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Dossier : 2018-1918(GST)G

ENTRE :

DAVID LAMOTHE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

___________________________________________________________________

Appel entendu le 16 février 2022, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Diane Lafond

Avocat de l’intimée :

Me Éric Labbé

___________________________________________________________________

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise dont l’avis est daté du 7 novembre 2016 et porte le numéro F-065245 est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


Référence : 2022 CCI 85

Date : 20220727

Dossier : 2018-1918(GST)G

ENTRE :

DAVID LAMOTHE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

I. Introduction

[1] L’appelant, David Lamothe, en appelle d’une cotisation établie par l’Agence du revenu du Québec au nom de la ministre du Revenu national (Ministre) en vertu de la Partie IX de la Loi sur la taxe d’accise [1] . La Ministre a tenu l’appelant responsable de la dette fiscale de la société 9252-5591 Québec inc. (9252) relativement à des montants de taxe nette qu’elle était tenue de verser pour des périodes trimestrielles se terminant entre le 30 juin 2012 et le 6 mai 2014 inclusivement, soit un montant total de 54 341,37 $.

[2] La société 9252 a été constituée en février 2008 et radiée d’office en 2017. Au moment pertinent au présent litige, 9252 a un actionnaire majoritaire, M. Alexandre Lamothe, qui est aussi son administrateur alors que son frère, l’appelant, est désigné comme président sous la rubrique « Dirigeants non membres du conseil d’administration » [2] dans le registre des entreprises du Québec.

[3] 9252 exploitait une entreprise d’entretien ménager. L’appelant a témoigné avoir des connaissances dans ce genre d’entreprise. En fait, il a été administrateur et actionnaire majoritaire ou unique de plusieurs sociétés exploitant des entreprises dans le domaine de l’entretien ménager dont les suivantes : 9225-3897 Québec inc. [3] , 9292-4513 Québec inc. [4] et 9205-6381 Québec inc. [5] . Il a affirmé que son rôle dans 9252 était de faire les dépôts bancaires, trouver de nouveaux clients pour son frère et payer les sous-traitants et les employés. L’appelant était intransigeant sur le fait qu’il n’était pas administrateur de 9252.

II. Question en litige

[4] La question en litige en l’espèce est celle de savoir si l’appelant était un administrateur au moment où 9252 était tenue de verser un montant de taxe nette dont elle était redevable de sorte qu’il puisse être tenu solidairement responsable de payer le montant dû.

[5] Plus précisément, je dois trancher la question de savoir si, nonobstant le fait que l’appelant n’a pas été dûment élu administrateur de 9252, il agissait néanmoins comme administrateur de fait de sorte qu’il puisse être tenu responsable des montants que 9252 a omis de verser.

III. Position des parties

Position de l’appelant

[6] L’appelant n’était pas un administrateur de droit de 9252. En outre, l’appelant soutient que la preuve ne permet pas de conclure qu’il était un administrateur de fait de 9252. Il affirme qu’il n’a posé aucun geste de gestion pour le compte de 9252 ni ne s’est-il présenté comme administrateur. Selon lui, cosigner pour ouvrir un compte bancaire, faire les dépôts bancaires, signer les chèques, trouver des clients, payer les fournisseurs et les employés sont des gestes de dirigeants et ne font pas de lui un administrateur de fait de 9252. Selon l’appelant, il s’agit d’une situation où un frère veut aider l’autre. Il ne peut donc pas être tenu responsable des montants dus par 9252 conformément au paragraphe 323(1) de la Loi.

[7] Je note que nonobstant le fait que le paragraphe 323(3) de la Loi prévoit une défense de diligence, l’appelant a limité ses observations à la question de sa qualité d’administrateur.

