Cour de l’impôt exerce sur les appels étayent sa thèse selon laquelle l’affaire ne relève pas de la compétence de la Cour de l’impôt. En d’autres termes, la Cour de l’impôt ne peut pas renvoyer l’affaire pour nouvel examen et nouvelle cotisation, car il se peut que le ministre, après un nouvel examen, n’ait pas besoin d’établir de nouvelle cotisation.

[158] L’appelante ne souscrit pas à cette thèse et affirme que, même si le mot « et » est interprété à juste titre comme ayant un sens conjonctif, rien n’empêche le ministre, après le nouvel examen, d’établir une nouvelle cotisation dont le montant serait le même que celui de la cotisation faisant l’objet de l’appel. L’appelante soutient que la différence réside dans le fait que, si le ministre applique les principes appropriés, la nouvelle cotisation sera correcte, mais la cotisation faisant l’objet de l’appel, qui a été établie en appliquant des principes erronés, ne peut pas être jugée correcte.

[159] Je suis d’accord pour dire que les limites imposées aux pouvoirs de la Cour de l’impôt lorsqu’elle entend des appels de cotisations ne font pas obstacle à la conclusion que la compétence d’appel de la Cour de l’impôt lui permet d’examiner les décisions que prend le ministre au titre du paragraphe 247(10).

[160] Premièrement, la jurisprudence dans le contexte de la LAE révèle que le pouvoir de modifier la cotisation peut permettre à la Cour de l’impôt de substituer sa décision à celle du ministre si elle n’est pas convaincue que le ministre a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire. Alors que la Cour de l’impôt vraisemblablement hésiterait (et devrait hésiter) à le faire, le législateur ayant décidé que le ministre devrait former l’opinion requise, la Cour de l’impôt pourrait avoir le pouvoir de rendre la décision que le ministre « aurait dû » rendre.

[161] Deuxièmement, la jurisprudence plus ancienne indique que la Cour de l’impôt pourrait avoir la compétence implicite de renvoyer l’affaire en vertu de sa compétence d’appel. Dans la décision Pure Spring, le juge Thorson était d’avis que la Cour de l’Échiquier ne pouvait pas substituer son opinion à celle du ministre. Lorsqu’il a rendu cette décision[108], il disposait de l’arrêt[109] Wrights’ Ropes rendu par la Cour suprême, mais pas de l’arrêt du Conseil privé[110]. Dans son arrêt Wrights’ Ropes, le Conseil privé n’a pas jugé que le renvoi de l’affaire au ministre pour nouvel examen était souhaitable. Il a plutôt jugé nécessaire de renvoyer la cotisation au ministre pour redressement sur le fondement que les sommes refusés par le ministre devraient être accordés. En d’autres termes, il a jugé nécessaire que soit établie une nouvelle cotisation sans nouvel examen. Le Conseil privé a affirmé que cette ordonnance pouvait être rendue en vertu de la compétence inhérente de la Cour. Lord Greene, qui a rédigé la décision unanime au nom du Conseil privé, a indiqué ce qui suit :

[traduction]

Après examen des motifs du jugement de la Cour suprême, leurs Seigneuries sont d’avis que cette dernière, en accueillant l’appel, avait l’intention de décider d’annuler une fois pour toutes les refus contestés et que la raison pour laquelle l’affaire était renvoyée au ministre était simplement pour lui permettre de modifier les cotisations conformément à cette décision. De l’avis de leurs Seigneuries, cette ordonnance était celle qu’il fallait rendre. Cependant, le renvoi au ministre à cette fin aurait pu et aurait dû être fait en vertu de la compétence inhérente de la Cour et non du paragraphe 65(2). Il ne fait aucun doute que, si la Cour a répondu à une question qui lui était soumise d’une manière nécessitant la révision de la cotisation, elle avait la compétence inhérente de renvoyer la cotisation à cette fin, au lieu d’être tenue d’effectuer elle-même les changements nécessaires[111].

[Non souligné dans l’original.]

[162] Même si le Conseil privé a utilisé l’expression [traduction] « compétence inhérente », une expression qui conviendrait mieux de nos jours pourrait être « compétence implicite », c’est-à-dire que, par déduction, la Cour de l’impôt a tous les pouvoirs raisonnablement nécessaires pour s’acquitter de sa mission, notamment trancher les appels de cotisations[112]. À cet égard, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit :

[…] sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif[113] […]

[163] Ce principe a été appelé « doctrine de la compétence par déduction nécessaire »[114]. L’idée est qu’il faut interpréter le pouvoir de la Cour de l’impôt d’entendre les appels de cotisations comme un moyen lui permettant de renvoyer l’affaire au ministre pour nouvel examen sans nouvelle cotisation s’il s’avère, lors du nouvel examen, qu’aucune nouvelle cotisation n’est nécessaire.

[164] Cependant, que la compétence implicite de la Cour de l’impôt en vertu de la Loi sur la CCI aille ou non jusque-là, et je reconnais avoir des doutes que ce soit le cas, je suis d’accord avec l’appelante que le mot « et » dans l’expression « pour nouvel examen et nouvelle cotisation » ne fait pas en sorte que la décision que prend le ministre au titre du paragraphe 247(10) échappe à la compétence d’appel de la Cour de l’impôt. Interpréter le mot « et » de la manière défendue par l’intimée reviendrait à interpréter la disposition d’une manière qui serait contraire à l’intention du législateur, qui est que la Cour de l’impôt, une cour spécialisée, entende les appels interjetés à l’encontre de cotisations. L’avertissement de la Cour suprême dans l’arrêt Addison & Leyen s’applique en l’espèce :

Il y a lieu de protéger l’intégrité et l’efficacité du système de cotisation et d’appel en matière fiscale. Le Parlement a édifié une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, et cette structure s’appuie sur un tribunal spécialisé et indépendant, la Cour canadienne de l’impôt. On ne saurait permettre que le contrôle judiciaire serve à créer une nouvelle forme de procédure connexe destinée à contourner le système d’appel établi par le Parlement en matière fiscale ainsi que la compétence de la Cour de l’impôt. Dans ce contexte, le contrôle judiciaire devrait demeurer un recours de dernier ressort[115].

[Non souligné dans l’original.]

[165] Dans les appels de cotisations, si la Cour de l’impôt juge que le ministre n’a pas formé son avis de manière appropriée en application du paragraphe 247(10), la cotisation faisant l’objet de l’appel est inexacte. Par conséquent, la Cour de l’impôt peut renvoyer la cotisation au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux principes appropriés. Après ce nouvel examen conforme à ces principes appropriés, le fondement de la cotisation change, même si le montant de la cotisation ne change pas[116]. Conformément au jugement de la Cour de l’impôt ordonnant au ministre d’examiner de nouveau la cotisation faisant l’objet de l’appel et d’établir une nouvelle cotisation, le ministre sera alors tenu d’établir une nouvelle cotisation. Bien que le montant du revenu et de l’impôt établis dans cette nouvelle cotisation puisse être le même que celui établi dans la cotisation (inexacte) faisant l’objet de l’appel, cela ne fait pas de cette cotisation (inexacte) une cotisation juste : elle était inexacte parce qu’elle n’était pas étayée par le droit[117].

[166] En revanche, les pouvoirs qu’a la Cour fédérale dans l’exercice de contrôles judiciaires ne conviennent pas pour attaquer la décision qu’a prise le ministre en vertu du paragraphe 247(10). Ces pouvoirs sont limités par l’article 18 de la Loi sur les CF. Notamment, comme on le précise dans l’arrêt JP Morgan, la Cour fédérale n’est pas autorisée à modifier ou à annuler une cotisation[118].

[167] Lorsqu’un contribuable conteste la décision du ministre rendue en application du paragraphe 247(10) de la LIR, « la “nature essentielle” de la mesure demandée est l’annulation de la cotisation », et cette mesure ne relève pas des pouvoirs de la Cour fédérale[119].

X. LA RÉPONSE À LA QUESTION EST-ELLE INCOMPATIBLE AVEC LE PRINCIPE SELON LEQUEL LE CONTRÔLE JUDICIAIRE DEVANT LA COUR FÉDÉRALE EST LA VOIE APPROPRIÉE POUR CONTESTER LES DÉCISIONS DISCRÉTIONNAIRES RENDUES PAR LE MINISTRE SOUS LE RÉGIME DE LA LIR?

[168] L’intimée affirme que tout contrôle d’un pouvoir discrétionnaire du ministre exercé sous le régime de la LIR doit se faire au moyen d’un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. L’intimée renvoie au grand nombre d’affaires où la Cour fédérale a effectué le contrôle judiciaire de décisions discrétionnaires du ministre prises sous le régime de la LIR.

[169] L’appelante convient que la Cour fédérale est l’instance appropriée pour le contrôle judiciaire de certains des pouvoirs discrétionnaires du ministre. Cependant, selon la thèse de l’appelante, le pouvoir discrétionnaire du ministre d’autoriser ou de refuser un redressement à la baisse en matière de prix de transfert est différent de tous les autres pouvoirs discrétionnaires prévus par la LIR. Selon l’appelante, c’est cette différence qui fait de la Cour de l’impôt l’instance appropriée où contester le refus du ministre d’effectuer un redressement à la baisse en matière de prix de transfert.

[170] Vu la jurisprudence, je ne suis pas d’accord avec l’intimée, selon laquelle, parce qu’on peut qualifier de discrétionnaire le pouvoir exercé par le ministre en application du paragraphe 247(10), il échappe « automatiquement » à la compétence de la Cour de l’impôt. À mon avis, il s’agit d’une thèse trop générale. On ne m’a renvoyé à aucune décision qui va jusque-là. À mon avis, la jurisprudence examinée plus haut étaye la conclusion contraire. Cependant, il ne fait aucun doute qu’un grand nombre des pouvoirs discrétionnaires que le ministre peut exercer sous le de la LIR ne relève pas de la compétence de la Cour de l’impôt. Un examen de la nature de ces pouvoirs discrétionnaires fournit toutefois un contexte important.

[171] On peut répartir les pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre sous le régime de la LIR en trois grandes catégories :

  1. les pouvoirs discrétionnaires liés à la renonciation aux intérêts, aux pénalités ou à l’impôt[120];

  2. les pouvoirs discrétionnaires liés à la renonciation au respect de délais, d’exigences de dépôt ou d’autres exigences documentaires prévus par la LIR ou le pouvoir de décider s’il faut établir une cotisation à l’égard d’un contribuable[121];

  3. les pouvoirs discrétionnaires directement liés au calcul du revenu, du revenu imposable ou de l’impôt[122] au titre d’une disposition de la LIR.

