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Dossier : 2018-3496(IT)G

ENTRE :

BOYD B. HARDING,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 1er novembre 2021,

à Fredericton (Nouveau-Brunswick).

Devant : l’honorable juge Gabrielle St-Hilaire.


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me John D. Townsend, c.r.

Me Peter Ashfield

Avocate de l’intimée :

Me Rhoda Lemphers

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs de jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) pour l’année d’imposition 2013 est accueilli, mais seulement dans la mesure des concessions faites par l’intimée, et l’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2014 et 2015 est rejeté. Les dépens sont adjugés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

La juge St-Hilaire

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de janvier 2023.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022 CCI 3

Date : 20220111

Dossier : 2018-3496(IT)G

ENTRE :

BOYD B. HARDING,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de l’appel interjeté à l’encontre de nouvelles cotisations établies en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») [1] à l’égard des années d’imposition 2013, 2014 et 2015. Le paragraphe 15(1) prévoit que lorsqu’une société a conféré un avantage à un actionnaire, la valeur de cet avantage est incluse dans le revenu de l’actionnaire.

[2] L’appelant, M. Boyd B. Harding, est un homme d’affaires très prospère. Il est l’unique actionnaire et l’unique administrateur de 654818 N.B. Ltd. (la « société 654 »), une société de portefeuille, qui est à son tour l’actionnaire majoritaire de Boyd B. Harding Ltd. (la « société BBH Ltd. »). M. Harding est un actionnaire et l’unique administrateur de la société BBH Ltd. [2] qui exploite une entreprise forestière et dont le revenu annuel est généralement d’environ 18 millions de dollars et le bénéfice d’environ 1 million de dollars.

[3] Au cours des années d’imposition pertinentes, la société BBH Ltd. a payé des primes à l’égard de polices d’assurance qui assuraient la vie de l’appelant et celle de sa conjointe et pour lesquelles, à certains moments, les bénéficiaires étaient sa conjointe et ses beaux-enfants. Les primes n’ont jamais été remboursées à la société BBH Ltd. Il n’est pas controversé entre les parties que l’appelant n’avait pas de lien de dépendance avec les bénéficiaires. Elles conviennent également que la conjointe de l’appelant n’a jamais été un actionnaire ou un employé clé de la société BBH Ltd. ou de la société 654.

[4] Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Harding afin d’inclure les avantages conférés à l’actionnaire dans son revenu, au titre des primes d’assurance, dont les sommes totalisaient 152 116,41 $, 228 925,09 $ et 140 973,01 $ pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 respectivement. L’intimée a reconnu que la somme pour l’année d’imposition 2013 doit être réduite à 106 703,26 $ [3] .

II. Question en litige

[5] La question en litige dans le présent appel est de savoir si le ministre a eu raison d’inclure les avantages conférés à l’actionnaire dans le revenu de l’appelant pour les années d’imposition pertinentes. Plus précisément, la question est de savoir si la société BBH Ltd. a conféré un avantage à l’appelant au sens du paragraphe 15(1) de la Loi lorsqu’elle a payé les primes des polices d’assurance, dont deux assuraient la vie de sa conjointe et dont toutes désignaient sa conjointe ou ses beaux-enfants comme bénéficiaires.

III. Discussion

[6] Dans un exposé conjoint partiel des faits (l’« exposé partiel »), les parties ont produit un compte rendu détaillé des changements apportés à la propriété et aux bénéficiaires de quatre polices d’assurance qui sont pertinentes quant au présent appel et que je désignerai comme les polices no 113, 114, 115 et 116 [4] . Les annexes A, B et C, jointes à l’exposé partiel, donnent des précisions quant aux propriétaires, aux assurés et aux bénéficiaires des quatre polices ainsi que relativement aux paiements des primes effectués par la société BBH Ltd. pour chacune des années d’imposition 2013, 2014 et 2015. Les annexes A, B et C sont jointes aux présents motifs.

[7] Tout en reconnaissant que, dans la réponse modifiée à l’avis d’appel, l’intimée a concédé que la somme ayant fait l’objet d’une cotisation pour 2013 doit être réduite, les montants des primes d’assurance qui ont fait l’objet d’une cotisation à titre d’avantages conférés aux actionnaires ne sont par ailleurs pas en litige. En outre, dans leur exposé partiel, les parties ont convenu des dates auxquelles plusieurs changements ont été apportés aux propriétaires ou aux bénéficiaires des quatre polices d’assurance. Il n’est donc pas nécessaire d’entrer dans les moindres détails des polices et des nombreux changements qui y ont été apportés pendant plusieurs années. Il suffit de résumer comme suit les faits pertinents pour chaque police [5] :

  • Les polices no 113, 114 et 115 sont entrées en vigueur à divers moments en 2010, tandis que la police no 116 est entrée en vigueur en 2011 [6] .

