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Dossier : 2018-379(IT)G

ENTRE :

AIRZONE ONE LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 6, 7 et 8 décembre 2021, à Toronto (Ontario)

Devant : l’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Mahyar Makki

Avocats de l’intimée :

Me Robert Zsigo

Me Jason Winter

 

JUGEMENT

L’appel interjeté par l’appelante à l’égard des années d’imposition 2014 et 2015 est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen et établissement d’une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Les parties ont jusqu’au 30 mars 2022 pour s’entendre sur les dépens, faute de quoi elles devront déposer leurs observations écrites sur les dépens au plus tard le 30 mars 2022. Les observations seront d’au plus dix pages.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2022.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2022.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


Référence : 2022 CCI 29

Date : 20220221

Dossier : 2018-379(IT)G

ENTRE :

AIRZONE ONE LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I. APERÇU

[1] L’appelante, Airzone One Ltd. (« Airzone »), fournit des services complets de contrôle de la qualité de l’air à des agences et ministères gouvernementaux, à des organisations internationales et à des entreprises à but lucratif. Airzone et les sociétés qui l’ont précédée fournissent ces services depuis 1979.

[2] L’appelante a travaillé sur trois projets au cours de chacune de ses années d’imposition 2014 et 2015. L’appelante a déduit les dépenses faites dans le cadre de ces six projets à titre de dépenses liées à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (« RS&DE ») et a demandé des crédits d’impôt à l’investissement (« CII ») pour ces dépenses (les « demandes de RS&DE de l’appelante »).

[3] Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a rejeté toutes les demandes de RS&DE de l’appelante au motif que les travaux menés dans le cadre des projets ne constituaient pas des activités de RS&DE au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la « LIR »).

[4] La réponse de l’intimée à l’avis d’appel d’Airzone contient une liste d’hypothèses de fait qui, selon l’intimée, ont été formulées par le ministre lorsqu’il a rejeté les demandes de RS&DE d’Airzone dans leur intégralité. Ces hypothèses de fait concernent la façon dont Airzone a effectué les travaux dans les six projets (« comment ») et la raison pour laquelle elle a fait les travaux (« pourquoi »). La façon dont les travaux sont exécutés et la raison pour laquelle ils sont exécutés sont les deux facteurs clés qui doivent être pris en considération pour déterminer si des travaux constituent une activité de RS&DE au sens de cette expression.

[5] Les facteurs relatifs à la question « comment » concernent la manière dont les travaux sont effectués. Pour satisfaire à ces facteurs, le contribuable doit établir que le travail a été mené dans le cadre d’une enquête ou d’une recherche systématique par l’expérimentation et l’analyse d’une hypothèse. Il faut également que les résultats du travail soient consignés. À la fin de l’audience, les avocats de l’intimée ont reconnu que la preuve établit que les travaux effectués par Airzone satisfaisaient aux facteurs relatifs à la question « comment » et que les hypothèses de fait contraires qu’aurait formulées le ministre dans sa réponse à cet égard étaient inexactes.

[6] Pour satisfaire au facteur relatif à la question « pourquoi », le contribuable doit démontrer que les travaux ont été menés pour résoudre des incertitudes techniques qui ne pouvaient être résolues par des procédures et des méthodes ordinaires. L’intimée convient maintenant que la seule hypothèse de fait que l’appelante doit réfuter est celle selon laquelle Airzone a résolu les incertitudes techniques de chaque projet en appliquant les pratiques, méthodes ou processus ordinaires de chimie analytique ou d’ingénierie de routine utilisés dans le secteur où Airzone exerce ses activités pour effectuer le contrôle de la qualité de l’air. Airzone défend la thèse contraire.

[7] Cette question constitue en grande partie une question de fait. Il incombe à Airzone de démontrer que les hypothèses de fait du ministre, à cet égard, sont inexactes.

[8] Je pense qu’Airzone s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe en ce qui concerne les projets 1, 2 et 3 de l’année d’imposition 2014 ainsi que le projet 2 de l’année d’imposition 2015. En revanche, je suis d’avis qu’Airzone ne s’est pas acquittée de ce fardeau en ce qui concerne les projets 1 et 3 de l’année d’imposition 2015. Les motifs expliquant mes conclusions sont exposés ci-dessous.

[9] Les parties se sont entendues sur la façon de répartir les dépenses déboursées par Airzone entre les six projets ainsi que les CII y afférents. Je n’ai donc pas à examiner cette question.

II. FAITS IMPORTANTS

[10] Les éléments de preuve révèlent que le contrôle de la qualité de l’air est un processus en trois étapes. Tout d’abord, il faut trouver un dispositif qui prélèvera des échantillons d’air dans une zone désignée. Il faut sélectionner un processus qui extraira séparément les contaminants pouvant se trouver dans un échantillon afin qu’ils soient bien identifiés. Enfin, le contaminant doit être identifié et quantifié en fonction de ses attributs connus.

[11] Les contaminants en suspension dans l’air peuvent être échantillonnés de manière active ou passive. Par exemple, l’échantillonnage actif nécessite souvent l’utilisation d’une pompe pour diriger le flux d’air vers le support d’échantillonnage. L’échantillonnage passif des contaminants en suspension dans l’air capture des polluants en suspension sur un support de collecte fonctionnant par le dépôt sec ou humide des contaminants sur ce support. Dans les deux cas, le support doit être recueilli, et les contaminants doivent être extraits séparément pour que chacun soit identifié et quantifié.

III. QUESTIONS À TRANCHER

[12] Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

a) le ministre avait-il raison de conclure que rien dans les travaux menés par l’appelante dans le cadre des six projets ne constituait de la RS&DE?

  • b) le ministre avait-il raison de refuser les CII correspondants aux déductions pour les dépenses de RS&DE refusées pour les années d’imposition 2014 et 2015 de l’appelante?

IV. DISCUSSION

[13] Voici la définition de RS&DE énoncée au paragraphe 248(1) de la Loi :

activités de recherche scientifique et de développement expérimental

Investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse, c’est-à-dire :

  • a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

  • b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science avec application pratique en vue;

  • c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent.

Pour l’application de la présente définition à un contribuable, sont compris parmi les activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

  • d) les travaux entrepris par le contribuable ou pour son compte relativement aux travaux de génie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l’analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) qui sont entrepris au Canada par le contribuable ou pour son compte et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

  • e) l’étude du marché et la promotion des ventes;

  • f) le contrôle de la qualité ou la mise à l’essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

  • g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

  • h) la prospection, l’exploration et le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel et leur production;

  • i) la production commerciale d’un matériau, d’un dispositif ou d’un produit nouveau ou amélioré, et l’utilisation commerciale d’un procédé nouveau ou amélioré;

  • j) les modifications de style;

  • k) la collecte normale de données.

[Non souligné dans l’original.]

Cette définition se fonde sur le concept [traduction] « d’inclusion et d’exclusion ». La définition inclut d’abord un large éventail d’activités de développement aux alinéas a) à c), puis des éléments qui seraient normalement inclus sont ensuite exclus aux alinéas e) à k).

[14] La définition d’activités de RS&DE vise la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental. L’issue de la présente affaire concerne la question de savoir si les travaux menés par Airzone peuvent être considérés comme étant du « développement expérimental ». Cette notion ne peut être examinée dans l’abstrait. Comme il est indiqué plus haut, la raison pour laquelle les travaux ont été effectués est un facteur décisif.