[172] Le paragraphe 247(10) appartient à la troisième catégorie, mais cette disposition n’est pas la seule.

[173] Selon la thèse de l’appelante, contrairement aux deux premières catégories de pouvoirs discrétionnaires, le paragraphe 247(10) n’implique pas de renonciation ou d’assouplissement de l’application stricte d’une disposition de la LIR ou une décision purement administrative du ministre concernant une mesure administrative qu’il pourrait prendre, mais qu’il n’est pas tenu de prendre, sous le régime de la LIR. L’appelante affirme plutôt que le ministre doit prendre une décision en application du paragraphe 247(10) avant d’avoir le droit d’établir une cotisation. Les deux mesures, à savoir la décision et la cotisation qui en découle, sont intrinsèquement liées et la décision a donc une incidence sur l’exactitude de la cotisation.

A. Les dispositions d’équité

[174] Le paragraphe 152(4.2) permet au ministre d’établir une nouvelle cotisation concernant l’impôt, les intérêts et les pénalités d’un contribuable au-delà de la période normale de nouvelle cotisation lorsque le particulier demande l’établissement d’une nouvelle cotisation en vue de déterminer le remboursement ou la réduction d’une somme payable au titre de la LIR.

[175] Le paragraphe 220(3.1) permet au ministre de renoncer aux intérêts et aux pénalités payables au titre de la LIR. Si le ministre choisit de le faire, il doit établir une cotisation qui tient compte de cette décision. Le paragraphe 220(3.1) dispose expressément que « le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation »[123].

[176] Le paragraphe 220(3.2) permet au ministre de proroger le délai pour le dépôt d’un choix ou permettre la modification ou l’annulation d’un choix. Si le ministre le fait, il est tenu, aux termes du paragraphe 220(3.4), d’établir les cotisations concernant l’impôt, les intérêts et les pénalités payables de chaque contribuable concerné, pour tenir compte du choix, du choix modifié ou de l’annulation d’un choix.

[177] Collectivement, ces dispositions de la LIR sont appelées les dispositions d’équité.

[178] La décision du ministre de refuser une mesure de redressement ou d’accorder uniquement une mesure de redressement partielle en vertu des dispositions d’équité ne peut pas faire l’objet d’un appel sous le régime de la LIR. Mais pourquoi est-ce le cas?

[179] Dans le cas d’une cotisation établie après que le ministre a accepté la demande présentée par le contribuable au titre du paragraphe 152(4.2), la LIR précise expressément que toute nouvelle cotisation qui en découle ne peut pas faire l’objet d’une opposition ou d’un appel. Il en va de même lorsque le ministre établit une nouvelle cotisation par laquelle il renonce à une partie ou à la totalité des intérêts et des pénalités du contribuable en application des dispositions d’équité[124]. Bien que les cotisations établies en application du paragraphe 220(3.4) puissent faire l’objet d’une opposition ou d’un appel, les motifs de cette opposition ou de cet appel sont limités[125]. Ainsi, même si l’exercice que fait le ministre du pouvoir discrétionnaire pertinent en faveur du contribuable donne lieu à une cotisation et, en général, les cotisations peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt, la LIR n’autorise pas les appels à l’encontre de ces types de cotisation devant la Cour de l’impôt ou, dans le cas de cotisations établies en application du paragraphe 220(3.4), elle autorise les appels uniquement pour des motifs très limités[126]. Cela laisse au contribuable la possibilité de demander le contrôle judiciaire de la décision du ministre devant la Cour fédérale. Cette dernière a compétence, car la question n’est pas autrement susceptible d’appel.

[180] Si le ministre décide de ne pas accorder la mesure de redressement demandée, il n’est pas tenu d’établir une cotisation. Sans cotisation, il n’y a rien à porter en appel devant la Cour de l’impôt. En outre, aux termes du paragraphe 152(8), la cotisation déjà établie (p. ex. celle qui a été établie au cours de la période normale de nouvelle cotisation[127] ou celle qui impose les intérêts ou les pénalités) est réputée valide et exécutoire. On ne peut pas dire qu’elle est inexacte ou non valide parce que le ministre n’accepte pas de renoncer aux intérêts ou pénalités. Lorsqu’elle a été établie, la cotisation était correcte : elle était (vraisemblablement) étayée par les faits et le droit ou elle était réputée exacte, car aucune opposition n’a été soulevée ou aucun appel n’a été interjeté dans les délais.

[181] En outre, dans un grand nombre d’affaires où une demande est présentée au titre des dispositions d’équité, la cotisation précédente ne serait pas susceptible d’opposition ou d’appel en raison de l’expiration du délai prévu pour le faire. Les dispositions d’équité permettent au contribuable de demander un redressement jusqu’à dix années civiles après l’année d’imposition en cause. Souvent, la cotisation (antérieure) établie pour l’année d’imposition pertinente, dont on demande la modification en vertu des dispositions d’équité, ne pourra plus faire l’objet d’un appel sous le régime de la LIR. En l’absence de droit d’appel, la Cour fédérale pourrait s’avérer l’unique tribunal compétent devant lequel contester la décision[128].

[182] Enfin, les pouvoirs discrétionnaires prévus par les dispositions d’équité n’en sont pas qui doivent être exercés avant que puisse être établie une cotisation qui est conforme aux dispositions de la LIR. En fait, ils sont totalement facultatifs : le ministre peut établir une nouvelle cotisation (paragraphe 152(4.2)); le ministre peut renoncer à un montant ou l’annuler et, s’il le fait, il établira une nouvelle cotisation (paragraphe 220(3.1)) et le ministre peut proroger le délai (paragraphe 220(3.2)) et, s’il le fait, il établira une cotisation (paragraphe 220(3.4)). En revanche, le paragraphe 247(2) impose un redressement (à la hausse ou à la baisse) sous réserve, dans le cas d’un redressement à la baisse en matière de prix de transfert, que le ministre estime que les circonstances le justifient : les montants font l’objet d’un redressement (paragraphe 247(2)), mais un redressement à la baisse en matière de prix de transfert ne peut être effectué que si le ministre estime que les circonstances le justifient (paragraphe 247(10)).

B. Pouvoirs discrétionnaires du ministre d’annuler un impôt ou d’y renoncer

[183] Chacune des parties X.4, XI (maintenant abrogée), XI.01, XI.3 et XI.4 de la LIR impose des impôts spéciaux relatifs à des régimes de revenu différé. Chacune oblige le contribuable à produire une déclaration s’il est assujetti à l’impôt prévu par la partie pertinente. Chacune comporte aussi une disposition mutatis mutandis ayant pour effet d’obliger le ministre à établir une cotisation d’impôt en application de ces parties (ou il peut établir une cotisation même si aucune déclaration n’est produite). Le contribuable peut s’opposer à la cotisation établie au titre de ces parties ou en faire appel.

[184] Cependant, chacune de ces parties comporte également des dispositions qui permettent au contribuable de demander au ministre de renoncer à l’impôt pertinent ou de l’annuler. Par exemple, le paragraphe 207.06(1) dispose que, si un particulier est redevable d’un impôt par l’effet des articles 207.02 ou 207.03, le « ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt [...] ou l’annuler en tout ou en partie » si certaines conditions sont remplies, notamment si le particulier « convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable ». Le paragraphe 207.06(2) dispose que « [l]e ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt » redevable par l’effet du paragraphe 207.04(1) ou de l’article 207.05 « ou l’annuler en tout ou en partie dans le cas où il est juste et équitable de le faire compte tenu des circonstances », y compris les facteurs particuliers énumérés au paragraphe 207.06(2).

[185] Contrairement aux dispositions d’équité, ces dispositions n’obligent pas le ministre à établir une cotisation s’il décide de renoncer à tout ou partie de l’impôt ou de l’annuler en tout ou en partie. Néanmoins, une nouvelle cotisation semble être une conséquence probable, car, à moins qu’une nouvelle cotisation soit établie, l’impôt et les pénalités à payer au titre de la partie pertinente seront à payer selon la cotisation antérieure. Sans nouvelle cotisation, la cotisation antérieure demeure valide[129].

[186] Si le ministre établit une cotisation d’impôt en vertu de l’une de ces parties, le contribuable a le droit de s’opposer à la cotisation. Rien ne semble l’empêcher de demander au ministre de renoncer à l’impôt au cours de la procédure d’opposition. En fait, comme certaines de ces parties énoncent des facteurs que le ministre doit prendre en considération lorsqu’il décide s’il convient de renoncer à l’impôt pertinent, on pourrait s’attendre à ce que le contribuable réunisse des renseignements concernant ces facteurs dans une opposition[130]. Après le dépôt d’un avis d’opposition, le ministre doit examiner de nouveau la cotisation et l’annuler, la confirmer ou la modifier ou établir une nouvelle cotisation et en aviser le contribuable par écrit. Si le ministre confirme la cotisation ou établit une nouvelle cotisation, le contribuable peut interjeter appel devant la Cour de l’impôt.

[187] Rien dans la LIR n’indique expressément qu’il n’y a pas de droit d’appel à l’encontre d’une cotisation parce que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour renoncer seulement à une partie de l’impôt ou l’annuler seulement en partie, ni que ce qui a été appelé la fonction de contrôle de la Cour de l’Échiquier ne s’étendrait pas au contrôle de cette cotisation. En d’autres termes, si le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire sans tenir compte des facteurs énoncés, pourrait-on dire qu’en droit, cette omission a une incidence sur l’exactitude de cette cotisation du fait que le ministre n’aurait pas exercé le pouvoir discrétionnaire qu’il lui incombe d’exercer en application de la LIR[131]? Le cas échéant, cela rendrait-il cette cotisation susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt?

[188] En l’espèce, ce n’est pas la question que je dois trancher et un grand nombre d’affaires ont été entendues sur le fondement qu’il appartient à la Cour fédérale d’effectuer le contrôle judiciaire du refus du ministre de renoncer à l’impôt établi en vertu de ces parties de la LIR. Comme c’est le cas pour les dispositions d’équité, lorsque le ministre décide de ne pas renoncer à l’impôt, il se peut qu’il n’y ait aucune cotisation qui traduise cette décision et dont le contribuable puisse faire appel; dans ces circonstances, la Cour de l’impôt n’aurait pas compétence. Dans le contexte de renonciations à une partie de l’impôt, la question de la compétence pourrait ne pas avoir été directement soulevée dans ces affaires[132]. Cependant, il n’est ni nécessaire ni opportun pour moi d’indiquer que les appels visant une cotisation établie après la décision rendue par le ministre de renoncer à une partie de l’impôt relèvent de la compétence de la Cour de l’impôt[133].