Position de l’intimée

[8] L’intimée soutient que la preuve révèle que l’appelant était un administrateur de fait de 9252. Les gestes posés, soit sa participation à l’ouverture du compte bancaire et aux activités bancaires, sa signature sur les chèques émis par 9252, son lien avec le centre d’encaissement Chèque Express pour en nommer quelques-uns, suffisent pour conclure qu’il était administrateur de fait dans les circonstances de cette affaire. L’intimée affirme que ces gestes suffisent dans les circonstances puisque 9252 est une coquille vide, une société qui n’a pas d’actifs, qui n’exploite pas d’activités commerciales et qui est présumée être émettrice de fausses factures; or il n’y a pas de gestes de gestion dans le sens traditionnel du terme.

IV. Analyse

[9] Le paragraphe 323(1) de la Loi impose une responsabilité personnelle et solidaire sur les administrateurs d’une société qui ont omis de verser des montants de taxe nette. En l’espèce, l’appelant ne conteste pas que 9252 a omis de verser des montants de taxes nettes comme l’exige la Loi. Comme requis par le paragraphe 323(2), un certificat précisant la somme pour laquelle 9252 est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 de la Loi [6] . En outre, tel que le démontre le rapport de carence, il y a eu défaut d’exécution de 9252 à l’égard de la somme due [7] .

[10] Le paragraphe 323(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

Les administrateurs d’une personne morale au moment où elle était tenue de verser, comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), un montant de taxe nette ou, comme l’exige l’article 230.1, un montant au titre d’un remboursement de taxe nette qui lui a été payé ou qui a été déduit d’une somme dont elle est redevable, sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer le montant ainsi que les intérêts et pénalités afférents.

[11] Je note que l’article 323 de la Loi est similaire à l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) [8] de sorte que la jurisprudence portant sur l’article 227.1 de la LIR s’applique sans distinction à l’article 323 de la Loi.

[12] Dans l’affaire R c Corsano [9] portant sur l’article 227.1 de la LIR, la Cour d’appel fédérale a affirmé qu’en utilisant le terme « administrateurs » sans restriction, « le législateur a voulu qu’il recouvre tous les genres d’administrateurs reconnus en droit des sociétés, notamment les administrateurs de droit et de fait » [nous soulignons]. La même conclusion s’applique à l’article 323 de la Loi. Une personne agissant comme administrateur sans être élue ou admissible à un poste d’administrateur ne peut échapper aux obligations imposées par la LIR ou la Loi [10] .

[13] En l’espèce, seul Alexandre Lamothe est identifié comme administrateur de 9252 selon l’État des renseignements d’une personne morale au registre des entreprises en date du 30 octobre 2017 [11] . L’intimée n’a pas soutenu que l’appelant était administrateur de droit pendant la période pertinente ni à aucun autre moment. Or, l’appelant ne peut être tenu responsable des montants dus par 9252 que si l’appelant était administrateur de fait. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il l’était.

[14] L’appelant a témoigné que son frère, Alexandre Lamothe, lui avait demandé de l’aider à ouvrir un compte à la banque parce que son dossier de crédit « n’était pas bon ». Il est donc allé à la Banque TD avec son frère et ils ont signé un accord de services bancaires aux entreprises [12] . L’appelant faisait les dépôts bancaires pour 9252 et aidait son frère à recruter des clients. Il affirme qu’il payait des sous-traitants ou des employés, bien qu’il disait n’avoir aucune idée combien 9252 avait d’employés [13] . L’appelant déclare qu’il faisait ce que son frère lui demandait de faire.

[15] L’appelant affirme qu’il était un employé et qu’il a été payé par chèques. Pourtant aucun des chèques présentés en preuve n’a été fait à l’ordre de l’appelant [14] . Lors de son témoignage, l’appelant a déclaré qu’il ne se souvenait pas de combien de revenu il aurait gagné à titre d’employé de 9252.