[15] Pour que les travaux effectués dans le cadre des projets soient considérés comme étant du développement expérimental, Airzone doit démontrer qu’elle les a entrepris pour résoudre des incertitudes techniques en vue d’acquérir un « savoir‐faire » ou des « connaissances techniques » dont elle ne disposait pas au sein de son organisation ou qu’elle ne pouvait obtenir de sources publiques. Les « connaissances techniques » ou le « savoir‐faire » dans le présent contexte comprennent la création ou l’amélioration de méthodes, de procédures et de procédés pour effectuer le contrôle de la qualité de l’air dans des milieux uniques. Sur ce point, je fais observer que la notion de « développement expérimental » comprend les activités entreprises en vue d’apporter des améliorations légères aux méthodes ou procédures existantes.

[16] Les facteurs devant être pris en compte quand il s’agit de déterminer si un projet donné peut être considéré comme un projet de RS&DE admissible sont maintenant bien connus. Dans l’arrêt CW Agencies Inc c. Canada [1] , la Cour d’appel fédérale a résumé les facteurs ainsi :

1. Existait-il un risque ou une incertitude technologique qui ne pouvait être éliminé par les procédures habituelles ou les études techniques courantes?

2. La personne qui prétend se livrer à de la RS & DE a-t-elle formulé des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique?

3. La procédure adoptée était-elle complètement conforme à la discipline de la méthode scientifique, notamment dans la formulation, la vérification et la modification des hypothèses?

4. Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique?

5. Un compte rendu détaillé des hypothèses vérifiées et des résultats a-t-il été fait au fur et à mesure de l’avancement des travaux?

[17] Les facteurs énoncés aux alinéas 2, 3 et 5 obligent la Cour à examiner la façon dont le travail a été effectué par le contribuable. J’ai parlé de ces facteurs plus haut en les appelant « facteurs relatifs à la question “comment” ». Comme il a été noté, l’intimée a reconnu que les éléments de preuve démontrent que la façon dont Airzone a effectué le travail dans le cadre des six projets satisfait aux « facteurs relatifs à la question “comment” ».

[18] Les facteurs énoncés aux alinéas 1 et 4 sont, à mon avis, reliés. Ces facteurs exigent la prise en considération de l’objectif d’un projet. Les questions énoncées aux alinéas 1 et 4 peuvent être reformulées ainsi : le contribuable a-t-il utilisé des procédures ou des méthodes ordinaires pour effectuer les travaux dans son champ d’activité? Si la réponse est « oui », alors il n’y avait pas d’incertitude technique à résoudre. Dans ce cas, le projet n’a pas été entrepris en vue de réaliser des progrès technologiques. Le travail était de nature courante.

[19] Bien que chacun des facteurs ci-dessus doive être considéré séparément, si un projet satisfait aux « facteurs relatifs à la question “comment” », cette conclusion peut contribuer à faire pencher la balance en faveur du contribuable lorsque la ligne de démarcation avec les méthodes ou procédures ordinaires est floue. À mon avis, il est peu probable qu’un contribuable réalise des expériences qui seraient visées par les « facteurs relatifs à la question “comment” », à un coût supplémentaire, si l’objet des travaux n’est pas de réaliser des progrès technologiques.

[20] Dans leurs observations orales, les deux parties ont renvoyé à plusieurs décisions, que j’ai soigneusement examinées [2] . L’issue de ces affaires, comme c’est souvent le cas dans les affaires concernant les activités de RS&DE, était largement tributaire des faits.

[21] Je vais maintenant procéder à l’examen des éléments de preuve un projet à la fois, pour déterminer si Airzone s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe dans le contexte.

[22] Avant d’examiner les éléments de preuve, je fais observer à titre général que M. Fellin, le seul témoin appelé par l’appelante, s’est montré, à mon avis, un témoin extrêmement bien informé, crédible et fiable. Il a obtenu un diplôme en chimie à l’Université de Toronto en 1972. Il travaille à un titre ou à un autre dans le domaine du contrôle de la qualité de l’air depuis 1976.

[23] M. Fellin est l’un des fondateurs d’Airzone. Il était directement responsable de la supervision des travaux réalisés par Airzone dans le cadre des six projets. Je suis porté à accorder un poids considérable au témoignage de M. Fellin, compte tenu de tout ce qui précède.

[24] M. Melnyk, un conseiller en recherche et technologie pour l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »), a été appelé à témoigner par l’appelante et non par l’intimée. M. Melnyk a effectué l’audit technique des six projets au nom de l’ARC.

[25] L’intimée a accepté que l’interrogatoire de M. Melnyk soit mené comme un contre-interrogatoire. Son rapport a été déposé en preuve.

[26] L’interrogatoire préalable de M. Melnyk a été mené au moyen de questions écrites. Les questions qui lui ont été posées et ses réponses ont constitué la base du contre-interrogatoire de l’appelante au procès.

[27] Au cours de son interrogatoire préalable, on a posé à M. Melnyk une série de questions sur la façon dont il a effectué son audit technique et sur la façon dont il est arrivé à la conclusion que les demandes de RS&DE d’Airzone devaient être rejetées dans leur intégralité. Sa réponse à la question numéro 15 est assez révélatrice. À cette question, on a demandé à M. Melnyk ce qui suit : [traduction] « Veuillez en dire plus sur la conclusion du rapport d’examen technique de la RS&DE (RET) pour l’année d’imposition 2014, indiquant que les travaux effectués dans le cadre de ce projet relevaient de connaissances publiques ou consistaient en une pratique ordinaire et qu’aucune nouvelle connaissance n’a été créée [3] . » M. Melnyk répond à la question 15 ainsi :

[traduction]

L’explication complète à l’appui de la conclusion est dans le rapport d’examen de la RS&DE (RER). Le RER n’indique pas que les travaux effectués dans le cadre de ce projet étaient connus et relevaient du domaine public ou qu’il s’agissait d’une pratique ordinaire. Cette conclusion est fondée sur le fait que les travaux n’ont pas débouché sur de nouvelles connaissances scientifiques ou des progrès technologiques [4] .

[28] Dans son contre-interrogatoire, M. Melnyk a tenté de clarifier sa réponse en déclarant qu’il avait mentionné l’absence de [traduction] « progrès technologiques » comme motif du rejet des demandes de RS&DE d’Airzone parce qu’il croyait que ce facteur suffisait à justifier le rejet des demandes d’Airzone.

[29] On a posé une série de questions à M. Melnyk sur la manière dont il s’était préparé pour l’audit et pour la rédaction définitive de son rapport. Il a répondu qu’il avait effectué une recherche sur Google pour déterminer quels étaient les renseignements disponibles sur les procédés et les méthodes utilisés pour effectuer des analyses de la qualité de l’air. Il a répondu qu’il avait trouvé quelques sources générales décrivant le type de procédures et de méthodes sur le sujet du contrôle de la qualité de l’air, mais il a reconnu que ces sources étaient de nature générale et n’apportaient pas beaucoup d’éclaircissements sur la nature des travaux menés par Airzone dans le cadre des six projets. On lui a également demandé de donner la référence des sources. Il a répondu qu’il ne pouvait pas se rappeler exactement ce qu’il avait consulté, parce qu’il n’avait pas cité les documents dans son rapport. Je pense que M. Melnyk n’a pas cité les sources qu’il a consultées parce qu’elles n’étaient pas particulièrement pertinentes.

[30] À une série de questions de suivi concernant le raisonnement derrière ses réponses, il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Il y a beaucoup de choses qui existent, mais il n’y a pas – si vous lisez la documentation, vous ne pouvez pas obtenir les détails précis pour déterminer si oui ou non cela correspond exactement à ce qu’Airzone a fait, donc les températures exactes qui ont été utilisées ou les pressions exactes.

[31] Certaines des hypothèses de fait qui auraient été formulées par le ministre me semblent utiles à la cause de l’appelante. Par exemple, ce qui suit est présenté comme hypothèse de fait énoncée par le ministre à l’égard des trois premiers projets :

[traduction]

L’appelante a éprouvé des difficultés techniques en tentant d’obtenir des résultats détectables par divers essais, qui visaient à déterminer l’utilité de chaque technique et à optimiser les méthodes existantes plutôt qu’à développer de nouvelles méthodes pour détecter chaque composé [5] .