[189] Selon la thèse de l’appelante, les pouvoirs discrétionnaires de renoncer à tout ou partie de l’impôt établi au titre de ces parties de la LIR ou de l’annuler en tout en partie sont semblables aux pouvoirs conférés par les dispositions d’équité et ni l’un ni l’autre de ces types de pouvoir ne s’apparente aux pouvoirs conférés par le paragraphe 247(10). L’appelante fait plutôt valoir que le paragraphe 247(10) est semblable aux dispositions de la LIGR qui confèrent au ministre le pouvoir d’établir les déductions autorisées en calculant le revenu et par conséquent concerne l’exactitude de la cotisation obtenue. Selon l’appelante, il s’ensuit que la décision rendue en application du paragraphe 247(10) relève de la compétence de la Cour de l’impôt lorsqu’il est fait appel de la cotisation. Je suis d’accord.

[190] Comme on l’a indiqué, les dispositions prévoyant la renonciation à un impôt par ailleurs à payer ou son annulation ne jouent que lorsque l’impôt à payer a été calculé par une cotisation établie conformément aux dispositions de la LIR[134]. En d’autres termes, elles suivent une cotisation qui est par ailleurs étayée par le droit. Si l’impôt n’est pas par ailleurs à payer, l’annulation ou la renonciation est inutile. Par conséquent, on pourrait considérer que le fait pour le ministre de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable dans ces affaires ne concerne pas l’exactitude de la cotisation (antérieure).

[191] Autrement dit, ces pouvoirs discrétionnaires, comme ceux prévus par les dispositions d’équité, sont facultatifs (le ministre peut renoncer à l’impôt ou l’annuler) et ne sont exercés qu’après l’établissement d’une cotisation exacte (qui est étayée par les faits et le droit). En revanche, si un contribuable demande et établit un redressement à la baisse du prix de transfert, la décision visée au paragraphe 247(10) de la LIR n’est pas facultative : elle doit être rendue, et ce, avant qu’une cotisation exacte puisse être établie.

C. Pouvoirs discrétionnaires du ministre ayant une incidence sur le revenu ou sur le revenu imposable

[192] Même si la LIR comporte très peu de dispositions qui confèrent au ministre un pouvoir discrétionnaire ayant une incidence sur le montant du revenu ou du revenu imposable du contribuable, le paragraphe 247(10) n’est pas la seule disposition de cette nature.

[193] Le contribuable qui est tenu d’inclure dans son revenu une somme d’argent parce qu’une société étrangère affiliée contrôlée a un revenu étranger accumulé tiré de biens peut être admissible à une provision si le ministre est convaincu que des restrictions relatives à la monnaie ou au change dans un autre pays porteraient indûment préjudice au contribuable si celui-ci était tenu d’inclure dans le revenu la totalité de la somme[135]. Dans un tel cas, le contribuable pourrait déduire, dans le calcul de son revenu, « à titre de provision afférente à la somme ainsi incluse, une somme que le ministre juge raisonnable dans les circonstances ».

[194] De même, l’alinéa 111(1.1)c) accorde au contribuable la possibilité de déduire une somme plus élevée au titre de pertes en capital nettes que celle qu’il peut demander de plein droit en application des alinéas 111(1.1)a) et b). Plus précisément, l’alinéa 111(1.1)c) de la LIR dispose qu’en plus des sommes déductibles en application des alinéas 111(1)a) et b), le contribuable peut déduire « la somme que le ministre estime raisonnable dans les circonstances ».

[195] À l’instar de la décision prise au titre du paragraphe 247(10), ces décisions du ministre auront un effet direct sur le revenu ou le revenu imposable du contribuable et donc sur le montant de l’impôt à payer selon la cotisation établie par le ministre[136]. Si le contribuable conteste la cotisation fondée sur la décision prise par le ministre en application de ces dispositions, quelle est l’instance appropriée : la Cour de l’impôt ou la Cour fédérale? Bien que je ne sois pas saisie de cette question, je répondrais que c’est la Cour de l’impôt qui a compétence, en qualité d’arbitre, pour juger l’exactitude de la cotisation obtenue. À l’instar de la décision prise au titre du paragraphe 247(10), ces décisions sont prises avant l’établissement de la cotisation; elles ne sont pas des renonciations.

[196] Cependant, je n’ai qu’à examiner la décision qu’a prise le ministre au titre du paragraphe 247(10). À cet égard, je suis d’accord avec l’appelante pour dire que cette décision, étant donné qu’elle doit (et non « peut ») être prise avant que le revenu et par conséquent l’impôt à payer puissent être établis par cotisation conformément aux dispositions en matière de prix de transfert, est de nature différente qu’une décision discrétionnaire qui est entièrement facultative et qui peut être prise seulement après que l’impôt, les intérêts et les pénalités ont été établis par cotisation conformément aux dispositions de la LIR.

[197] En d’autres termes, le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 247(10) est de même nature que celui que le ministre exerce pour établir les déductions au titre des articles 5 et 6 de la LIGR ainsi que la principale source de revenus au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1948. Comme dans ces circonstances, si le pouvoir prévu au paragraphe 247(10) n’est pas exercé correctement, la cotisation qui en découle n’est pas fondée en droit.

[198] Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a discuté en détail les limites du contrôle judiciaire en matière fiscale et a souligné qu’il est nécessaire d’examiner la véritable nature de la demande. Fait important, la Cour d’appel fédérale n’est pas allée jusqu’à conclure qu’une plainte au sujet de l’exercice qu’a fait le ministre d’un pouvoir discrétionnaire au titre de la LIR ne pourrait jamais faire l’objet d’un appel devant la Cour de l’impôt. Elle a en fait laissé la porte ouverte :

À certaines occasions en matière fiscale, des parties ont soutenu que le ministre avait abusé de son pouvoir discrétionnaire en établissant la cotisation. Jusqu’à maintenant, ces allégations ont toutes été rejetées au motif qu’elles étaient irrecevables puisqu’aux fins de la détermination de l’impôt à payer par un contribuable, le ministre n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer et partant, aucun pouvoir discrétionnaire dont il puisse abuser[137].

[Non souligné dans l’original.]

[199] J’estime que le paragraphe 247(10) n’est pas visé par l’énoncé « n’a généralement pas de pouvoir discrétionnaire à exercer » figurant dans l’arrêt JP Morgan : le paragraphe 247(10) représente un pouvoir discrétionnaire (ou une détermination) que le ministre peut et doit exercer pour déterminer l’impôt à payer du contribuable lorsque les dispositions du paragraphe 247(2) jouent et qu’un redressement à la baisse en matière de prix de transfert est effectué.

[200] La compétence de la Cour de l’impôt ne se limite pas aux questions sur le montant des impôts et la dette fiscale, mais elle s’étend aux questions relatives à la compétence légale du ministre d’établir une cotisation et sur la validité juridique de la cotisation[138]. La Cour de l’impôt a compétence pour entendre les appels de cotisations. Dans ce contexte, le terme « cotisation » a été interprété comme désignant le produit du processus d’établissement de l’impôt à payer. Le processus d’établissement d’une cotisation n’est pas terminé tant que la dette fiscale n’est pas déterminée[139]. Dans l’arrêt 742190 Ontario inc. (Van Del Manor Nursing Homes) c. Canada (Agence du revenu)[140], la Cour d’appel fédérale a indiqué ce qui suit :

Les mots « cotisation » ou « évaluation » s’entendent généralement de l’établissement par le ministre d’un montant à payer par la personne, et englobent l’acte de l’établissement et le produit de l’établissement […]

[Non souligné dans l’original.]

[201] La décision qu’il incombe au ministre de prendre au titre du paragraphe 247(10) fait partie, à mon avis, de l’action d’établir la dette fiscale d’un contribuable, tout comme la décision de déterminer si une dépense est raisonnable, si des personnes non liées n’ont pas de lien de dépendance ou si des modalités de remboursement sont de bonne foi. La LIR exige que le ministre détermine chacun de ces éléments avant d’établir une cotisation. Une cotisation ne peut être exacte que si cette décision, à la fois, est prise avant l’établissement de la cotisation et est exacte au regard des faits et du droit (notamment, dans le cas de la décision prévue au paragraphe 247(10), au regard des principes judiciaires appropriés). Chacune de ces décisions ayant une incidence sur l’exactitude de la cotisation, elle peut être contestée dans un appel de la cotisation porté devant la Cour de l’impôt[141].

XI. EST-CE IMPORTANT QUE LA DÉCISION VISÉE AU PARAGRAPHE 247(10) NE NÉCESSITE PAS QUE LE MINISTRE DÉTERMINE UN MONTANT?

[202] Lorsque le ministre décide d’exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du contribuable au titre des dispositions d’équité ou des dispositions lui permettant de renoncer à un impôt ou de l’annuler, le ministre doit déterminer un montant. Il pourrait renoncer à la totalité ou à une partie des pénalités, des intérêts ou des impôts ou ne pas y renoncer.

[203] De même, les pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre sous le régime de la LIGR, qui sont discutés dans la jurisprudence examinée plus haut, permettaient au ministre de déterminer un montant qui pouvait être déduit. Par contre, le paragraphe 247(10) ne confère pas au ministre le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant du redressement à la baisse du prix de transfert. Tout litige concernant le montant du redressement (à la hausse ou à la baisse) relève de la compétence d’appel de la Cour de l’impôt. Le pouvoir du ministre prévu au paragraphe 247(10) lui est conféré pour décider si, selon lui, les circonstances justifient un redressement à la baisse du prix de transfert.

[204] Par conséquent, j’ai examiné si cette différence a pour effet de placer la décision que le ministre doit prendre en application du paragraphe 247(10) hors de la portée des principes issus de la jurisprudence relative à la LIGR. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[205] Dans l’arrêt Fraser, la question à trancher dans l’appel de la cotisation concernait le droit du contribuable à une déduction pour épuisement. Une question examinée dans cette affaire était de savoir si le pouvoir discrétionnaire du ministre prévu par la LIGR concernant l’épuisement se limitait au montant de l’épuisement ou si le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de décider s’il fallait accorder la déduction pour épuisement et, s’il décidait de l’accorder, s’il avait le pouvoir discrétionnaire d’en établir le montant. Le Conseil privé a conclu que le ministre avait deux pouvoirs discrétionnaires :

[traduction]

Si on examine la loi en vigueur, leurs Seigneuries sont d’avis que l’article [...] confère clairement au ministre le pouvoir discrétionnaire de décider si l’affaire dont il est saisi justifie une allocation de quelque nature que ce soit et qu’il ne limite pas le pouvoir discrétionnaire à établir l’ampleur de l’allocation à accorder. Il a deux pouvoirs discrétionnaires, le premier lui permettant de déterminer si l’affaire justifie une allocation et le deuxième, le cas échéant, lui permettant de déterminer le montant de l’allocation[142].