[16] M. Jayson Savard, vérificateur à Revenu Québec au moment pertinent au litige, a effectué la vérification de 9252. M. Savard a expliqué comment il a procédé pour effectuer la vérification. Il a affirmé qu’il n’y eut pas de collaboration de la part de 9252 et qu’il n’a pas eu accès aux états financiers ou autre documentation de 9252. En outre, à compter du moment où l’appelant et son frère ont été impliqués dans 9252, soit à compter du 18 octobre 2011, la société n’a pas produit de déclaration de revenu, seulement des déclarations de taxes de vente. Or, M. Savard a procédé en examinant les montants des chèques encaissés à la Banque TD et au centre d’encaissement Chèque Express.

[17] Selon un document daté du 9 septembre 2011, et sur recommandation de l’appelant, Alexandre Lamothe est devenu le client numéro 88 du centre d’encaissement Chèque Express. Le 19 octobre 2011, Alexandre Lamothe a signé une procuration autorisant l’appelant à présenter des chèques pour encaissement auprès de Chèque Express [15] . M. Savard a témoigné que 9252 a encaissé un total de 871 356 $ au centre d’encaissement Chèque Express et un total de 188 451 $ à la Banque TD [16] . L’appelant a déclaré qu’il ne se rappelle pas d’avoir encaissé des chèques au centre d’encaissement Chèque Express.

[18] Lors de son témoignage, M. Savard a affirmé qu’il n’avait pas été en mesure de confirmer que des services avaient été réellement rendus pas 9252. L’adresse de 9252 était celle du bureau comptable, 9252 n’a déclaré aucun employé et n’avait aucun actif [17] . Selon lui, il s’agissait d’une coquille vide. M. Savard a indiqué que lors d’une conversation avec l’appelant, ce dernier a nié être président ou d’avoir été impliqué de quelque manière que ce soit avec 9252.

[19] À la lumière des renseignements recueillis au sujet des gestes posés par l’appelant et l’absence de toute autre information concernant les gestes posés par Alexandre Lamothe, M. Savard a conclu que l’appelant était administrateur de 9252.

[20] Madame Karen Lavoie, agente de recouvrement à Revenu Québec au moment pertinent au litige, a conclu, à l’instar de M. Savard, que l’appelant était administrateur de 9252. Elle a insisté sur les gestes posés par l’appelant et sur le fait qu’il s’agissait des seuls gestes posés par 9252.

[21] Tel que mentionné plus haut, à certains moments, l’appelant était administrateur de jure d’autres sociétés. J’ai entendu le témoignage de M. Étienne Marcoux, maintenant chef de service à Revenu Québec et vérificateur au moment pertinent au litige. Il a procédé à la vérification de deux de ces sociétés, soit 9205-6381 Québec inc. (9205) et 9225-3897 Québec inc. (9225).

[22] À certains moments, l’appelant était l’unique actionnaire et administrateur de 9205. Lors de son témoignage, l’appelant a affirmé qu’il ne se rappelait pas cette société et que ça ne lui disait rien même après qu’on lui ait rappelé que cette société avait déjà exploité son entreprise sous la raison sociale « Les entretiens ménagers David Lamothe ». En contre-interrogatoire, en réponse à la question de savoir s’il avait déjà été en contact avec un vérificateur au sujet de la société 9205, il a répondu qu’il ne le savait pas. Pourtant M. Marcoux a rencontré l’appelant en présence de son avocat lors de la vérification de 9205. M. Marcoux a témoigné que 9205 n’avait pas de place d’affaires, pas d’actifs, pas d’employés, et pas d’achat de matériel pour l’entretien ménager. Il a conclu que 9205 était une société émettrice de fausses factures.