[32] L’expression [traduction] « difficultés techniques » est, à mon avis, synonyme de l’expression « incertitude technique ».

[33] L’expression [traduction] « optimiser les méthodes existantes » me semble être un aveu par le ministre qu’Airzone a entrepris les travaux dans un but, du moins selon le ministre, d’amélioration des procédés existants, ce qui comprend « l’amélioration, même légère, de ceux qui existent ». Ce qui précède est expressément reconnu comme un progrès technologique dans le contexte des travaux de développement expérimental.

[34] Bien que M. Melnyk ait reçu une formation scientifique, j’ai trouvé que sa connaissance du champ d’activité spécialisé d’Airzone était plutôt limitée, ce qui est naturel, par rapport à l’étendue des connaissances et de l’expérience de M. Fellin.

[35] L’incertitude technique peut se produire de deux manières : soit le contribuable peut être dans l’impossibilité de prévoir s’il pourra réaliser ses objectifs, soit il peut être assez convaincu qu’il atteindra les objectifs, sans savoir avec certitude laquelle des éventuelles solutions réussira [6] . Le progrès technologique peut également se produire de deux manières. Le développement expérimental peut conduire à la création d’un nouveau procédé ou d’une nouvelle méthode ou à l’amélioration de procédés ou de méthode existants. Dans les deux cas, cela permet au contribuable d’obtenir des revenus récurrents. Le développement expérimental peut également établir qu’un procédé ou une méthode ayant fait l’objet d’expérimentations par un contribuable ne fonctionne pas [7] .

V. ANNÉE D’IMPOSITION 2014

A. Projet no 1 : Optimisation du contrôle passif de composés à faible concentration

[36] M. Fellin a décrit les raisons pour lesquelles Airzone a entrepris ce projet. Airzone avait participé à l’établissement d’un protocole de détection de l’air pour le contrôle de la qualité de l’air dans des habitations dès 1987. Dans un milieu résidentiel, les contaminants en suspension dans l’air sont présents à de faibles niveaux de concentration. Cela signifie que les dispositifs et techniques de détection utilisés dans un milieu de travail industriel ou commercial doivent être adaptés pour obtenir une mesure fiable des contaminants nocifs dans un cadre résidentiel.

[37] Au cours des années précédentes, Airzone avait réussi à établir un protocole de détection pour une série de 44 types de composés en suspension dans l’air pouvant être présents dans un milieu résidentiel à de faibles niveaux de concentration.

[38] Selon M. Fellin, Airzone a mené des travaux expérimentaux dans le cadre de ce projet pour faire passer le nombre de composés détectables de 44 à 52. Airzone l’a fait pour demeurer concurrent dans ce domaine hautement spécialisé.

[39] Pour obtenir des mesures fiables de ces huit composés supplémentaires, Airzone a estimé qu’elle ne pouvait pas recourir au protocole d’extraction et d’identification qu’elle avait établi pour les 44 composés initiaux.

[40] Dans cette optique, Airzone a d’abord procédé à des expérimentations sur le temps d’extraction. L’hypothèse en fonction de laquelle les travaux ont été menés était que la modification du solvant utilisé pour extraire les huit composés supplémentaires compromettrait l’analyse de la série de composés existants. M. Fellin a expliqué que c’est la raison pour laquelle la société a commencé ses essais en utilisant le solvant existant servant pour les composés originaux. Il est connu que les techniques d’extraction échouent lorsque les composés ne sont pas séparés les uns des autres d’une manière qui permette de mesurer le niveau de concentration de chacun d’eux. Après avoir été incapable d’obtenir des données fiables en modifiant le temps d’extraction, Airzone a décidé de tester l’hypothèse selon laquelle un solvant plus polaire améliorerait la mesure des niveaux de concentration des huit composés supplémentaires.

[41] M. Fellin a expliqué que, plutôt que de remplacer le solvant qu’elle utilisait habituellement, Airzone a fait des expériences en modifiant le solvant avec des additifs pour obtenir l’efficacité d’extraction souhaitée pour les composés supplémentaires tout en conservant l’efficacité de détection pour les 44 autres composés. Bien que cette méthode se soit avérée efficace dans l’ensemble, une analyse plus poussée des données expérimentales a permis à Airzone de conclure que le butanol s’été révélé le meilleur en raison de sa plus grande efficacité de récupération. Airzone a poursuivi ses expériences avec un solvant combinant du disulfure de carbone et du butanol à 5 % afin de confirmer que le solvant fonctionnerait efficacement pour l’ensemble des composés.

[42] M. Fellin a indiqué que des expériences supplémentaires avaient alors été nécessaires pour rajuster les variables chromatographiques généralement utilisées pour analyser chaque composé. Ces variables comprennent la température, la longueur de la colonne, le type de colonne, le débit à travers la colonne, le gaz vecteur et le volume d’injection. Airzone a réalisé des expériences sur chaque variable pour améliorer ses capacités de détection.

[43] Après avoir terminé son audit technique, M. Melnyk a recommandé que les demandes de RS&DE d’Airzone à l’égard de ce projet soient rejetées pour les raisons suivantes :

[traduction]

Pour les huit nouveaux composés présentant un intérêt, l’optimisation du dispositif de contrôle passif et de la méthode de détection a nécessité diverses modifications des paramètres/conditions par rapport à une approche semblable à celle de l’année précédente. Par exemple, chaque série d’essais pour chaque composé comprenait la modification des temps d’extraction, des mélanges de solvants, des modificateurs de solvant (pour modifier la polarité) et des conditions chromatographiques avec différents appareils de chromatographie.

[...]

Les travaux décrits ci-dessus ont consisté à optimiser les techniques de détection établies et à appliquer des outils de contrôle passif disponibles dans le commerce (de marque 3M) afin de tenter de repousser les limites de détection de plusieurs composés présentant un intérêt. Bien que l’appelante ait éprouvé des difficultés à obtenir des résultats détectables par divers essais, ces derniers visaient à déterminer l’efficacité de chaque technique et à optimiser les méthodes existantes plutôt qu’à développer de nouvelles méthodes pour détecter chaque composé. Bien que l’optimisation ou la modification de ces protocoles aient accru la sensibilité de détection de chaque composé, elles n’ont débouché sur aucune nouvelle connaissance scientifique ni aucun progrès technologique lié à la détection des contaminants en suspension dans l’air [8] .

[Non souligné dans l’original.]

[44] Les mots [traduction] « optimiser », [traduction] « optimisation » et [traduction] « modifications » sont des descriptions appropriées de ce qu’Airzone s’est fixé comme objectif. À mon avis, Airzone a entrepris les expériences présentées ci-dessus dans le but d’établir une méthode qui permettait d’obtenir une méthode d’identification et de quantification fiable pour 52 contaminants plutôt que pour 44.

[45] J’ai été étonné lorsque j’ai lu les motifs fournis par l’ARC pour justifier son rejet des demandes de RS&DE d’Airzone, compte tenu de la description que donnent les lignes directrices publiées par l’ARC du développement expérimental admissible. Les lignes directrices les plus récentes de l’ARC sont datées du 13 août 2021. La définition du terme RS&DE n’a pas changé. Voici comment les lignes directrices décrivent le développement expérimental :

L’exigence « Pourquoi » dans le contexte du développement expérimental

Dans le contexte du développement expérimental, les travaux sont effectués dans le but de réaliser un avancement technologique. En d’autres mots, les travaux sont effectués pour la production ou la découverte de connaissances qui font progresser la compréhension de la technologie.