[Non souligné dans l’original.]

[206] Cependant, chacun de ces pouvoirs discrétionnaires pourrait être examiné dans un appel de la cotisation. Le Conseil privé a examiné l’exercice qu’a fait le ministre du premier pouvoir discrétionnaire de déterminer si l’affaire justifiait une allocation. À cette fin, il a examiné si la décision du ministre de ne pas accorder d’allocation pour épuisement [traduction] « était issue de motifs justes, raisonnables et admissibles ». Le Conseil privé a ainsi conclu que l’opinion du ministre sur les circonstances était :

[traduction]

[…] une opinion intelligible qui était à la fois défendable et admissible, et on ne peut pas dire qu’en l’adoptant, le ministre a transgressé les limites de son pouvoir discrétionnaire d’une manière qui justifierait l’infirmation de sa décision. Les critères par lesquels l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire prévu par loi doit être jugé ont été définis dans un grand nombre de décisions faisant autorité, et il est bien établi que, si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans l’influence de considérations non pertinentes, et d’une manière qui n’est ni arbitraire ni illégale, aucune cour n’a le droit d’intervenir, même si la cour aurait pu faire un exercice différent de ce pouvoir discrétionnaire s’il avait été le sien[143].

[207] Il n’a donc pas eu besoin d’examiner le deuxième pouvoir discrétionnaire.

[208] Le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 247(10) ressemble au premier pouvoir discrétionnaire examiné dans l’arrêt Fraser : le pouvoir discrétionnaire d’établir si l’affaire dont il est saisi justifie un redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Contrairement à l’arrêt Fraser[144], en application du paragraphe 247(10), il n’y a qu’un pouvoir discrétionnaire, car le montant du redressement n’est pas discrétionnaire. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé pour des motifs appropriés avant qu’une cotisation exacte puisse être établie. Par conséquent, la manière dont ce pouvoir discrétionnaire est exercé est susceptible de contrôle lors d’un appel visant la cotisation qui en découle. Le montant du redressement à la baisse du prix de transfert n’est pas une chose que le ministre établit, mais la question n’échappe pas pour autant à la compétence de la Cour de l’impôt.

XII. CONCLUSION

[209] Le paragraphe 247(10) dispose que, malgré le paragraphe 247(2), qui exige à première vue que tous les redressements en matière de prix de transfert soient effectués, un redressement à la baisse en matière de prix de transfert ne sera effectué que si « le ministre estime que les circonstances le justifient ». Par conséquent, des redressements en matière de prix de transfert qui réduiraient le revenu ou augmenteraient la perte ne peuvent pas être effectués, sauf si le ministre établit que les circonstances justifient le redressement.

[210] Si le contribuable établit un redressement à la baisse en matière de prix de transfert, le paragraphe 247(10) exige que le ministre se fasse une opinion sur la question de savoir si la cotisation établie à l’égard du contribuable devrait comporter ou non l’avantage de ce redressement. Le ministre doit se faire une opinion dans le processus d’établissement de la cotisation : une cotisation ne peut être établie qu’après qu’il se soit fait une opinion. En termes simples, une cotisation ne peut pas être établie conformément aux dispositions de la LIR avant que le ministre ne se fasse une opinion sur la question de savoir si les circonstances justifient le redressement à la baisse en matière de prix de transfert. Le pouvoir conféré par le paragraphe 247(10), contrairement à d’autres pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre sous le régime de la LIR, n’est pas facultatif, ni un pouvoir lui permettant de renoncer à un montant d’argent dû, ni une question relative à la conformité. Aucune disposition de la LIR n’interdit expressément l’appel d’une cotisation établie après que le ministre a exercé son pouvoir en application du paragraphe 247(10).

[211] Dans l’arrêt Addison & Leyen, la Cour suprême du Canada a noté l’importance de maintenir l’intégrité et l’efficacité du système de cotisations d’impôt et d’appel ainsi que l’intention du Parlement d’édifier une structure complexe pour assurer le traitement d’une multitude de revendications se rapportant au fisc, structure qui s’appuie sur le tribunal spécialisé et indépendant qu’est la Cour de l’impôt[145]. Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a expliqué que « [l]es articles 165 à 169 de la Loi de l’impôt sur le revenu établissent une procédure d’appel complète qui permet au contribuable de soulever devant la Cour canadienne de l’impôt toutes les questions relatives au bien-fondé des cotisations »[146].

[212] La LIR n’exige pas que l’opinion que s’est formé le ministre pour l’application du paragraphe 247(10) soit communiquée au contribuable « séparément »; elle est communiquée dans la cotisation établie à l’égard du contribuable. En d’autres termes, soit la cotisation représentera un redressement à la baisse en matière de prix de transfert, soit elle ne le représentera pas.

[213] La LIR prévoit un droit d’appel à l’encontre des cotisations. Lorsqu’une cotisation fait l’objet d’un appel, ce dernier peut-il être accueilli au motif que le ministre n’a pas correctement exercé son pouvoir en application du paragraphe 247(10) de la LIR? Je conclus que la réponse est oui. Si le ministre n’a pas du tout exercé son pouvoir discrétionnaire ou s’il l’a exercé en appliquant des principes erronés, on ne peut pas dire que la cotisation est exacte. L’examen de l’exactitude d’une cotisation relève de la compétence exclusive de la Cour de l’impôt.

[214] Cette conclusion est conforme à la jurisprudence sur la portée de la compétence en appel lorsque l’appel vise une cotisation. Elle s’accorde aussi avec le fait qu’il est souhaitable d’éviter des instances parallèles devant la Cour de l’impôt et la Cour fédérale[147]. La Cour de l’impôt examinera toutes les contestations de l’exactitude des cotisations établies après l’application des dispositions relatives aux prix de transfert, dont la question de savoir si les conditions de leur application sont remplies, le montant des redressements, l’assujettissement aux pénalités et la question de savoir si le ministre a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire. Une fois que la Cour de l’impôt décide d’accueillir un appel interjeté à l’encontre d’une cotisation au motif que le ministre n’a pas correctement exercé son pouvoir discrétionnaire, elle dispose, par les pouvoirs que lui confère l’article 171 de la LIR, des mesures de redressement pertinentes.

[215] L’exercice qu’a fait le ministre du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 247(10) de la LIR est susceptible d’appel devant la Cour de l’impôt, il n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale, quoique la décision que rendra la Cour de l’impôt dans l’appel visant la cotisation pourra faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale[148].

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de décembre 2020.

« K.A. Siobhan Monaghan »

La juge Monaghan

Traduction certifiée conforme

ce 30e jour de mai 2023.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


 

ANNEXE A

[traduction]

2017-2616(IT)G

COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

ENTRE :

DOW CHEMICAL CANADA ULC

(en tant que successeure de DOW CHEMICAL CANADA INC),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

 

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

EY Tower

100 Adelaide Street West

C.P. 2

Toronto (Ontario)

M5H 0B3

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

120 Adelaide Street West

Bureau no 400

Toronto (Ontario)

M5H 1T1

 

Me Daniel Sandler

Me Allison Blackler

Avocats de l’appelante

 

Me Henry Gluch

Me Samantha Hurst

Avocats de l’intimée

 

 

Les parties à la présente instance admettent, uniquement pour la présente instance, la véracité des faits suivants et l’authenticité des documents auxquels il est renvoyé dans le présent exposé conjoint des faits :

L’appelante et les entités liées

  • 1.L’appelante, Dow Chemical Canada ULC, est une société qui réside au Canada, constituée conformément à des statuts de fusion sous le régime des lois de la Nouvelle-Écosse et régie par la CompaniesAct (Nouvelle-Écosse).

  • 2.L’appelante est une filiale indirecte en propriété exclusive de The DowChemicalCompany, une société des États-Unis (« Dow US »).

  • 3.L’appelante est la successeure de Dow Chemical Canada Inc., une société constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

  • 4.Dow Europe GmbH (« DowEur ») est une société exploitante suisse qui est une filiale indirecte en propriété exclusive de Dow US.

  • 5.Dow Chemical International Limited est une société de financement des États-Unis qui est une filiale indirecte en propriété exclusive de Dow US.

  • 6.L’adresse du siège social de l’appelante est : bureau 2400, 215 2nd Street SW, Calgary (Alberta) T2P 1M4.

Emprunt souscrit auprès de DowEur

  • 7.Par une entente datée du 17 février 2009, DowEur, en tant que société prêteuse, a conclu un contrat d’emprunt renouvelable avec l’appelante, la société emprunteuse.

  • 8.La date d’entrée en vigueur de ce contrat d’emprunt était le 1er janvier 2004.

  • 9.Aux termes du contrat de prêt, l’appelante a payé ou devait payer 15 279 034 $ d’intérêts en 2006 à DowEur.

  • 10.Aux termes du contrat de prêt, l’appelante a payé ou devait payer 6 694 341 $ d’intérêts en 2007 à DowEur.

Historique des cotisations pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante

  • 11.Dans le calcul du revenu pour l’année d’imposition s’étant terminée le 31 décembre 2006 (« année d’imposition 2006 »), l’appelante a notamment inclus différentes sommes reçues ou perçues au titre d’opérations intersociétés avec DowEur. L’appelante a déclaré 5 930 155 $ de revenus se rapportant aux services de fabrication à façon fournis par l’appelante à DowEur (les « sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur ») et a demandé une déduction pour les 15 279 034 $ de frais d’intérêts prévus par le contrat d’emprunt renouvelable conclu avec DowEur (l’« emprunt souscrit auprès de DowEur »).

  • 12.Le ministre du Revenu national a établi une première cotisation, dont l’avis est daté du 26 juillet 2007, à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2006.