  • La police no 113 a été annulée en décembre 2014 et la police no 116 a été annulée en novembre 2015.

  • Assurance-vie :

  • o La police no 113 et la police no 116 assuraient la vie de Deborah Harding, la conjointe de l’appelant, pour 400 000 $ et 4 000 000 $ respectivement.

  • o La police no 114 et la police no 115 assuraient la vie de l’appelant, pour 2 000 000 $ chacune.

  • Bénéficiaires :

  • o Police no 113 : Les beaux-enfants de l’appelant en étaient les bénéficiaires pendant toute la durée de la police.

  • o Police no 114 : à partir du 18 juillet 2013 et jusqu’au 21 novembre 2015, Deborah Harding était la bénéficiaire à 75 %; la société 654 était la bénéficiaire des 25 % restants [7] .

  • o Police no 115 : à partir du 18 juillet 2013 et jusqu’au 21 novembre 2015, Deborah Harding était l’unique bénéficiaire [8] .

  • o Police no 116 : à partir du 18 juillet 2013 et jusqu’au 26 novembre 2014, les beaux-enfants de l’appelant étaient les bénéficiaires à 75 %; la société 654 était la bénéficiaire des 25 % restants [9] .

[8] L’appelant a témoigné que Nicole Haley, parfois appelée Nicole Geneau [10] , sa belle-fille et courtière d’assurance agréée, était responsable de son portefeuille d’assurance et qu’elle avait apporté divers changements aux désignations des bénéficiaires à son insu. L’appelant a affirmé qu’il ne savait pas qu’il y avait une police d’assurance-vie pour sa conjointe et qu’il ne savait pas non plus que sa conjointe et ses beaux-enfants étaient bénéficiaires de l’une ou l’autre des polices. Par conséquent, selon l’appelant, on ne peut affirmer que la société BBH Ltd. avait l’intention de lui conférer un avantage. Selon lui, il s’ensuit qu’aucun avantage conféré à un actionnaire ne peut lui être conféré en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi.

[9] L’intimée fait valoir que l’appelant connaissait ou aurait dû connaître les polices d’assurance, notamment la personne qui aurait été apte à recevoir un paiement en cas de décès de l’assuré. L’intimée fait valoir que, malgré l’ignorance possible de l’appelant, étant donné qu’il aurait dû être au courant de l’existence de ces polices, cela n’empêche pas de conclure que la société BBH Ltd. lui a conféré un avantage en vertu du paragraphe 15(1) lorsqu’elle a payé les primes des polices dont les membres de sa famille étaient les bénéficiaires.

[10] La partie pertinente du paragraphe 15(1) de la Loi est rédigée comme suit :

15 (1) La valeur de l’avantage qu’une société confère, à un moment donné, à son actionnaire [...] est incluse dans le calcul du revenu de l’actionnaire [...] pour son année d’imposition qui comprend ce moment, sauf dans la mesure où [...] [11]

[Non souligné dans l’original.]

[11] L’objet du paragraphe 15(1) de la Loi est d’« inclure » les paiements et les avantages qui reviennent à un actionnaire autrement que par la voie traditionnelle des dividendes et qui pourraient revenir à l’actionnaire par la voie plus habituelle des dividendes si la société et l’actionnaire n’avaient aucun lien de dépendance [12] .

[12] En l’espèce, il n’est pas controversé que l’appelant avait un lien de dépendance avec la société BBH Ltd. et, de plus, il est admis que l’appelant avait un lien de dépendance avec les bénéficiaires des polices d’assurance.

[13] La question centrale dans le présent appel est de savoir si la société BBH Ltd. a conféré un avantage à l’appelant en payant les primes pour les polices d’assurance no 113, no 114, no 115 et no 116 à l’époque où les bénéficiaires incluaient sa conjointe et ses beaux-enfants au cours des années d’imposition pertinentes.

