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Dossier : 2016-1689(IT)G

ENTRE :

THOMAS HUNT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête d’abord entendue par observations écrites, puis par observations orales les 25 et 26 janvier 2022 par vidéoconférence.

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me David R. Davies

Me Alexander Demner

Avocats de l’intimée :

Me David Everett

Me Lisa Macdonell

 

ORDONNANCE

ATTENDU QUE la Cour a publié, en date des présentes, ses motifs de l’ordonnance ci-joints.

LA COUR ORDONNE :

  1. La Cour répond aux questions qui lui sont posées en application de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) de la façon suivante :

  • a)Les frais imposés en application de l’un ou de l’autre ou des deux articles 207.05 et 207.06 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, modifiée (la « Loi ») constituent un impôt; et

  • b)Les articles 207.05 et 207.06 de la Loi, pris séparément ou de concert, sont constitutionnels parce qu’il n’y a pas eu délégation inappropriée de l’élément de l’établissement du taux de cet impôt au ministre du Revenu national en violation de l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3 (R.-U.), reproduite dans la L.R.C. 1985, app. II, no 5 (la « Loi constitutionnelle »).

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de juin 2022.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de Juillet 2023.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022CCI67

Date : 20220623

Dossier : 2016-1689(IT)G

ENTRE :

THOMAS HUNT,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Bocock

I. INTRODUCTION

[1] La présente demande est présentée en application du paragraphe 58(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (« article 58 des Règles »). Le juge Pizzitelli de notre Cour a rejeté en 2018 deux questions similaires, mais plus étroites, relatives à l’article 58 des Règles[1]. En appel, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de l’appelant et a confirmé la décision du juge Pizzitelli[2]. Par ordonnance du 22 mars 2021, notre Cour a modifié les deux questions en application de l’article 58 des Règles afin d’inclure un renvoi à l’article 207.06 ainsi qu’à l’article 207.05 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1, modifiée (la « Loi »).

II. LES QUESTIONS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 58 DES RÈGLES

[2] Par conséquent, les présentes questions en application de l’article 58 des Règles sont les suivantes :

  1. Les frais imposés en application de l’un ou de l’autre ou des deux articles 207.05 et 207.06 de la Loi constituent-ils en droit une pénalité ou un impôt? (« Première question »);

  2. Les articles 207.05 et 207.06 de la Loi, séparément ou de concert, sont-ils inconstitutionnels en raison de la délégation incorrecte de l’élément d’établissement du taux de cet impôt au ministre du Revenu national, donc contraires à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 et 31 Victoria, c 3 (R.-U.), reproduite dans la L.R.C. 1985, app. II, no 5 (la « Loi constitutionnelle »)? (« Seconde question ».)

III. SURVOL DES THÈSES DES PARTIES

A. Première question : les frais constituent-ils un impôt ou une pénalité?

i) Thèse générale de l’appelant

[3] L’appelant soutient fondamentalement que les frais pour avantage imposés en application de l’un ou de l’autre ou des deux articles 207.05 et 207.06 de la Loi constituent en fait une pénalité malgré le fait qu’ils sont qualifiés d’« impôt »[3]. L’appelant soutient qu’une pénalité appartient à une catégorie distincte de celle de l’impôt et que la désignation d’« impôt » n’est pas déterminante quant à la question de savoir si des frais imposés constituent légalement un impôt ou une pénalité[4]. La désignation n’étant pas déterminante, la Cour doit examiner le fond des frais pour avantage. Lorsque cela est fait, les frais pour avantage révélés au regard du contexte et de leur objet constituent au fond une pénalité.

ii) Thèse générale de l’intimée

[4] L’intimée fait valoir que les frais pour avantage constituent un impôt en appliquant les principes corrects d’interprétation des lois au texte de la Loi. L’argument principal de l’intimée est que le texte d’une disposition joue un rôle dominant dans son interprétation, et le texte de l’article 207.05, lu selon son sens grammatical et ordinaire, impose un impôt. Subsidiairement, l’intimée affirme qu’une analyse contextuelle et téléologique permet également de conclure que l’article 207.05, seul ou de concert avec l’article 207.06, impose un impôt.

B. Seconde question : Si elle représente un impôt, est-ce inconstitutionnel?

i) Thèse générale de l’appelant

[5] L’appelant fait valoir que les articles 207.05 et 207.06 de la Loi, pris séparément ou de concert, sont inconstitutionnels car contraires à l’article 53 de la Loi constitutionnelle. Cela découle de la délégation incorrecte de l’élément d’établissement du taux d’imposition au ministre par l’intermédiaire du pouvoir discrétionnaire ministériel prévu par l’article 207.06.

ii) Thèse générale de l’intimée

[6] En réponse, l’intimée affirme que les articles 207.05 et 207.06 de la Loi sont tous deux constitutionnellement valides. Premièrement, étant donné que l’article 207.05 impose un impôt valide sur le plan constitutionnel et que l’article 207.06 n’impose aucun impôt, que ce soit seul ou de concert avec l’article 207.05, l’article ne peut être contraire à l’article 53 de la Loi constitutionnelle. En effet, l’article 207.06 ne prévoit pas d’impôt et ne fait que renoncer à l’obligation de payer l’impôt. Quelle que soit la délégation des pouvoirs fiscaux, il s’agit simplement d’un pouvoir discrétionnaire ministériel, lui-même suffisamment limité aux tâches administratives autorisées.

IV. LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

A. Loi de l’impôt sur le revenu

[7] Les dispositions pertinentes de la Loi sont les articles 207.01 (« avantage relatif au CELI »), 207.05 (« frais de CELI ») et 207.06 (« renonciation relative au CELI »). Toutes les définitions entre parenthèses sont telles qu’elles figurent dans les présents motifs et non dans la Loi. Au-delà, les articles de la Loi sont les suivants :

Impôts relatifs aux régimes enregistrés

207.01 avantage Est un avantage relatif à un régime enregistré (l’« avantage relatif au CELI ») :

  • a)tout bénéfice ou prêt, ou toute dette, qui est subordonné à l’existence du régime, à l’exception [exceptions énumérées aux points (i)-(v)];

  • b)tout bénéfice qui représente une hausse de la juste valeur marchande totale des biens détenus dans le cadre du régime qu’il est raisonnable de considérer, compte tenu des circonstances, comme étant attribuable, directement ou indirectement :

  • i)soit à une opération ou à un événement, ou à une série d’opérations ou d’événements, qui, à la fois :

  • A)ne se serait pas produit dans un contexte commercial ou financier normal où des parties sans lien de dépendance traitent librement, prudemment et en toute connaissance de cause,

  • B)a pour objet principal notamment de permettre à une personne ou à une société de personnes de profiter de l’exemption d’impôt prévue à la partie I à l’égard d’une somme relative au régime,

  • ii)soit à un paiement reçu au titre ou en règlement total ou partiel, selon le cas :

  • A)d’un paiement pour des services fournis par le particulier contrôlant du régime ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

  • B)d’un paiement d’intérêts, de dividende, de loyer, de redevance ou de tout autre rendement sur placement, ou d’un paiement de produit de disposition, relatif à des biens (sauf ceux détenus dans le cadre du régime) détenus par le particulier contrôlant du régime ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

  • iii)soit à une opération de swap,

  • iv)soit à un revenu de placement non admissible déterminé qui n’a pas été versé sur le régime au particulier contrôlant de celui-ci dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où ce particulier a reçu l’avis du ministre mentionné au paragraphe 207.06(4);

  • c)tout bénéfice qui représente un revenu (déterminé compte non tenu de l’alinéa 82(1)b)) ou un gain en capital qu’il est raisonnable d’attribuer, directement ou indirectement :

  • i)soit à un placement interdit relativement au régime ou à tout autre régime enregistré du particulier contrôlant,

  • ii)soit, dans le cas d’un régime enregistré qui n’est pas un CELI, à une somme reçue par le particulier contrôlant du régime, ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, au titre ou en paiement intégral ou partiel des services visés à la division (A) ou des sommes visées à la division (B), s’il est raisonnable de considérer, compte tenu des circonstances, que le paiement est effectué relativement à des biens détenus dans le cadre du régime ou qu’il n’aurait pas été effectué en l’absence de tels biens :

  • A)d’un paiement pour des services fournis par le particulier contrôlant du régime ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

  • B)des intérêts, un dividende, un loyer, une redevance ou tout autre rendement sur placement, ou un produit de disposition,

  • iii)soit à une cotisation excédentaire intentionnelle;

  • d)toute somme découlant d’un dépouillement de régime enregistré relatif au régime;

  • e)tout bénéfice visé par règlement. (advantage)

Impôt à payer relativement à un avantage (les « frais de CELI »)

207.05 (1) Un impôt est à payer en vertu de la présente partie pour une année civile si, au cours de l’année, un avantage relatif à un régime enregistré est accordé au particulier contrôlant du régime, à une fiducie régie par le régime ou à toute autre personne ayant un lien de dépendance avec le particulier contrôlant, ou est reçu ou à recevoir par ceux-ci.

Impôt à payer

(2) L’impôt à payer relativement à l’avantage correspond à celle des sommes suivantes qui est applicable :

  • a)s’agissant d’un bénéfice, sa juste valeur marchande;

  • b)s’agissant d’un prêt ou d’une dette, son montant;

  • c)s’agissant d’une somme découlant d’un dépouillement de régime enregistré, cette somme.

Assujettissement

(3) Chaque particulier contrôlant d’un régime enregistré relativement auquel l’impôt prévu au paragraphe (1) est établi est solidairement redevable de l’impôt. Toutefois, si l’avantage est accordé par l’émetteur ou le promoteur du régime ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, l’émetteur ou le promoteur, et non le particulier contrôlant, est redevable de l’impôt.

Renonciation de l’impôt à payer (la « Renonciation relative au CELI »)

207.06 (1) Le ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt dont un particulier serait redevable par ailleurs en vertu de la présente partie par l’effet des articles 207.02 ou 207.03, ou l’annuler en tout ou en partie, si, à la fois :

  • a)le particulier convainc le ministre que l’obligation de payer l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

  • b)sont effectuées sans délai sur un compte d’épargne libre d’impôt dont le particulier est titulaire une ou plusieurs distributions dont le total est au moins égal au total des sommes suivantes :

  • ii)la somme sur laquelle le particulier serait par ailleurs redevable de l’impôt,

  • iii)le revenu, y compris le gain en capital, qu’il est raisonnable d’attribuer, directement ou indirectement, à la somme visée au sous-alinéa (i).