  • 13.Le ministre a établi une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante, l’avis étant daté du 14 décembre 2011, à l’égard des redressements en matière de prix de transfert se rapportant aux opérations intersociétés impliquant DowEur. Plus précisément, le ministre a ajouté 307 234 104 $ aux revenus de l’appelante en lien avec les sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur. La nouvelle cotisation ne comportait pas de redressement dû aux frais d’intérêts déclarés par l’appelante relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 14.L’appelante s’est opposée à l’avis de nouvelle cotisation daté du 14 décembre 2011 par un avis d’opposition daté du 29 février 2012. L’appelante s’est opposée aux sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur. L’appelante ne s’est pas opposée aux montants liés à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 15.L’appelante a sollicité l’aide de l’autorité compétente canadienne relativement aux sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur et elle a demandé que son opposition soit mise en suspens en attendant la fin du processus de recours à l’autorité compétente entre le Canada et la Suisse. L’appelante n’a pas sollicité d’aide relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 16.Le 9 mars 2012, le ministre a envoyé à l’appelante une lettre de proposition au sujet notamment des redressements à la baisse en matière de prix de transfert en application du paragraphe 247(2). Le ministre a proposé d’augmenter de 3 260 704 $ les frais d’intérêts relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur, pour l’année d’imposition 2006. Le ministre a proposé d’augmenter de 1 509 275 $ les frais d’intérêts relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur, pour l’année d’imposition 2007. Le fondement justifiant la proposition d’augmenter les frais d’intérêts pour les années d’imposition 2006 et 2007 étaient les mêmes pour ces deux années.

  • 17.Le 11 décembre 2012, le ministre a envoyé à l’appelante une autre lettre de proposition, dans laquelle il l’informait que sa précédente proposition de hausser le montant des frais d’intérêts déboursés relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante ne serait pas appliquée en raison du délai de prescription prévu par la Convention fiscale entre le Canada et la Suisse.

  • 18.Dans cette même lettre, le ministre informait l’appelante que le redressement à la baisse proposé du prix de transfert concernant les frais d’intérêts déboursés à l’égard de l’emprunt souscrit auprès de DowEur pour l’année d’imposition 2007 de l’appelante serait appliqué.

  • 19.Par avis de nouvelle cotisation datés du 12 décembre 2012, de nouvelles cotisations ont été établies pour les années d’imposition 2006 et 2007 de l’appelante, conformément aux modalités énoncées dans la lettre du 11 décembre 2012.

  • 20.La nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2006 comprenait des redressements en matière de prix de transfert liés à Dow US (les « montants liés à Dow US »), mais elle n’a pas donné lieu à un redressement de l’emprunt souscrit auprès de DowEur, et la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2007 a augmenté de 1 509 275 $ les frais d’intérêts autorisés relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 21.Le 14 janvier 2013, l’appelante a demandé au ministre d’effectuer un redressement à la baisse en matière de prix de transfert en application du paragraphe 247(10) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Le ministre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 247(10) de la Loi et il a rejeté la demande au motif que le paragraphe 9(3) de la Convention fiscale entre le Canada et la Suisse interdisait le redressement de 3 260 704 $ et que cela donnerait lieu à une double non-imposition, c’est-à-dire que la somme ne serait imposée dans ni l’un ni l’autre pays. Une lettre en ce sens a été envoyée à l’appelante le 11 février 2013. Le 11 mars 2013, l’appelante a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. Cette procédure a été mise en suspens en attendant la décision concernant la compétence de notre Cour.

  • 22.Le 11 mars 2013, l’appelante s’est opposée à l’avis de nouvelle cotisation daté du 12 décembre 2012 pour l’année d’imposition 2006. Dans son avis d’opposition, l’appelante a soulevé trois questions : a) les sommes liées à Dow US, b) les sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur et c) les sommes liées à l’emprunt souscrit auprès de DowEur. Plus précisément, l’appelante a demandé une déduction de 3 260 704 $ en plus de la déduction des frais d’intérêts de 15 279 034 $ déjà accordée.

  • 23.L’appelante a sollicité l’aide de l’autorité compétente canadienne relativement aux sommes liées à Dow US et elle a demandé que son opposition soit mise en suspens en attendant la fin du processus de recours à l’autorité compétente entre le Canada et les États-Unis. L’appelante n’a pas sollicité d’aide relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 24.Les autorités compétentes canadienne et suisse ont résolu les redressements en matière de prix de transfert concernant les sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur. Le ministre a établi une nouvelle cotisation, dont l’avis est daté du 14 décembre 2015, pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante, conformément à ce qu’ont résolu les autorités compétentes. La somme de 307 234 104 $ incluse dans les revenus a été réduite à 39 516 111 $. Aucun redressement n’a été effectué relativement à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 25.L’appelante s’est opposée à l’avis de nouvelle cotisation daté du 14 décembre 2015 par un avis d’opposition daté du 29 décembre 2015. L’appelante a réitéré son opposition aux sommes liées à l’emprunt souscrit auprès de DowEur et aux sommes liées à Dow US.

  • 26.Conformément à la résolution du processus de recours à l’autorité compétente entre le Canada et les États-Unis concernant l’appelante et Dow US, le ministre a établi une nouvelle cotisation, dont l’avis est daté du 13 avril 2017, pour l’année d’imposition 2006 de l’appelante. La nouvelle cotisation ne comportait pas de redressement des sommes liées à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

  • 27.L’appelante a interjeté appel devant notre Cour à l’encontre de sa dernière nouvelle cotisation concernant les sommes liées à l’emprunt souscrit auprès de DowEur.

Redressements en matière de prix de transfert correspondants par les partenaires de la Convention

  • 28.La Suisse a établi une cotisation à l’égard de DowEur concernant les sommes liées aux services de fabrication fournis à DowEur et les États-Unis ont établi une cotisation à l’égard de Dow US concernant les sommes liées à Dow US, conformément aux résolutions des autorités compétentes mentionnées aux paragraphes 24 et 26 ci-dessus.

  • 29.En ce qui concerne l’emprunt souscrit auprès de DowEur, la Suisse n’a pas augmenté le revenu imposable de DowEur en 2006 ou 2007 qui correspondait aux redressements à la baisse en matière de prix de transfert énoncés aux paragraphes 24 à 26 ci-dessus, c’est-à-dire qu’au Canada, en 2006, ce revenu s’élevait à 3 260 704 $ CA, soit la somme initialement proposée, et qu’en 2007, il s’élevait à 1 509 275 $ CA, soit la somme proposée et autorisée.

FAIT à Toronto (Ontario), le 14 février 2019.

Me Daniel Sandler

Me Allison Blackler

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

EY Tower

100 Adelaide Street West

C.P. 2

Toronto (Ontario) M5H 0B3

Tél. : 416-943-4434/604-891-8394

Téléc. : 416-943-2735

Avocats de l’appelante

FAIT à Toronto (Ontario), le 14 février 2019.

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

120 Adelaide Street West

Bureau no 400

Toronto (Ontario) M5H 1T1

Téléc. : 416-973-0810

Par : Me Henry A. Gluch

Me Samantha Hurst

Tél. : 647-256-7376/7388

Avocats de l’intimée


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 139

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-2616(IT)G

INTITULÉ :

DOW CHEMICAL CANADA ULC c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Observations écrites

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge K.A. Siobhan Monaghan

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 18 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Daniel Sandler

Me Allison Blackler

Avocats de l’intimée :

Me Henry Gluch

Me Samantha Hurst

Me Aleksandrs Zemdegs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Daniel Sandler

Cabinet :

EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « LIR »). Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions législatives sont des renvois à des dispositions de la LIR.

 

[2] Dans le cas du redressement de capital, l’effet sur le revenu ou la perte peut être différé, car le redressement est une diminution du prix de base rajusté ou du coût en capital des actifs.

[3] Dans le cas du redressement compensatoire de capital, l’effet sur le revenu ou la perte peut être différé, car le redressement est une augmentation du prix de base rajusté ou du coût en capital des actifs.

[4] L’appelante est la successeure de Dow Chemical Canada Inc., une société constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

[5] Les termes « cotisation » et « nouvelle cotisation » sont souvent utilisés de manière interchangeable dans les présents motifs, ce qui est conforme à la définition du terme « cotisation » dans la LIR.

[6] Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 [JP Morgan].

[7] Voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[8] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 [Trustco Canada].

[9] Ibid., par. 10.

[10] Voir les paragraphes 152(1.01), (1.1), (1.11), (1.5) et (3.3) de la LIR.

[11] Voir le paragraphe 152(1.2) de la LIR : « la présente section et la section J, dans la mesure où ces dispositions portent sur une cotisation ou une nouvelle cotisation [...] s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, [...] aux montants déterminés ou déterminés de nouveau en application de la présente section ».

[12] Paragraphe 168(4).

[13] Paragraphe 189(8): « s’appliquent [...] à tout avis de suspension prévu aux paragraphes 188.2(1) ou (2) comme si cet avis était un avis de cotisation établie en vertu de l’article 152 ».

[14] Paragraphe 202(3) : « pour l’application de ces dispositions à la présente partie, un avis de remboursement en vertu du présent article est réputé être un avis de cotisation ».

[15] 2009 CCI 70 [Lord Rothermere].

[16] La disposition mutatis mutandis renvoyait aux paragraphes 164(1) et (1.4) à (7), de sorte que, de toute évidence, elle incluait certaines parties de l’article 164, mais pas la totalité.

[17] 2010 CAF 180.

[18] Le budget fédéral du 18 février 1997, message budgétaire, mesures fiscales visant les sociétés.

[19] Avant-projet de loi et circulaire d’information sur les prix de transfert, 11 septembre 1997, publication du ministère des Finances 1997-076.

[20] Avis de motion de voies et moyens et notes techniques, budget fédéral de 1997, 8 décembre 1997, publication du ministère des Finances 1997-117.

[21] L.C. 1998, ch. 21, qui a reçu la sanction royale le 18 juin 1998.

[22] Des modifications subséquentes de l’article 247 ont des dates d’entrée en vigueur ultérieures, mais elles ne sont pas utiles à la discussion en l’espèce.

[23] Dans la loi édictée, la disposition mutatis mutandis de l’ébauche du paragraphe 247.1(3) est devenue le paragraphe 247(11) de la LIR. Les autres paragraphes de l’ébauche de l’article 247.1 ont été abandonnés.

[24] Les cotisations d’impôt établies au titre de la partie XIII peuvent découler de l’application de la partie XV. Les cotisations fondées sur les dispositions relatives aux prix de transfert pourraient aussi vraisemblablement découler de l’application de la partie XIII.1 ou de la partie XIV (établissement de l’impôt de succursale).

[25] Article 245.

[26] Paragraphe 245(6).

[27] Paragraphe 245(8).

[28] Quinco Financial Inc. c. La Reine, 2016 CCI 190, par. 37, conf. par 2018 CAF 137.