[23] M. Marcoux a témoigné qu’il a effectué la vérification de la société 9225 au même moment que celle de 9205. L’appelant a affirmé qu’il était l’unique administrateur et l’unique actionnaire de 9225 [18] . M. Marcoux a témoigné que l’appelant se disait être un prête-nom et qu’il avait servi uniquement à encaisser et décaisser des chèques. Lors de la vérification, l’appelant a indiqué que les seuls travaux accomplis pour 9225 étaient d’acheter des produits sanitaires et faire des transactions bancaires. M. Marcoux a témoigné que 9225 n’avait pas d’actifs et n’avait pas déclaré d’employés. Il a tiré la même conclusion que celle tirée à l’égard de 9205, c’est-à-dire que 9225 était une société émettrice de fausses factures.

[24] Dans de nombreuses décisions, cette Cour a été appelée à se prononcer sur les critères pouvant s’appliquer pour déterminer si une personne est un administrateur de fait. Les deux critères suivants ont été maintes fois énoncés et appliqués : i) la personne a usurpé les fonctions d’administrateur en posant des actes normalement réservés aux administrateurs; ii) la personne s’est présentée à des tiers comme un administrateur de la société [19] .

[25] L’avocate de l’appelant soutient que pour que l’appelant puisse être considéré un administrateur de fait, il aurait fallu de la preuve démontrant qu’il posait des actes de gestion, en l’occurrence, de la preuve qu’il « gérait l’entreprise d’entretien ménager, prenait des décisions de gestion, […] décidait des contrats à conclure avec des clients […] signait les résolutions en tant qu’administrateur » [20] . En l’absence de telle preuve, elle affirme que l’appelant ne peut pas être désigné administrateur de fait. Les actes posés, ouvrir un compte de banque, faire des transactions bancaires, signer des chèques, recruter des clients, sont, selon l’appelant, des gestes de dirigeants.

[26] À l’appui de ses prétentions, l’avocate de l’appelant a cité l’affaire Hay c R [21] , décision dans laquelle la Cour a conclu que M. Hay était un dirigeant, mais non un administrateur de fait. Il était responsable des activités quotidiennes de la société et avait co-signé des chèques. À mon avis, il y a des distinctions importantes entre les circonstances de l’affaire Hay et celles de la présente affaire. Dans l’affaire Hay, deux personnes indépendantes sont venues témoigner, affirmant que M. Hay était un employé, un gérant de locaux qui réparait le matériel défectueux et qui recevait ses ordres de M. Cohen. La Cour a conclu que c’est M. Cohen qui prenait toutes les décisions importantes pour la société, qui négociait et signait les principaux contrats et qui avait certifié la résolution du conseil d’administration le désignant à titre de personne autorisée à signer au nom de la société. En l’espèce, nous n’avons pas de tels témoignages concernant les gestes posés par l’appelant et par Alexandre Lamothe et nous n’avons pas de preuve d’activités de 9252, de signature de principaux contrats ou d’une telle résolution du conseil d’administration.

[27] L’avocate de l’appelant cite l’affaire Mosier c R [22] à l’appui de sa position selon laquelle l’appelant ne peut pas être considéré administrateur de fait parce qu’il n’y a aucune preuve qu’il s’est présenté comme administrateur. À mon avis, la question de savoir si une personne s’est expressément présentée comme administrateur à des tiers est un facteur pertinent selon les circonstances, mais il ne s’agit pas d’un critère déterminant. Je trouve un appui pour cette opinion dans les affaires McDonald c R [23] et Hartrell c R [24] .

[28] Dans l’affaire Hartrell, le juge Paris s’est exprimé comme suit :

Toutefois, dans des cas comme celui en l'espèce, où une société est en exploitation, mais n'est pas dotée d'une structure appropriée, et où l'unique administrateur inscrit dans les registres de la société ne participe pas à son exploitation, les personnes qui prennent en charge la direction des affaires de la société peuvent être considérées comme étant des administrateurs de fait, qu'elles se soient expressément présentées ainsi à des tiers ou non. La question fondamentale est de savoir si ces personnes ont, dans les faits, assumé le rôle d'administrateur de la société [25] .