Lors de l’élaboration de [...] procédés nouveaux ou améliorés, des problèmes peuvent survenir lorsqu’il est nécessaire d’atteindre un ensemble [...] de contraintes [...]

Voici quelques caractéristiques des problèmes qui peuvent suggérer que les connaissances technologiques sont insuffisantes :

  • les méthodes de conception existantes ne s’appliquent pas;

  • les exigences ou les spécifications ne respectent pas les normes existantes;

  • il y a un trop grand nombre de variables ou d’éléments inconnus;

  • les paramètres ou les conditions sont en dehors de la plage de fonctionnement normale;

  • la nature du problème évolue;

  • les données ne sont pas facilement accessibles;

  • il existe des contraintes interdépendantes [9] .

[Non souligné dans l’original.]

[46] La partie que j’ai soulignée décrit l’incertitude qu’Airzone a cherché à résoudre. Il y avait trop de variables ou d’éléments inconnus pour qu’Airzone puisse détecter et mesurer avec précision chacun des 52 composés. Les données sur la façon d’extraire chacun des composés n’étaient pas encore publiques. Airzone ne disposait pas de ces connaissances techniques au départ. Elle a effectué des essais pour établir une méthode d’identification et de quantification fiable.

[47] Les éléments de preuve montrent que les méthodes, les procédures et les équipements ordinaires peuvent atteindre les limites de leurs capacités de détection lorsque les contaminants sont présents à de faibles niveaux de concentration. Certains composés ont des attributs similaires. Dans d’autres cas, les attributs des composés dans un échantillon d’air peuvent être très divers. Les procédures d’extraction peuvent provoquer la coélution de composés, ce qui empêche l’identification et la quantification fiables de chaque échantillon. Selon M. Fellin, c’était la difficulté qu’Airzone cherchait à éliminer. Il fallait améliorer le processus d’extraction et d’identification. Ce nouveau processus ne pouvait être établi sans enquête scientifique systématique.

[48] Les avocats de l’intimée ont fait valoir qu’Airzone a utilisé des méthodes et des procédures ordinaires pour établir le protocole d’extraction et d’identification pour l’ensemble des 52 composés qu’Airzone souhaitait mesurer. Je ne peux retenir cette thèse. Je crois que l’intimée a accordé trop d’importance au fait que le personnel d’Airzone a utilisé le même équipement de pointe qu’il utilisait habituellement pour échantillonner les contaminants en suspension dans l’air. M. Fellin a expliqué que l’équipement utilisé avait été conçu à l’origine pour des milieux industriels où les niveaux de concentration des composés étaient des milliers ou des millions de fois plus élevés que les niveaux trouvés dans les milieux résidentiels. Il a expliqué que la détection de composés à de si faibles concentrations est cruciale, car, dans un cadre professionnel, l’employé n’est exposé aux composés que pendant les heures de travail. En revanche, dans les lieux d’habitation, les occupants sont exposés aux composés à des concentrations plus faibles, mais pendant des périodes prolongées, sur plusieurs années.

[49] En outre, une partie de l’incertitude elle-même concernait la création d’un protocole unique capable de détecter les 52 composés. Comme l’a expliqué M. Fellin, si Airzone avait utilisé un appareil ou un protocole distinct pour les huit composés supplémentaires, le coût aurait doublé pour tout client potentiel. À cet égard, plutôt que d’utiliser un nouveau solvant expressément pour les huit composés supplémentaires, Airzone a délibérément cherché à modifier le solvant utilisé pour sa série existante de 44 composés. Cette décision a amené son lot de difficultés. Les 44 composés précédents étaient de simples hydrocarbures aromatiques. Par conséquent, ils pouvaient tous être traités de la même manière. À l’inverse, les huit nouveaux composés avaient des propriétés différentes (comme les groupes polaires). Il s’ensuivait que les différents composés ne pouvaient pas être extraits du même support avec la même efficacité. En outre, le solvant précédemment utilisé ayant été modifié, Airzone a dû ajuster les conditions chromatographiques à la fois pour la série existante de 44 composés et pour les huit composés supplémentaires. Il ne s’agissait pas simplement d’ajouter de nouveaux protocoles à sa méthode existante. Airzone a dû développer un protocole complètement nouveau. En fin de compte, Airzone a réussi, sauf pour deux composés.

[50] Airzone est une petite société. Son personnel compte peu de membres. Il doit donc effectuer des tâches multiples. Une grande partie de la journée du personnel d’Airzone est consacrée aux essais de base menés sur des échantillons d’air. Selon les éléments de preuve, à d’autres moments, les employés d’Airzone travaillent dans le but d’établir un protocole d’identification et de quantification fiable pour les échantillons d’air pouvant contenir des contaminants non testés auparavant. Dans le contexte ci-dessus, l’expérimentation est nécessaire pour établir un protocole nouveau ou révisé. M. Fellin a témoigné qu’Airzone n’a pas été payée pour ce projet. Ce n’est que lorsqu’Airzone aura réussi à établir le protocole qu’elle pourra alors tirer des revenus récurrents de ses activités d’échantillonnage.

[51] J’avoue que la démarcation entre travaux admissibles et inadmissibles dans les champs d’activité techniques est souvent floue. Cela dit, je suis d’avis que le « facteur relatif à la question “pourquoi” » ne peut pas être appliqué de façon si stricte que seules les grandes entreprises employant du personnel de recherche spécialisé peuvent être admissibles aux mesures incitatives de RS&DE. Mettre la barre si haut, à mon avis, serait contraire à l’intention du législateur. Cette conclusion est conforme à l’opinion du juge Bowman (plus tard juge en chef) dans la décision Northwest Hydraulic :

Les stimulants fiscaux accordés à ceux qui se livrent à la RS & DE visent à encourager la recherche scientifique au Canada (Consoltex Inc. v. The Queen, 97 DTC 724). Cela étant, la législation concernant pareils stimulants « s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (article 12 de la Loi d’interprétation) [10] .

Les mesures incitatives de RS&DE offertes aux sociétés privées sous contrôle canadien (« SPCC ») pour le développement expérimental sont plus généreuses que celles offertes aux grandes sociétés. Je suppose que la première politique a été adoptée parce que les SPCC sont d’importantes sources d’innovation. En raison de leur taille limitée, il est souvent plus facile pour les SPCC de chercher l’innovation en vue de faire croître leurs activités. La difficulté avec laquelle les SPCC doivent généralement composer est qu’elles disposent de ressources financières limitées pour mener des activités de développement expérimental risquées. C’est sans doute la raison pour laquelle le législateur a rendu les CII relatifs aux activités de RS&DE remboursables pour les SPCC et non pour leurs homologues de plus grande taille.

[52] Airzone est un leader dans le domaine de la détection des contaminants en suspension dans l’air à faible concentration. Elle a réalisé les travaux pour améliorer ses connaissances techniques dans le domaine très spécialisé qu’est la détection de la qualité de l’air. Les faits révèlent que les protocoles de détection sont pour la plupart des secrets très bien gardés. Le fait qu’Airzone ait réalisé de multiples expériences pour établir un protocole pour l’ensemble des 52 composés étaye solidement le témoignage de M. Fellin selon lequel Airzone a entrepris les travaux dans le cadre de ce projet en vue d’acquérir des connaissances technologiques utiles.

[53] Par conséquent, je conclus qu’Airzone s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait à l’égard de ce projet.