[29] Voir le paragraphe 152(1.2).

[30] Pour une raison autre que parce que le contribuable a omis de prendre dans les délais les mesures nécessaires pour donner suite à son appel.

[31] Voir la discussion plus loin, à la section IX des présents motifs.

[32] En d’autres termes, chaque partie de la LIR, à l’exception de la partie I.01 (portant sur le report des avantages liés aux options d’achat d’actions), de la partie XV.1 (portant sur la déclaration des télévirements), de la partie XVI (comprenant les dispositions anti-évitement des articles 245 et 246) et de la partie XIV (comprenant les dispositions sur l’interprétation).

[33] Les parties XIII et XIII.2, qui imposent des retenues d’impôt, sont des exceptions. Les cotisations et les appels liés à l’impôt établi en vertu de ces parties font l’objet des paragraphes 227(6),(6.1),(7), (7.1), (10) et (10.1) et de l’article 227.1 de la partie XV (Application et exécution).

[34] Voir, par exemple, les paragraphes 227(10) et (10.1) de la partie XV.

[35] C’est le cas des parties X.1 et X.2, mais pas des parties IV.1 et VI.1.

[36] Voir, par exemple, les paragraphes 152(4), (7) et (8). Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne suis pas convaincue que la détermination à laquelle renvoie le paragraphe 152(1.2) vise les décisions rendues en application du paragraphe 247(10).

[37] Les notes explicatives indiquent que le paragraphe 247(11) « fait en sorte que les dispositions de la partie I de la Loi concernant les cotisations, les paiements, les pénalités, les remboursements, les oppositions et les appels s’appliquent dans le cadre de la nouvelle partie XVI.1 de la Loi ».

[38] L.R.C. (1985), ch. T-2, dans sa version modifiée [la « Loi sur la CCI »].

[39] Paragraphes 169(1) et 171(1).

[40] Paragraphes 169(1.1) et 171(1.1).

[41] Paragraphe 152(1.2).

[42] Articles 173 et 174. Cependant, la Cour de l’impôt n’a pas compétence exclusive. Aux termes du paragraphe 17(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence, en première instance, pour toute question de droit, de fait ou mixte à trancher, aux termes d’une convention écrite à laquelle la Couronne est partie. Voir Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, par. 17 à 19. Voir aussi Bakorp Management Ltd. c. Canada, 2019 CAF 195 [Bakorp] où la Cour d’appel fédérale a fait observer que, si un appel n’est pas interjeté devant la Cour de l’impôt, cette dernière n’a pas compétence pour entendre un renvoi (par. 34 à 37). Cette restriction ne s’appliquerait pas à la Cour fédérale.

[43] Articles 166.2 et 167. La LIR confère à la Cour fédérale et aux cours supérieures des provinces la compétence sur certaines questions, notamment les mandats de perquisition et les ordonnances de recouvrement compromis, mais cette compétence est sans importance pour les questions en litige en l’espèce.

[44] Voir, par exemple, les paragraphes 204.81(9) et 172(3).

[45] Paragraphe 180(2).

[46] L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa version modifiée [la « Loi sur les CF »].

[47] Voir la définition d’« office fédéral » à l’article 2 et consulter les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les CF.

[48] La Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor (voir l’article 18.5 de la Loi sur les CF).

[49] Walker c. Canada, 2005 CAF 393, par. 11 [Walker].

[50] 2007 CSC 33, [2007] 2 R.C.S. 793, p. 797 [Addison & Leyen].

[51] Un exemple serait les décisions du ministre se rapportant à des demandes d’exemption d’intérêts ou de pénalités aux termes de ce qu’on appelle les dispositions d’équité, dont il est question plus loin dans les présents motifs.

[52] 2014 CAF 140 [Sifto].

[53] Sifto, par. 26.

[54] JP Morgan, par. 49 et 50.

[55] Voir Johnson c. Canada (ministre du Revenu national), 2015 CAF 51, par. 34 et 35.

[56] Voir, par exemple, Newton c. Canada (Revenu national), 2018 CF 343; Horseman c. Canada, 2016 CAF 252; Garbutt c. Canada, 2016 CF 1292; Canada Agence du revenu c. Société Télé-Mobile, 2011 CAF 89, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, et Brian William Karam c. Canada (Procureur Général), 2016 CAF 86, autorisation de pourvoi à la CSC refusée.

[57] La Reine c. Parsons, et al., [1984] 2 C.F. 331 (C.A.F.).

[58] S.R.C. 1927, ch. 97, dans sa version modifiée [« LIGR »].

[59] Voir les articles 58 à 69 de la LIGR.

[60] L.R.C. 1927, ch. 34, dans sa version modifiée [la « Loi sur la CÉ »].

[61] Alinéa 30c) de la Loi sur la CÉ.

[62] [1939] 4 D.L.R. 481 (Conseil privé) [Pioneer Laundry].

[63] Il s’agit d’un résumé du fonctionnement des dispositions de la LIGR. Le terme « revenu » s’entendait du « profit ou gain net annuel » et la restriction s’appliquait pour le calcul du revenu ou gain net annuel.

[64] [1939] R.C.S. 1. Le juge Davis a écrit les motifs dissidents au nom du juge en chef et en son propre nom.

[65] Ibid., p. 5.

[66] Voir les articles 58, 59 et 60 de la LIGR.

[67] Précitée, note 64, p. 8.

[68] Ibid., p. 6.

[69] Ibid., p. 7.

[70] Pioneer Laundry, p. 486.

[71] [1942] R.C.S. 178 [Noxzema].

[72] S.R.C. 1927, ch. 179, dans sa version modifiée [la « LSRG »].

[73] C’est expressément reconnu dans la décision de la Cour de l’Échiquier [1941] R.C. de l’É. 155, à la page 169, et dans l’arrêt Noxzema rendu par la Cour suprême du Canada, à la page 180.

[74] Noxzema, p. 185.

[75] Voir la note 61 et le texte qui y est associé.

[76] Noxzema, p. 186.

[77] Après l’arrêt Pioneer Laundry, le ministre a apparemment établi une nouvelle cotisation à l’égard de la société et a accordé une déduction pour amortissement de 1 $. La société a interjeté appel de cette nouvelle cotisation. La Cour de l’Échiquier a accueilli l’appel et a encore une fois renvoyé l’affaire au ministre. Voir [1942] R.C. de l’É. 179.

[78] [1949] A.C. 24 (Conseil privé) [Fraser].

[79] Fraser, p. 33.

[80] [1947] 1 D.L.R. 721 (Conseil privé), conf. [1946] R.C.S. 139 [Wrights’ Ropes].

[81] Wrights’ Ropes, p. 730.

[82] Wrights’ Ropes, p. 730.

[83] Wrights’ Ropes, p. 731.

[84] [1945] 4 D.L.R. 683 (Cour de l’Échiquier) [Nicholson], p. 685.

[85] Nicholson, p. 692.

[86] Ibid., p. 694.

[87] [1947] 1 D.L.R. 501 (Cour de l’Échiquier) [Pure Spring].

[88] Pure Spring, p. 516.

[89] Pure Spring, p. 522 et 523.

[90] Dans la décision Pure Spring, le juge Thorson renvoie à la décision Nicholson, qui a fait l’objet d’un appel devant la Cour suprême du Canada. Il semble que l’avis d’appel (ou peut-être la demande d’autorisation d’interjeter appel) ait été déposé le 5 novembre 1945 et qu’une ordonnance ait été prononcée le 17 juin 1946. Cependant, la nature de l’ordonnance n’est pas connue. Rien dans les archives n’indique que la Cour suprême du Canada a entendu l’appel.

[91] Pure Spring, p. 527 et 528. Plus récemment, dans l’arrêt 742190 Ontario inc. (Van Del Manor Nursing Homes) c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 162, la Cour d’appel fédérale a ainsi décrit l’établissement d’une cotisation (par. 6) : « [l]es mots « cotisation » ou « évaluation » s’entendent généralement de l’établissement par le ministre d’un montant à payer par la personne et englobent l’acte de l’établissement et le produit de l’établissement ». [Non souligné dans l’original.]

[92] Pure Spring, p. 529.

[93] Pure Spring, p. 531.

[94] Pure Spring, p. 531.

[95] Voir, par exemple, les décisions Stewart v. Minister of National Revenue, 50 D.T.C. 449 (C.A.I.), Donald Tecklenburg Brown v. Minister of National Revenue, 50 D.T.C. 156 (C.A.I.), et Anger v. Minister of National Revenue, 49 D.T.C. 65 (C.A.I.), qui portent chacune sur le pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 6(1)n) de la LIGR; la décision Estate of Norman K. MacDonald v. Minister of National Revenue, 50 D.T.C. 109 (C.A I.), qui porte sur le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre d’établir la valeur d’un don prévu par la LIGR et la décision Minister of National Revenue v. Robertson, [1954] R.C. de l’É. 321, qui concerne le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre d’établir la principale source de revenus d’un contribuable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.C. 1948. Voir aussi l’arrêt Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vezeau, 1995 CanLII 4733 (C.A. Qc), mentionné à la note 126.

[96] L.C. 1996, ch. 23 [la LAE].

[97] Voir l’alinéa 5(2)i) de la LAE.

[98] Voir l’alinéa 5(3)b) de la LAE.

[99] Voir l’article 90 de la LAE.

[100] Voir le paragraphe 103(3) de la LAE.

[101] Elia c. Canada (Revenu national), 1998 CanLII 19262 (C.A.F.), par. 2.

[102] Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national, [1994] A.C.F. no 1130 (C.A.F.), par. 18.

[103] Ferme Emile Richard et Fils Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1994] A.C.F. no 1859 (C.A.F.).

[104] 1999 CarswellNat 1458, [1999] A.C.F. no 878 (QL) (C.A.F.). Selon des arrêts plus récents, la portée du rôle de la Cour de l’impôt peut aller un peu plus loin, mais il ne fait pas de doute que l’avis exprimé est celui du ministre :

Le rôle du juge d’appel n’est donc pas simplement de se demander si le ministre était fondé de conclure comme il l’a fait face aux données factuelles que les inspecteurs de la commission avaient pu recueillir et à l’interprétation que lui ou ses officiers pouvaient leur donner. Le rôle du juge est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre, sous l’éclairage nouveau, paraît toujours « raisonnable » (le mot du législateur). La Loi prescrit au juge une certaine déférence à l’égard de l’appréciation initiale du ministre et lui prescrit, comme je disais, de ne pas purement et simplement substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.

[Non souligné dans l’original.]