[29] Dans le même ordre d’idée, je suis d’avis que la preuve ne démontre pas que 9252 s’est dotée d’une structure appropriée, que l’unique administrateur a participé à son exploitation, ni qu’une personne s’est acquittée des fonctions que l’on s’attendrait à voir exécuter par un administrateur. En outre, en l’espèce, la preuve ne démontre pas que 9252 exploitait des activités commerciales puisque le vérificateur n’a pas pu retracer les actifs ni conclure à l’existence des employés qui auraient pu permettre à 9252 d’exploiter une entreprise d’entretien ménager. Dans ces circonstances, les critères habituels tels que la question de savoir si une personne a usurpé les fonctions traditionnelles de l’administrateur ou s’est présentée comme étant un administrateur à des tiers sont de peu d’utilité. Je fais miens les propos de la juge Campbell qui s’est exprimée comme suit dans l’affaire McDonald, « il n’existe pas de critère notable susceptible d’être appliqué à toutes les circonstances pour déterminer si un particulier est administrateur de fait » [26] .

[30] Or, il faut plutôt examiner quels gestes ont été posés dans le contexte des activités de l’entreprise et déterminer si dans les circonstances particulières de cette société, la personne posant ces gestes exerçait un contrôle suffisant sur les « affaires » de la société pour être tenue responsable en tant qu’administrateur de fait des obligations de la société. Je conclus qu’en l’espèce, selon la preuve présentée à l’audience, les gestes posés par l’appelant sont les seuls gestes posés par quiconque pour le compte de 9252. Dans ces circonstances, je conclus que l’appelant exerçait un contrôle suffisant sur les affaires de 9252 pour être tenu responsable en tant qu’administrateur de fait des obligations de 9252 dont elle ne s’est pas acquittée.

[31] Je crois comprendre que l’avocate de l’appelant soutient que c’était à l’intimée de prouver que l’appelant était administrateur de fait [27] . Je note que c’est à l’appelant qu’incombe le fardeau de preuve, soit le fardeau de démolir les présomptions de fait de l’intimée. Dans l’affaire Jefferson v R [28] , la Cour d’appel fédérale a affirmé que l’intimée n’est pas tenue de convoquer des témoins ou de présenter ses propres éléments de preuve pour soutenir sa position. En outre, il est loisible à la Cour de déterminer la validité de la cotisation d’après tous les éléments de preuve déposés [29] . Il revenait à l’appelant de présenter de la preuve selon laquelle 9252 exploitait des activités d’entretien ménager et que quelqu’un d’autre que lui prenait les décisions importantes pour le compte de la société, soit négociait les contrats importants, signait les résolutions du conseil d’administration, etc.

[32] Alexandre Lamothe était la personne la mieux placée pour appuyer le témoignage de l’appelant et pour expliquer à la Cour que ce n’était pas l’appelant qui jouait le rôle d’administrateur. Alexandre Lamothe n’a pas été appelé à témoigner. L’avocate de l’appelant a déploré le fait qu’il n’y avait pas de preuve devant la Cour démontrant que l’appelant s’entretenait avec des fournisseurs, concluait des contrats, faisait la gestion de l’entreprise. En réponse à la question de savoir où sont ces contrats, avec quels fournisseurs ont-ils été conclus, qui les a signés, où sont les résolutions du conseil d’administration donnant à l’appelant l’autorisation de poser les gestes qu’il posait et qui aurait été en mesure de donner ces renseignements, l’avocate de l’appelant a reconnu que c’était bien Alexandre Lamothe qui aurait pu fournir de telles informations. Elle a suggéré qu’il revenait à l’intimée de prouver que ce n’était pas Alexandre Lamothe l’administrateur, mais plutôt l’appelant.