B. Projet n° 2 : Amélioration de la détection de composés de soufre hautement réactifs

[54] En 2014, les services d’Airzone ont été retenus par un consortium de sociétés pétrolières pour mesurer le niveau de composés de soufre réduits (« CSR ») émis par l’exploitation des sables bitumineux. Airzone avait déjà travaillé avec le client pour déterminer les différents CSR qui étaient propres à l’exploitation des sables bitumineux. Par exemple, ces CSR avaient des profils différents de ceux des CSR émis par les stations d’épuration. Cependant, dans le projet précédent, Airzone avait travaillé sur le site même d’exploitation des sables bitumineux. Cette fois-ci, on a demandé à Airzone de mesurer le niveau de CSR émis par les sables bitumineux se retrouvant dans des sources ambiantes, situées entre 20 et 60 kilomètres du site d’exploitation des sables bitumineux. À cet égard, la principale incertitude concernait la capacité de détecter les faibles concentrations de CSR présentes dans l’environnement, de l’ordre de quelques parties par milliard.

[55] Selon M. Fellin, les CSR sont très réactifs au contact de tout support et se dégradent plus rapidement que les autres composés. Il faut utiliser une méthode de collecte et d’analyse rapide pour obtenir des données analytiques fiables sur la quantité de CSR dans cet environnement précis. M. Fellin a expliqué que la collecte de CSR sur un support sorbant ne fonctionne pas bien, car le sorbant dégrade l’échantillon. Airzone a déterminé que les CSR doivent être recueillis avec une méthode à gaz comme des sacs Tedlar ou des bonbonnes traitées Summa. Comme les échantillons de CSR ne sont pas recueillis sur des supports sorbants, ils ne sont pas concentrés dans tout l’échantillon. Les échantillons recueillis avec ces dispositifs se dégradent encore rapidement. Airzone pensait initialement que le seul moyen de concentrer ces échantillons serait d’injecter de grands volumes d’air en les combinant avec la concentration cryogénique de CSR, en utilisant des appareils conçus pour des composés moins réactifs. Airzone a mis à l’essai une série de 18 CSR et a déterminé les types de colonnes et les conditions de chromatographie les mieux adaptés à l’analyse d’échantillons de gaz ou d’air, puis a établi les conditions cryogéniques requises pour concentrer ces échantillons.

[56] Airzone a ensuite testé différentes méthodes d’extraction pour réussir à bien séparer les CSR pour leur identification et leur quantification uniques.

[57] M. Fellin a expliqué que, bien qu’une bonne résolution ait été atteinte, la séparation était encore insuffisante pour que chaque composé soit identifié et quantifié individuellement. Airzone a entrepris d’autres expériences pour déterminer s’il était possible d’obtenir des mesures fiables.

[58] M. Fellin a indiqué qu’Airzone avait ensuite mis à l’essai différents types de colonnes chromatographiques. D’une manière générale, ces colonnes chromatographiques sont utilisées pour séparer les composés d’un échantillon donné. Une colonne chromatographique typique est un tube rempli d’une substance solide qui facilite la séparation des composés. Airzone a fait des expériences sur la température du four, les rampes de température, etc. dans le but d’optimiser les conditions de résolution. Les colonnes testées ont donné partiellement de bons résultats en ce qu’elles ont permis l’identification de quatre des composés, la résolution a posé problème en raison, selon les conclusions d’Airzone, d’une polarité insuffisante pour la résolution des hydrocarbures non polaires dans de nombreux échantillons.

[59] Airzone a ensuite fait des expériences avec une colonne GasPro, un type de colonne qu’Airzone pensait capable d’éluer les CSR cibles et les hydrocarbures interférents en raison de ses propriétés. La colonne GasPro est considérablement différente des colonnes typiques utilisées aux fins de séparation. Il s’agit d’une colonne tubulaire ouverte à couche poreuse.

[60] M. Fellin a indiqué que la colonne GasPro s’était révélée efficace pour éluer les composés cibles et les composés interférents. Cependant, les résultats n’étaient toujours pas concluants.

[61] M. Fellin a affirmé qu’Airzone a ensuite procédé à des expériences sur la mise en place des conditions cryogéniques requises pour la concentration des échantillons, dans lesquelles une vanne à gaz introduisait l’échantillon dans une entrée, lequel pouvait être refroidi par cryogénie. Bien que l’entrée ait empêché les composés de se dégrader, Airzone a conclu que l’entrée ne concentrait pas efficacement les échantillons à des niveaux suffisamment élevés. Par conséquent, les expériences menées par Airzone n’ont pas permis d’établir de protocole fiable pour l’identification et la quantification des CSR dans l’environnement précis où les essais seraient menés à l’avenir.

[62] L’intimée soutient qu’Airzone a utilisé des méthodes et procédures ordinaires parce que l’expérience consistait à ajuster divers paramètres (comme le type de colonne et les conditions cryogéniques) pour obtenir le protocole souhaité. Je suis d’avis qu’il s’agit là d’une simplification à outrance de la nature des travaux d’Airzone, laquelle ne tient pas compte des nouvelles techniques et des difficultés qu’elle a dû surmonter. Comme il est noté dans la décision Northwest Hydraulic :

En général, la recherche scientifique comporte des progrès graduels et, de fait, infimes. Les réussites spectaculaires sont rares et ne constituent qu’une partie infime des résultats de la RS & DE au Canada [11] .

Airzone utilisait de nouvelles méthodes de collecte. Comme l’a expliqué M. Fellin, on avait déjà tenté de mesurer les CSR en les recueillant sur des systèmes absorbants. Mais ces tentatives n’avaient pas donné les résultats escomptés pour tous les composés particuliers des sables bitumineux qu’Airzone essayait de mesurer.

[63] Deuxièmement, le milieu opérationnel posait de nombreux défis. Comme Airzone procédait à des mesures dans l’environnement ambiant (et non à la source), des copolluants compromettaient l’échantillon. La lumière naturelle ajoutait aux difficultés, car elle dégrade les composés. Par conséquent, Airzone a dû travailler dans des délais serrés de 24 à 48 heures, selon la technique de collecte.

[64] Troisièmement, la nature nouvelle des composés les rendait incompatibles avec les méthodes ordinaires. Par exemple, un détecteur à photométrie de flamme peut être utilisé pour détecter le soufre dans un échantillon et, par conséquent, mesurer les CSR dans les échantillons. Cependant, la présence de niveaux élevés d’hydrocarbures dans les échantillons a nui à la capacité du détecteur à photométrie de flamme de mesurer les CSR. De plus, Airzone ne mesurait pas uniquement un CSR. Elle s’intéressait à un ensemble de 18 CSR différents, qu’elle devait mesurer en même temps. À cet égard, les différents composés se comportent différemment. Certains réagissaient bien avec la méthode cryogénique, d’autres ne pouvaient être concentrés qu’à des températures inférieures à celles auxquelles les colonnes pouvaient fonctionner. Ce facteur a été déterminant dans le fait qu’Airzone n’a pas été en mesure d’établir de protocoles pour l’ensemble des composés.

[65] Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’Airzone a mené les travaux dans le cadre de ce projet en vue de résoudre des incertitudes techniques pour l’avancement de ses connaissances technologiques dans le champ d’activité qu’elle exerce. Les essais ont démontré que les méthodes d’extraction ou de séparation, qui, selon les hypothèses établies par Airzone, pouvaient permettre d’obtenir des données analytiques et des données de quantification fiables, n’étaient pas suffisamment fiables. D’autres expériences se sont avérées nécessaires pour établir un protocole d’identification et de quantification efficace.

C. Projet no 3 : Amélioration de la détection des nouveaux composés atmosphériques

[66] M. Fellin a témoigné qu’Airzone travaille avec Environnement Canada pour tester le niveau des contaminants atmosphériques dans l’Arctique canadien depuis 1987. M. Fellin a expliqué que les contaminants se frayent un chemin vers l’Arctique par la circulation de l’air. Ce processus se déroule sur de nombreuses années et laisse des dépôts humides ou secs. Finalement, les contaminants se déposent sur le sol ou dans les milieux aquatiques. Les contaminants sont ensuite ingérés par les animaux sauvages. La faune sauvage est une source importante de nourriture pour les populations locales, qui vivent souvent de la terre. Par conséquent, le contrôle de la qualité de l’air dans l’Arctique est un service essentiel pour la population locale.