Selon l’arrêt Pérusse c. Canada (Ministre du revenu national), [2000] A.C.F. no 310 (QL) (C.A.F.), par. 15, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée. Voir aussi les arrêts Valente c. Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 132, et Massignan c. Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 172.

[105] Ministre du Revenu national c. Jencan Ltd., [1998] 1 C.F. 187 (C.A.F.).

[106] Paragraphe 171(1).

[107] Paragraphe 165(3).

[108] Rendue le 26 août 1946.

[109] Rendu le 24 janvier 1946.

[110] Rendu le 11 décembre 1946.

[111] Wrights’ Ropes, p. 733 et 734. Le paragraphe 65(2) de la LIGR est ainsi libellé :

65. Lorsqu’un appel est inscrit pour instruction ou audition tel que prescrit ci‑dessus, tout fait ou toute disposition législative qui n’est pas énoncée dans cet avis d’appel ou avis de mécontentement peut être invoqué ou mentionné de la manière et aux conditions que le tribunal ou un juge de ce tribunal peut l’ordonner.

2. Le tribunal peut renvoyer la question au ministre pour plus ample considération.

Fait intéressant, dans l’arrêt Pioneer Laundry, le Conseil privé a approuvé et adopté le raisonnement des juges dissidents de la Cour suprême du Canada. Dans les motifs de ces derniers, le juge Davis et le juge en chef se seraient fondés sur le paragraphe 65(2) de la LIGR. Bien que le Conseil privé, à l’instar des juges dissidents de la Cour suprême, ait conclu que les cotisations devaient être annulées et que l’affaire devait être renvoyée au ministre, il n’a exprimé aucun avis sur la portée du paragraphe 65(2) de la LIGR. En revanche, dans l’arrêt Wrights’ Ropes, le Conseil privé a conclu que le [traduction] « pouvoir conféré à la Cour [...] de “renvoyer la question au ministre pour plus ample considération”, selon leurs Seigneuries, se limite aux affaires du type visé au » paragraphe 65(1), à savoir des [traduction] « questions qui ne sont pas énoncées dans l’avis d’appel ou l’avis de mécontentement ». (Voir la page 733.)

[112] Voir la décision 407 International Inc. c. La Reine, 2019 CCI 245, par. 15 et 16 [407]. Dans l’arrêt Windsor (City) c. Canadian Transit Co., 2016 CSC 54 [Windsor], la Cour suprême du Canada a indiqué qu’une cour d’origine législative, qui a été créée en vertu de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, comme la Cour fédérale et la Cour de l’impôt, n’a que la compétence conférée par la Loi et n’est pas dotée d’une compétence inhérente. Cependant, la Cour de l’Échiquier était aussi une cour créée en vertu de l’article 101, comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Windsor. La description de ce que Lord Greene a appelé dans l’arrêt Wrights’ Ropes la compétence inhérente de la Cour de l’Échiquier correspond à la description de compétence implicite dans la décision 407 : dans l’arrêt Wrights’ Ropes, répondre à la question posée (à savoir si la cotisation était correcte en droit) nécessitait la révision de la cotisation faisant l’objet de l’appel. Par conséquent, dans l’appel visant la cotisation, la Cour de l’Échiquier avait la compétence implicite de renvoyer la cotisation.

[113] ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51; R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 19, et High-Crest Enterprises Limited c. Canada, 2017 CAF 88, par. 39.

[114] R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, par. 19.

[115] Addison & Leyen, par. 11. Cité avec approbation dans les arrêts 1099065 Ontario Inc.(Outer Space Sports) c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 47, et JP Morgan.

[116] Ce résultat n’est pas propre à cette situation. Par exemple, la déclaration d’un contribuable peut faire l’objet d’une cotisation fondée sur le fait que son revenu s’élève à 50 500 $. Le ministre peut ensuite établir une nouvelle cotisation à l’égard du contribuable pour refuser la déduction d’une dépense de 500 $ demandée par le contribuable et accordée par le ministre lors de l’établissement de la cotisation initiale, mais pour autoriser la déduction d’une autre dépense de 500 $ demandée par le contribuable, mais refusée par le ministre lors de l’établissement de la cotisation initiale. La nouvelle cotisation ne fait aucune différence en ce qui a trait à l’impôt du contribuable. En revanche, le fondement sur lequel le revenu (et l’impôt qui en découle) a été calculé lors de la première cotisation était erroné.

[117] Bien sûr, dans certaines situations, la manière dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire ne sera pas l’unique motif de l’appel, même si les seuls motifs de l’appel se rapportent à l’application des dispositions relatives au prix de transfert. Par exemple, le montant du redressement en matière de prix de transfert pourrait aussi être en litige, peu importe si le non-résident n’a pas de lien de dépendance avec le contribuable et si la pénalité est imposée de manière appropriée. Si le contribuable obtient gain de cause sur au moins une des questions en litige, l’établissement d’une nouvelle cotisation sera nécessaire. Cependant, même si, comme dans l’appel interjeté par Dow Chemical, la seule question en litige concerne le bien-fondé de la décision du ministre prise en application du paragraphe 247(10), les pouvoirs qu’a la Cour de l’impôt dans l’examen d’appels de cotisations constituent un recours adéquat.

[118] JP Morgan, par. 92.

[119] JP Morgan, par. 93.

[120] Cette catégorie comprend les pouvoirs discrétionnaires visés aux articles 207.06, 207.64 et 207.8 (renonciation à l’impôt), à l’article 161.3 ainsi qu’au paragraphe 220(3.1) (renonciation aux intérêts et aux pénalités).

[121] Cette catégorie comprend les pouvoirs discrétionnaires comme ceux visés au paragraphe 165(6) (acceptation d’un avis d’opposition qui n’a pas été signifié selon les modalités de signification prévues), au paragraphe 212(5.3) (réduction de la retenue d’impôt), au paragraphe 220(2.1) (renonciation à l’exigence de dépôt d’un document), au paragraphe 220(3.2) (choix produit ou modifié en retard), ainsi que les pouvoirs qui autorisent le ministre (mais ne l’obligent pas) à établir une cotisation, comme à l’article 160 ou aux paragraphes 152(4.2) et 227(10) à (10.1).

[122] Dans cette troisième catégorie, je ne fais pas référence aux dispositions qui permettent au ministre de renoncer à l’impôt par ailleurs à payer, mais plutôt aux dispositions qui portent sur le calcul de l’impôt à payer en premier lieu.

[123] L’obligation d’établir une nouvelle cotisation ne figurait pas dans la version originale du paragraphe 220(3.1), mais elle a été ajoutée et elle prenait effet à la date d’application du paragraphe 220(3.1). Voir le paragraphe 181(1) de L.C. 1994, ch. 7, annexe II, et le paragraphe 127(2) de L.C. 1994, ch. 7, annexe VIII. Fait intéressant, la Loi sur la taxe d’accise ne semble pas imposer au ministre l’obligation d’établir une cotisation après les demandes de renonciation aux intérêts et aux pénalités en application de l’article 281.1 de la Loi sur la taxe d’accise, la disposition comparable au paragraphe 220(3.1).

[124] Voir les paragraphes 165(1.2) et 169(1).

[125] Voir les paragraphes 165(1.1) et 169(2). Cependant, une cotisation sera établie en application du paragraphe 220(3.4) uniquement si le ministre accepte d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.2).

[126] À l’exception du paragraphe 165(1.2), on peut soutenir que les cotisations établies au titre des dispositions d’équité pourraient faire l’objet d’une opposition et d’un appel devant la Cour de l’impôt. Cette observation a été formulée dans la décision Germain Pelletier Ltée c. La Reine, 2001 CanLII 631 [Germain Pelletier], où la Cour de l’impôt a accueilli un appel interjeté à l’encontre de pénalités imposées en application de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) alors que le ministre avait refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour renoncer à ces pénalités. Dans cette décision, la Cour a indiqué ce qui suit (à la page 10) :

Mon analyse des dispositions de la Loi [Loi sur la taxe d’accise] concernant cette discrétion ministérielle me confirme qu’il [l’avocat de l’intimée] avait raison de ne pas soulever le point de manque de compétence de notre Cour. Ainsi que je l’ai déjà mentionné aux paragraphes 25 et 26 de ces motifs, il semblait accepté par la jurisprudence que notre Cour ne pouvait pas réviser le pouvoir discrétionnaire du Ministre exercé en vertu de l’article 281.1 de la Loi. Après lecture attentive de la Loi, je crois que ce n’est pas le cas. Une disposition apparemment analogue, mais en fait différente de la Loi de l’impôt sur le revenu a amené une certaine confusion.

En vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le Ministre exerce un pouvoir discrétionnaire similaire concernant les pénalités et les intérêts. La décision du Ministre à la suite de cet exercice s’exprime par une cotisation selon le paragraphe 220(3.7) de cette même loi. Cette cotisation n’est pas sujette au processus d’appel devant notre Cour selon le paragraphe 165(1.2) de cette même loi. En conséquence, c’est la Cour fédérale qui a compétence [...]

Sous la Loi, la disposition qui prévoit la renonciation par le Ministre des intérêts et pénalités, est prévue par l’article 281.1. En vertu du paragraphe 296(1) de la Loi, le Ministre peut établir une cotisation à la suite de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La procédure de l’opposition est prévue à l’article 301 et il n’y a pas d’exception pour les cotisations établies à la suite de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. La procédure de l’appel est à l’article 302 et c’est cette Cour qui entend les appels des cotisations sous la Loi. Donc, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre est sujet à révision par cette Cour.

[Non souligné dans l’original.]