(2) Le ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt dont une personne serait redevable par ailleurs en vertu de la présente partie par l’effet du paragraphe 207.04(1) ou de l’article 207.05, ou l’annuler en tout ou en partie, dans le cas où il est juste et équitable de le faire compte tenu des circonstances, y compris :

  • a)le fait que l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

  • b)la mesure dans laquelle l’opération ou la série d’opérations qui a donné lieu à l’impôt a également donné lieu à un autre impôt prévu par la présente loi;

  • c)la mesure dans laquelle des paiements ont été faits sur le régime enregistré de la personne.

 

B. Loi constitutionnelle

[8] L’article 53 de la Loi constitutionnelle, intitulé « Bills d’appropriation et d’impôt », est ainsi libellé :

53 Tout bill ayant pour but l’appropriation d’une portion quelconque du revenu public, ou la création de taxes ou d’impôts, devra originer dans la Chambre des Communes.

V. LES AUTORITÉS EN GÉNÉRAL – L’INTERPRÉTATION DES TEXTES LÉGISLATIFS

[9] Dans l’arrêt Stubart Investments, la Cour suprême du Canada (la « Cour suprême ») a confirmé l’approche moderne qu’il convient de suivre en matière d’interprétation des lois. Selon cette approche, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »[5]. Dans l’arrêt Trustco Canada, la Cour suprême a recadré cette approche en la qualifiant d’approche textuelle, contextuelle et téléologique (« TCT »)[6].

[10] Une disposition législative doit être interprétée selon une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble[7]. En outre, lorsqu’il est précis et non équivoque, le texte d’une loi joue un rôle primordial dans son interprétation[8]. La Cour suprême, dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, a également noté que « [l]’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux ».[9]

[11] La jurisprudence récente de la Cour suprême donne un éclairage supplémentaire sur ce processus analytique. Si les termes de la disposition législative semblent précis et sans équivoque, la Cour doit quand même examiner l’objet et le contexte de la loi[10]. L’examen d’une disposition peut être clair à première vue, mais son contexte peut révéler des ambiguïtés latentes[11].

[12] Un différend en matière d’interprétation impliquant de multiples objectifs et la compatibilité entre deux ou plusieurs dispositions légales peut notamment donner une importance particulière à l’économie de la loi et aux objectifs sous-jacents des dispositions en cause[12]. Face à une situation complexe, le juge ne doit pas se concentrer sur un objectif à l’exclusion des autres. Au lieu de cela, il doit attribuer un rôle actif aux objectifs secondaires non définis dans les préambules ou les déclarations d’objectifs[13]. Quoi qu’il en soit, les objectifs législatifs primaires doivent être interprétés de manière proportionnelle et équilibrés avec d’autres principes et politiques qui nuancent la poursuite des objectifs primaires[14].

[13] Après examen, si le langage législatif est sans ambiguïté, alors l’objet « ne peut pas servir à créer une exception tacite à ce qui est clairement prescrit »[15]. De même, les considérations de nature politique « ne doivent pas servir à déformer le libellé de la loi, interprété d’une façon qui s’harmonise avec l’économie et l’objet du texte législatif en question ainsi qu’avec l’intention du législateur, pour donner à la disposition un sens qu’elle n’a pas »[16].

[14] Finalement, dans cette démarche, « il faut déterminer l’intention du législateur et, à cette fin, lire les termes de la loi au regard du contexte, en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi »[17]. De plus, « [...] le rôle principal des tribunaux consiste à interpréter et à appliquer ces lois en fonction de leur libellé, pourvu qu’elles aient été édictées légalement. La Cour n’a pas pour rôle de récrire la loi »[18].

VI. RÉSUMÉ DES FAITS CONCERNANT LES QUESTIONS RELEVANT DE L’ARTICLE 58 DES RÈGLES

[15] Comme l’exige l’article 58 des Règles, les faits relatifs aux questions ont été soumis à la Cour sur consentement. Voici un résumé pertinent de ces faits.

[16] L’appelant, M. Hunt, a ouvert un compte d’épargne libre d’impôt (« fiducie CELI ») au début de 2009. Il a apporté 10 000 actions d’une société privée (« MSC »). En 2010, 2011 et 2012, M. Hunt a apporté des actions de MSC supplémentaires à la fiducie CELI. En 2013 et 2014, il a déposé de l’argent liquide. En 2013, lors de son départ à la retraite, M. Hunt a vendu 14 147 actions de MSC d’une valeur de 8 063 dollars l’action, soit 114 067,26 dollars. En 2015, le ministre a proposé d’imposer à M. Hunt des frais de CELI en application de l’article 207.05. Les agents du ministre ont sollicité des observations concernant l’exonération des frais de CELI en application de l’article 207.06 (la « lettre de proposition relative au CELI »). Le montant des frais de CELI dépassait 144 000 $.

[17] Après des négociations à l’étape des observations, les agents du ministre ont proposé une résolution (l’« offre de renonciation aux frais de CELI ») : M. Hunt accepterait de recevoir un avantage relatif au CELI et retirait de la fiducie CELI le montant de l’avantage relatif au CELI. Aucun droit de cotisation au CELI correspondant n’était crédité à la fiducie CELI. Le ministre recourait à une renonciation aux frais de CELI pour réduire le montant de l’avantage relatif au CELI pour les années d’imposition pertinentes à un niveau se situant entre 43,1 % et 45,8 % des frais de CELI de 100 %. Le montant de la renonciation a donné lieu à un paiement de frais correspondant aux taux marginaux supérieurs d’imposition applicables. Les parties renonceraient réciproquement à d’autres droits.

[18] M. Hunt a refusé l’offre de renonciation aux frais de CELI. Par conséquent, le ministre a établi une cotisation en fonction de la lettre de proposition relative au CELI la moins favorable, ce qui correspond effectivement à la totalité des frais de CELI. M. Hunt a interjeté appel de la décision du ministre devant la Cour fédérale. Le ministre s’est rétracté et, pour un [traduction] « motif juste et équitable » revendiqué, a reconsidéré sa position. Le ministre a unilatéralement établi une nouvelle cotisation, plus ou moins, en s’appuyant sur l’offre de renonciation aux frais de CELI, moins la renonciation aux droits supplémentaires. Aucune nouvelle cotisation n’a été établie.

VII. ANALYSE

A. La première question : les frais de CELI constituent-ils un impôt ou une pénalité?

i) Méthode d’interprétation : texte, contexte et objet (« TCO »)

[19] Les parties s’accordent sur l’applicabilité de l’approche TCO; elles maintiennent des positions très différentes sur les résultats de cette approche.

a) L’approche TCO de l’appelant

[20] L’appelant affirme que le texte d’une disposition n’est pas déterminant quant à la question de savoir si les frais de CELI constituent un impôt et que l’objet et le contexte l’emportent sur le texte dans le présent appel. La séquence analytique de la thèse est présentée ci-après.

[21] L’appelant affirme que les arrêts Eurig Estate[19] et Syndicats[20] soutiennent cette thèse. La jurisprudence va au-delà du libellé d’une loi pour déterminer la véritable nature de frais ou d’un prélèvement aux fins constitutionnelles[21]. L’arrêt Eurig Estate a invalidé un règlement ontarien imposant des frais d’homologation parce que ces frais constituaient une taxe établie par un organisme autre que l’Assemblée législative de l’Ontario; la Cour est allée au-delà de la désignation « frais » pour conclure que la taxe était contraire à l’article 53[22]. Dans l’arrêt Syndicats, la Cour suprême a déclaré qu’un prélèvement auparavant valide était devenu une taxe invalide parce que des mesures législatives avaient détruit le lien entre le prélèvement et son régime réglementaire[23]. Il en ressort que, en substance, un impôt peut être distingué d’un prélèvement si l’on va au-delà de son libellé.

[22] Le « caractère véritable » des dispositions était au centre de l’analyse dans les arrêts Succession Eurig et Syndicats. Néanmoins, les arrêts Succession Eurig et Syndicats ont une certaine pertinence quant à la question actuelle. L’examen de cette jurisprudence peut éclairer la Cour quant aux facteurs interprétatifs si elle décide d’aller au-delà des mots pour déterminer si des frais constituent en fait un impôt ou autre chose.

[23] L’appelant affirme que les arrêts Weber[24] et Tokio Marine[25] enseignent que le sens clair et ordinaire des termes d’une loi n’est qu’un aspect de l’approche moderne[26]. Dans l’arrêt Tokio Marine, la Cour d’appel de l’Alberta a examiné la jurisprudence et a conclu que, selon l’approche moderne en matière d’interprétation des lois, l’approche littérale n’est pas appropriée et que le contexte et l’objet doivent être pris en compte, peu importe si un mot ou une phrase a un sens clair ou non ambigu. Notre Cour note que l’exigence sous-jacente du processus d’interprétation vise à trouver un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Le texte législatif en cause dans l’arrêt Tokio Marine était la loi provinciale sur les assurances, ce qui appelle sans doute une analyse plus téléologique pour s’assurer que l’interprétation retenue ne porte pas atteinte à l’objet de la loi dans son ensemble ou ne soit pas contraire aux droits garantis par la Charte.

b) L’approche TCO de l’intimée

[24] L’intimée affirme que dans l’approche TCO, le texte a la primauté sur le contexte et l’objet lorsque les mots sont clairs et non ambigus, comme c’est le cas en l’espèce. De plus, l’approche interprétative n’envisage pas que le juge aille au-delà des mots stricts de la loi pour voir son effet de fond[27]. Plusieurs autres principes d’interprétation sont cités, mais l’accent est mis conjointement sur l’interdiction de la réécriture des textes par le juge et sur le principe de la souveraineté du Parlement.

[25] L’intimée affirme que la charge de prouver un sens différent du sens ordinaire d’une disposition incombe à la partie qui avance le sens subsidiaire[28].

[26] L’intimée note que la Cour suprême a fait cette mise en garde à de nombreuses reprises : le juge doit être prudent et éviter de constater une intention législative non exprimée sous le couvert d’une interprétation fondée sur l’objet, car cela risque de rompre l’équilibre établi par le législateur[29]. Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada, la Cour suprême a fait remarquer qu’en matière de législation fiscale, le texte joue souvent un rôle interprétatif plus dominant en raison de la précision et de la complexité de la loi[30]. Dans l’arrêt Placer Dome, la Cour a dit que lorsque les mots sont précis et sans équivoque, ils jouent un rôle primordial dans le processus d’interprétation[31].

c) Quelques observations

[27] Cependant, le tableau complet de l’approche interprétative est plus nuancé[32]. Le contexte et l’objet doivent être examinés même en l’absence d’ambiguïté claire, comme dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada où la Cour suprême dit que « les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux »[33], parce que « le contexte et l’objet de la loi peuvent [...] relever des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair »[34].