[67] Les échantillons prélevés dans l’Arctique au cours des 30 dernières années ont été préservés. Lorsque les échantillons ont été analysés de nouveau, les chercheurs ont découvert des concentrations croissantes de composés organiques de brome et de fluor provenant de produits ignifuges (provenant par exemple de feux de forêt) qui ont été transportés dans l’Arctique. Les chercheurs ont donc voulu dégager les tendances temporelles et spatiales de ces composés. Cependant, les méthodes de détection qu’Airzone avait développées à la fin des années 1980 n’étaient pas assez précises pour quantifier les tendances spatiales et temporelles. Airzone a donc été de nouveau engagée par Environnement Canada. Il s’agissait d’une initiative de collaboration. Airzone a développé le protocole d’extraction, d’échantillonnage et de concentration, tandis qu’Environnement Canada a travaillé sur l’analyse proprement dite pour déterminer les tendances.

[68] Étant donné que ces nouveaux composés étaient présents à des niveaux de concentration très faibles, Airzone a dû effectuer de multiples essais pour déterminer quels produits absorbants et solvants pouvaient être utilisés afin d’obtenir des mesures fiables des niveaux de concentration de ces nouveaux composés.

[69] M. Fellin a témoigné que le problème des composés de brome et de fluor résidait dans la contamination générale dans le laboratoire, étant donné que presque tous les outils du laboratoire contiennent des composés de brome ou de fluor. Par conséquent, Airzone a développé un nouveau système d’isolation. En outre, comme certains des composés étaient polaires et d’autres apolaires, Airzone a éprouvé des difficultés lorsqu’elle a voulu récupérer suffisamment de composés avec les supports d’échantillonnage avec un seul solvant. Après de multiples expériences, Airzone a établi une procédure d’extraction séquentielle qui utilise deux solvants différents pour séparer les nouveaux composés qui doivent être identifiés et quantifiés.

[70] Le témoignage de M. Fellin me convainc qu’Airzone a réalisé des progrès technologiques qui consistent en une nouvelle procédure d’extraction en deux étapes pour les contaminants qui sont maintenant présents dans les échantillons d’air pris dans l’Arctique canadien. Airzone a obtenu ce résultat grâce à des essais systématiques fondés sur des hypothèses qui ont été formulées en vue d’obtenir des résultats d’extraction fiables.

[71] M. Fellin a fait l’objet d’un contre-interrogatoire rigoureux. Aucune preuve dans le dossier ne contredit son témoignage selon lequel de multiples essais ont été effectués par Airzone pour établir le nouveau protocole d’extraction des nouveaux contaminants. La façon dont ce projet a été exécuté corrobore le témoignage de M. Fellin selon lequel l’expérimentation était nécessaire, car Airzone ne savait pas à l’avance comment atteindre cet objectif. Comme je l’ai indiqué plus haut, le témoignage de M. Melnyk confirme que les méthodes d’identification et de quantification des contaminants ne sont généralement pas révélées dans les sources publiques.

VI. ANNÉE D’IMPOSITION 2015

A. Projet no 1 : Résoudre des problèmes de combustion pour créer un feu couvant artificiel

[72] Pendant les mois d’été, des feux couvants avaient tendance à se produire spontanément dans des piles de charbon entreposées dans un terminal d’expédition. Airzone a été engagée pour identifier et mesurer les composés émis par les tas de charbon en combustion. Les éléments de preuve montrent qu’en raison des risques associés à la combustion spontanée, ni Airzone ni son partenaire dans ce projet ne pouvaient procéder à l’échantillonnage direct au front de taille en utilisant les outils traditionnels de contrôle.

[73] Face à cette difficulté, Airzone a décidé que l’identification et la quantification des composés devaient être mesurées dans un dispositif d’essai. Airzone a conçu une chambre d’essai et l’a utilisée pour recueillir des émissions représentatives de divers types de charbon entreposé. La chambre d’essai conçue à cette fin permettait de commander l’introduction d’oxygène dans la chambre de manière à ce que le processus de combustion couvante puisse se produire sur une période de deux heures sans que le charbon s’enflamme complètement. Les niveaux d’oxygène étaient gérés pour empêcher la combustion complète du charbon. M. Fellin a expliqué que la combustion du charbon libère moins d’émissions que le charbon en combustion couvante, car les flammes elles-mêmes consomment les contaminants généralement libérés par la combustion couvante de charbon.

[74] Dans le cas de ce projet, je conclus que la conception de la chambre servant à la combustion couvante du charbon était le fruit d’ingénierie de routine. Une fois le processus de combustion couvante maintenu, Airzone semble avoir utilisé des méthodes et procédures ordinaires pour identifier et quantifier les composés émis par les différents types de charbon en combustion qu’Airzone était chargée de tester.

[75] À mon avis, une grande partie des travaux entrepris dans le cadre de ce projet concernait la conception de la chambre d’essai et l’utilisation de celle-ci pour imiter la combustion couvante du charbon. Je souscris à l’observation de l’intimée selon laquelle la chambre d’essai, bien qu’un peu plus perfectionnée, n’était pas tellement différente d’un barbecue à usage domestique. Du charbon de chauffage était inséré dans la chambre pour qu’il y ait suffisamment de chaleur pour déclencher le processus de combustion couvante. Des ouvertures dans la chambre servaient à gérer la quantité d’oxygène qui y entrait.

[76] Deuxièmement, contrairement aux trois projets entrepris en 2014, aucun élément de preuve dans le dossier n’indique qu’Airzone a eu de la difficulté à établir l’identification et la quantification des émissions produites par les différents types de charbon une fois le processus de combustion couvante commencé. Le processus de combustion couvante génère une quantité importante d’eau, qui nuit à la mesure d’autres émissions par l’équipement de contrôle continu. Airzone a néanmoins pu mesurer ces émissions à l’aide d’appareils différents, appelés échantillonneurs intégrés. Une fois les composés d’émission mesurés, Airzone a utilisé un modèle informatique existant développé par la United States Environmental Protection Agency (Agence des États-Unis pour la protection de l’environnement) pour estimer le niveau d’exposition à différents endroits autour du terminal. Je suis d’avis qu’Airzone n’a pas démontré que les travaux entrepris dans le cadre de ce projet l’avaient été pour réaliser des progrès technologiques. Je crois plutôt qu’Airzone savait quelles méthodes ou quels procédés pouvaient être utilisés pour imiter les émissions d’un tas de charbon en combustion couvante et savait comment mesurer les émissions une fois le processus de combustion couvante commencé. Ce qu’Airzone a fait en réalité, c’est mesurer les émissions à l’aide de méthodes et techniques ordinaires généralement employées lorsque des contaminants sont libérés dans une chambre d’essai.

[77] Pour tous ces motifs, je conclus que les dépenses faites dans le cadre de ce projet n’étaient pas des dépenses de RS&DE.

B. Projet no 2 : Mesure de composés de phosphate à de faibles niveaux de concentration

[78] M. Fellin a témoigné qu’il avait été invité à participer à un atelier parrainé par la Banque mondiale pour aider 12 pays africains à étudier le processus d’eutrophisation dans de vastes zones du lac Victoria. L’eutrophisation est le processus par lequel les niveaux d’oxygène dans les lacs s’appauvrissent parce que le milieu aquatique est enrichi par des minéraux et des nutriments, ce qui entraîne la prolifération d’algues et de mauvaises herbes. La pêche dans le lac Victoria est une source importante de protéines pour les habitants de la région. Le dépôt de ces composés sur les terres agricoles entraînait également une baisse du rendement des cultures agricoles.