[14] Dans l’arrêt Pillsbury, la Cour de l’Échiquier a donné des indications sur le sens du terme conférer. Dans un paragraphe souvent invoqué, la Cour a observé :

[traduction]

[…] Il doit y avoir un « avantage » et cet avantage doit être « conféré » par une société à un « actionnaire ». Le verbe « conférer » signifie « accorder » ou « attribuer ». Même si une société a adopté formellement une résolution pour accorder un privilège ou un statut spécial à ses actionnaires, la question de savoir si la société avait l’intention de conférer un avantage à ses actionnaires ou si elle voulait inciter ses actionnaires à la soutenir financièrement est une question de fait. Cela étant, il faut également considérer comme une question de fait chaque cas où le ministre prétend que ce qui ressemble à une opération commerciale ordinaire entre une société et un actionnaire n’est pas authentique et qu’il s’agit plutôt en réalité d’une méthode, d’un arrangement ou d’un plan visant à conférer un avantage à l’actionnaire en sa qualité d’actionnaire [13] .

[Non souligné dans l’original.]

[15] Dans l’arrêt Laliberté c. Canada [14] , la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’elle avait retenu l’analyse de l’arrêt Pillsbury dans plusieurs décisions. En résumant certains des principes clés établis dans l’arrêt Pillsbury, la Cour d’appel fédérale a reconnu que la recherche requise est intrinsèquement factuelle et qu’un avantage est conféré lorsqu’une société effectue des opérations qui ne sont pas des opérations commerciales effectuées de bonne foi, mais plutôt des opérations effectuées à des fins personnelles [15] .

[16] Dans ses observations, l’avocat de l’appelant a reconnu que les polices d’assurance n’avaient pas d’objectif commercial légitime [16] . Il a renvoyé au témoignage de M. Frederick H. McCain, le comptable de l’appelant et de ses sociétés. M. McCain a déclaré qu’[traduction] « il ne devrait pas y avoir de police dont le bénéficiaire n’est pas une entreprise » parce que [traduction] « ce n’est pas nécessaire pour les affaires » et [traduction] « ce n’est tout simplement pas approprié » [17] . Il a clairement exprimé l’opinion que les polices d’assurance dont la conjointe de l’appelant ou les enfants de celle-ci étaient les bénéficiaires n’avaient pas d’objectif commercial, n’étaient pas logique d’un point de vue commercial et n’étaient pas appropriées. Je conclus que les paiements sur les polices d’assurance dont la conjointe de l’appelant et ses beaux-enfants étaient les bénéficiaires n’étaient pas des opérations commerciales effectuées de bonne foi.

[17] L’appelant a reconnu que le paiement par la société BBH Ltd. des primes à l’égard des polices d’assurance-vie en litige constitue un avantage au sens du paragraphe 15(1) de la Loi [18] . Cependant, il a soutenu qu’il n’y avait aucune intention de la part de la société BBH Ltd. de conférer un avantage à l’appelant et que, par conséquent, il n’y a pas d’avantage conféré à l’actionnaire aux termes de la Loi. L’avocat de l’appelant a cherché à s’appuyer sur une jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, Canada c. Chopp [19] à l’appui de cette thèse.

[18] Dans l’arrêt Canada c. Chopp, la Cour d’appel fédérale a cité avec approbation l’observation suivante tirée de la décision de la Cour canadienne de l’impôt :

Je pense qu’un avantage peut être conféré, au sens du paragraphe 15(1), sans qu’on ait eu l’intention de le faire ou sans que l’actionnaire ou la société en ait été véritablement informé si les circonstances sont telles que l’actionnaire ou la société aurait dû savoir qu’un avantage était ainsi conféré et n’a rien fait pour annuler cet avantage, si on n’avait pas l’intention de le donner. Je parle de sommes d’une certaine importance. Si une erreur a véritablement été commise au niveau de la tenue de livres concernant une dépense particulière, et que la somme est assez importante comparativement aux revenus de l’entreprise ou à ses dépenses ou au regard du solde dans le compte de prêt d’un actionnaire, le tribunal peut conclure que l’erreur aurait dû être détectée par les employés ou les actionnaires de la société ou par les vérificateurs. Il ne faut pas encourager les actionnaires à mettre à l’épreuve les limites du paragraphe 15(1) pour ensuite faire valoir qu’ils n’avaient pas l’intention de conférer un avantage ou qu’ils n’étaient pas au courant [20] .

[Non souligné dans l’original.]