[28] Dans la mesure où le sens ordinaire de l’article 207.05, seul ou de concert avec l’article 206.06, impose un impôt, l’on peut raisonner que le législateur doit avoir voulu qu’il en soit ainsi. En tout état de cause, un examen plus approfondi de l’intention du législateur peut révéler une intention de pénaliser plutôt que d’imposer un impôt. L’intention du législateur est manifestement un facteur pertinent de la méthode moderne d’interprétation des lois, au même titre que l’objet et l’économie générale de la loi[35].

[29] La question de savoir si une disposition est un impôt ou une pénalité est une question de droit. Il n’incombe à aucune des parties de prouver qu’un sens s’applique.

ii) L’application de l’analyse TCO aux frais de CELI

a) Le texte

[30] L’analyse de l’appelant n’applique pas servilement une analyse TCO comportant trois étapes distinctes. L’analyse fusionne le cadre textuel, contextuel et téléologique. L’appelant cite le sens ordinaire des mots « impôt » et « pénalité » tels qu’ils sont définis dans le Black’s Law Dictionary, en développant ces définitions selon la jurisprudence canadienne et étrangère qui distingue les impôts des pénalités dans le cadre constitutionnel. L’appelant qualifie les critères de la jurisprudence Lawson de nécessaires et aussi d’insuffisants pour faire des frais de CELI un impôt[36].

[31] Implicitement, l’appelant reconnaît à la limite que le sens ordinaire du paragraphe 207.05(1) est d’imposer un impôt; le seul argument présenté relativement au texte est que celui-ci n’est pas déterminant. La Cour est invitée à examiner le sens sous-jacent du mot « impôt » par opposition à celui de « pénalité » et à se demander s’il serait plus approprié de classer la fonction de l’article 207.05 comme pénalité.

[32] Cette analyse textuelle se concentre sur l’objectif plutôt que sur le texte. Le mot « pénalité » ne figure pas dans la disposition législative[37]. La définition d’un mot, lui-même omis dans une disposition, n’est généralement pas examinée en matière d’interprétation des lois. Les conflits d’interprétation portent surtout sur un mot ou une expression qui se trouve à l’intérieur du texte de la loi, plutôt que d’en être absent. Actuellement, cela ne conviendra pas puisque la question d’interprétation est de savoir si une disposition censée être un impôt est en fait autre chose, une pénalité. Logiquement, pour répondre à cette question, il faut définir le mot « pénalité » pour déterminer si l’article 207.05 constitue un impôt ou une pénalité.

[33] Par contraste, l’intimée affirme simplement que les frais prévus par l’article 207.05 constituent à première vue un impôt parce que le paragraphe 207.05(1) dispose qu’un impôt est payable en vertu de la présente partie[38]; il n’y a aucune ambiguïté quant au sens du mot « impôt » et les critères de la jurisprudence Lawson sont clairement remplis[39]. La Cour note que cet argument est circulaire : signifie-il que le texte est inattaquable s’il se contente de qualifier un chat de chien? Une telle analyse textuelle est trop étroitement axée sur le mot « impôt » à l’exclusion de tout autre élément textuel. Elle établit des qualités inviolables sur les critères de la jurisprudence Lawson, qui en soi sont instructifs et persuasifs, mais pas irrévocablement contraignants[40].

[34] Un tel argument textuel n’est pas en soi imparable. De façon résiduelle, « le contexte et l’objet de la loi peuvent [...] relever des ambiguïtés dans un libellé apparemment clair »[41]. En outre, le montant de l’impôt à payer peut avoir une incidence sur l’analyse textuelle[42]; son ampleur peut introduire une ambiguïté dans une disposition par ailleurs non ambiguë.

[35] À tout le moins, le texte de l’article 207.05 doit situer l’essence des frais CELI en tant qu’impôt dans le champ d’application des facteurs de l’arrêt Lawson.

[36] La Cour suprême met en garde contre une interprétation qui s’éloigne du sens ordinaire du texte lorsque l’on suit l’approche moderne, surtout dans le cadre de la législation fiscale. La présence ou l’absence de certaines considérations de politique générale donne un contexte important encadrant l’approche du juge en matière d’interprétation des lois. Notre jurisprudence a fait de multiples mises en garde à l’interprète tenté de s’écarter du libellé clair du texte en se fondant sur des « notions de politique ou de principe qui ne sont pas exprimées », car la loi[43] « serait empreinte d’une incertitude intolérable ». Cette double insistance sur la primauté du texte et la retenue judiciaire peut être liée à l’injustice d’une approche téléologique aboutissant à l’invalidité des transactions effectuées par des contribuables qui, eux, se sont fondés sur le texte clair et non ambigu d’une disposition.

[37] Les réserves relatives à la certitude juridique peuvent être moins pertinentes dans l’application des frais de CELI, car l’ambiguïté avancée ne fait pas obstacle à lapplicabilité du texte aux faits. Qu’il s’agisse d’une pénalité ou d’un impôt, l’effet des frais de CELI est clairement une ponction de 100 % de l’avantage relatif au CELI, avec la possibilité d’un allègement d’une partie ou de la totalité de ce montant au moyen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel appliqué par l’intermédiaire de la renonciation relative au CELI. Cette opération herméneutique ne consiste pas à choisir entre différentes interprétations des termes de la disposition. Dans la première question, l’affirmation est différente du texte; le texte peut occulter un objet qui est contraire aux mots utilisés. Si cela est exact, une approche herméneutique hautement textuelle ne permettrait pas d’apprécier si une disposition exceptionnellement punitive déclarée comme un impôt constitue légalement un impôt.

b) Le contexte

[38] L’appelant soutient que le paragraphe 207.05(3) de la Loi est un exemple de pénalité puisque la cible des frais de CELI est la personne qui est « en faute »[44]. Cependant, il existe des raisons pratiques pour la disjonction entre le particulier qui bénéficie de l’avantage relatif au CELI et la personne qui doit payer les frais de CELI. Un exemple est le cas prévu par le paragraphe 207.05(3) où l’émetteur a un plus grand contrôle sur le placement de fonds inappropriés dans un compte CELI. En tant que disposition anti-abus, l’obligation de payer les frais de CELI suit la personne qui a le contrôle. Aucun opprobre moral inhérent ne pèse sur une partie plutôt qu’une autre. Le législateur cherche à percevoir de manière efficace les frais de CELI. Si l’avantage relatif au CELI est réalisé par l’émetteur, alors il s’applique probablement à plusieurs titulaires de CELI. L’émetteur, plutôt que chaque titulaire de CELI individuellement, est le payeur approprié. D’une certaine manière, ce mode de perception, d’un point de vue contextuel, va dans le sens d’un impôt pour la trésorerie plutôt qu’une pénalité à des fins dissuasives.

[39] Il a également été soutenu que l’article 207.061 consacre une autre approche, plus modeste, pour imposer les avantages relatifs au CELI à partir des frais des CELI. Contrairement aux frais de CELI de 100 % de l’article 207.05, il s’agit de deux « voies » parallèles offrant un choix ministériel pour traiter le même avantage.

[40] Là encore, d’un point de vue contextuel, la conclusion opposée peut être tirée. L’article 207.061 inclut des montants précis comme revenu conformément à la partie I lorsqu’un placement dans un CELI est un « revenu de placement non admissible déterminé » ou le montant désigné dans une entente de renonciation à l’assujettissement à l’impôt ou d’annulation de celui-ci conformément à la partie XI.1.

[41] L’article 207.061 ne prévoit pas de solution de rechange. Il fait en sorte que lorsque le ministre renonce aux frais de CELI, l’avantage relatif au CELI peut quand même être imposé comme revenu conformément à la partie I. Encore une fois, vu le contexte, il préserve la notion qu’un impôt et non une pénalité est visé par effet combiné. Le « pouvoir discrétionnaire illimité » potentiel du ministre de renoncer à certaines obligations aux termes de la renonciation relative au CELI au moyen de l’article 207.061 transforme l’impôt en taux marginal conformément à la partie I.

[42] Comme l’a fait remarquer l’intimée, l’article 146.2 exonère généralement d’impôt le revenu gagné dans un CELI. En cas de violation des règles générales, le statut d’exonération fiscale est perdu et l’impôt est établi conformément aux dispositions fiscales applicables : articles 207.02, 207.03, 207.04 et 207.05[45]. Si l’article 207.05 était une pénalité, une défense basée sur la diligence raisonnable s’applique, et une défense réussie rend le revenu non admissible libre d’impôt. Dans le contexte, l’inclusion expresse dans le paragraphe 207.06(2) des circonstances dans lesquelles une transaction est imposable aux termes d’une autre disposition offrant un allègement discrétionnaire renforce encore davantage l’idée que les frais de CELI constituent un impôt[46]. Dans les deux exemples, les défenses obtenant gain de cause n’exonèrent pas les transactions de l’impôt et les pénalités n’offrent pas d’autre forme d’allègement.

[43] L’appelant affirme que l’applicabilité des frais de CELI est figure au paragraphe 146.2(6) plutôt qu’à la partie XI.01. Par conséquent, l’allègement au titre du moyen de défense tiré de la diligence raisonnable pour la partie XI.01 n’exclut pas que l’impôt soit imposé aux termes d’autres dispositions. Ce raisonnement complexe n’est pas convaincant. Une disposition établissant les conditions d’une exemption n’est pas équivalente à une disposition établissant l’obligation de payer l’impôt. Il ne s’agit pas d’une disposition d’imputation; elle ne tient pas compte de toutes les circonstances dans lesquelles le revenu du CELI peut être imposable. Dans ce même appel, l’appelant a fait l’objet d’une cotisation en application de l’article 207.05 et non de l’article 146.2 ou d’une combinaison des deux dispositions[47]. L’application d’une obligation fiscale aux termes d’une disposition n’exclut pas l’application d’une autre disposition fiscale précise que le législateur estime devoir adopter. Vu ce contexte, il existe de multiples façons d’abuser du régime CELI et de multiples dispositions anti-abus pour y remédier. Les critères visant à atténuer la double imposition ne doivent pas nécessairement être parfaits. Dans le cadre même de l’impôt par opposition à la pénalité, il ressort des tentatives législatives de réduire la double imposition qu’une disposition est un impôt et non une pénalité. Si la double conséquence fiscale imposée par l’article 207.05 en tant que pénalité et par une autre disposition en tant qu’impôt équivaut à une « double imposition », dans les deux cas, on a toujours essentiellement des impôts, et non une pénalité plus un impôt[48].