Dans d’autres affaires, l’exercice qu’a fait le ministre du pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts et pénalités en application de la Loi sur la taxe d’accise a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. Voir, par exemple, l’arrêt Vitellaro c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 166 (redressement demandé en application de la LIR et de la Loi sur la taxe d’accise), les décisions Isaac c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 410; Brickenden c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CF 929 (redressement demandé en application de la LIR et de la Loi sur la taxe d’accise), Drag c. Canada (Revenu national), 2014 CF 367, conf. par 2014 CAF 291; Gordon c. Canada (Procureur général), 2016 CF 643; Dougal & Co. Inc. c. Canada (Procureur général), 2017 CF 1075, et Pathak c. Canada (Revenu national), 2019 CF 252 (redressement demandé en application de la LIR et de la Loi sur la taxe d’accise). La question de compétence mentionnée dans l’affaire Germain Pelletier n’a été examinée dans aucune de ces décisions. Néanmoins, on pourrait considérer que la décision Germain Pelletier est conforme à la jurisprudence issue de la LIGR en ce qui a trait à la portée de la compétence d’appel à l’égard de l’exactitude d’une cotisation. De même, dans l’arrêt Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vezeau, 1995 CanLII 4733 (C.A. Qc) [Vezeau], la Cour d’appel du Québec a examiné une disposition qui permettait au ministre du Revenu du Québec d’annuler ou de réduire des intérêts si le ministre estimait que, n’eût été de l’erreur ou de la négligence n’étant pas le fait du contribuable ou d’une personne agissant au nom du contribuable, ces intérêts n’auraient pas couru. La nouvelle cotisation établie à l’égard du contribuable imposait à ce dernier des intérêts et, bien que le contribuable n’ait pas contesté l’impôt sous-jacent, il a demandé une réduction des intérêts ayant couru en raison du retard dans l’établissement de la nouvelle cotisation au Québec après l’établissement de la nouvelle cotisation correspondante sous le régime de la LIR. Lorsque le ministre québécois a refusé de le faire, le contribuable a interjeté appel. Le ministre a fait valoir qu’il existait une différence entre une cotisation imposant des intérêts établie en vertu de dispositions des lois pertinentes et la décision d’annuler ou de réduire les intérêts, affirmant ainsi que, dans le premier cas, il est possible d’interjeter appel, mais que, dans le second cas, ce n’est pas possible et que l’unique mesure de redressement serait le contrôle judiciaire. La Cour d’appel du Québec n’était pas de cet avis et a indiqué ce qui suit :

[traduction]

En toute déférence, cette distinction me paraît artificielle et encombrante. Même s’il est vrai que la Loi sur les impôts et la Loi sur le ministère du Revenu sont deux lois distinctes, elles sont complémentaires en plusieurs aspects. Les « intérêts » visés à l’article 94.1 [la disposition de la Loi sur le ministère du Revenu qui permettait au ministre de réduire ou d’annuler des intérêts] sont les mêmes que ceux imposés dans la cotisation établie par le ministre. Évidemment, on ne demanderait pas au ministre de les annuler ou de les réduire s’il n’avait pas d’abord établi de cotisation ou de nouvelle cotisation les imposant.

Je ne vois pas non plus pourquoi la Cour ne devrait pas tenir compte de l’article 94.1 et de la décision du ministre lorsqu’elle tranche un appel interjeté au titre de l’article 1066 de la Loi sur les impôts se rapportant aux intérêts imposés par une cotisation. À moins que la Cour ne tienne compte de l’article 94.1, l’appel sera vraisemblablement inutile étant donné que, sans l’article 94.1, les intérêts seraient encore à payer sur les dettes fiscales à la Couronne. En pratique, si la Cour du Québec ne peut pas, en appel, tenir compte de l’article 94.1 lorsqu’elle décide si des intérêts imposés par le ministre sont dus, le droit d’interjeter appel d’intérêts serait pratiquement inexistant.

Je ne pense pas que c’était l’intention qu’avait le législateur. À mon avis, en accordant un droit d’appel au titre de l’article 1066 de la Loi sur les impôts pour faire annuler ou modifier la « cotisation », le législateur voulait étendre le droit d’appel à toutes les questions visées par la cotisation, notamment les intérêts.

La décision de la Cour d’appel du Québec ne lie pas la Cour de l’impôt. Néanmoins, son approche quant à la question est semblable à celle suivie dans la jurisprudence relative à la LIGR. Fait intéressant, elle est arrivée à la conclusion à laquelle elle est parvenue même si le pouvoir discrétionnaire de réduire les intérêts ou d’y renoncer était prévu dans une toute autre loi. Cependant, que les avis exprimés dans la décision Germain Pelletier et dans l’arrêt Vezeau s’appliquent ou non dans le contexte de décisions ministérielles rendues en application des dispositions d’équité ou des dispositions de la LIR qui permettent au ministre d’annuler l’impôt ou d’y renoncer, discutées plus loin, à mon avis, les pouvoirs discrétionnaires d’annuler des intérêts, des pénalités ou un impôt, de les réduire ou d’y renoncer se distinguent du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 247(10). Les présents motifs ne devraient pas être interprétés comme indiquant ou concluant que l’approche adoptée dans la décision Germain Pelletier ou dans l’arrêt Vezeau s’appliquera dans les affaires où l’élément contesté est l’exercice qu’a fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts et pénalités en application de la Loi sur la taxe d’accise ou aux impôts en application de la LIR.

[127] Ou au cours d’une période prolongée permise en vertu d’une exception pertinente à la période normale de nouvelle cotisation.

[128] L’arrêt Bakorp illustre ce principe. Dans cette affaire, l’année d’imposition 1992 du contribuable n’avait pas été portée en appel devant la Cour de l’impôt et elle ne pouvait pas l’être, étant donné que le délai pour soulever une opposition et faire appel avait expiré depuis longtemps.

[129] Paragraphe 152(8). Au titre de la disposition mutatis mutandis, dans chacune de ces parties, l’article 152 de la LIR s’applique avec les adaptations nécessaires. Chacune de ces parties permet donc l’établissement d’une cotisation au titre de la partie pertinente après la renonciation à tout ou partie de l’impôt ou son annulation en tout ou en partie.

[130] En fait, le contribuable pourrait vraisemblablement demander au ministre la renonciation ou l’annulation à l’égard de l’impôt lorsqu’il produit sa déclaration selon laquelle il doit payer de l’impôt en application de la partie, sur le fondement que les facteurs que le ministre doit prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire étayent pleinement la renonciation.

[131] Comme cela a été indiqué plus haut, cet avis était celui énoncé dans la décision Germain Pelletier et l’arrêt Vezeau.

[132] Voir la décision Robitaille v. The Queen, 2019 TCC 200 (procédure informelle), renvoyant à l’arrêt Almadhoun c. Canada, 2018 CAF 112; Neubauer c. La Reine, 2006 CCI 457 (procédure informelle) [Neubauer]; Lennox c. La Reine, 2009 CCI 360 (procédure informelle) renvoyant à la décision Neubauer; et Lans c. La Reine, 2011 CCI 121 (procédure informelle), renvoyant à la décision Neubauer, conf. par 2011 CAF 290. L’arrêt Hunt c. Canada, 2020 CAF 118, portait uniquement sur la dimension constitutionnelle des dispositions conférant au ministre le pouvoir de renoncer à l’impôt, mais puisque la question n’a pas pleinement fait l’objet d’observations, elle n’a pas été tranchée. Voir aussi les décisions Connolly c. Canada (Revenu national), 2017 CF 1006, conf. par 2019 CAF 161, et Pouchet c. Canada (Procureur général), 2018 CF 473.

[133] Voir la note 126. La demande visant une renonciation à l’impôt présentée en application de ces parties pourrait également viser la renonciation à des intérêts ou à des pénalités en application des dispositions d’équité. Ces deux demandes pourraient donner lieu à une seule cotisation. Dans ce contexte, on peut constater l’avantage à ce qu’il y ait une seule instance devant la Cour fédérale, plutôt qu’une instance devant la Cour fédérale au titre des dispositions d’équité et une deuxième instance devant la Cour de l’impôt pour la question de la renonciation à l’impôt. Cependant, pour les motifs qui suivent, je pense que le paragraphe 247(10) porte sur un pouvoir d’une nature différente.

[134] Hunt c. La Reine, 2018 CCI 193, par. 29, conf. pour des motifs plus circonscrits par 2020 CAF 118.

[135] Voir le paragraphe 91(2).

[136] Les dispositions liées aux déductions accordées aux petites entreprises confèrent aussi au ministre le pouvoir d’établir le montant du « revenu de société déterminé » : voir l’alinéa b) de la définition du terme « revenu de société déterminé » au paragraphe 125(7), qui renvoie à « une somme que le ministre juge raisonnable dans les circonstances ». Lorsque le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire, il y a un effet direct sur l’impôt à payer plutôt que sur le revenu ou le revenu imposable. Il s’agit néanmoins d’une décision prise avant l’établissement d’une cotisation et, par conséquent, elle ressemble en de nombreux points à la décision prise en application du paragraphe 247(10) et des dispositions de la LIGR examinées plus haut. Cependant, pour les besoins de la présente décision, il n’est pas utile que je les caractérise.

[137] JP Morgan, par. 77.

[138] Johnson c. Canada, 2015 CAF 51, par. 26.

[139] Voir l’arrêt Canada c. Anchor Pointe Energy ltd., 2007 CAF 188, par. 32 et 33.

[140] 2010 CAF 162, par. 6.

[141] Même si la différence est mince, je ne pense pas que la conclusion que je tire en l’espèce contredise l’arrêt Main Rehabilitation Co. c. Canada, 2004 CAF 403, autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée (2005), 343 N.R. 196, et des affaires semblables portant sur des plaintes concernant la conduite de fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada au cours des processus d’établissement de la cotisation ou d’opposition, lesquels peuvent être considérés comme étant purement administratifs, plutôt que quasi judiciaires. La conduite des fonctionnaires dont il est question dans ces affaires est trop éloignée de l’exactitude de la cotisation. L’exactitude de la cotisation dépend de l’examen correct des faits pertinents et de l’application correcte des dispositions de la LIR en vue de l’établissement correct de la dette fiscale. Voir, par exemple, la décision Chrysler Canada inc. c. Canada, 2008 CF 727, conf. par 2008 CF 1049; Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136.

[142] Fraser, p. 32.

[143] Fraser, p. 35 et 36.

[144] Les autres pouvoirs discrétionnaires figurant dans la troisième catégorie de pouvoirs discrétionnaires que j’ai mentionnée plus haut concernent l’établissement de montants, donc on peut dire qu’ils supposent deux pouvoirs discrétionnaires, qu’il s’agisse d’établir si l’affaire justifie une déduction en application du paragraphe 91(2) ou de l’alinéa 111(1.1)c) ou d’établir le revenu de société déterminé pour l’application de la déduction accordée aux petites entreprises et, le cas échéant, d’établir le montant approprié.

[145] Addison & Leyen, par. 11.

[146] JP Morgan, par. 82.

[147] La Cour d’appel fédérale a indiqué que l’article 18.5 de la Loi sur les CF « doit être interprété, dans la mesure du possible, de manière à éviter les procédures parallèles devant la Cour fédérale et la Cour canadienne de l’impôt, à l’égard de deux questions essentiellement identiques ». Voir l’arrêt Walker, par. 13.

[148] Voir le paragraphe 171(4) de la LIR et les paragraphes 27(1.1) et (1.2) de la Loi sur les CF.

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