[19] Le représentant de l’appelant a affirmé que, vu les circonstances de l’espèce, les montants des primes n’étaient pas importants sur le plan comptable, qu’il n’y avait pas de méthode, d’arrangement ou de dispositif pour conférer un avantage à l’actionnaire et qu’il s’agissait simplement d’une erreur, facilitée par un membre de la famille digne de confiance. Si j’ai bien compris son argument, tout cela démontre qu’il n’y avait aucune intention de conférer un avantage à l’appelant.

[20] Je retiens le point de vue du juge Mogan exprimé dans la décision Chopp, approuvé par la Cour d’appel fédérale, selon lequel un avantage peut être conféré sans qu’on ait eu l’intention de le faire ou sans que l’actionnaire en ait été véritablement informé et qu’il est loisible à la Cour de conclure que les circonstances sont telles que l’actionnaire aurait dû savoir. Si l’appelant ne savait pas, la question est alors de savoir s’il aurait dû savoir qu’un avantage lui avait été conféré.

[21] L’appelant a témoigné qu’il ne savait pas qu’il y avait des polices d’assurance pour sa conjointe et, de plus, il a témoigné qu’il ne savait pas que sa conjointe et ses beaux-enfants étaient bénéficiaires des polices d’assurance en cause. L’appelant soutient que sa belle-fille Nicole, qui lui a fait des entourloupettes et lui a vendu des polices d’assurance inappropriées, l’a dupé et a fait changer les bénéficiaires pour qu’elle et ses frères et sœurs en bénéficient. Je note que Nicole n’a pas été appelée à témoigner, pas plus que les autres beaux-enfants. J’examinerai maintenant les éléments de preuve présentés au procès, plus précisément, ceux qui ont trait aux états financiers et aux formulaires de désignation de bénéficiaires.

[22] M. McCain a témoigné que lui et l’appelant avaient signé les états financiers de la société BBH Ltd. pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015. Au cours de son témoignage, l’appelant a reconnu avoir signé ces états financiers. M. McCain a ajouté que, dans son rôle de comptable de l’appelant et de ses sociétés, il [traduction] « a effectué chaque année un examen des états financiers [de l’appelant] pour toutes ses sociétés » [21] . M. McCain a fait valoir qu’il avait examiné les états financiers avec l’appelant au moment de la signature.

[23] Les états financiers de la société BBH Ltd. pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 ont été déposés en preuve. Les frais d’assurance sont de 149 760 $, 315 376 $ et 150 420 $ pour chacune des trois années respectivement et sur les 19 postes de dépenses, ils figurent parmi les six, cinq et six premiers postes de dépenses pour chaque année respective [22] . Bien que les primes d’assurance représentent une petite partie des frais totaux de la société BBH Ltd., une lecture attentive des chiffres des 19 postes de dépenses lors de l’examen et de la signature des états financiers aurait révélé l’importance des sommes payées en primes d’assurance.

[24] M. McCain a reconnu qu’il préparait également les états financiers de la société 654 et qu’il savait que la société BBH Ltd. payait les primes au titre des polices d’assurance et que ces frais étaient ensuite transférés à la société 654 [23] . M. McCain a reconnu que ces frais figuraient dans les états financiers et les déclarations T2 de la société 654, que l’appelant a examinés et signés. Il a témoigné que cela aurait été le processus pour les trois années d’imposition en cause. M. McCain a confirmé que les frais liés aux primes d’assurance constituaient [traduction] « [a]bsolument » le montant le plus important des frais figurant dans les états financiers de la société 654 et qu’[traduction] « [i]l y avait très peu d’autres frais » [24] . Je conclus que les frais d’assurance étaient importants par rapport aux frais engagés par la société BBH Ltd. et encore plus par rapport à ceux de la société 654.

[25] Selon les relevés d’anniversaire d’assurance-vie de 2013 et 2014 pour les polices no 115 et no 116 déposés en preuve par l’intimée, Co-operators Compagnie d’assurance-vie a adressé des documents d’assurance à la société 654 [25] . Je note que ces relevés identifiaient l’assuré ainsi que les bénéficiaires, qui comprenaient la conjointe de l’appelant ou ses beaux-enfants [26] . Un relevé annuel daté du 27 juillet 2015 pour la police no 114 est également adressé à la société 654 [27] .