[44] Les contextes « micro » mis à part, l’argument « macro » persiste dans cette question. Toutes ces dispositions constituent une loi plus vaste, en fait la plus vaste, sur la perception des impôts. D’un point de vue contextuel, l’expression « un impôt est payable » exprime de manière cohérente dans toute la Loi l’imposition d’impôts. Bien que cela n’ait pas été soulevé ou controversé dans les observations, la Cour a examiné le texte français concordant et faisant également autorité concernant les frais de CELI et la renonciation relative au CELI. Le mot « impôt » est utilisé sans variation dans la version française alors que le mot « tax » est utilisé en anglais. Il n’y a pas de différence et, par conséquent, pas de conflit entre les deux versions qui composent l’unique loi fédérale dont l’examen des deux versions permet de saisir tout le sens ordinaire[49]. En outre, dans le cadre de la Loi, l’imposition est la norme et les pénalités sont l’exception. En l’absence d’ambiguïté, toute interprétation selon laquelle l’expression « un impôt est payable » crée une pénalité, lorsque les pénalités sont par ailleurs exceptionnellement indiquées comme telles dans la législation, remet en cause la cohérence de la Loi et les « mots magiques » vieux d’un siècle employés par le législateur pour lever et percevoir un impôt.

Jurisprudence étrangère

[45] Avant de commencer l’analyse téléologique sur le fond, il convient de se pencher sur l’utilisation et l’utilité de la jurisprudence étrangère invoquée par l’appelant.

[46] La jurisprudence étrangère est utile, mais pas déterminante. La jurisprudence étrangère peut être utile lorsque la jurisprudence canadienne n’a pas suffisamment examiné une question particulière[50]. Tel n’est pas le cas en ce qui concerne la question de l’impôt par opposition à la pénalité.

[47] De même, la jurisprudence étrangère n’a pas examiné cette question dans un contexte analogue ou parallèle[51]. Si le sens des mots « impôt » et « pénalité » dans les affaires constitutionnelles étrangères avait la même orientation et la même portée que le sens de mots similaires en droit non constitutionnel canadien, une analogie pourrait être possible. Même dans ce cas, l’opération d’interprétation des questions constitutionnelles est différent de l’opération d’interprétation des questions non constitutionnelles. Rien ne prouve que cette division soit atténuée ou même comparable si la question constitutionnelle relève d’une constitution étrangère.

[48] Dans l’ensemble, l’analogie n’existe pas et la jurisprudence canadienne est préférée puisque la jurisprudence étrangère n’est ni comparable ni contraignante.

c) L’objet

[49] Les arguments téléologiques de l’appelant sont centrés sur l’objet des frais de CELI et, en relation avec celui-ci, sur son effet. Comme je l’ai mentionné, plusieurs décisions constitutionnelles des États-Unis et de l’Australie mettent en évidence les cas où le pouvoir judiciaire a fait la distinction en ce qui concerne les frais, à savoir qu’ils constituent un impôt ou une pénalité. Cependant, l’intention plus large derrière ces références soutient les critères proposés en quatre parties utilisés pour faire la distinction entre impôts et pénalités, qui sont les suivants : [52]

[traduction]
1) un impôt doit être perçu par un organisme public pour une fin d’intérêt public;

2) l’objectif premier d’un impôt est de générer des recettes;

3) le motif principal d’une pénalité est d’interdire ou de limiter substantiellement certains comportements, bien que l’une ou l’autre de ces intentions puisse avoir d’autres objectifs indirects; et

4) les frais qui sont extravagants, prohibitifs ou qui imposent une lourde charge constituent plus probablement une pénalité.

[50] En appliquant ces critères, l’appelant fait valoir que les frais imposés par les articles 207.05 et 207.06, séparément ou de concert, doivent constituer une pénalité parce que leur perception n’est pas pour une fin d’intérêt public. Au contraire, l’objectif principal dissuade certains comportements et le montant des frais est « extravagant » et impose une « lourde charge »[53].

[51] Ce premier élément est tiré des critères de la jurisprudence Lawson et est clairement soutenu par la jurisprudence[54]. Les deuxième et troisième éléments semblent être adaptés de la jurisprudence étrangère et visent à déterminer la « fin d’intérêt public » du premier élément. À son tour, l’appelant affirme que les frais de CELI n’ont pas de fin d’intérêt public parce que leur motif principal est dissuasif et que ce n’est que par coïncidence qu’ils permettent de prélever des revenus[55].

[52] L’argument selon lequel les frais de CELI ne constituent pas un impôt parce qu’ils n’ont pas pour objet principal de générer des recettes a été présenté au juge Pizzitelli. Il l’a rejeté de façon concluante[56]. Cette partie de la décision n’a pas fait l’objet d’un appel et reste pertinente[57]. Le juge Pizzitelli déclare, aux paragraphes 90 à 92 :

[90] À mon avis, l’argument de l’appelant ne saurait être retenu pour les raisons qui suivent :

 

1. La Cour suprême du Canada a reconnu que la législation fiscale ne sert pas à simplement prélever des revenus, dans l’arrêt Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, aux pages 15 à 18, invoqué par l’intimée :

Ce point tournant dans l’évolution des principes d’interprétation des lois fiscales au Canada a été motivé par le constat selon lequel le but des lois fiscales n’est plus confiné à la seule levée de fonds pour faire face aux dépenses gouvernementales. Il est reconnu que ces lois servent aussi à des fins d’intervention sociale et économique. [...] Or il a été reconnu que, de nos jours, la loi sert d’autres objectifs et se présente comme instrument d’intervention économique et sociale. [...]

[91] Comme l’a indiqué l’intimée dans ses observations, la Loi offre de nombreux incitatifs économiques comme des taux d’imposition plus bas pour les gains en capital et des plafonds d’exonération fiscale afin d’encourager les investissements dans les petites entreprises, ainsi que des incitatifs financiers afin de mettre en œuvre des politiques sociales au moyen de crédits d’impôt pour encourager les dons de bienfaisance, approfondir la formation d’une personne ou offrir de l’aide aux handicapés, à titre d’exemples.

[92] L’intimée soutient correctement que les règles fiscales qui sont créées pour réduire ou renoncer à des impôts reflètent le choix du législateur à l’égard de la façon d’exercer ses vastes pouvoirs fiscaux, ce qui peut comprendre le renoncement à la totalité ou à partie d’un impôt à titre d’incitatifs pour la mise en œuvre de politiques sociales ou économiques, mais qui comprend logiquement des règles prévoyant des pénalités ou une imposition plus lourde à titre dissuasif afin d’empêcher l’abus à l’égard des programmes incitatifs et de protéger l’intégrité de tels programmes mis en œuvre au moyen de la Loi. À mon avis, une disposition visant à protéger l’intégrité d’une disposition fiscale, qu’elle ait pour objectif de taxer, d’offrir un incitatif ou de créer un effet dissuasif, ne constitue pas moins une disposition légitime relative aux vastes pouvoirs du législateur de prélever les revenus visés par le paragraphe 91(3), qui donne non seulement le pouvoir au législateur de percevoir des revenus « par tous modes », mais aussi par tous « systèmes » fiscaux. Le système fiscal fédéral canadien comprend des déductions, des exemptions, des crédits d’impôt, des pénalités, des règles anti-évitement et de nombreuses autres dispositions qui font partie de son objectif général de perception de revenus. Les éléments propres à ce système, y compris l’élément anti-évitement que l’appelant mentionne, sont par définition parties ou intimement liés au prélèvement de revenus par un système fiscal envisagé par le paragraphe 91(3) de la Constitution et constituent donc de par leur caractère véritable, de la taxation.

[53] La jurisprudence Canadienne enseigne clairement que l’objectif d’un impôt n’est plus limité à la collecte de recettes publiques[58]. Un objectif public peut consister en la mise en œuvre des politiques économiques et sociales ou en la protection de l’intégrité d’une disposition fiscale, et ces autres objectifs publics ne sont pas moins légitimes. Le droit canadien diverge des sources étrangères citées. Ainsi, ces arguments ne peuvent être retenus.

[54] Le quatrième critère soulève la question de savoir si un impôt qui est punitif ou disproportionné en fait une pénalité ou un « impôt et une pénalité hybride ». Il ressort de la remarque incidente formulée dans l’arrêt St. Arnaud[59] qu’il est loisible au juge de conclure que des frais, tels que les frais de CELI, sont inexplicablement disproportionnés et qu’ils constituent donc une pénalité.

[55] Dans l’arrêt St. Arnaud, la Cour d’appel fédérale a examiné les paragraphes 146(9) et 146.3(4). La Cour a posé la question de savoir pourquoi l’application du paragraphe 146.3(4), qui porte sur l’utilisation de fonds enregistrés de revenu de retraite (« FERR »), appelait l’inclusion dans le revenu de deux fois la somme prévue par le paragraphe 146(9), qui porte sur l’utilisation de régimes enregistrés d’épargne-retraite (« REER »), même si ces deux dispositions exigent que les mêmes conditions soient remplies[60]. Bien qu’il s’agisse d’une remarque incidente, celle-ci laisse planer la conclusion potentielle d’une pénalité si une telle question avait été soulevée en appel.

[56] Le juge de première instance s’intéresse aux faits. En ce qui concerne l’affaire St. Arnaud, les contribuables appelants ont été victimes de fraude et ont perdu d’importants montants d’argent qui se trouvaient dans leur REER. Par la suite, une nouvelle cotisation a été établie à leur égard de manière à inclure dans leur revenu le double du montant de leur perte[61]. Le fondement réel du prélèvement n’est pas clair. Vu les motifs de l’arrêt St. Arnaud, il semble que le caractère arbitraire ou le manque d’explication de l’inclusion plus importante dans le revenu en application du paragraphe 146.3(4) par opposition au paragraphe 146(9) a amené la Cour à conjecturer (et non à conclure) que le paragraphe 146.3(4) prévoyait une pénalité plutôt qu’une inclusion onéreuse dans le revenu. Logiquement, la Cour d’appel fédérale n’a pas dit que l’inclusion dans le revenu prévue par le paragraphe 146(9) constituait une pénalité, malgré l’inclusion onéreuse dans le revenu de la totalité de la perte. Une autre interprétation possible est que cette autre remarque incidente dans l’arrêt St. Arnaud réfute l’argument selon lequel une inclusion de la perte totale (100 %) de la juste valeur marchande de l’avantage reçu constitue une pénalité.