[33] L’avocat de l’intimée invite la Cour à tirer une inférence défavorable du fait de l’absence du témoignage d’Alexandre Lamothe lequel aurait pu appuyer les propos de l’appelant en indiquant qu’il était l’administrateur de 9252 et que c’est lui qui posait les gestes de gestion de l’entreprise. Je suis d’avis qu’il s’agit de circonstances appropriées pour tirer une telle inférence. Comme affirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Deyab c R [30] , citant un ouvrage de doctrine, une inférence défavorable peut être tirée lorsqu’une partie omet, sans explication, de convoquer un témoin qui aurait une connaissance des faits et qui serait disposé à aider cette partie. L’appelant a insisté sur le fait que tout ce qu’il avait fait en lien avec 9252 était pour aider son frère. L’appelant n’a pas fourni une explication satisfaisante à la Cour quant à la question de savoir pourquoi son frère n’est pas venu témoigner; son avocate a affirmé que l’appelant n’avait aucune obligation à cet égard.

[34] Je note qu’il y a plusieurs incohérences et propos surprenants émanant du témoignage de l’appelant dont les suivants pouvant servir d’exemples :

a) L’appelant a témoigné ne rien savoir de la société 9205 alors que cette société avait utilisé la raison sociale « Les entretiens ménagers David Lamothe » et, à certains moments, il a été son unique actionnaire et administrateur;

b) L’appelant dit qu’il payait les employés alors que 9252 ne déclarait aucun employé auprès des autorités;

c) L’appelant a témoigné qu’il était un employé et qu’il se faisait payer par chèque, mais aucun des chèques présentés en preuve n’a été fait à son ordre;

d) L’appelant a témoigné que 9252 exploitait une entreprise d’entretien ménager et qu’il allait vendre ses services à des clients qu’il appelait de temps en temps pour voir si tout allait bien; pourtant le vérificateur a témoigné que la place d’affaires de la société était un bureau comptable et il n’a pu retracer aucun actif qui aurait pu permettre d’exploiter une telle entreprise;

e) L’appelant a d’abord affirmé qu’il avait payé pour la voiture Mercedes et que c’était sa voiture. Après avoir pris connaissance des pièces à conviction, soit un imprimé de la Société de l’assurance automobile du Québec et le chèque émis par 9252 à l’ordre de Silver Star Mercedes, il a reconnu que la société avait payé pour la voiture qui appartenait à sa conjointe en ajoutant qu’il utilisait la voiture pour la compagnie de son frère;

f) L’appelant avait une procuration pour encaisser des chèques au centre d’encaissement Chèque Express. Alexandre Lamothe avait ouvert un compte chez Chèque Express sur la recommandation de l’appelant et il a accordé une procuration à l’appelant pour encaisser des chèques. 9252 a encaissé plus de 800 000 $ de chèques chez Chèque Express. Toutefois, l’appelant a témoigné ne pas avoir de connaissance de cela;

g) En contre-interrogatoire, l’appelant a indiqué que la société 9205 ne lui disait rien alors qu’il a été son unique actionnaire et administrateur. Il a témoigné qu’il ne savait pas s’il avait été en contact avec un vérificateur de 9205; pourtant M. Marcoux a rencontré l’appelant en présence de son avocat lors de la vérification de 9205;

h) Bien qu’il était administrateur et actionnaire de 9225 et qu’il a témoigné qu’il faisait tout dans la société, il a affirmé ne pas savoir que 9225 a été cotisée pour fausses factures.

[35] Je conclus qu’à plusieurs égards, le témoignage de l’appelant n’est pas crédible. Son témoignage non corroboré relativement aux activités commerciales de 9252 et à son rôle dans cette société n’est pas crédible. Je conclus que l’appelant n’a pas établi que les hypothèses de la Ministre, selon lesquelles l’appelant exerçait des fonctions d’administrateur de 9252 et qu’il était administrateur de fait de 9252 pendant la période pertinente, sont fausses.