[26] M. McCain a longuement témoigné de la façon dont il a été impliqué dans les demandes de renseignements faites au sujet des problèmes d’assurance de l’appelant. Lors de son contre-interrogatoire, M. McCain a affirmé qu’il n’était normalement pas chargé de donner des conseils à l’appelant au sujet des polices d’assurance. Je ne passerai pas en revue tous les renseignements contenus dans les différentes chaînes de courriels à l’égard desquelles M. McCain a témoigné. En gardant à l’esprit qu’elles contiennent une quantité importante de ouï-dires, je pense qu’il est juste de les résumer comme donnant la preuve que M. McCain a participé à la tentative d’obtenir des renseignements sur les polices d’assurance en 2015 et 2016. Il a témoigné qu’il pensait que la question avait été mise en lumière à la fin de 2014 et que les choses avaient été réglées avant que la société BBH Ltd. ne fasse l’objet d’un audit vers avril 2016.

[27] M. McCain a témoigné qu’il a d’abord pensé que quelque chose n’allait pas concernant les polices d’assurance lorsque M. David Reid, le conseiller en investissement de l’appelant, a noté que les coûts d’assurance semblaient élevés. La correspondance par courriel qui a eu lieu en octobre 2015 entre M. McCain et M. Reid indique que M. McCain se renseignait auprès d’autres personnes au sujet des polices d’assurance afin de déterminer la raison du montant de l’assurance. Je note que dans cette correspondance électronique, M. McCain écrit qu’il a laissé des messages pour l’appelant, mais qu’il n’a pas reçu de réponse [28] . Dans une autre correspondance électronique de M. Reid concernant la raison pour laquelle la conjointe de l’appelant était assurée pour quatre millions de dollars, M. McCain a écrit que l’appelant était [traduction] « un peu cachotier (si tel est le mot) à propos de ces choses » [29] . M. McCain a témoigné que l’information reçue de Nicole n’arrivait pas et qu’il a finalement reçu des renseignements sur les polices d’assurance en octobre 2015 de la part d’Adam Hambrook, un agent de la Co-operators. Il n’a pas été précisé en preuve pourquoi l’appelant, en tant qu’administrateur unique de la société BBH Ltd. et de la société 654, ne pouvait pas insister pour obtenir des copies des polices d’assurance et des documents connexes de la part de la Co-operators si Nicole, en tant qu’agente, ne donnait pas accès à ces documents lorsque les conseillers de l’appelant ont commencé à poser des questions.

[28] L’appelant a témoigné que M. McCain lui avait suggéré de souscrire une assurance pour l’entreprise aux fins de l’impôt. Il a affirmé qu’il avait engagé Nicole pour faire du travail en son nom en 2013 et, à la suite de questions supplémentaires posées par son avocat, a soutenu que c’était probablement plus tôt que cela. L’appelant a témoigné qu’il avait donné des instructions verbales à Nicole pour qu’elle obtienne la police recommandée par M. McCain. Il a nié avoir jamais dit à Nicole de faire de ses beaux-enfants les bénéficiaires des polices et a dit que lorsqu’il l’a découvert, il est presque tombé de sa chaise.

[29] Le témoignage de l’appelant concernant les documents d’assurance, l’endroit où ils ont été reçus, l’endroit où ils ont été conservés et la question de savoir s’il les a examinés n’était pas tout à fait clair. Je comprends que du temps s’est écoulé entre les événements et son témoignage, mais je dois dire que l’appelant se souvenait mal des détails, y compris des dates pertinentes. En réponse aux questions de son avocat, il a déclaré qu’il avait reçu des renseignements annuels de la part de la Co-operators [traduction] « pour les années 2013, 2014 et 2015, à peu près à cette époque » [30] . Il a dit que, plus tard, Nicole a fait transmettre les documents d’assurance à son adresse. À un moment donné au cours de son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il n’avait pas apporté de documents à la maison autres que des documents d’investissement, mais à un autre moment, il a déclaré que Nicole était venue chez lui pour récupérer des documents d’assurance [31] . L’appelant a déclaré qu’il n’avait pas lu les documents d’assurance.

[30] Mme Harding a confirmé que l’appelant apportait des documents à la maison, y compris des documents de la Co-operators, et a déclaré qu’il donnait l’ordre suivant : [traduction] « Classez-les. C’est confidentiel » [32] . Elle versait les documents dans un petit classeur qui se trouvait dans son bureau à domicile. Mme Harding a témoigné qu’en décembre 2014, Nicole est venue chez elle et a pris certains documents qu’elle avait l’intention d’emporter en Alberta où elle déménageait, apparemment au cas où l’appelant continuerait à faire des affaires avec elle.