[57] L’effet « punitif » d’un taux d’inclusion de 100 % comme fondement pour qualifier les frais de pénalité n’est pas convaincant. Aucune qualité inhérente au taux fixé pour des frais ne permet de prédire la sévérité ou la disproportion de l’impôt. Les moyens du contribuable, la somme à imposer et les méthodes de recouvrement imposées peuvent constituer de meilleurs indicateurs de son incidence. Le contexte des frais de CELI est important quant à l’examen de la proportionnalité des frais. Il est limité à certains avantages du CELI et à d’autres régimes d’avantages de régimes enregistrés similaires. Contrairement à l’impôt de la partie I, le contribuable peut facilement éviter l’application des frais de CELI en choisissant de ne pas utiliser un CELI ou d’autres régimes enregistrés. L’incitation économique à utiliser le régime CELI est le résultat d’un choix délibéré du gouvernement de renoncer à des recettes fiscales pour encourager certaines formes d’épargne. Le gouvernement est en mesure d’établir des règles pour préserver l’intégrité de ses régimes qui confèrent des avantages, à condition qu’elles ne soient pas arbitraires ou capricieuses.

[58] Des frais qualifiés d’impôt peuvent présenter des caractéristiques si clairement coercitives et disproportionnées que l’on en conclut qu’il s’agit d’une pénalité; toutefois, la présente affaire ne répond pas à cette norme.

[59] Le régime CELI est une structure conférant des avantages dont la mise en place vise à encourager l’épargne personnelle des contribuables en exonérant d’impôt les revenus autrement tirés de l’épargne[62]. Il existe donc un risque que les contribuables abusent de ce régime pour éviter l’impôt sur les investissements en dehors des règles du CELI fixées par le législateur. Les frais de CELI visent ces abus. Ils imposent les avantages tirés des opérations qui déplacent artificiellement le revenu imposable d’autres opérations non qualifiées dans le régime CELI[63].

[60] Il existe de nombreuses autres dispositions permettant de prélever un impôt sur les opérations, déductions ou détournements interdits : le paragraphe 15(1) et l’article 160 pour n’en citer que deux.

[61] La distinction d’intention entre ces dispositions et les frais de CELI est mince. Le motif principal, le but et l’objet des frais de CELI sont [traduction] « d’empêcher les opérations conçues pour transférer artificiellement le revenu imposable du titulaire vers l’abri que constitue le CELI »[64].

[62] L’article 160 est une disposition anti-évitement et de recouvrement destinée à dissuader les comportements qui soustraient les actifs des débiteurs fiscaux à la saisie et, par conséquent, ces contribuables à l’impôt[65].

[63] Dans l’ensemble, les faits de l’arrêt St. Arnaud n’ont rien à voir avec les faits de la présente espèce. De plus, les frais de CELI prévus par l’article 207.05 s’appliquent maintenant de façon similaire aux FERR, REER, REEE et REEI[66].

iii) Conclusion concernant la première question : impôt ou pénalité?

[64] Le législateur a rédigé des règles très détaillées afin de mettre en œuvre le régime CELI. Indépendamment de ses convictions sur la lourdeur du fardeau d’un impôt de 100 %, le juge « ne peut faire fi des termes que le législateur a effectivement employés et récrire le texte de loi en fonction de sa propre opinion sur la façon dont l’objet de la loi pourrait être mieux favorisé »[67]. Le législateur a le droit de légiférer un impôt de ce genre; il n’est pas absurde d’attribuer une certaine clarté à l’intention textuelle du législateur, surtout lorsqu’elle est lue à la lumière du contexte et de l’objet du régime CELI.

[65] Pour ces motifs, la réponse à la première question est la suivante : en droit l’article 207.05, seul ou de concert avec l’article 207.06, impose un impôt.

B. La seconde question : les frais de CELI sont-ils constitutionnels?

[66] Les parties sont en désaccord sur deux points : i) les pouvoirs de fixation des taux sont-ils délégués de manière conjonctive dans les articles 207.05 et 207.06? et, ii) si tel est le cas, la délégation avancée est-elle suffisamment limitée pour être constitutionnelle?

[67] Plus largement, les questions soulevées par ces deux requêtes ont été formulées de manière similaire par la Cour d’appel fédérale dans les Motifs de la CAF dans l’arrêt Hunt no 1 et sont formulées mutatis mutandis ci-dessous pour la seconde question révisée[68] :

  • i)Pris individuellement ou de concert, aux termes de ces articles [207.05 et 207.06], quels sont les pouvoirs précis du ministre? En quoi consiste exactement son pouvoir discrétionnaire?

  • ii)Existe-t-il des critères discernables et définitifs, explicites ou implicites régissant le pouvoir discrétionnaire du ministre aux termes de ces articles? Ou encore, ces critères rendent-ils ce pouvoir discrétionnaire si indéfini et illimité – laissant une large place à l’arbitraire – que le ministre, et non le législateur, fixe réellement le taux d’imposition ou établit un impôt?

Question préliminaire : qu’est-ce qui constitue une délégation valide du pouvoir d’imposition aux termes de l’article 53 de la Constitution?

[68] Tout au long de l’histoire, les personnes imposées ont exigé des règles « consensuelles » quant aux questions de savoir quelles sont celles qui doivent être imposées, par qui elles doivent l’être et comment elles doivent être imposées (ou non). Pour n’en citer que quelques-unes : Runnymede (1215), Gand (1539), Boston (1773), Shanghai (1853) sont souvent citées. En 1867, lors de sa création, la Constitution canadienne a intégré le principe suivant à l’article 53 : pas d’imposition sans représentation. Selon ce principe, tout projet de loi « ayant pour but l’appropriation [...] du revenu » ou « la création de taxes [...] » doit émaner de la chambre législative élue. En conséquence, cela garantit le contrôle parlementaire et la surveillance de la charge fiscale[69].

[69] Le législateur ne peut valablement déléguer que certains aspects de son pouvoir fiscal. Pour se conformer à l’article 53, le législateur doit s’assurer a) d’exprimer clairement et sans ambiguïté son intention de déléguer le pouvoir fiscal; et b) de limiter tout pouvoir délégué à l’établissement des « modalités et des mécanismes d’application » de l’impôt[70].

[70] La Cour suprême, dans l’arrêt Syndicats, a formulé ces conditions et limites de la délégation[71] :

[92] En somme, dans cette matière d’assurance-chômage, seul le Parlement peut imposer une taxe ab initio. La jurisprudence de cette Cour requiert une délégation explicite et non ambiguë du pouvoir de taxation. Une fois ce critère rempli, cette jurisprudence permet au délégataire d’exercer le pouvoir de détermination des détails et mécanismes fiscaux.

i) L’approche TCO une fois de plus

[71] L’appelant affirme qu’il ressort de la lecture textuelle, contextuelle et téléologique des articles 207.05 et 207.06 que les frais de CELI, article 207.05, établissent une assiette fiscale à une somme égale à l’avantage relatif au CELI reçu, tandis que la renonciation relative au CELI, article 207.06, délègue au ministre le pouvoir de fixer le taux d’applicable[72]. Dans l’arrêt OECTA[73], la Cour suprême déclare qu’un impôt ne peut exister que si son taux est déterminé. L’appelant affirme que la délégation de la capacité de fixer les taux au ministre délègue effectivement le pouvoir de taxation au ministre[74]. En ce qui concerne la sousdélégation, l’octroi du pouvoir de faire des exceptions à une règle constitue une délégation du pouvoir d’établir la règle elle-même[75].

[72] En revanche, l’intimée soutient que les frais de CELI présentent toutes les caractéristiques nécessaires d’un impôt, le paragraphe 207.05(1) prévoyant la disposition d’imputation et le paragraphe 207.05(2) établissant le montant de l’impôt à payer[76]. En lisant l’article 207.05 de concert avec la définition de l« avantage » au paragraphe 207.01(1), le taux d’imposition est de 100 % de la juste valeur marchande de l’avantage relatif au CELI[77]. L’article 207.06 représente une position d’allègement distincte qui donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de renoncer à tout ou partie d’une obligation fiscale ou de l’annuler en tout ou en une partie au titre des frais de CELI lorsqu’il est juste et équitable de le faire, compte tenu des circonstances énoncées dans la loi[78]. La primauté du sens ordinaire du texte le sauve.

ii) L’application de l’approche TCO à la délégation relativement aux frais de CELI

a) Le texte

Ce qu’en disent les parties

[73] L’appelant avance plusieurs arguments concernant le texte. Premièrement, contrairement à la partie I de la Loi, l’avantage relatif au CELI ne précise pas expressément un taux d’imposition exprimé en pourcentage. Cela indique que le législateur a uniquement fixé l’assiette fiscale comme l’avantage relatif au CELI, mais non pas le taux d’imposition[79]. Deuxièmement, va dans le sens de cette conclusion l’intégration de la renonciation relative au CELI à l’article 207.06 et des frais de CELI à l’article 207.05, séparant l’assiette fiscale de l’article 207.05 et le taux d’imposition de l’article 207.06[80]. La portée des frais de CELI à l’article 207.05, du fait de la définition de l« avantage » (figurant au paragraphe 207.01(1)), comprend les gains non réalisés et les autres sommes qui ne sont généralement pas incluses dans le revenu ou les gains prévus par la partie I de la Loi. Selon l’appelant, l’on peut en conclure que l’article 207.05 n’impose qu’une assiette fiscale, car la solution de rechange que représente un impôt de 100 % sur l’avantage relatif au CELI est absurde en raison de sa portée excessive[81].

[74] L’intimée affirme que le sens des articles 207.05 et 207.06 est évident et conforme aux autres dispositions de la Loi relatives à l’imposition des RER[82]. La présomption de cohérence d’expression s’applique à l’utilisation des mots « renoncer » et « annuler » à l’article 207.06.

Quelques observations et analyse

[75] Le texte de l’article 207.05 est clair et cohérent. Le paragraphe 207.05(1) dispose qu’un impôt est payable à l’égard d’un avantage. Le paragraphe 207.05(2) établit un impôt à payer égal aux frais de CELI : la juste valeur marchande de l’avantage, ou le montant du prêt, de la dette ou toute somme découlant d’un dépouillement de régime enregistré relatif à l’avantage du paragraphe 207.05(1). Dans la décision Hunt no 1, les deux juridictions ont conclu que l’article 207.05 comportait tous les éléments d’un impôt et ne déléguait rien au ministre[83]. Par déduction, le fondement de toute ambiguïté proposée doit alors découler de l’article 207.06, seul ou lu de concert avec l’article 207.05. Le libellé du paragraphe 207.06(2) fait de l’assujettissement à l’impôt une condition préalable, puis permet au ministre de renoncer à tout ou partie de l’impôt ou de l’annuler en tout ou en partie s’il estime qu’il est juste et équitable de le faire. Ce paragraphe énumère les facteurs que le ministre doit prendre en considération pour déterminer s’il y a lieu de renoncer à l’impôt ou de l’annuler.