V. Conclusion

[36] Je conclus que l’appelant était un administrateur de fait de 9252. Dans ces circonstances, c’est à bon droit que la Ministre a invoqué l’article 323 de la Loi pour le tenir responsable des montants que 9252 a omis de verser. L’appel est rejeté avec dépens à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2022.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 85

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1918(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

DAVID LAMOTHE ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 16 février 2022

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Diane Lafond

Avocat de l’intimée :

Me Éric Labbé

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Diane Lafond

Cabinet :

390 Notre-Dame Ouest

Bureau 400

Montréal (Québec)

H2Y 1T9

 

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, ch. E-15 [Loi].

[2] Transcription de l’audience à la p 76 [Transcription] et Pièce I-1, onglet 13, État des renseignements d’une personne morale au registre des entreprises du Québec.

[3] Transcription aux pp 31-32, 40-41.

[4] Transcription à la p 52 et Pièce I-1, onglet 12.

[5] Transcription à la p 50 et Pièce I-3.

[6] Pièce I-1, onglet 8.

[7] Pièce I-1, onglet 7. Voir la Transcription à la p 153, témoignage de Madame Karen Lavoie, agente de recouvrement à Revenu Québec.

[8] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [LIR].

[9] R c Corsano, [1999] 3 CF 173 (CAF) au para 5.

[10] Voir à cet effet, ibid aux paras 20-21.

[11] Pièce I-1, onglet 13. Selon le témoignage de M. Jayson Savard, des modifications ont été apportées à l’État de renseignements d’une personne morale au Registre des entreprises le 18 octobre 2011, date à laquelle Alexandre Lamothe fut ajouté comme actionnaire et vice-président et David Lamothe fut ajouté comme président non membre du conseil d’administration. Voir la Transcription aux pp 138, 142; voir aussi la Pièce I-1, onglet 6 à la section 6.2.1.2.

[12] Pièce I-1, onglet 14.

[13] Transcription aux pp 17, 69-70.

[14] Pièce I-1, onglet 15. Voir Transcription à la p 140 : M. Savard a témoigné qu’il a demandé à la Banque TD de produire une copie de tous les chèques émis par 9252.

[15] Pièce I-1, onglet 16.

[16] Transcription aux pp 133-134. Voir aussi le Rapport du vérificateur, Pièce I-1, onglet 6.

[17] Le seul actif retracé fut un véhicule Mazda Protégé détenu par 9252 entre le 16 novembre 2011 et le 13 février 2013 ; voir Pièce I-1, onglet 6.

[18] Transcription aux pp 40-41.

[19] Voir par exemple: Koskocan c R 2016 CCI 277; McDonald c R 2014 CCI 315 [McDonald]; Scavuzzo c R 2005 CCI 772; Hay c R 2004 CCI 51 [Hay];

[20] Transcription aux pp 182 et ss.

[21] Hay, supra note 19.

[22] [2001] GSTC 124 (CCI).

[23] McDonald, supra note 19 au para 26.

[24] 2006 CCI 480 au para 27 [Hartrell] (conf par 2008 CAF 59).

[25] Ibid.

[26] McDonald, supra note 19 au para 30.

[27] Voir par exemple la Transcription à la p 182.

[28] Jefferson v R, 2022 FCA 81 [Jefferson] au para 27 : The respondent is not required to call witnesses or tender its own evidence to make its case. A similar argument was rejected by this Court in Laliberté; it was open to the Tax Court in that case to determine the value of the shareholder benefit received “based on all the evidence tendered, including the Crown’s cross-examination of the [taxpayer’s] witnesses”: Laliberté at para 56. Similarly, it was open to the Tax Court to determine the value of the consideration the appellant gave for the cheques based on all the evidence tendered.

[29] Voir à cet effet Laliberté c R, 2020 CAF 97 au para 56 cité dans Jefferson, ibid.

[30] 2020 CAF 222 au para 46. La CAF citait l’ouvrage intitulé Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada, 5e édition (LexisNexis Canada Inc., 2018), aux paragraphes 6.471 et 6.472.

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