[31] Plusieurs formulaires de désignation de bénéficiaire ont été présentés en preuve au procès. Le témoignage de l’appelant au sujet de ces formulaires peut être résumé en disant qu’il a reconnu les avoir signés, mais qu’il ne s’en souvenait pas du tout.

[32] L’appelant a signé trois formulaires de désignation de bénéficiaire le 18 juillet 2013, afin d’apporter des modifications aux polices no 114, no 115 et no 116 [33] . Il a témoigné qu’il avait signé les formulaires alors qu’il se trouvait chez Nicole avec sa femme et qu’il attendait une opération chirurgicale le lendemain. Il n’a pas demandé à Nicole ce qu’il signait et pourquoi. L’appelant a déclaré que, à part Nicole, ses beaux-enfants, qui ont signé ces formulaires, n’étaient pas présents le soir du 18 juillet 2013, lorsqu’il a signé les formulaires. Au cours de son témoignage, Mme Harding a affirmé qu’elle se souvenait vaguement que les formulaires d’assurance avaient été remis à l’appelant le 18 juillet 2013. Mme Harding a confirmé que ses autres enfants, qui semblaient avoir signé les formulaires du 18 juillet 2013, n’étaient pas présents à cette date et a indiqué que les signatures n’étaient pas celles de ses enfants. Lors de son contre-interrogatoire, Mme Harding a reconnu avoir signé les formulaires apportant des modifications aux polices no 114 et no 115, mais qu’ils ne contenaient aucun renseignement quant à l’identification des bénéficiaires lorsqu’elle les a signés. Elle a dit qu’il lui arrivait souvent de signer des formulaires vierges. De plus, Mme Harding a témoigné qu’elle signait souvent des formulaires pour l’appelant à sa demande sans savoir ce que les documents supposaient.

[33] Il existe un autre formulaire de désignation de bénéficiaire qui apporte des modifications à la police no 116 assurant la vie de Deborah Harding [34] . Il porte la signature d’Adam Hambrook et est daté du 1er janvier 2015. Interrogé au sujet de ce formulaire, l’appelant a reconnu sa signature et a témoigné de la même manière que pour les autres formulaires : il a déclaré qu’il ne se souvenait pas du tout de l’avoir signé et que ses beaux-enfants qui ont signé le formulaire n’étaient pas en sa présence lorsqu’il l’a signé. Il semble que même après qu’Adam Hambrook eut remplacé Nicole comme agente de la Co-operators, l’appelant continuait à signer des documents concernant une police qui n’avait aucun objectif commercial.

[34] Le formulaire de désignation de bénéficiaire daté du 23 mai 2012 [35] révoquait tous les bénéficiaires précédents pour les polices no 114, no 115 et no 116 et désignait la société 654 comme bénéficiaire exclusive. L’appelant a reconnu l’avoir signé, mais a affirmé que Nicole ne lui avait rien expliqué sur le changement de bénéficiaires. Il n’est pas clair qui étaient les bénéficiaires avant cette date. Ce changement de bénéficiaires, c’est-à-dire la désignation de la société 654 comme bénéficiaire, ne va pas dans le sens de la thèse de l’appelant selon laquelle Nicole essayait de s’avantager elle-même ainsi que ses frères et sœurs.

[35] La preuve, tant verbale que documentaire, m’amène à tirer une conclusion : l’appelant aurait dû savoir que la société BBH Ltd. payait des montants importants de primes d’assurance pour des polices qui n’avaient aucun objectif commercial et dont sa conjointe et ses beaux-enfants étaient les bénéficiaires en cas de décès de l’assuré. Les états financiers, que l’appelant a examinés avec son comptable et signés, indiquaient que les montants des primes d’assurance étaient importants. Selon M. McCain, l’appelant est [traduction] « très fort avec les chiffres » [36] . La Co-operators fournissait des relevés d’anniversaire d’assurance-vie et les envoyait à la société 654. Il semble que l’appelant ait apporté certains des documents d’assurance à son domicile. Il a témoigné qu’il a signé plusieurs formulaires de désignation de bénéficiaire sans faire attention à ce qu’il signait. L’appelant soutient qu’il a été victime d’une manoeuvre de la part de Nicole, qui aurait apporté des changements aux désignations de bénéficiaires pour son propre avantage et celui de sa famille. L’appelant n’a appelé à témoigner aucun des beaux-enfants qui ont signé les formulaires de désignation de bénéficiaire.