[76] Aucun mandat dans la renonciation relative au CELI n’est supérieur à la renonciation aux impôts redevables ou à leur annulation par application des articles 207.04 ou 207.05[84]. Au-delà de cela, la question clé de l’analyse textuelle est de savoir si les critères énoncés dans la renonciation relative au CELI limitent le pouvoir discrétionnaire du ministre de renoncer aux frais de CELI ou de les annuler. L’appelant affirme que les critères ne sont qu’indicatifs et qu’ils imposent peu de contraintes au pouvoir discrétionnaire du ministre[85].

[77] Il y a un différend quant à l’interprétation des observations de la Cour d’appel fédérale dans l’historique de la procédure de cette affaire concernant l’attribution du pouvoir discrétionnaire. Il s’agit de savoir si la Cour d’appel fédérale a implicitement conclu que le législateur a délégué le pouvoir de taxation au ministre. Les paragraphes 12 à 15 de la décision sont fondés sur l’existence d’une délégation. Le paragraphe 17 ne portait que sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 207.06 et non sur la question de savoir si ce pouvoir était conféré[86]. Les conclusions applicables de la Cour suivent :

[12] Imaginons une disposition qui, dans son texte littéral, semble accorder au ministre un large pouvoir discrétionnaire quasi illimité d’établir un impôt. L’analyse ne s’arrête cependant pas ici. La Cour doit pousser l’analyse plus loin et examiner le contexte et l’objet de la disposition : ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 RCS 140, au paragraphe 48; Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, [2005] 3 RCS 141, au paragraphe 10; voir également les arrêts CIBC World Markets Inc. c. Canada, 2019 CAF 147, au paragraphe 27 et Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, 431 D.L.R. (4th) 556, au paragraphe 24. Cet examen plus approfondi peut éclairer le sens des mots et révéler des ambiguïtés latentes devant être résolues.

[13] Dans certains cas, après un examen exhaustif du libellé en fonction de son contexte et de son objet, la Cour pourrait conclure que la disposition législative, dans son sens véritable, restreint de manière satisfaisante le pouvoir discrétionnaire du ministre, et définit ce qu’il peut faire et la façon dont il doit le faire. Le ministre ne créerait ni n’établirait un impôt de son propre chef. Il ne ferait pas la loi.

[14] Toutefois, dans d’autres litiges, la Cour pourrait conclure que la disposition du législateur, dans son sens véritable, accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire indéfini et illimité, guidé par aucune norme précise. Le ministre, et non le législateur, créerait et établirait un impôt de son propre chef. Il ferait la loi.

[15] Dans un tel scénario, toute mesure adoptée par l’Agence du revenu du Canada visant à guider l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire indûment accordé au ministre par le législateur, comme les politiques, les pratiques ou les bulletins d’interprétation, serait inutile. Une telle mesure ne réglerait pas le problème fatal, soit la délégation excessive du pouvoir de taxation au départ, qui est contraire à l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867.

[16] Les mémoires des faits et du droit des parties n’ont pas abordé ou approfondi ces questions de façon suffisamment détaillée. La même observation vaut pour la Cour canadienne de l’impôt : motifs de la Cour canadienne de l’impôt, au paragraphe 34.

[17] Pendant l’audience, la Cour a à maintes reprises demandé aux parties si, sur le plan de l’interprétation législative, l’article 207.06 confère au ministre un pouvoir discrétionnaire indéfini ou lui impose des contraintes et, le cas échéant, dans quelle mesure et de quelle façon. Les parties n’ont pas été en mesure de fournir des réponses précises ou suffisamment approfondies pour aider la Cour de façon satisfaisante.

[78] La Cour d’appel fédérale a indiqué que l’examen complet du texte des dispositions, à la lumière du contexte et de l’objet, mène à la conclusion que si le législateur a accordé un pouvoir discrétionnaire illimité et sans entrave au ministre, alors la délégation textuelle de l’autorité fiscale peut être contraire à l’article 53. Il s’agissait d’une déclaration conditionnelle et la formulation de la deuxième question le confirme. La Cour d’appel fédérale a posé la question de savoir si « ces critères rendent ce pouvoir discrétionnaire si indéfini et illimité [...] que le ministre [...] fixe réellement le taux d’imposition ou établit un impôt. »[87] Cela encadre les discussions de cette Cour sur le pouvoir discrétionnaire aux paragraphes 12 à 15. Il n’y a délégation du pouvoir d’imposition que si le ministre fixe le taux d’imposition. Il est logique de conclure que la Cour d’appel fédérale avait une véritable incertitude quant à l’existence de la délégation, puisque les questions de la Cour visent les conditions d’existence de la délégation.

[79] La Cour d’appel fédérale a recherché si les critères sont tels que le pouvoir discrétionnaire du ministre « laiss[e] une large place à l’arbitraire »[88]. Elle a également ajouté que « [d]ans un tel scénario, toute mesure adoptée par l’Agence du revenu du Canada visant à guider l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire indûment accordé au ministre par le législateur, comme les politiques, les pratiques ou les bulletins d’interprétation, serait inutile »[89]. Ces observations impliquent conditionnellement que si le texte est fautif en raison du fait qu’il accorde un pouvoir discrétionnaire trop large, alors et seulement alors, la rectification d’un tel défaut n’est pas possible par une analyse contextuelle ou intentionnelle. En matière de législation fiscale, si le texte confère clairement un pouvoir discrétionnaire illimité au ministre, l’examen du contexte et de l’objet ne peut remédier au défaut[90].

[80] Il n’existe aucune autorité portant précisément sur le pouvoir discrétionnaire conféré par la renonciation relative au CELI. Il y a par ailleurs une jurisprudence utile concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre en application de la Loi. Dans la décision McNally, la Cour fédérale a conclu que le pouvoir discrétionnaire de l’ARC de traiter la déclaration de revenu d’un contribuable « avec diligence » en application du paragraphe 152(1) de la Loi n’est pas assez large pour permettre des retards arbitraires dans le traitement afin d’atteindre un objectif non lié à l’examen de la déclaration[91]. En décidant que la ministre avait manqué à son devoir dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a souligné l’observation suivante du juge Rand dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis[92] :

[traduction] [...] il n’y a rien de tel qu’une « discrétion » absolue et sans entraves, c’est-à-dire celle où l’administrateur pourrait agir pour n’importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l’exprime expressément, s’interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n’importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi.

[81] L’absence de critères légaux ne signifie pas que le texte envisage littéralement un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé à n’importe quelle fin. Au contraire, le pouvoir discrétionnaire d’une autorité publique d’alléger les impôts ne peut être utilisé pour [traduction] « exempter ou réduire le taux pour différentes catégories ou classes de contribuables d’une manière totalement arbitraire ou capricieuse au profit ou au détriment d’un petit nombre »[93]. L’équité procédurale s’applique toujours aux décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, les libertés ou les intérêts des sujets[94]. Les critères énoncés dans l’arrêt Vavilov[95] sur les « motifs clairs et intelligibles », même en l’absence de critères légaux pour guider le ministre, n’avaliseraient pas un usage arbitraire ou capricieux du pouvoir discrétionnaire[96].

[82] En ce qui concerne le CELI et en l’espèce, les critères sont énumérés concernant l’octroi discrétionnaire d’une renonciation relative au CELI. Ces critères limitent-ils le pouvoir discrétionnaire du ministre ou ne sont-ils simplement indicatifs et ont peu d’incidence sur le pouvoir discrétionnaire absolu du ministre? Les critères de renonciation relative au CELI n’ont pas été pris en compte dans ce contexte. Concrètement, la jurisprudence en matière de contrôle judiciaire concernant le pouvoir discrétionnaire du ministre dans le cadre de la renonciation relative au CELI appuie la conclusion portant que les critères du paragraphe 207.06(2) limitent le pouvoir discrétionnaire du ministre; les critères sont des considérations obligatoires.

[83] Dans la décision Gekas[97], le juge Boswell de la Cour fédérale a conclu qu’il était déraisonnable de la part du ministre de refuser un allègement pour cotisation excédentaire à un CELI si les critères du paragraphe 207.06(1) étaient respectés. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument du ministre selon lequel le pouvoir discrétionnaire permet au ministre de refuser la renonciation ou l’annulation même si les deux critères sont remplis. La Cour a déclaré que le refus du ministre d’annuler l’impôt sur une cotisation excédentaire à un CELI résultant d’une erreur raisonnable et lorsque des efforts ont été faits rapidement pour régler la cotisation excédentaire était un refus déraisonnable[98]. Dans la décision Sangha, où la norme de contrôle Vavilov a été appliquée, la Cour fédérale a conclu que les motifs invoqués par le ministre pour refuser de renoncer à l’impôt en application du paragraphe 207.06(1) étaient déraisonnables, alors même que le délégué s’était appuyé sur le manuel de l’ARC, car les motifs ont révélé que les circonstances particulières du contribuable n’avaient pas été prises en compte[99]. « On ne peut pas savoir si une chose est bonne tant qu’on ne l’a pas goûtée ». Les critères de renonciation relative au CELI ne sont pas qu’indicatifs. Ils doivent être pris en compte dans l’application, ou non, de la renonciation, et considérés à la lumière des circonstances individuelles et des soumissions du contribuable.

[84] Si l’on se penche sur le texte même du paragraphe 207.06(2), il y a trois circonstances (critères) concernant une dispense relative au CELI :

  • a)le fait que l’impôt fait suite à une erreur raisonnable;

  • b)la mesure dans laquelle l’opération ou la série a également donné lieu à un autre impôt; et

  • c)la mesure dans laquelle des paiements ont été faits sur le régime enregistré de la personne.

[85] Ces critères ne sont pas exclusifs. Ce libellé n’empêche pas le ministre de tenir compte d’autres facteurs pour déterminer si une renonciation est « juste et équitable » dans les circonstances. Compte tenu de ce libellé, le refus déraisonnable de tenir compte d’autres circonstances entrave le pouvoir discrétionnaire du ministre et peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il ressort de la simple lecture des critères une orientation particulière et obligatoire pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, avec une certaine souplesse pour permettre au ministre de servir l’objectif primordial d’accorder un allègement lorsque cela est juste et équitable.