[79] M. Fellin a supposé que le problème était lié au dépôt de phosphate et de nitrate en suspension dans l’air. Selon M. Fellin, le phosphate et d’autres contaminants sont libérés dans l’atmosphère parce que les agriculteurs africains ont adopté la pratique de brûler la biomasse pour préparer leurs champs en vue de l’ensemencement avant la prochaine saison des pluies. Une fois que le phosphate et les autres contaminants sont en suspension dans l’air, ils sont emportés par les courants éoliens vers des endroits qui peuvent être éloignés des activités agricoles. Au bout du cycle, par dépôt sec ou humide, les contaminants se déposent dans des régions aquatiques telles que le lac Victoria. Il s’ensuit une prolifération d’algues, une baisse des niveaux d’oxygène et une réduction correspondante des ressources halieutiques.

[80] À la suite de l’atelier, un projet a été lancé pour mesurer le phosphate en suspension dans l’air et d’autres contaminants dans la région subsaharienne de l’Afrique. Airzone a émis l’hypothèse que, s’il était possible d’échantillonner les particules dans l’air contenant du phosphate, il serait alors possible de modéliser le dépôt au sol en se basant sur les données sur le vent recueillies sur place dans la région subsaharienne. Le rôle d’Airzone dans ce projet était de concevoir un système qui permettrait de recueillir les particules en suspension, dans l’environnement hostile de la région subsaharienne.

[81] Le travail entrepris par Airzone pour la conception d’un nouveau système de détection comprenait les éléments suivants :

· sélection et intégration des composants, y compris un boîtier de commande, une source d’énergie, des pompes à soupape, etc., lesquels, selon les hypothèses d’Airzone, seraient suffisamment fiables pour fonctionner dans des environnements hostiles;

· programmation du système pour permettre une détection d’échantillonnage variable. Selon M. Fellin, le système devait permettre un échantillonnage de jour comme de nuit en raison de la différence extrême dans la configuration des vents le jour et la nuit;

· réalisation d’une série d’essais pour déterminer les volumes d’air nécessaires pour obtenir un volume de détection fiable.

[82] Airzone a demandé la déduction de dépenses relatives aux activités mentionnées ci-dessus. Les travaux entrepris en 2015 ont conduit à la production de trois prototypes fonctionnels qui ont été employés dans trois pays africains différents pour une période d’essai d’un an visant à évaluer la fiabilité des systèmes.

[83] Dans sa réponse, l’intimée a reconnu que l’automatisation et la programmation du système de détection étaient une conception unique et avaient été créées par Airzone, pour son compte, par l’intermédiaire d’un sous-traitant en programmation électronique. L’intimée a cependant allégué que les difficultés techniques avaient été surmontées en utilisant des connaissances et des techniques établies du génie mécanique ou du génie électronique. L’intimée a également soutenu que les travaux entrepris par Airzone consistaient à optimiser les techniques d’échantillonnage existantes dans diverses conditions afin d’obtenir une plus grande certitude.

[84] Il s’agit d’un projet limite. D’un côté, j’ai le témoignage de M. Fellin, qui dit qu’Airzone a dû faire face à beaucoup d’éléments inconnus dans le cadre de ce projet. Elle a dû concevoir et construire des prototypes fonctionnels à partir de zéro. Bien que certains composants aient été disponibles dans le commerce, Airzone a dû concevoir et construire le système de circulation, le système de commande et le régime d’échantillonnage de jour et de nuit. Airzone a également dû réaliser des essais pour établir le logiciel du système, les paramètres météorologiques et le protocole d’échantillonnage. Enfin, je dispose de la concession faite par l’intimée qu’Airzone a satisfait à tous les « facteurs relatifs à la question “comment” » en ce qui concerne la conception et la programmation de ce dispositif d’échantillonnage complexe et spécialisé, censément le premier du genre. Comme il a été indiqué plus haut, j’ai conclu que M. Fellin était un témoin bien informé, fiable et crédible. Son témoignage est également corroboré par la concession faite par l’intimée selon laquelle les travaux d’Airzone dans le cadre de ce projet satisfaisaient à tous les « facteurs relatifs à la question “comment” ».

[85] Par contre, je dispose de l’hypothèse de fait du ministre selon laquelle il n’a pas été satisfait au « facteur relatif à la question “pourquoi” » dans le cadre de ce projet, même si l’intimée a reconnu que l’expérimentation avait été entreprise pour résoudre les difficultés éprouvées dans le cadre du projet.

[86] En fin de compte, je conclus que les difficultés techniques qu’a dû surmonter Airzone dans le cadre de ce projet étaient uniques et n’avaient pas été résolues auparavant. M. Fellin a expliqué que, puisque le brûlage des terres agricoles n’est pratiqué que dans certaines régions, il y a eu très peu d’études sur la façon de mesurer les composés de phosphate en suspension dans l’air. Par conséquent, il n’existait pas de protocole habituel pour mesurer les phosphates en suspension dans l’air. Cette absence de protocole a posé une multitude de difficultés. Tout d’abord, comme c’était la première fois que l’on mesurait les phosphates en suspension dans l’air en Afrique subsaharienne, il n’existait pas de données préalables sur les niveaux de phosphate. Par conséquent, le système devait permettre de mesurer des niveaux de concentration faibles ou variables causés par les changements saisonniers dans la configuration des vents. À cette fin, Airzone a dû trouver un équilibre entre la limite de détection du système et le risque de surcharge des filtres. Par exemple, l’augmentation du débit aurait accru la limite de détection, mais aurait également accru le risque de surcharge des filtres. C’était particulièrement le cas dans les climats secs comme les climats désertiques. Deuxièmement, le système d’échantillonnage devait résister à diverses conditions hostiles. Un système a été placé dans un quasi-désert du Malawi et a dû survivre à de fréquentes tempêtes de sable. Un autre a été placé dans une forêt tropicale de Côte d’Ivoire, où il y avait des périodes de pluie intense. Troisièmement, en raison de l’éloignement des lieux d’échantillonnage, les systèmes d’échantillonnage devaient être à la fois alimentés par l’énergie solaire et autonomes. Ce qui précède vient étayer le témoignage de M. Fellin sur les progrès technologiques réalisés par Airzone dans le cadre de ce projet. Par conséquent, je conclus qu’Airzone s’est acquittée du fardeau de la preuve factuelle qui lui incombait à l’égard de ce projet.

C. Projet no 3 : Mesure des émissions inconnues dans les milieux de traitement

[87] L’extrusion plastique est le processus par lequel différents matériaux pétroliers sont mélangés à différents activateurs, puis cuits à haute température pour créer des produits en plastique. Lorsque les matériaux sont soumis à une température élevée, ils réagissent, d’une façon pouvant entraîner l’émission de matières autres que le matériau de départ. Un fabricant de matières plastiques a remarqué que ses employés présentaient divers symptômes de réaction allergique. Les services d’Airzone ont été retenus pour recenser toute émission inconnue afin de déterminer si le processus d’extrusion était à l’origine de ces symptômes. À cette fin, Airzone a cherché à résoudre deux incertitudes technologiques :

1. Développer une chambre d’essai et des procédures pour chauffer les matières traitées et non traitées à tester à 250 degrés Celsius afin de produire des estimations quantitatives des émissions inconnues pour analyse (les composés organiques volatils ou « COV » et les aldéhydes étant présumés être les principales substances émises). Le fonctionnement initial de la chambre d’essai a révélé des problèmes d’étanchéité avec les matériaux ordinaires, c’est-à-dire les joints en caoutchouc ou en mousse, car ces matériaux généraient des émissions et des composés parasites qui nuisaient à la prise de mesures. Ce problème a été décelé par des essais faits dans la chambre vide.