[36] Je note que le représentant de l’appelant a fait valoir qu’il n’y avait aucun [traduction] « avantage réel » [37] pour l’appelant dans les circonstances parce que tous les assurés sont restés en vie et qu’aucun paiement n’a donc été effectué en vertu de l’une ou l’autre des polices. Cependant, si l’assuré était décédé alors que Mme Harding ou les beaux-enfants étaient les bénéficiaires, la compagnie d’assurance aurait été obligée de leur verser les paiements d’assurance sans aucune obligation envers la société BBH Ltd. Comme l’a observé notre Cour dans la décision Larue c. La Reine, « [d]ans la réalité, la société de l’appelant a payé une prime pour une police d’assurance-vie dont le paiement en cas de décès aurait été fait à sa conjointe [ou à ses beaux-enfants dans le présent appel] » [38] . Je conclus que même si les paiements n’ont jamais été versés aux termes des polices, le fait que le conjoint ou les beaux-enfants de l’appelant auraient reçu des paiements au décès des assurés alors qu’ils étaient les bénéficiaires désignés lui confère un avantage en application du paragraphe 15(1) de la Loi.

[37] L’avocat de l’appelant a invoqué la jurisprudence Chopp à l’appui de sa thèse selon laquelle il n’y a pas d’avantage conféré aux termes du paragraphe 15(1) dans les circonstances parce que la souscription d’une assurance était une erreur causée par un conseiller de confiance sur lequel l’appelant comptait et, à ce titre, il s’agissait d’une preuve plus solide que celle d’une simple erreur de comptabilité. Il convient d’établir une distinction entre les faits du présent appel et ceux de la décision Chopp.

[38] Dans la décision Chopp, un paiement a été comptabilisé par erreur comme une dépense de l’entreprise alors que la fille de M. Chopp, une comptable inexpérimentée, aurait dû le débiter du compte de prêt aux actionnaires. Le juge Mogan a conclu, selon la preuve, y compris le témoignage de la comptable qui a commis l’erreur, que la somme n’était pas importante et qu’il s’agissait d’une simple erreur de tenue de livres non visée par le paragraphe 15(1). La Cour d’appel fédérale a confirmé sa décision selon laquelle il n’y avait pas d’avantage dans les circonstances et a renvoyé avec approbation à son opinion selon laquelle un avantage peut être conféré sans qu’on ait eu l’intention de le faire ou sans que l’actionnaire en ait été véritablement informé si les circonstances sont telles que l’actionnaire aurait dû savoir. Je conclus que telles sont les circonstances dans le présent appel. La souscription de polices d’assurance qui ont pris effet en 2010 et 2011, pour lesquelles des primes importantes ont été payées et pour lesquelles il y a eu plusieurs changements de bénéficiaires sur plusieurs années, n’est pas et ne peut pas être assimilé à une simple erreur de comptabilité.

[39] Dans l’ensemble, je conclus que l’appelant aurait dû savoir que la société BBH Ltd. avait souscrit des polices d’assurance assurant sa vie et celle de sa conjointe, et dont celle-ci et ses beaux-enfants pouvaient bénéficier. Je conclus également qu’un avantage aux termes du paragraphe 15(1) a été conféré à l’appelant dans les circonstances.

[40] L’appel interjeté à l’encontre de l’année d’imposition 2013 est accueilli, uniquement dans la mesure concédée par l’intimée. Les appels concernant les années d’imposition 2014 et 2015 sont rejetés. Les dépens sont adjugés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de janvier 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

La juge St-Hilaire

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de janvier 2023.

François Brunet, réviseur

RÉFÉRENCE :

2022 CCI 3

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-3496(IT)G

INTITULÉ :

BOYD B. HARDING et SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire.

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 janvier 2022

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me John D. Townsend, c.r.

Me Peter Ashfield

Avocate de l’intimée :

Me Rhoda Lemphers

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me John D. Townsend, c.r.

Me Peter Ashfield

Cabinet :

Pink Larkin

Bureau 210

1133 Regent Street

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

E3B 3Z2

 

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

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[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).

[2] Les parties ont convenu qu’il y avait une erreur au paragraphe 7 de l’exposé conjoint partiel des faits et que le paragraphe 5 de l’avis d’appel devait avoir préséance, ce qui signifie que l’appelant n’était pas le seul actionnaire de la société BBH Ltd.