[86] En ce qui concerne les frais de CELI, le taux de 100 % constitue un taux d’imposition très élevé. Bien que l’inclusion de prêts, de dettes ou de régimes enregistrés soit vaste, l’application des frais de CELI est circonscrite aux seuls avantages, prêts, dettes ou sommes découlant d’un dépouillement de régime enregistré qui constituent un avantage relatif au CELI. Ces critères précis de la définition du mot « avantage » au paragraphe 207.01(1) limitent l’application des frais de CELI à des transactions et des événements précis dans un CELI[100]. Cela atténue l’effet du taux élevé et renforce l’objectif anti-abus de la disposition.

[87] L’inclusion des gains non réalisés n’est pas inhabituelle dans la Loi. Par exemple, sous réserve de certaines règles, le contribuable décédé à l’article 70 de la partie I de la Loi fait en sorte que les gains en capital accumulés sont réputés être un revenu fondé sur la juste valeur marchande des actifs détenus au moment du décès, même s’il n’y a pas eu de disposition concrète (factuelle).

[88] L’appelant cite les décisions Florence[101], Clark[102], Webster[103], McCracken[104], et Re : New Westminster Nuisance Prohibition Bylaw[105] comme exemples d’annulation de dispositions. De telles dispositions confèrent à un tiers décideur le pouvoir de faire des exceptions à une règle et sont invalides parce qu’elles constituent un octroi illégal du pouvoir réglementaire lui-même[106].

[89] La question cruciale est de savoir si la disposition législative adoptée par le législateur a implicitement délégué le pouvoir de fixer les taux au ministre, contrairement à l’article 53 de la Constitution. Avec les frais de CELI et la renonciation relative au CELI, il n’y a pas de comité ou de conseil qui envoie ses pouvoirs discrétionnaires à une autre partie comme dans l’affaire Clark, ni un conseil municipal qui crée des règlements qui vont au-delà des pouvoirs accordés par la loi comme dans les affaires Re : New Westminster Nuisance Prohibition Bylaw et McCracken. Les principes consacrés par ces jugements ne peuvent pas être dissociés de leurs faits respectifs, qui diffèrent matériellement parce que dans le cadre du CELI, il n’y a pas de délégation supplémentaire.

b) Le contexte

Argument de l’appelant

[90] Dans son analyse contextuelle, l’appelant soutient que la distinction entre les frais de CELI et les autres dispositions de la partie XI.01 rend les frais de CELI différents des autres frais. L’appelant affirme qu’un impôt de 100 % sur l’avantage relatif au CELI n’est ni raisonnable ni défendable et qu’il est contraire aux normes de justice reconnues. Il en est ainsi parce que la renonciation relative au CELI est une partie essentielle des frais de CELI et se présente comme le mécanisme de fixation des taux, permettant au ministre de fixer un taux vraisemblablement inférieur à 100 % afin de « normaliser » l’impôt[107].

[91] De plus, l’appelant soutient que l’inexistence d’un mécanisme législatif permettant d’éviter ou de demander le remboursement des frais de CELI dans le cadre de l’article 207.04 et du paragraphe 207.01(1), lorsqu’on effectue une comparaison avec le pouvoir discrétionnaire accordé aux agents du ministre dans les règles sur les frais de CELI, eux-mêmes investis des pouvoirs du gouverneur en conseil de remettre des taxes en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, est significative. La proximité paginale de la renonciation relative au CELI avec les frais de CELI est inhabituelle et présente la renonciation relative au CELI comme une disposition complémentaire aux frais de CELI[108].

Observations et analyses

[92] La distinction entre le pouvoir du ministre de renoncer aux frais du CELI ou de les annuler et le pouvoir du gouverneur en conseil de verser des impôts est un leurre[109]. Il est difficile d’adopter l’argument de l’absurdité reliant le montant des droits de CELI à l’absence de mécanismes de remboursement. Les articles sont proches les uns des autres dans la partie XI.01. La justification de la proximité est motivée par l’aspect pratique plutôt que par une quelconque nécessité de placer des clauses connexes côte à côte.

[93] Ces arguments n’ont rien à voir avec la question de savoir si la renonciation relative au CELI est réellement une renonciation ou le pouvoir « profond » du ministre en matière de fixation des taux. Aucune jurisprudence n’enseigne que le juge interprète une disposition unique différemment de toute autre simplement en raison de son « caractère unique ».

[94] En résumé, le législateur a le pouvoir d’imposer un impôt de 100 %[110], sa rareté ou son impact ne crée pas en soi une ambiguïté littérale ou connotative.

c) L’objet

Argument de l’appelant

[95] L’appelant affirme que le législateur n’a pas défini d’objet précis sous-jacent aux règles relatives aux frais de CELI ou à l’avantage relatif aux CELI; vu cette absence d’objet clair, la ministre dispose d’un large pouvoir discrétionnaire en matière d’exemption, car cela lui donne [traduction] « la liberté totale de fixer le taux d’imposition de son propre chef »[111]. Les circonstances d’allègement de la dispense relative au CELI définissent et ne limitent pas matériellement la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre[112]. La définition légale de l’« avantage relatif au CELI » est trop large pour soutenir un objectif anti-évitement[113] et, de concert, la sévérité du CELI avec la dispense relative au CELI représente un pouvoir ministériel de fixation des taux[114].

Observations et analyses

[96] La Cour prend note des objectifs poursuivis par le législateur en édictant l’avantage relatif au CELI afin de remédier à l’abus du régime CELI par les contribuables et d’imposer les frais de CELI de 100 % en cas d’avantage relatif au CELI[115]. C’est tout aussi simple que cela. Cela est confirmé par :

  • i)Le plan budgétaire de 2008[116], et les diverses modifications apportées en 2011, 2013 et 2017[117], qui ont étendu l’application des règles relatives aux avantages à d’autres régimes enregistrés, y compris les conditions de renonciation;

  • ii)Le fait que le législateur a adopté des règles relatives aux avantages qui ciblent les opérations que le législateur a cherché à saisir;

iii) L’intention constante du législateur de répondre aux réserves concernant l’utilisation des CELI (et plus tard d’autres régimes enregistrés) dans les plans de planification fiscale. En conclusion, et en écho au juge Pizzitelli, l’objet de la disposition est clair et cela renforce et informe de manière constante le sens ordinaire des dispositions[118].

[97] De même, l’objectif de la renonciation relative au CELI réduit ou allège les frais de CELI lorsque des circonstances illustrant des résultats conséquents n’étaient pas des avantages relatifs au CELI visés par les règles anti-abus. Comme toutes les règles anti-évitement, la perfection ne peut pas être atteinte. Certaines opérations saisies ne constituent pas une planification fiscale agressive ou un comportement indésirable et ne portent pas atteinte au régime CELI. Au lieu de rédiger des règles et des exceptions de plus en plus complexes et difficiles à manier, le législateur a accordé au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement au cas par cas, en tenant compte des circonstances particulières de l’intéresser et des opérations. Cet objectif et l’objectif anti-abus des frais de CELI résident pleinement et paisiblement dans le texte des dispositions et ne créent aucune ambiguïté.

[98] Tout comme les dispositions anti-évitement, les agents du ministre ne sont pas parfaits[119]. Dans l’offre de renonciation aux frais de CELI, l’agent de l’ARC a déclaré : « [N]ous avons imposé l’obligation de payer au taux marginal supérieur du contribuable. »[120] Cette déclaration signifie-t-elle que l’ARC administrait les frais relatifs de CELI et la renonciation relative au CELI en tant qu’organisme d’imposition?[121]

[99] Si l’agent de l’ARC croit qu’il détermine le taux d’imposition, cette croyance est une erreur. Le taux d’imposition est déjà prescrit par la Loi et la tranche de revenu du contribuable. En outre, la contrepartie de l’allègement doit être exercée de manière raisonnable. Le contrôle judiciaire s’applique. Il ne s’agirait pas d’une situation décrite par l’appelant, à savoir le pouvoir ministériel de renoncer ou non à l’impôt, qui est dissociée des circonstances de renonciation. Les agents du ministre ne disposent pas d’un pouvoir discrétionnaire absolu pour exonérer ou refuser d’exonérer de l’impôt conformément à la dispense relative au CELI en l’absence de raison compréhensible. Les mots exprès de l’agent de l’ARC sont sans importance par rapport à l’intention du législateur telle qu’elle est déterminée par les mots du texte, lus à la lumière du contexte et de l’objet. Bien qu’ils soient incorrects, même les mots de l’agent de l’ARC indiquent qu’en réponse à des frais applicables au CELI, une considération raisonnable de la renonciation relative au CELI est nécessaire. Il ne saurait en être autrement.

iii) Conclusion concernant la seconde question : impôt constitutionnel ou pas?

[100] Le texte des articles 207.05 et 207.06 est clair et sans ambiguïté. L’article 207.05, les droits de CELI, établit un impôt de 100 % sur tout avantage relatif au CELI créé dans un CELI. L’article 207.06 (la renonciation relative au CELI) accorde au ministre le pouvoir décisionnel discrétionnaire d’alléger les frais de CELI dans la mesure où cela est juste et équitable. Dans la mesure où il existe une ambiguïté latente, l’analyse contextuelle et téléologique soutient le sens ordinaire des mots. D’autres principes herméneutiques appuient également l’interprétation textuelle. Premièrement, la présomption d’une expression cohérente et d’un langage similaire entre les frais de CELI et la renonciation relative au CELI, lorsqu’on les considère avec d’autres dispositions d’imputation et d’allègement non contestées dans la partie XI.01 de la Loi, soutient la conclusion portant que les dispositions, en soi, sont des dispositions d’imposition et d’allègement distinctes. Deuxièmement, la présomption contre l’absurdité milite contre une interprétation qui rendrait les règles de l’avantage relatif au CELI futiles[122]. Troisièmement, le pouvoir discrétionnaire du ministre dans l’application de la dispense relative au CELI doit éviter de violer la justice naturelle et doit autrement suivre la voie des critères précis énoncés aux alinéas a) à c) des circonstances de la renonciation relative au CELI.

[101] Il n’y a pas eu délégation du pouvoir de fixer le taux au ministre et il n’est pas nécessaire d’examiner s’il est limité aux « détails et mécanismes » de l’impôt.

C. Recours en cas de violation de l’article 53 de la Loi constitutionnelle

[102] Une dernière question soulevée dans le cadre de la requête aux termes de l’article 58 des Règles concerne le recours approprié lorsqu’une violation de l’article 53 de la Loi constitutionnelle a eu lieu au moyen des articles 207.05 et 207.06. C’est une question intéressante, et elle est également sans objet parce qu’il n’est pas de conclu que l’article 53 est violé. En conséquence, la Cour n’examinera pas cette question.