2. Expérimenter la possibilité d’utiliser une méthode de contrôle passif pour recueillir, mesurer et analyser les émissions inconnues créées dans un milieu de séchage de la peinture pendant le processus de cuisson de celle-ci dans les usines de fabrication automobile. Les conditions de cuisson mènent potentiellement à la formation de certains produits de dégradation. Une étude comparative a été avec les données d’équipement de contrôle actif et passif dans des conditions typiques.

[88] M. Fellin a indiqué que des recherches dans les brevets existants de technologie semblable, tels que le brevet américain 6094968 A, n’ont pas fourni de solutions directement applicables au problème particulier d’Airzone. Par conséquent, il a fallu expérimenter pour surmonter les incertitudes technologiques ci-dessus.

[89] Décembre 2014 : M. Fellin a indiqué que les essais ordinaires réalisés en chambre sont généralement effectués à température ambiante (maximum 30 degrés Celsius) et que les méthodes utilisées par Airzone pour identifier les émissions inconnues ne sont pas utilisées dans des situations de haute température. La plupart des matériaux produisent des émissions qui augmentent de manière exponentielle lorsqu’ils sont assujettis à des températures élevées. Les joints standard se dégradent rapidement dans ces conditions et émettent des composés qui font interférence avec les composés émis par la matière testée et donc leur examen. En général, les composants utilisés dans la fabrication des chambres emploient des joints d’étanchéité en caoutchouc ou en mousse. Airzone a dû expérimenter plusieurs autres matériaux avant de pouvoir réduire de manière importante les émissions des joints d’étanchéité tout en maintenant l’intégrité du fonctionnement de la chambre. Finalement, l’utilisation de joints d’étanchéité Viton a permis d’obtenir des niveaux suffisamment bas dans la chambre testée à vide pour qu’Airzone soit en mesure de mesurer les émissions des matières à tester.

[90] M. Fellin a expliqué à la Cour qu’Airzone utilisait généralement des dispositifs d’échantillonnage actif. Cependant, ces dispositifs sont encombrants et difficiles à manipuler, ce qui peut nuire à l’exécution normale du travail. Par conséquent, ils peuvent donner des mesures d’exposition non représentatives, puisque les mouvements normaux sont modifiés pour permettre le déplacement des appareils. Par conséquent, Airzone a voulu étudier le potentiel de l’utilisation de dispositifs de contrôle passif pour mesurer l’exposition aux COV et les produits de dégradation en suspension dans l’air dans le milieu de cuisson au four et elle a eu besoin d’établir les limites à la mesure des COV et des produits de dégradation en suspension dans l’air. Une comparaison a été réalisée entre les dispositifs passifs d’une part et les dispositifs actifs d’autre part dans des conditions d’usine typiques afin de vérifier le rendement des travailleurs dans une variété de tâches. La comparaison a produit des données qui ont révélé des résultats de précision expérimentale pour les différentes méthodes, indiquant la validité de l’approche et révélant une méthode plus pratique pour mener des études d’exposition dans ces conditions.

[91] M. Fellin a affirmé qu’à la suite des travaux menés dans la chambre, Airzone a trouvé un moyen d’effectuer des mesures viables dans la chambre à des températures élevées correspondant aux conditions de fabrication de composants électroniques typiques. Cette approche peut également être utilisée pour évaluer les émissions de composants provenant d’autres industries où des températures plus élevées sont utilisées dans le processus de fabrication.

[92] M. Fellin a également affirmé que, pour la méthode de contrôle, Airzone a pu vérifier le rendement des dispositifs passifs – lesquels sont beaucoup plus pratiques dans les milieux de travail typiques et peuvent valider les données produites. Il s’agit donc d’un autre outil pour évaluer l’exposition dans les zones respiratoires en milieu de travail, mais qui a des répercussions minimales sur l’exécution des tâches par les travailleurs, ce qui rend les résultats plus représentatifs.

[93] À mon avis, les travaux entrepris dans le cadre de ce projet constituent des travaux ordinaires en ingénierie. Contrairement au projet no 2, l’observation de l’intimée selon laquelle les travaux consistaient simplement à ajuster divers paramètres ne constitue pas une simplification à outrance des travaux menés. L’appelante a simplement essayé différents joints d’étanchéité jusqu’à ce qu’elle en trouve un qui ne se dégrade pas sous l’effet de la chaleur. Aucun élément de preuve ne montre qu’Airzone a eu des difficultés à le faire. M. Fellin a témoigné que, bien que l’exposition à des températures élevées ne fasse pas partie de la procédure ordinaire, Airzone avait [traduction] « une idée de la direction que [les travaux] devaient prendre » [12] . En contre-interrogatoire, il a admis que le joint d’étanchéité Viton est un produit commercial connu pour sa capacité à résister à des températures élevées.

VII. CONCLUSION

[94] Compte tenu des motifs qui précèdent, je conclus que les déductions et crédits relatifs aux activités de RS&DE demandés par Airzone à l’égard des projets 1, 2 et 3 pour l’année d’imposition 2014 et du projet 2 pour l’année d’imposition 2015 devraient être accordés. Je conclus également que les déductions et crédits relatifs aux activités de RS&DE demandés par l’appelante à l’égard des projets 1 et 3 pour l’année d’imposition 2015 ont été refusés à juste titre par le ministre.

[95] Par conséquent, l’appel interjeté par l’appelante à l’égard des années d’imposition 2014 et 2015 est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen et établissement d’une nouvelle cotisation conformément à ce qui précède.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de février 2022.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mai 2022.

Elisabeth Ross, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 29

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-379(IT)G

INTITULÉ :

AIRZONE ONE LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 6, 7 et 8 décembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 février 2022

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Mahyar Makki

Avocats de l’intimée :

Me Robert Zsigo

Me Jason Winter

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Mahyar Makki

 

Cabinet :

Quantum Business Law

60 Renfrew Drive, bureau 220

Markham (Ontario) L3R 0E1

Pour l’intimée :

Me François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] CW Agencies Inc c. Canada, 2001 CAF 393, par. 17.

[2] Northwest Hydraulic Consultants Ltd c. La Reine, [1998] A.C.I. no 340 [Northwest Hydraulic]; Logitek Technology Ltd c. La Reine, 2008 CCI 145; Kam-Press Metal Products Ltd c. La Reine, 2019 CCI 246, conf. par 2021 CAF 88; WRD Borger Construction Ltd. c. La Reine, 2021 CCI 40; Flavor Net Inc. c. La Reine, 2017 CCI 179; R&D Pro-innovation Inc. c. La Reine, 2015 CCI 186, conf. par 2016 CAF 152.

[3] Questions posées lors de l’interrogatoire préalable par écrit de Nick Melnyk, question 15.

[4] Réponses données lors de l’interrogatoire préalable par écrit de Nick Melnyk, question 15.

[5] Réponse de l’intimée à l’avis d’appel, alinéa 3p).

[6] Indusol Industrial Control Ltd. c. La Reine, 2020 CCI 103, par. 61.

[7] Northwest Hydraulic, précitée, note 2, par 16.

[8] [traduction] « Rapport d’examen des activités de recherche scientifique et de développement expérimental (« RS&DE ») concernant les années d’imposition de l’appelante se terminant le 20 septembre 2014 et 2015, préparé par un conseiller en recherche et technologie de l’ARC, daté du 10 août 2016 », recueil conjoint de documents, onglet 19, p. 6.

[9] Agence du revenu du Canada, « Lignes directrices sur l’admissibilité des travaux aux encouragements fiscaux pour la recherche scientifique et le développement expérimental (RS&DE) » (13 août 2021).

[10] Northwest Hydraulic, précitée, note 2, par 11.

[11] Northwest Hydraulic, précitée, note 2, par 10.

[12] Transcription du procès, vol. 2, p. 21.

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