[3] Dans la réponse modifiée à l’avis d’appel, le ministre a reconnu qu’il avait commis une erreur en supposant que les bénéficiaires de la police no 1152744 n’avaient pas changé pendant toute la durée de la police. Par conséquent, le ministre a reconnu que l’appelant avait le droit de voir l’avantage conféré à l’actionnaire pour l’année d’imposition 2013 réduit à 106 703,26 $.

[4] Les numéros de police de la Co-operators Compagnie d’assurance-vie sont les suivants : 1139806, 1148176, 1152744 et 1163533.

[5] Il convient de mentionner que dans l’exposé partiel, les parties ont fait précéder chaque date de l’expression « le ou vers le ».

[6] Les changements pertinents de propriété, s’il y a lieu, peuvent être résumés comme suit : 1) Deborah Harding était la propriétaire de la police no 113; 2) en avril 2012, la propriété des polices no 114 et 115 est passée de la société BBH Ltd. à la société 654; 3) en avril 2012, la propriété de la police no 116 est passée d’une autre société à la société 654.

[7] Pour la première partie de 2013 et la dernière partie de 2015, la société 654 était l’unique bénéficiaire de la police no 114.

[8] Pour la première partie de 2013 et la dernière partie de 2015, la société 654 était l’unique bénéficiaire de la police no 115.

[9] Pour la première partie de 2013 et après le 26 novembre 2014, la société 654 était l’unique bénéficiaire de la police no 116.

[10] Au cours de leur témoignage, les témoins ont désigné la fille de la conjointe de l’appelant comme étant Nicole Haley et Nicole Geneau. Certains des documents déposés en preuve contiennent autant la signature de Nicole Haley que celle de Nicole Geneau. Voir par exemple le formulaire de désignation de bénéficiaire à la pièce A1, onglet 19, où sa signature figure comme étant celle de Nicole Haley en tant que bénéficiaire et comme celle de Nicole Geneau en tant que témoin et agente. Pour éviter toute confusion, je l’appellerai Nicole dans le reste des présents motifs.

[11] Le paragraphe 15(1) prévoit certaines exceptions précises, qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

[12] Pillsbury Canada Ltd. c. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C.É., p. 682 et 683 (Pillsbury).

[13] Ibid., aux p. 684 et 685.

[14] Laliberté c. Canada, 2020 CAF 97.

[15] Ibid., par. 33 à 35.

[16] Transcription de l’audience du présent appel, p. 15 et 172 [la « transcription »].

[17] Transcription, p. 58.

[18] Avis d’appel, par. 46; transcription, p. 17.

[19] Canada c. Chopp, [1998] 1 CTC 407 (CAF).

[20] Canada c. Chopp, ibid., par. 4, renvoyant à la décision de première instance, Chopp c. La Reine, [1995] 2 CTC 2946 (CCI), par. 22 [Chopp].

[21] Transcription, p. 27.

[22] Pièce A-1, onglets 12, 13 et 14.

[23] Transcription, p. 81. De plus, M. McCain a témoigné que ces frais ont été déduits par la société 654, mais qu’ils ont ensuite été rajoutés sur un formulaire de l’annexe 1 et que, par conséquent, ils n’ont pas été déduits aux fins de l’impôt.

[24] Ibid., p. 82.

[25] Pièce R-1.

[26] Les relevés de la police no 116 datés du 24 juin 2013 et du 24 juin 2014 indiquent que la conjointe de l’appelant est assurée et le relevé du 24 juin 2014 indique que ses beaux-enfants sont bénéficiaires à 75 %; les relevés de la police no 115 datés du 1er octobre 2013 et du 1er octobre 2014 indiquent que l’appelant est assuré et que sa conjointe est bénéficiaire.

[27] Pièce R-1.

[28] Pièce A-1, onglet 3.

[29] Ibid., onglet 2.

[30] Transcription, p. 138.

[31] Ibid., p. 106 et 108.

[32] Ibid., p. 157.

[33] Pièce A-1, onglets 17, 18 et 19.

[34] Ibid., onglet 22. Ce formulaire, signé par Adam Hambrook, désigne la société 654 comme bénéficiaire irrévocable. Un autre formulaire daté du 26 novembre 2014 avait désigné la société 654 comme bénéficiaire révocable; voir la pièce A-1 à l’onglet 20.

[35] Ibid., onglet 16.

[36] Transcription, p. 31.

[37] Ibid., p. 15.

[38] Larue c. La Reine, 2003 CCI 288, par. 11. Voir également Reakes Enterprises Ltd c. La Reine, 2006 CCI 295, par. 9.

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