VIII. SOMMAIRE ET DÉPENS

A. Réponses sommaires aux deux questions :

[103] En résumé, les réponses aux deux questions de la requête aux termes de l’article 58 des Règles sont les suivantes :

  • i)Les frais imposés en application de l’un ou de l’autre ou des deux articles 207.05 et 207.06 de la Loi sont-ils en droit une pénalité ou un impôt?

Les frais imposés par l’un ou l’autre ou les deux articles constituent un impôt.

  • ii)Les articles 207.05 et 207.06 de la Loi, séparément ou de concert, sont-ils inconstitutionnels en raison de l’éventuelle délégation inappropriée de l’élément d’établissement du taux de cet impôt au ministre du Revenu national, donc contraires à l’article 53?

Ni l’article 207.05 ni l’article 207.06, séparément ou de concert, ne sont inconstitutionnels, car aucune délégation inappropriée n’a eu lieu.

B. Dépens

[104] Les dépens sont provisoirement adjugés à l’intimée conformément au tarif applicable. Si elles le souhaitent, les parties peuvent présenter des observations écrites sur les dépens, d’un maximum de 20 pages, dans un délai de 30 jours à compter de la publication de la présente ordonnance, faute de quoi la Cour ordonne que son ordonnance provisoire sur les dépens devienne définitive.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de juin 2022.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de Juillet 2023.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2022CCI67

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1689(IT)G

INTITULÉ :

THOMAS HUNT c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 25 et 26 janvier 2022

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 23 juin 2022

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me David R. Davies
Me Alexander Demner

Avocats de l’intimée :

Me David Everett
Me Lisa Macdonell

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

En blanc

Cabinet :

En blanc

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Hunt c. La Reine, 2018 CCI 193 [Motifs de la CCI dans la décision Hunt no 1].

[2] Hunt c. Canada, 2020 CAF 118 [Motifs de la CAF dans l’arrêt Hunt no 1].

[3] Observations de l’appelant, par. 16 et 17.

[4] Observations de l’appelant, par. 18.

[5] Stubart Investments Ltd c. The Queen, [1984] 1 R.C.S. 536, 1984 CanLII 20 [Stubart Investments].

[6] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, par. 40) [Hypothèques Trustco Canada].

[7] Ibid., par. 10.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 48.

[11] Hypothèques Trustco Canada, précité, note 6, par. 47.

[12] R c. Rafilovich, 2019 SCC 51 (CanLII), [2019] 3 R.C.S. 838, par. 20.

[13] Ibid., par. 30.

[14] Ibid.

[15] Placer Dome Canada Ltd c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, par. 23 [Placer Dome].

[16] TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, par. 79 [TELUS Communications].

[17] R c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 R.C.S. 75, par. 77, fusionnant en quelque sorte les motifs des arrêts Stubart Investments, Hypothèques Trustco Canada et TELUS Communications.

[18] TELUS Communications, précité, note 16, par. 79.

[19] Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, [1998] A.C.S. no 72 [Succession Eurig].

[20] Confédération des syndicats nationaux c. Canada (Procureur général), 2008 C.S.C. 68, [2008] 3 R.C.S. 511 [Syndicats].

[21] Observations de l’appelant, par. 19.

[22] Succession Eurig, précité, note 19, par. 36.

[23] Syndicats, précité, note 20, par. 75.

[24] Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, 1995 CanLII 108.

[25] Tokio Marine & Nichido Insurance Company c Security National Insurance Company, 2020 ABCA 402.

[26] Observations de l’appelant, par. 19.

[27] Observations de l’appelant, par. 45.

[28] Ibid.

[29] Voir Placer Dome, précité, note 15, par. 23; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par 43; Canada c. Antosko, [1994] 2 C.T.C. 25, 80 F.T.R. 320, p. 330.

[30] Hypothèques Trustco Canada, précité, note 6, par. 10.

[31] Placer Dome, précité, note 15, par. 21.

[32] Réponse de l’appelant, par. 4.

[33] Hypothèques Trustco Canada, précité, note 6, par. 10.

[34] Ibid, par. 47.

[35] 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804,1999 CanLII 639, par. 50) [65302 BC].

[36] Observations de l’appelant, par. 25 et 26.

[37] Observations de l’appelant, par. 58.

[38] Observations de l’appelant, par. 56.

[39] Observations de l’appelant, par. 57.

[40] Réponse de l’appelant, par. 13 et 14.

[41] Hypothèques Trustco Canada, précité, note 6, par. 47.

[42] Réponse de l’appelant, par. 14.

[43] 65302 BC, précité, note 36, par. 51.

[44] Réponse de l’appelant, par. 20.

[45] Observations de l’appelant, par. 63.

[46] Observations de l’appelant, par. 64.

[47] Exposé conjoint des faits, par. 12.

[48] Réponse de l’appelant, par. 21.

[49] Pfizer Co. Ltd. c. Sous-ministre du Revenu National [1977] 1 R.C.S. 456, p. 465.

[50] Réponse de l’appelant, par. 30.

[51] Réponse de l’appelant, par. 32.

[52] Critères définis dans les observations de l’appelant, par. 60.

[53] Observations de l’appelant, par. 61 à 64.

[54] Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction, [1931] S.C.R. 357, [1931] 2 DLR 193.

[55] Observations de l’appelant, par. 62 et 68; Réponse de l’appelant, par. 13.

[56] Motifs de la CCI dans la décision Hunt no 1, précité, note 1.

[57] L’appel entendu à la CAF concernait la question no 2 de la présente affaire.

[58] Stubart Investments, précité, note 5, p. 573 à 575.

[59] St. Arnaud c. Canada, 2013 C.A.F. 88, 444 N.R. 176..

[60] Ibid, par. 6.

[61] Ibid, par. 8.

[62] Observations de l’intimée, par. 65, renvoyant à l’exposé conjoint des faits à l’onglet 1.

[63] Observations de l’intimée, par. 66, renvoyant à l’exposé conjoint des faits à l’onglet 11.

[64] Observations de l’appelant, par. 62, renvoyant à l’exposé conjoint des faits, Annexe « A », p. 123 et 124.

[65] Medland c. Canada, 1998 CanLII 7895, par 14; Algoa Trust c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2294, par. 41.

[66] Folio de l’impôt sur le revenu S3-F10-C3, Avantages --- REER, REEE, FERR, REEI et CELI. À l’origine, les règles relatives aux avantages ne s’appliquaient qu’aux CELI, mais elles ont été étendues à d’autres régimes enregistrés après une série de modifications en 2011 et 2017.

[67] Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 C.S.C. 25 [2011] 2 R.C.S. 306, par. 40.

[68] Motifs de la CAF dans l’arrêt Hunt no 1, précité, note 2, par. 10.

[69] Succession Eurig, précité, note 19, par. 30 à 32.

[70] Réponse de l’appelant, par. 38.

[71] Syndicats, précité, note 20, par. 92.

[72] Observations de l’appelant, par. 108 et 109.

[73] Ontario English Catholic Teachers Assn c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 15, [2001] 1 R.C.S. 470, par. 73.

[74] Observations de l’appelant, par. 80 à 82.

[75] Observations de l’appelant, par. 86 à 89.

[76] Observations de l’appelant, par. 91 et 92.

[77] Observations de l’intimée, par. 92, renvoyant aux Motifs de la CCI dans la décision Hunt no 1, par. 30.

[78] Observations de l’appelant, par. 127.

[79] Observations de l’appelant, par. 108.

[80] Observations de l’appelant, par. 109.

[81] Observations de l’appelant, par. 110 à 112.

[82] Observations de l’appelant, par. 148.

[83] Motifs de la CCI dans la décision Hunt no 1, précitée, note 1, par. 30, et Motifs de la CAF dans l’arrêt Hunt no 1, précité, note 2, par. 8.

[84] Motifs de la CCI dans l’a décision Hunt no 1, précité, note 1, par. 35.

[85] Observations de l’appelant, par. 135.

[86] Observations de l’appelant, par. 96 et 97.

[87] Motifs de la CAF dans l’arrêt Hunt no 1, précité, note 2, par. 10.

[88] Ibid.

[89] Ibid, par. 15.

[90] Placer Dome, précité, note 15, par. 23.

[91] McNally c. Canada (Revenu national), 2015 CF 767, 483 F.T.R. 113.

[92] Ibid, para. 42, renvoyant à l’arrêt Roncarelli c Duplessis, [1959] S.C.R. 121, 16 D.L.R. (2d) 689, par. 140.

[93] Observations de l’appelant, par. 98.

[94] Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 1999 CanLII 699, par 20, renvoyant à l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, 1985 CanLII 23, p. 648.

[95] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653.

[96] Réponse de l’appelant, par. 42.

[97] Gekas c. Canada (Procureur général), 2019 C.F. 1031, 2019 D.T.C. 5102.

[98] Ibid, par. 31, 33.

[99] Sangha c. Canada (Procureur général), 2020 CF 712, [2021] 2 C.T.C. 124, para. 32 et 33 :

[100] Observations de l’appelant, par. 121 à 126.

[101] Florence c. Canada (Comité des transports aériens) [1988] A.C.F. no 1076, 24 F.T.R. 224.

[102] Clark c. Canada (Procureur général), 17 OR (2d) 593, 81 D.L.R. (3d) 33.

[103] R c Webster, [1888] OJ no 113, 16 OR 187.

[104] Nash c McCracken (Re), [1873] OJ no 32, 33 UCR 181.

[105] Re: New Westminster “Nuisance Prohibition By-Law, 1962”, [1963] BCJ no 140, 39 D.L.R. (2d) 676.

[106] Observations de l’appelant, par. 88 à 93.

[107] Observations de l’appelant, par. 117 et 118, 129 et 130.

[108] Observations de l’appelant, par. 126.

[109] Observations de l’appelant, par. 134.

[110] Observations de l’appelant, par. 129.

[111] Observations de l’appelant, par. 133 et 134.

[112] Observations de l’appelant, par. 136.

[113] Observations de l’appelant, par. 137 et 138.

[114] Observations de l’appelant, par. 141 et 142.

[115] Observations de l’appelant, par. 163.

[116] Exposé conjoint des faits, Annexe « A », p. 1 et 2.

[117] Exposé conjoint des faits, Annexe « A », p. 122 et 123, 128 et 129.

[118] Motifs de la CCI dans l’a décision Hunt no 1, précité, note 1, par. 70.

[119] Observations de l’appelant, par. 148.

[120] Observations de l’appelant, par. 152.

[121] Observations de l’appelant, par. 151.

[122] Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 36 OR (3d) 418, par. 27.

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